Y-a-t-il un dessous des cartes inavouable derrière l’opération « médiatique » des Pandora Papers ?

Offshore Leaks en 2013, Luxembourg Leaks et China Leaks en 2014, Swiss Leaks en 2015, Panama Papers en 2016, les Paradise Papers en 2017, Africa Leaks en 2018, Mauritius Leaks en 2019, les FincFiles en 2020, chaque année depuis près de 8 ans l’ONG International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) publie une enquête de scandale fiscal concernant la finance offshore.

Comprendre les enjeux soulevés par les Pandora Papers

Le 3 octobre 2021, nouvelle affaire, nouveau nom avec les Pandora Papers qui dénonce les liens entre des personnalités politiques du monde entier et des paradis fiscaux.

L’International Consortium of Investigative Journalists et une équipe de 600 journalistes de 150 médias ont enquêté pendant 2 ans à partir de 11,9 millions de documents confidentiels provenant de 14 sociétés offshores du monde entier. Ces documents ont permis d’identifier près de 956 entreprises dans des paradis offshore liés à 336 politiciens et fonctionnaires de haut-niveau dont 35 dirigeants mondiaux anciens ou actuels dans plus de 90 pays. Des listes de meurtriers connus, de stars du show business et du sport seront aussi divulguées. La somme de près de 11 600 milliards d’actifs au sein des paradis fiscaux sera présentée comme preuve de l’étendue des fuites.

La méthode d’investigation reste toujours la même : le point de départ est une fuite de données. Ces données permettent aux journalistes d’enquêter afin de décrypter les sources, analyser les flux d’argent entre des entreprises et des personnalités politiques sur les montages financiers effectués avec l’aide de cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshores.
Lorsque l’enquête est terminée, une grande campagne de presse est orchestrée par le réseau et les partenaires de l’ICIJ afin de diffuser et dénoncer au plus grand nombre des noms et des montants.

Chaque scandale cible des profils particuliers : des multinationales, des gouvernements en place, des monarchies ou personnalités politiques, des personnalités publiques diverses. Au-delà du bruit médiatique, bien souvent ces attaques informationnelles déstabilisent les personnes ciblées et font réagir d’autres acteurs, s’ensuivent des procès avec des enquêtes du fisc, des procès et aussi des conséquences diplomatiques avec des démissions ou départs de personnalités politiques.

Une dénonciation de l'évasion fiscale qui omet les Etats-Unis

Les Pandora Papers démontrent en effet particulièrement le niveau important d’infiltration de la finance au sein de la politique internationale. L’enquête explique les montages financiers permettant d’acheter des biens immobiliers de luxe sur la côte d’azur de la part de ministres étrangers, la création de sociétés écrans dans des paradis fiscaux et bien d’autres montages.

Qui est l’ICIJ ?

Fondé en 1997 par le Center For Public Integrety (CPI) et Charles Lewis, l’International Consortium of Investigative Journalists est une ONG basée à Washington. L’ICIJ est financé par diverses personnalités publiques (Barbara Streisand, Meryl Streep…) et également de nombreuses fondations (Ford Foundation, Luminate et Open Society pour ne citer que les plus célèbres et non moins controversées).

 Les cibles visées par l’ICIJ

L’ICIJ présente clairement la cartographie des nationalités politiques incriminées dans les Pandora Papers. Le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et il est intéressant de noter que les Etats-Unis ne sont pas concernés alors que les paradis fiscaux qu’ils abritent facilitent l’évasion fiscale. Notons d’autre part que la corruption est présente dans de nombreux Etats américains à cause de l’activité des différents types d’économie mafieuse ainsi que des dérives régulières commises par des acteurs économiques (Affaire Enron, affaire Goldman Sachs).

