Les défis du 21ème siècle touchent les métiers du Droit, plus qu’on ne le pense, à commencer par celui d’Avocat. Vu avec une approche d’Intelligence Juridique, telle que développée par l’École de Guerre Économique et enseignée dans son MBA Exécutif d’Intelligence Juridique, on constate que la guerre économique pousse les acteurs à réclamer toujours plus de sécurité juridique, des solutions juridiques nouvelles voire inventives pour étayer leurs stratégies et projets, ainsi que des outils pour aller plus vite, avec une réactivité et une célérité constantes. Les évolutions de notre société sont profondes transformant notre rapport au droit et à l’éthique. Pour répondre aux défis actuels, l’État et les acteurs économiques ont besoin, comme le souligne Christian Harbulot, directeur de l’École de Guerre Économique, de disposer de grilles de lecture adaptées décodant les véritables enjeux du Droit et la manière dont il s’imbrique dans les jeux d’influence. Or on constate que le conseil juridique peut être sollicité tardivement. Historiquement, les acteurs économiques ont consulté un Avocat pour lancer ou répondre à un contentieux, régler un différend, rédiger des documents juridiques conformes au Droit, vérifier, a posteriori, la conformité d’un projet au droit, etc. Cette habitude historique de consultation « en aval » tend à changer car les acteurs économiques voient l’intérêt d’une collaboration préventive, c’est-à-dire avant que le problème n’arrive. Les changements profonds qui marquent notre société avec la globalisation, la digitalisation et la transition énergétique mettent en lumière le rôle clé que l’Avocat doit jouer dans notre cité. En effet, dans ce contexte, les Avocats apparaissent comme un des piliers de l’État de droit car ils diffusent le droit, concourent à sa création, aident et défendent les entreprises et les individus avec les armes juridiques. Ils sont également des acteurs de progrès par l’innovation juridique ou en concourant à la conception des outils digitaux pour les adapter aux besoins juridiques.
Concrètement, quelles sont les tendances actuelles et comment l’Intelligence Juridique peut-elle particulièrement aider les avocats à y répondre ?
La démultiplication des champs de bataille
L’Avocat stratège, quelle que soit sa spécialité juridique et son terrain de conseil (entreprise, salarié, individu, famille, etc.) transforme son mode de pensée et ses méthodes d’analyse pour y inclure le contexte, la détection des tendances, l’analyse des marchés, des évènements et des acteurs. Il suit l’évolution des autres droits pour identifier les zones d’impact sur les entreprises et les individus dans sa zone de spécialité, voire même en dehors afin d’alerter sur les risques juridiques méconnus par l’entreprise. Par exemple, conscient de la démultiplication des champs de batailles – au champ de bataille terrestre se sont ajoutés le champ de bataille d’internet et celui du spatial – il veille à conseiller et défendre les entreprises et les individus autant sur le champ terrestre que sur le champ internet contre les cyberviolences (haine, harcèlement …) et la cybercriminalité (phishing, randsomeware …) . Il démontre que cela est devenu un must alors que c’était hier encore une spécialité voire même une niche. Philippe Coen, ancien avocat et directeur juridique, en a fait l’expérience en créant Respect Zone dès 2014 avec un cercle des juristes et une cellule d’aide aux victimes de cyberviolences. Pendant quelques années, cette lutte contre les cyberviolences a été limitée à la sphère privée (c’est à dire à la vie privée des individus sur les réseaux sociaux ou à la famille) occultant ainsi les effets du développement des flots de haine, violences ou autres et de criminalités sur internet qui impactait non seulement les familles, les enfants et les individus mais aussi les entreprises et leurs collaborateurs. L’Avocat Stratège détecte, par exemple, les porosités possibles entre la sphère professionnelle et la sphère personnelle du fait de l’augmentation des communications sur des thèmes autant professionnels que personnels avec le même compte Facebook. Sur ce champ, cet été a montré une vraie prise de conscience du phénomène puisque plus de 400 annonceurs dont des marques, telles que Coca-Cola, Unilever et Ben & Jerry ont menacé le réseau social Facebook de suspendre leurs budgets publicitaires pour l’obliger à mieux lutter contre les propos racistes ou haineux[1] ; ces marques ne pouvant raisonnablement plus tolérer de faire la publicité de leurs produits dans un tel environnement. Ainsi, il n’est plus seulement question de défendre la réputation d’un homme ou d’une femme ou de poursuivre l’auteur d’ « une fraude au président », il s’agit maintenant de le ou la protéger contre des cyber-attaques pouvant comprendre des insultes voire des menaces de mort pouvant causer des dommages graves voire irréversibles. On anticipe qu’une formation à la navigation sur internet et à l’e-réputation va devenir aussi importante qu’une formation au Code de la Route, ainsi que le recommande Philippe Coen.
Le problème du traitement des alertes
Dans un autre domaine, les entreprises ayant besoin d’accompagnement pour la mise en œuvre des lois et règlements, notamment pour la lutte contre la corruption, la fraude, le blanchiment, etc. l’Avocat Stratège conçoit, en sus de ses conseils, des mesures et systèmes permettant d’agir en conformité. William Feugère, par exemple, a créé en 2016, Ethicorp une plateforme de réception d’alertes purement numérique permettant de déposer une alerte dans un environnement sécurisé pour qu’elle soit traitée par un avocat. Ce système présente le double avantage de garantir la neutralité du traitement (ce qui est une protection supplémentaire pour le lanceur d’alerte) et d’assurer un traitement de l’alerte par un avocat dans le respect des règles juridiques applicables (confidentialité, enquête, audition, collecte de preuves …). Ainsi mis en œuvre, le droit devient un gage de qualité et de confiance. Conscient d’un autre style de menace qui pèse maintenant sur les dirigeants du fait des effets extraterritoriaux de certaines lois, comme l’a montré l’expérience de Frédéric Pierrucci, emprisonné aux États-Unis dans le cadre d’une affaire conduite contre l’entreprise Alstom par le Department of Justice américain[2], l’Avocat Stratège conçoit une protection spécifique des dirigeants dans les programme de conformité anti-corruption en ajoutant par exemple, un processus d’alerte via des analyses d’Intelligence Économique révélant les velléités d’administrations étrangères de déployer l’application de leurs lois extraterritoriales.
