Suivi de la récupération du « wokisme » en France

L'Ecole de Guerre Economique a décidé d'assurer un suivi sur les différents modes de récupération du "wokisme" en France. Le récent scandale déclenché par la promotion maladroite de l’idéologie woke dans la série « l’Ecole de la Vie » sur France 2 nous oblige à nous interroger sur le parcours entaché de récupérations idéologiques de la Présidente actuelle de la télévision publique française.

L’arrivée de Delphine Ernotte à la tête de France Télévision le 22 août 2015 fut pour le moins surprenante. En effet, comment une cadre supérieure d’Orange France, sans expérience d’aucune sorte dans le domaine télévisuel, pourrait sortir victorieuse d’une procédure d’embauche l’opposant à plus de 30 concurrents disposant de solides références ? La réponse est pourtant évidente : avec de l’aide.

Promotion professionnelle et idéologie politique 

L’une des particularités du choix du chef de France Télévision réside dans son déroulement à huis-clos, lequel facilite grandement des intrigues et autres jeux d’influence pouvant bénéficier à certains outsiders.  Comme révélé dans une enquête Mediapart conduite par Laurent Mauduit et publiée le 15 mai 2015, Mme Ernotte serait de ceux-là. En effet, elle aurait pu, dans son ascension éclair, s’appuyer sur le soutien de diverses personnalités, dont une part non négligeable était issue de la gauche socialiste progressiste.

C’est le cas, par exemple, de David Keller, ancien directeur du Huffington Post et ex-conseiller auprès du Président François Hollande. M. Keller, arrivé chez Orange France en décembre 2014 s’était très rapidement mis « au service de la candidature de Delphine Ernotte » en plaidant sa cause auprès des « bonnes personnes ». Mme Ernotte fut aussi appuyée par Denis Pingaud, ancien militant de la Ligue Communiste Révolutionnaire, adhérent de longue date au Parti Socialiste et ancien du service presse de Laurent Fabius, qui a pu faire usage de ses compétences dans l’intérêt de la candidate Ernotte.

Cependant, les soutiens, si puissants puissent-ils être ne sauraient, à eux seuls, propulser un outsider à la tête de la télévision publique française. Delphine Ernotte avait également besoin d’un programme afin de se démarquer devant les faiseurs de rois, ou de reines, du CSA. Selon l’enquête de Mediapart, c’est un de ses concurrents, en la personne de Didier Quillot, qui lui aurait fourni, de façon plus ou moins consentante, le programme tant désiré.

Comme révélé par L. Mauduit, M. Guillot aurait envoyé, par erreur, son programme à Xavier Couture, ancien patron de Canal et soutien de Delphine Ernotte. Bien que Xavier Couture affirme n’avoir jamais reçu le courriel contenant le programme, M. Quillot a pu, au lendemain de la nomination de Mme Ernotte, rendre public sa vision pour la télévision publique, permettant à tout un chacun de constater l’extrême similitude existante entre les 2 projets. Ainsi, grâce à ses soutiens et son programme « inventif »,  Delphine Ernotte a réussi à arriver en tête de la course à la présidence de France Télévision. L’euphorie n’aurait cependant su être autre que brève. A peine couronnée, la nouvelle reine de France TV devait faire face aux accusations de plagiat énoncées plus haut.

Le « progressisme » comme levier pour la recherche de la légitimité

A sa nomination, le 22 août 2015, Delphine Ernotte se retrouvait empêtrée dans une situation pour le moins délicate. Cette dernière, pleine de ressources, allait cependant trouver rapidement un moyen de dépasser la polémique Quillon en mettant en avant un élément qui permettait de la distinguer de son ancien adversaire : l’idéologie progressiste.

« Nous avons une télévision d’homme blanc de plus de 50 ans et il faut que ça change ». C’est par ces mots, prononcés un matin de septembre 2015 face à Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1 que Mme Ernotte dévoila aux français le cap idéologique qu’elle allait donner à France Télévision, cap qu’elle tient encore aujourd’hui.