Les personnalités attaquées

De Tony Blair au boucher de Vladimir Poutine, du célèbre chanteur espagnol Julio Iglesias au roi Abdallah II de Jordanie, en passant par le député en France Sylvain Maillard du LR ou Philippe Houman, l’avocat suisse de Jérôme Cahuzac, des centaines de noms vont faire l’objet d’articles pendant plusieurs semaines. En France, l’ancien maire de Blois et député Nicolas Perruchot aurait créé une société offshore aux Seychelles. Dominique Strauss-Kahn ancien ministre Français ancien directeur général du FMI aurait domicilié une société dans le paradis fiscal de Ras Al-Khaïma, près de Dubaï.

Le Moyen-Orient n’est pas non plus épargné par les révélations notamment au Liban avec le premier ministre, Najib Mikati, son prédécesseur Hassan Diab, le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, des banquiers et hommes d’affaires de premier plan : la liste des membres de l’élite politico-financière libanaise qui apparaissent dans les « Pandora Papers » est longue.

En Afrique, Marie Gisèle Minlo Momo, l’épouse d’un ministre des mines au Cameroun est devenue actionnaire d’un groupe minier australien. Aux Comores, c’est le fils du président qui aurait créé une société spécialisée dans la création d’entreprises offshores à Dubai avec comme actionnaire des personnalités proches du gouvernement en place. En Côte d’Ivoire, l’ICIJ révèle que le chef du gouvernement Patrick Achi aurait caché la présence d’une société offshore dans un paradis fiscal.

En Amérique Latine, le président équatorien Guillermo Lasso contrôlerait quatorze sociétés offshores, la plupart basées au Panama. Le président Chilien, Sebastian Piñera est aussi mis en cause suite à la vente d’une compagnie minière par une entreprise détenue par ses enfants. Le Vatican est également mis en cause pour de vieilles affaires datant des années 2000 et 2010 de montages de détournements de fonds (plusieurs centaines de millions) dans des structures liées à la congrégation basées en Nouvelle-Zélande.

Des conséquences diplomatiques et judiciaires importantes

Bien d’autres personnalités pays seront concernées par des fuites et révélations, l’ICIJ diffusera régulièrement des attaques informationnelles documentées.

En France, les révélations et les données diffusées par les différentes enquêtes telles que les Panama Papers permettent au fisc français de régulariser des dossiers et de récupérer plusieurs dizaines de millions d’euros. Bercy annoncera vouloir vérifier si des résidents fiscaux français sont dans les listes des Pandora Papers et font l’objet d’une fraude afin de récupérer les sommes dues. Le député LREM Sylvain Maillard déposera plainte pour diffamation contre Le Monde.

A l’étranger, le Kremlin niera en bloc toutes les accusations portées contre les proches de Poutine. Le désormais ex premier ministre tchèque Andrej Babis cité dans les Pandora Papers lorsqu’il était en poste perdra les élections en octobre. Le président Chilien Pinera fera l’objet d’une procédure de destitution qui échouera sans pour autant faire oublier le scandale dans l’opinion publique et l’opposition. Le président équatorien Guillermo Lasso fera aussi l’objet d’une enquête parlementaire. Le président du Sri Lanka Gotabaya Rajapaksa ordonnera une enquête sur la fortune de sa nièce mentionnée dans les Pandora Papers.
Les attaques informationnelles répétées des Pandora Papers ont eu des conséquences diplomatiques efficaces et déstabilisent de nombreux pouvoirs en place, notamment en Amérique du Sud. 

Comment la fuite de millions de documents provenant de 14 sociétés offshores est-elle possible ?

L’ICPJ ne fournit aucune information sur la provenance des documents récupérés provenant des 14 cabinets des paradis fiscaux. Accéder à 11,9 millions de documents provenant de 14 sociétés différentes basées dans 8 endroits du monde pose question. Il est difficilement envisageable d’imaginer un vol de documents par le canal physique au sein des bureaux. Nous pouvons légitimement poser la question : qui a piraté les 11,9 millions de documents ? Les compétences cyber et techniques nécessaires pour réaliser ce type d’actions sont extrêmement complexes et exigent des moyens financiers et logistiques conséquents.

Qui a réalisé le piratage ? Des membres de l’ICIJ ? Une société tierce ?

