Une réponse relative à l’ultra-dépendance européenne à la Chine en matière de batteries

Si la Chine n’est pas connue pour ses marques de voitures, elle n’en est pas moins devenue un acteur incontournable de l’automobile. En effet, la République Populaire de Chine (RPC) produit près de 80% des batteries dans le monde. Ce marché, en pleine expansion du fait des politiques écologiques mondiales issues notamment de l’accord historique de 2015 sur le climat, fait l’objet d’une guerre économique et cognitive ardue entre la Chine, les États-Unis mais également l’Europe.

L'Occident s'est inféodé volontairement aux produits chinois

Achetez un produit quel qu’il soit ; si vous ne vous le procurez pas dans une boutique adoubée du sceau « made in France » ou « made in Europe », ce produit sera irrémédiablement issu de l’industrie chinoise. Ce constat résulte d’une politique française, européenne, occidentale même, de délocalisation de nos entreprises vers l’Asie, mais également de l’acceptation d’une dépendance forte à un fournisseur jugé alors gentillet et bon marché.  La pénurie de masques au printemps 2020 en constitue un parfait exemple. Elle pointa du doigt l’extraordinaire dépendance de notre pays et plus globalement de l’Europe envers les sources d’approvisionnement chinoises.

La Chine contre le reste du monde

Soucieuse de devenir la première puissance mondiale dans l’industrie manufacturière, la RPC a lancé un programme appelé « Made in China 2025 ». A travers ce dernier, la Chine souhaite devenir leader dans des secteurs clefs, dont notamment les véhicules à énergies nouvelles. Une guerre économique fait donc rage entre les Chinois et le reste du monde en matière de batterie. En 2020, l’entreprise chinoise Contemporary Amperex Technology Co. Limited (CATL) était le 1er producteur de batteries pour voitures électriques au monde, avec 26% de part de marché. L’ironie est que l’invention en 1980 de la batterie au lithium (qui équipe aujourd’hui la plupart des batteries électriques) est française ! Or, au début des années 2000, personne en Occident ne croyait réellement en la voiture électrique. La Chine a ainsi tiré son épingle du jeu en misant dans un secteur devenu aujourd’hui clef de notre politique environnementale et en devenant le leader mondial des batteries, bien avant les Américains qui ne parviennent qu’à s’y frayer une petite place avec Tesla et sa « gigafactory » dans le Nevada.

Le réveil européen

Fin 2017, l’Union Européenne (UE) a lancé une initiative visant à créer un « airbus des batteries » afin de faire face à cette ultra-dépendance à la Chine. En effet, le constat est alarmant : l’UE ne produit actuellement que 1% des batteries lithium-ion dans le monde, tandis que ses concurrents asiatiques (CATL, LG, Samsun SDI ou Panasonic) accaparent les deux tiers de l’offre mondiale.

Or, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) prévoit qu’en 2030, le marché de la mobilité électrique représentera près de 30% des ventes de véhicules dans le monde[1]. En outre, les baisses successives des quotas d’exportations de la Chine en matières premières, accompagnées de la pandémie mondiale de la COVID-19, a mis en exergue notre ultra-dépendance dans des secteurs vitaux. Désireuse de retrouver sa souveraineté, l’Union Européenne a pour projet ambitieux de devenir autosuffisante en batteries, et ce dès 2025, avec la construction notamment de « gigafactory », à l’image de Tesla à Sparks (Nevada, USA).

Une « gigafactory » européenne en Suède

Le 30 décembre 2021, l’Union Européenne se félicitait de l’ouverture de la première « giga-usine » de batteries pour voitures électriques en Europe, à Skellefteå et Västerås, en Suède.

Le concept de « gigafactory » est apparu en 2014 lorsque Tesla a débuté la construction de ses propres batteries de voiture, dans un souci d’économies d’échelle. Aussi, « giga » recouvre 2 aspects : les gigawatts produits et la taille gigantesque de l’usine. En effet, celle de l’entreprise Northvolt, localisée en Suède, devrait permettre d’alimenter jusqu’à un million de véhicules par an.

Des usines vertes pour un matériau polluant

L’usine de Northvolt affiche fièrement une alimentation à 100% par des énergies renouvelables.

A l’autre bout de l’Europe, au Portugal, le projet de mine de lithium géante, qui serait la plus grande de l’union, est aujourd’hui suspendue face à la controverse qu’il suscite. En effet, le Portugal possède des gisements au lithium, métal nécessaire aux batteries et peu présent en Europe. Or, ce projet imposerait un cratère de plus de 300 mètres de profondeur et d’une zone d’exploitation de près de 550 hectares.

De même, un projet de giga mine de lithium menace toute une vallée en Serbie. Si la déformation du paysage navre les riverains, les conséquences écologiques de l’exploitation de ce matériau les inquiètent particulièrement ; car pour extraire le lithium, il faut le séparer et le purifier de manière chimique, avec beaucoup d’eau. Or, certains polluants peuvent s’échapper et de l’arsenic a déjà été détecté sur le site de construction serbe.

« Made in China 2025 » VS « France 2030 »

Le 12 octobre 2021, le président Emmanuel Macron a présenté aux Français un plan suivant 10 objectifs afin de « mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire en France à l’horizon 2030 ». Ce dernier fait sensiblement écho au programme du président Xi Jinping « Made in China 2025 », portant ainsi une attention (et un budget conséquent) à la production de voitures électriques notamment (cf objectif 4 du plan France 2030).

Aussi, en Alsace, à Rittershoffen, un projet de « lithium français » pointe-t-il le jour, tandis que deux projets de « gigafactory » devraient se concrétiser sur le sol français dans les prochaines années. Bien que certains spécialistes estiment le réveil français et européen (trop) tardif, ces derniers semblent néanmoins se donner les moyens de leurs ambitions… en apparence seulement. Car les « majors » du lithium[i] ont la main mise sur le marché de l’or blanc pendant de nombreuses années encore : à titre d’exemple, la société suédoise Northvolt, qui se targue d’être la première « gigafactory » de lithium d’Europe, a choisi Tianqi Lithium (une entreprise chinoise) pour son approvisionnement en hydroxydes de lithium de 2020 à 2025. L’indépendance de l’Europe en matière de lithium n’a donc pas fini de faire débat.

 

Julie Montcouquio

Note

[i] Les cinq plus gros producteurs de lithium sont conventionnellement appelées « majors » : Albemarle (USA), SQM (Chili), Livent (USA), Tianqi et Ganfeng (Chine).