Afin de la seconder dans ses fonctions, Delphine Ernotte comptait dans son équipe un élément de choix en la personne de Stéphane Sitbon-Gomez, son directeur de cabinet, rencontré en février 2015 par l’intermédiaire de Denis Pingaud. Qualifié d’« enfant de l’écologie politique radicale » par plusieurs médias, M. Sitbon-Gomez, quoique sans expérience aucune du milieu télévisuel, disposait de solides compétences politiques. Engagé chez Les Verts dès ses 14 ans, ce diplômé de Sciences po Paris avait gravi les échelons jusqu’à devenir le bras droit de Cécile Duflot.

Outre ses accointances politiques, Stéphane Sitbon-Gomez était d’autant plus sensibilisé aux problématiques progressistes de l’époque par l’intermédiaire de sa compagne, Anne-Cécile Mailfert. Cette dernière était ce qu’il conviendrait de qualifier de féministe de combat, elle avait été porte-parole puis présidente de l’association fondée par Caroline de Haas : osez le féminisme ! C’était, par ailleurs, à Mme Mailfert que l’on devait la sortie contre Dominique Bertinotti, sur le plateau du Grand Journal, au sujet du report d’un projet de loi prévoyant l’extension de la PMA aux couples de femme. Elle avait assené à la ministre de la Famille de l’époque : « Vous avez lâché les lesbiennes et vous avez lâché l’égalité des droits. ».

Delphine Ernotte comptait donc dans son entourage un lieutenant de valeur avec l’aide duquel elle allait pouvoir appliquer sa « vision » pour France Télévision. Les débuts du tandem Ernotte-Sitbon furent néanmoins quelque peu difficiles. En effet, le 16 mars 2016, un premier scandale éclate. France télévision avait versé, en échange de « recommandations contre les stéréotypes », 7000 euros à la nouvelle fondation de la femme, présidée par… la compagne de Stéphane Sitbon-Gomez, Anne-Cécile Mailfert. Autre volet du scandale, France Télévision avait engagé (via une procédure sans appel d’offre) Maxime Ruszniewski, administrateur de la fondation de Mme Mailfert. M. Ruszniewski avait ainsi dû réaliser trois clips antisexistes au profit du service public. Rémunération de la démarche, 40 000 euros. Cependant, un tel faux-départ n’aurait su détourner notre tandem du cap qu’il s’était fixé initialement. Delphine Ernotte et Stéphane Sitbon-Gomez vont ainsi continuer d’injecter de l’idéologie dans France Télévision en faisant passer cette orientation pour de la nouveauté.

« Du passé faisons table rase »

Destruction et création. Voilà en quoi consista le programme révolutionnaire mis en place par nos deux protagonistes dans leur tentative de justifier leur vision pour le service public télévisuel français. Destruction tout d’abord avec l’éviction de plusieurs figures du PAF.  David Pujadas, présentateur du journal télévisé de 20 h depuis plus de 15 ans, fut parmi les premiers à faire les frais de la nouvelle direction. Convoqué le 17 mai 2017 ; il apprit son renvoi de la bouche même de la présidente de France Télévision. Un cadre de France 2 expliquera, comme retranscrit dans un article du Parisien en date du 24 juillet 2017, que cette décision avait en partie été principalement motivée par le fait que « Depuis son arrivée, Delphine Ernotte-Cunci pensait que David avait fait son temps et qu'il fallait une femme au 20 Heures ».

Quelques mois plus tard, ce fut au tour de l’animateur Patrick Sébastien de subir les foudres de la nouvelle direction. Ainsi, à l’automne 2018, fut prise la décision de ne pas reconduire dans ses fonctions celui qui, pendant 20 ans, avait animé Le Plus Grand Cabaret du Monde, programme phare du samedi soir. M. Sébastien, Patrick Boutot de son vrai nom, souligna, durant ses adieux aux téléspectateurs en mai 2019, sa fierté de ne s’être « jamais trahi », d’avoir fait des « émissions populaires » et d’avoir toujours « résisté à la bien-pensance et au politiquement correct ».

