Se former à l’Intelligence Juridique, une nécessité dans la guerre économique

Au milieu des années 90,  le droit apparaissait déjà comme l’une des dimensions de la stratégie globale des entreprises et qu’à ce titre il devait être envisagé aussi bien sous l’angle offensif que défensif. Dans un texte précurseur, Ivan Moury [1] constatait que la législation n’était plus subie, et était de plus en plus gérée et intégrée dans la stratégie des firmes. L’intelligence économique est également un outil d’influence en direction des pouvoirs publics. Les entreprises peuvent par exemple, gérer les procédures juridiques : intervention/non intervention à une procédure, dépôt/absence de plainte, gestion des informations dans les réponses aux demandes de renseignements [2]. Les entreprises peuvent aussi influencer le législateur, notamment par le biais du lobbying, pour que ce dernier se détermine dans un sens qui leur est favorable.

Si l’on se place sous l’angle de la défense de l’entreprise, et plus particulièrement de son patrimoine concurrentiel, le droit doit également être pris en compte dans sa stratégie globale. En effet, les entreprises sont l’objet d’agressions multiples de la part de la concurrence et elles doivent en conséquence se protéger. Il existe pour cela différentes parades juridiques qui peuvent être utilisées pour faire face à ces attaques, elles seront l’objet de la présente étude. Ayant constaté que les actions malveillantes menées par la concurrence revêtent des formes multiples, nous les avons regroupées en trois grandes catégories:

  • les attaques directes contre le patrimoine de l’entreprise;
  • les attaques indirectes par le biais des relations contractuelles;
  • le détournement du patrimoine par les salariés.

Une longue gestation

Il a fallu attendre près d’un quart de siècle pour passer à l’acte. Les premiers pionniers ont finalement été entendus. Une démarche de formation professionnelle est née de la rédaction d’articles dans la version 2 et 3 du Manuel de l’intelligence économique paru aux Presses Universitaires de France. Cette production de connaissances est la seconde étape qui a permis aux différents acteurs français et francophones du monde du Droit de se donner les moyens d’être reconnus comme des acteurs à part entière des enjeux cognitifs de la guerre économique systémique qui caractérise l’évolution actuelle de la mondialisation des échanges (lire à ce propos les cahiers n°1 et 2 de la guerre économique). Cette lente prise de conscience est liée au décalage culturel qui existait entre le monde des affaires anglo-saxon qui avait très tôt instrumentalisé le Droit comme un moyen d’expression de la puissance, et un milieu économique français qui considérait le cadre juridique souvent comme une contrainte.

La reconnaissance du bien fondé de l'intelligence juridique

Depuis sa création, l’École de Guerre Économique a identifié des champs d’attaque des entreprises et la création de facteurs de dépendance économique par le Droit. L’extraterritorialité (FCPA, Cloud Act) est la plus connue mais d’autres tactiques comme l’instrumentalisation des procès avec la collecte illimitée de preuves, la notation des entreprises par la Chine ou à un niveau plus micro, la systématisation des clauses de transfert intragroupe dans les contrats sont tout aussi efficaces pour fragiliser les entreprises. Le Droit est devenu un élément tactique que les acteurs économiques ne peuvent plus se contenter de considérer comme une contrainte possible. Il doit rejoindre le rang des informations stratégiques.

Pour l’EGE, l’Intelligence Juridique doit se développer pour venir en renfort de l’Intelligence Économique et pour permettre au monde du droit d’évoluer en cohérence avec le monde économique. La feuille de route est simple :

  1. Traduire ce que le monde du Droit peut apporter de mieux pour permettre aux acteurs économiques de comprendre les véritables enjeux. Ex : sécurité juridique, facteurs de dépendance économique, compréhension des usages opérationnels et de leurs impacts juridiques.
  2. Répondre aux questions stratégiques.
  • Ex : l’extraterritorialité du Droit a été un révélateur permettant de constater que Droit et Stratégie font bon ménage
  • Identifier les points de repères cognitifs et l’interaction entre management de l’information et le Droit pour développer une capacité de réponse
  1. Voir comment imbriquer le Droit dans les jeux d’influence.

Cette démarche nécessite une implication nouvelle des juristes, avocats, compliance officer, dpo et autres métiers du droit, de l’administration et du chiffre, des legal et regtech. Dire le droit n’est plus suffisant. Intervenir a posteriori non plus. Ils doivent évoluer vers un rôle de stratège, véritable business partner au côté des dirigeants, en étant capables de décoder le contexte et de construire des solutions avec des regards croisés dirigeants – juristes.

Les entreprises doivent inviter les Juristes à se former en Intelligence Juridique pour qu’ils assument ce rôle : MBA Exécutif d’Intelligence Juridique de l’École de Guerre Économique

Développer la résilience est l’enjeu de tous.

Véronique Chapuis et Christian Harbulot

 

Notes

[1] Ivan Moury, Intelligence économique et Droit. Lire le PDF : IEetDroit1994

[2]J. Zachmann, Contrôle communautaire des concentrations, LGDJ, Collection Droit des affaires, 1994, n° 3.879, p 370.