Remettre l’humain au centre de la relation avocat-client apparaît comme étant une démarche clé de l’Avocat Stratège ainsi que le montre, par exemple, le réseau Human Ethic créé par Barbara Régent.
Prévenir par un dialogue « interculturel »
Ayant détecté les besoins des acteurs économiques de gagner du temps, l’Avocat Stratège travaille à établir des relations équilibrées dans les contrats en adaptant les clauses au « nécessaire » plutôt que de défendre une partie contre une autre en imposant des clauses très protectrices ; ce « nécessaire » étant déterminé via une analyse d’opportunité-risque. Pour cela, il développe une nouvelle approche des dossiers en prévoyant son intervention en amont lors de la conception même de la stratégie ou du projet, il examine les modalités d’exécution contractuelles par les parties pour prévenir la naissance des contentieux en capitalisant sur sa connaissance intime de la position des tribunaux : « Prévenir plutôt que guérir pour gagner du temps ». Pour mener cette démarche à bien, il développe un dialogue interculturel qui lui permet d’identifier les préoccupations des entreprises et de leurs dirigeants, les zones d’incompréhension du droit ou les points de rejet à dépasser. Il se forme aux décisions en environnement complexe et à la gestion de crise. Disposant d’une connaissance plus poussée de l’entreprise, de ses stratégies et de ses pratiques il peut cibler l’essentiel et augmenter la valeur ajoutée de ses interventions. La médiation « préventive », soit la médiation avant la naissance d’un réel différend, devient ainsi un outil utile pour faire gagner du temps et de l’argent aux entreprises.
Les limites de l'industrialisation du Droit
L’évolution de notre siècle vers l’instantanéité, la mode de la consommation immédiate, la digitalisation des processus commençant à atteindre notre rapport au droit, l’Avocat Stratège détecte les écarts engendrés par certains processus de digitalisation. Il rappelle par exemple, les conditions de validité du consentement pour accepter des conditions générales de vente ou les règles éthiques de non-discrimination face à la tendance de ne plus délivrer de copie papier d’actes notariés. Comment assurer en effet la traçabilité d’un acte de propriété sur des dizaines voire des centaines d’années avec des supports digitaux qui varient au gré des progrès technologiques et de leur accessibilité économique ? Face aux vœux de certains acteurs économiques en faveur d’une industrialisation du droit pour acheter rapidement en quelques clics les documents juridiques nécessaires à leur besoin, l’Avocat Stratège repositionne son intervention dans le processus d’élaboration des stratégies et des projets par les acteurs économiques. Il pointe les écueils d’une certaine forme d’industrialisation du droit telle que celle proposée par Legalstart avec la vente de documents juridiques complétée d’une assistance téléphonique pour répondre aux questions. Ces solutions rapides et peu chères pour constituer une société par exemple ne risquent-elles pas de décevoir lorsque la mise en œuvre des documents juridiques révèlera des inadaptations, des incohérences ou des erreurs au détriment de l’entreprise et de ses actionnaires ? Pour être accessible et efficace, le droit doit-il devenir un produit de consommation courante au mépris des règles de conseil juridique et de déontologie ? En écho à cette évolution, l’Avocat Stratège cible les moments privilégiés d’échange à préserver en démontrant les gains de cette démarche.
La préservation du lien humain
Ainsi, on voit que, au sein de ce maelström d’évolutions, l’Avocat Stratège a, plus que jamais un rôle de pilier de l’État de droit et de diffuseur de progrès à jouer. Défenseur de l’éthique, des valeurs et des règles, l’Avocat Stratège se transforme pour être un partenaire privilégié des entreprises dans une relation continue. Pour répondre à leurs besoins de célérité et de simplicité, il varie ses offres, standardise ce qui peut l’être, organise une veille contextuelle en sus de la veille juridique, se dote d’outils digitaux pour produire et diffuser vite tout en préservant la relation avocat client. Il clarifie ce qui peut relever du prêt à porter et ce qui doit rester du domaine de la haute couture. Se sachant détenteur de secrets d’entreprise, il organise sa protection y compris dans le domaine cyber ; nouveau champ de risque pour les cabinets d’avocats. A l’instar des médecins qui voient s’éloigner la relation avec leur patient avec la digitalisation de certaines pratiques, l’Avocat Stratège se réinvente en préservant ce lien humain si essentiel dans la relation avocat client tout en gagnant du temps avec des méthodes de l’Intelligence Juridique, des expertises dédiées et des outils.
Véronique Chapuis
Directrice du MBA Exe d’Intelligence Juridique, Ecole de Guerre Economique
Président fondatrice LEX Colibri, Ergonome juridique
Notes
[1] Voir par exemple Raphaël Balenieri, Anaïs Moutot, Nicolas Pauline, Les Echos, 2 juillet 2020.
[2] Le Piège américain, Frédéric Pierrucci, Matthieu Aron, Lattès, 2019, Prix Littéraire des Nouveaux Droits de l’Homme.