Un programme de gestion de groupe télévisuel ne saurait, cependant, reposer uniquement sur la destruction des émissions préexistantes. Delphine Ernotte et M. Sitbon-Gomez durent, dès lors, insérer, dans la grille des programmes, de nouvelles productions qui, comme nous allons le voir, ne sont pas dénuées d’idéologie. Le 28 août 2017, fût diffusé, sur France 2, le premier épisode de Ça commence aujourd’hui. Présenté par Faustine Bollaert, ce talk-show sociétal aborde de nombreux sujets sociétaux tels que la Procréation Médicalement Assistée (PMA), la Gestation Pour Autrui (GPA) ou encore l’homoparentalité. Ces thématiques sont toujours abordées sous un angle bienveillant, quasiment militant. L’émission pousse même la promotion plus loin en n’hésitant pas à inviter un « opposant » dont la seule fonction sera d’adopter des positions caricaturales extrêmes afin d’être remis à sa place par les invités sous les huées d’un public conquis.

La promotion idéologique, véritable patte de Mme Ernotte, a pu également être observée au travers de divers documentaires diffusés sur les chaines publiques françaises. Il convient de prendre pour exemple le reportage Deux hommes et un couffin, diffusé 4 fois en l’espace de 21 mois dans l’émission 13h15 le dimanche. On pouvait y suivre les aventures de Christophe et Bruno, un couple homosexuel ayant recours aux services d’une mère porteuse aux Etats-Unis. Toujours dans une optique de promotion de la PMA et de la GPA, l’émission Le monde en face diffusa en mars 2020 PMA-GPA, les enfants ont la parole. Emission dans laquelle des enfants issus de PMA et de GPA racontent « leur conception, leur vie de famille, leur vision de l’avenir et la dureté du regard des adultes ».

L'utilisation du levier des nouveaux combats sociétaux

Si, jusqu’alors, l’idéologie mise en avant par le duo Ernotte/Sitbon-Gomez avait été celle d’une gauche progressiste molle favorable au mariage pour tous et à l’adoption pour les couples de même sexe, cela va changer avec la création de France TV Slash. Le 05 février 2018 est ainsi lancée la chaine 100% numérique du service public. Destinée aux jeunes, elle força les dirigeants de France Télévision à sortir de leur zone de confort idéologique afin de comprendre ces nouveaux combats sociétaux et cette jeunesse moderne qui pourrait aujourd’hui être qualifiée de "woke". L’écrasante majorité des programmes proposés par France TV Slash constituent une tentative de porter ces combats à l’écran.

Il convient de prendre pour exemple le cas de la série « les engagés », racontant le quotidien de militants LGBT. Nous pouvons aussi mentionner « Océan », documentaire autobiographique suivant le comédien éponyme dans son processus de transition. France TV Slash propose également la série Etiquette abordant les stéréotypes sociétaux pesant sur certains groupes (drag-queens, homosexuels, transsexuels, musulmans).

Et ce ne sont là que quelques exemples des nombreuses émissions diffusées par France TV Slash retranscrivant les combats « woke ». Il nous serait possible de citer pléthore d’autres productions, aux noms parfois caricaturaux tels que : « Zérostérone, Martin Sexe Faible, Féminin-féminin, Infirmièr.e.s, Bon Sang (sur les menstruations), InchAllah’ peut-être, Clito révolution ou encore Putains de nana ». France TV Slash se fait également le relai de diverses personnalités à l’image du rappeur Médine ou Camélia Jordana, connues pour adopter des positions fortes sur la religion ou les violences policières. Avec France TV Slash et surtout, l’idéologie "woke", Delphine Ernotte tenait désormais un filon qu’elle allait pouvoir exploiter afin de réussir un tour de force, être reconduite par le CSA, à la tête de France Télévision, en juillet 2020.