Comment une ONG malgré le grand réseau mondial dont elle dispose peut avoir les moyens techniques pour récupérer autant de documents ? Existe-t-il un ou des lanceurs d’alertes au sein des cabinets offshores qui auraient donné les documents ? Comment un seul lanceur d’alerte pourrait récupérer autant de documents de structures juridiques indépendantes les unes des autres ?
Tandis que l’enquête de l’ICIJ indique que plus d’1 milliard de dollars seraient détenus dans des trusts américains, l’ONG américaine basée à Washington n’incrimine aucun politique américain.

Les 14 cabinets offshores incriminés

Il est important de noter qu’aucun paradis fiscal américain n’est également incriminé. Sur les 14 cabinets spécialisés basés dans les paradis fiscaux tous sont présents dans des paradis fiscaux étrangers hors des États-Unis.

  • Belize : CCS Trust Limited, CIL Trust International, Glenn D. Godfrey And Company LLP.
  • British Virgin Islands : Trident Trust Company Limited, Commence Overseas Limited, Fidelity Corporate Services Limited.
  • Cyprus : Demetrios A. Demetriades LLC.
  • Dubaï : SFM Corporate Services.
  • Hong Kong : Asiaciti Trust Asia Limited, Il Shin.
  • Panama : Alemán, Cordero, Galindo & Lee, Overseas Management Company Inc.
  • Seychelles : All About Offshore Limited, Alpha Consulting Limited.
  • Switzerland, Dubai : SFM Corporate Services.


Les paradis fiscaux font régulièrement des alertes de classement sur l’opacité des informations et flux qu’ils gèrent. L’Union Européenne a publié le 5 octobre dernier la liste noire de 9 paradis fiscaux. Parmi la liste des « juridictions fiscales non coopératives, 3 paradis fiscaux sont sous juridictions américaines :

  • Guam (Océanie, territoire des États-Unis).
  • Îles Vierges américaines (Caraïbes, territoire des États-Unis).
  • - Samoa américaines (Océanie, territoire des États-Unis).


Un autre classement de l’association Tax Justice Network présente que les paradis fiscaux aux Etats-Unis représentent près de 22% des flux financiers internationaux et se classent 2eme mondial derrière la Suisse concernant l’opacité financière.

Un constat similaire avait déjà été évoqué lorsque les Panama Papers étaient sortis à l’époque avec très peu de personnalités américaines incriminées.
Lorsque l’on analyse le classement des millionnaires et milliardaires par nationalités cela laisse songeur. Voir aussi le classement (source statista) des 20 pays accueillant le plus de milliardaires dans le monde en 2021

Les Etats-Unis déclarent la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale comme une priorité nationale

Le 3 juin 2021, soit 4 mois avant la sortie des Pandora Papers, la Maison blanche présentait son mémorandum sur l'établissement de la lutte contre la corruption comme un intérêt fondamental pour la sécurité nationale des États-Unis auprès de plusieurs journalistes. Dans ce document public, le gouvernement Biden ne cache pas ses intentions et annonce plusieurs mesures :

Soutenir et renforcer la capacité de la société civile, des médias et d'autres acteurs de la surveillance et de la responsabilisation à mener des recherches et des analyses sur les tendances de la corruption, plaider en faveur de mesures préventives, enquêter et découvrir la corruption, tenir les dirigeants responsables, et informer et soutenir la responsabilisation du gouvernement et efforts de réforme et travail pour fournir à ces acteurs un environnement opérationnel sûr et ouvert aux niveaux national et international ;

Redoubler d'efforts pour augmenter rapidement et avec souplesse les ressources des États-Unis et de leurs partenaires en matière d'aide aux enquêtes, financières, techniques, politiques et autres aux pays étrangers qui manifestent le désir de réduire la corruption ;

Les Etats-Unis annoncent clairement leur volonté de financer des acteurs tiers et de mettre à disposition leurs moyens. Le mémo détaille notamment les bureaux suivants comme participants au programme de lutte anti-corruption : le Bureau du directeur du renseignement national, l'Agence centrale de renseignement, l’Agence de sécurité nationale parmi d’autres.
On peut donc légitimement se poser la question si les services de renseignements NSA ou CIA ont pu jouer un rôle dans le piratage des documents dans l’affaire des Pandora Papers. Il apparaît clairement que les États-Unis piratent des données dans des sociétés étrangères hors de leur juridiction afin de diffuser tout ce qu’ils estiment nécessaires. Ils proposent aux médias leur publication pour alerter l’opinion publique et condamner moralement les acteurs impliqués.