Ernotte 2.0

« La diversité sera le fil rouge de mon mandat ». C’est en ces termes que Delphine Ernotte résumait ses ambitions pour le service public télévisuel français dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, en novembre 2020, à la suite de sa réélection. Mme Ernotte y développe ses ambitions pour France Télévision. Ambitions qu’elle souhaite atteindre avec des méthodes qui, elle ne s’en cache pas, sont directement importées des Etats-Unis. Ainsi, quand la journaliste lui demande comment elle souhaite « imposer la diversité aux producteurs », Delphine Ernotte répond : « Ma méthode, c’est compter, partager, changer. Aux Etats-Unis, on dit : « No diversity, no commission. » 

On ne finance pas un projet quand la diversité n’est pas représentée. ». Il est quelque peu fâcheux de constater que, celle qui se présentait jadis comme une amoureuse de la culture, subordonne désormais son financement à la conformité à une idéologie donnée. Dans son entretien, la présidente de France Télévision fait également part de sa volonté de suivre une autre mesure prônée par les mouvements progressistes modernes : la discrimination positive via l’embauche sur critères ethniques. Elle affirme ainsi vouloir recruter 200 alternants « issus de la diversité » afin qu’elle soit représentée « devant mais aussi derrière la caméra ». Ainsi, l’idéologie a, une fois de plus, toute sa place dans la gestion de France Télévision. Cependant, contrairement à leur première mandature, Delphine Ernotte et Stéphane Sitbon-Gomez (reconduit dans ses fonctions) assument désormais pleinement le parti pris donné au service public français.

Le ciblage "cancel culture" de la jeunesse en rupture avec la culture télévisuelle 

Le succès de France TV Slash a clairement indiqué aux décideurs de France Télévision à quel point les contenus engagés permettaient d’attirer un public davantage jeune ayant jusqu’alors délaissé le petit écran au profit de plateformes de Streaming. Forts de ce constats, Delphine Ernotte et son directeur des programmes vont, dès lors, clamer haut et fort leur volonté de « faire bouger les lignes ». Pour se faire, ils vont mettre en production de nouvelles séries fiction. Vont ainsi être produites des œuvres telles que Les aventures du jeune Voltaire ou Germinal « revisitant le patrimoine littéraire, le modernisant et le faisant résonner avec la société d’aujourd’hui ». Bien souvent, derrière ces belles paroles se cache une réalité traduisant la difficulté de compréhension qu’ont les deux figures de France Télévision à comprendre les combats idéologiques modernes et leur subtilité. En effet, leur approche militante ne consiste, bien souvent, qu’à rajouter des femmes ou individus issus des minorités.

Bien que souvent subtile, cette difficulté à comprendre les nouveaux mouvements de lutte transparaît parfois au grand jour. Il convient de prendre pour exemple le cas de l’épisode 6 de L’école de la vie. On peut y suivre Alex, jeune lycéen sous l’influence néfaste d’un groupe raciste. Si l’intention de dénoncer le racisme et le négationnisme colonial est louable, le côté caricatural des dialogues a tôt fait de dénaturer le message de base. La dimension caricaturale de certains passages de l’épisode était telle qu’elle a déclenché une petite polémique sur les réseaux sociaux.

A l’instar de 2015 ou elle avait utilisé l’idéologie féministe afin de se démarquer du concurrent dont elle était accusée d’avoir plagié le programme, Delphine Ernotte surfe une fois de plus sur une idéologie, cette fois "woke", afin de parvenir à ses ambitions. Si la démarche est assumée, il demeure regrettable que la méconnaissance de ce nouveau courant finisse par donner des effets inverses à ceux espérés en premier lieu.

H. Le Gall et L. Wendling
étudiants de la formation initiale SIE25

 

Sources

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • RICHEBOIS Véronique, « Portrait : Denis Pingaud. OpinionWay s'offre un stratège politique comme numéro deux », Les Echos (en ligne), 16/06/2008 màj 06/08/2019. Consulté le 15/11/2021 sur Denis Pingaud | Les Echos