La stratégie est claire et les moyens expliqués, pourtant très peu de médias et de décideurs tentent de répondre aux attaques afin d’expliquer à l’opinion publique la guerre économique déclarée par les ETATS-UNIS dans les affaires des Papers.

La lutte pour devenir leader des paradis fiscaux

Les Etats-Unis déclarent la guerre économique contre les paradis fiscaux étrangers afin d’imposer leurs paradis fiscaux. Dès 2018, un article du Monde montrait déjà la stratégie des Etats-Unis. Les Américains avaient déjà refusé catégoriquement de respecter la norme « CRS » (Common Reporting Standard), une obligation d'échange automatique de renseignements acceptée par tous les États de l'OCDE. Le gouvernement de l’époque estimait que sa loi puisqu’il a sa propre législation (la FATCA, Foreign Account Tax Compliance Act) était suffisante. Les Américains utilisent les armes juridiques pour déstabiliser leurs adversaires. La FATCA exige des pays étrangers d'envoyer toutes les informations qu’ils ont sur les ressortissants américains, mais se montre beaucoup moins disposés à renseigner sur les ressortissants étrangers qui ont des comptes aux Etats-Unis. L’OCDE souhaitait justement rectifier l’équilibre, ce sera sans les ETATS-UNIS. L’anonymat souhaité par les auteurs de l’évasion fiscale volait donc en éclat avec le CRS, cela a permis aux trusts américains et paradis fiscaux US d’attirer plus de flux financiers. La part de marché des Etats-Unis dans les flux financiers internationaux est passée de 19,6 % en 2016 à 22,3 % en 2018.

Trois ans plus tard, en piratant des données uniquement dans les paradis fiscaux étrangers, les Etats-Unis continuent d’amplifier le phénomène. En plus de se poser une nouvelle fois comme le garant de la lutte anti-corruption, Washington exige une transparence financière qu’elle n’impose pas à ses paradis fiscaux.
Les auteurs de l’article expliquent aussi que : « La législation dans les États du Delaware, du Wyoming et du Nevada, permet d’enregistrer des entreprises prête-noms et des trusts complètement anonymes extrêmement facilement ».

Dans un article du Figaro d’octobre 2021 Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes et Jérôme Turot avocat et membre du Cercle des fiscalistes n’hésitent pas à dire que : « La lutte contre la fraude fiscale cache une guerre financière menée par les États-Unis contre le reste du monde, et que les États-Unis sont en train de gagner ».

Condamner des personnalités publiques tout en réussissant à déstabiliser des gouvernements en place, affaiblir des paradis fiscaux étrangers tout en récupérant des flux financiers sur son territoire, refuser les règles internationales tout en imposant ses lois américaines, les Etats-Unis réussissent pour le moment sur tous les fronts.

Bien que l’évasion fiscale puisse être condamnable moralement et dans bien des cas aussi juridiquement, l’Europe ne semble pas prendre conscience de la guerre économique qui se joue et de l’affaiblissement de ses propres trusts et paradis fiscaux. L’Union Européenne prépare actuellement un durcissement de son dispositif législatif de lutte anti-corruption et d’évasion fiscale. Bien que louable, l’avenir nous dira si l’UE et l’OCDE arriveront à imposer et faire appliquer la législation aux entreprises, politiques et milliardaires américains.

 

Sylvain De Ly
Auditeur en MSIE - Executive MBA en Management Stratégique et Intelligence Economique