Le paracétamol est le principe actif de nombreux médicaments, dont les trois antalgiques les plus prescrits en France (noms commerciaux : Doliprane, Dafalgan, Efferalgan). C’est donc l’un des principes actifs les plus évocateurs dans l’opinion publique.
Dès le début de la crise du COVID, le paracétamol est recommandé en qualité d’antidouleur et d’antipyrétique (faire baisser la fièvre). Assistant à une ruée dans les pharmacies, l’ANSM contraint les pharmaciens à rationner la vente de médicament à base de paracétamol afin d’éviter une pénurie.
Un emblème qui pose un problème
C’est ainsi que le paracétamol devient un sujet d’actualité traité sous l’angle de la souveraineté. L’enjeu porte sur la continuité d’approvisionnement du principe actif importé essentiellement d’Asie. A ce même moment, les industriels pharmaceutiques voulaient être rassurant en confirmant que toutes les mesures étaient prises pour éviter la rupture de la « supply chain » avec les partenaires en charge du principe actif.
Un an plus tard, la relocalisation du paracétamol est actée et communiquée au grand public alors que le phénomène de désindustrialisation de la fabrication des principes actifs était en marche depuis une trentaine d’années. Le candidat retenu pour produire à nouveau sur le territoire national est l’industriel SEQENS.
Effet d’aubaine pour ce dernier ou véritable enjeu industriel ? On peut se poser la question. L’enchaînement des informations alarmistes a-t-il laissé le choix à l’Etat ? Le paracétamol était-il le principe actif à rapatrier en priorité ou pouvait-on envisager d’autres principes actifs, voire d’autres investissements dans le secteur pharmaceutique ? Autant de questions qui n’ont pas été soulevées.
Retour sur la fermeture du site de Rhodia en 2007
Lors du comité d’entreprise d’octobre 2007, Rhodia annonce le projet d’arrêt de l’atelier APAP (Acetaminophen) qui se trouve dans l’usine du Roussillon à l’horizon 2008. Dans l’atelier APAP, on procède à la dernière étape de fabrication du paracétamol à partir du PAP (4-aminophenol). L’APAP est vendu aux clients SANOFI, UPSA, GSK... Le prix de vente au kilo est de l’ordre de 4€, ce qui revient à moins de 5 centimes d’euro pour une boite de 16 comprimés 500mg (soit moins de 2% du prix de vente public d’une boite).
La raison avancée lors du comité d’entreprise est un environnement concurrentiel extrêmement tendu : les producteurs basés en Chine tel que Wenzhou ou Weifang, et la pression concurrentielle de l’américain Mallinckrodt.
L’étude de coût comparatif se résume au prix au kilo, mais à aucun moment on adresse l’impact environnemental dû à un processus de production polluant en Chine, ni le bon état général de l’outil de production du site du Roussillon. Les possibilités de re négociation avec les clients avortent immédiatement du fait de la hausse excessive demandée. Rhodia exigeait un passage de 4€ à 5€ du kilo, alors que le point d’équilibre se trouvait à 4,20 € selon les représentants du personnel.
La délocalisation vers la Chine
Malgré de nombreux effort, le groupe dit se voir dans l’obligation de stopper cette activité, au détriment de 43 emplois directs. Rhodia prend la posture du faible et dit « subir » la concurrence, incapable de mener la bataille. Ce projet est annoncé comme élément d’un repositionnent stratégique, et l’axe de travail « bienveillant » est mis sur la reconversion des salariés (qu’il s’agisse de Rhodia ou du gouvernement de l‘époque). La décision est confirmée en mars 2008, l’atelier cessera son activité en fin d’année. L’APAP sera fabriqué dans une usine du groupe qui se trouve à Wuxi, dont les coûts de production permettent de tenir tête à la concurrence.
L’usine de Wuxi a réussi à produire les 8000 tonnes annuels (précédemment fabriqué sur le site du Roussillon) sans perturbation de la chaine d’approvisionnement pour les anciens clients du site de Rhodia.
L’acceptation de la dépendance
La fermeture de l’atelier APAP dans le Roussillon a fait l’objet de très peu d’articles dans la presse. C’était défaitiste que l’on commentait les tarifs de productions chinois extrêmement compétitifs (mais à aucun moment l’incapacité du groupe à concurrencer l’américain Mallinckrodt). Seuls les élus syndicaux se sont manifestés contre le manque de pugnacité du groupe pour conserver la production en Roussillon. Personne ne se souciait de la nature des outils de production (polluant), de l’indépendance européenne dans la production des principes actifs, ni de désindustrialisation.
Il s’en suit une communication à minima et à sens unique. Aujourd’hui, c’est l’entreprise à capitaux français SEQENS qui fabrique toujours dans ses usines de Wuxi Chine le principe actif. SEQENS dont l’ancien nom de groupe est Novacap, qui avait acquis Rhodia en 2011.
Durant la période 2009 à COVID, la question de la dépendance de la France en matière pharmaceutique ne devient pas un élément prépondérant du débat public. La crainte de pénurie n’est relayée que très rarement. Ce qui fait débat jusqu’en décembre 2019 relève de deux éléments : d’une part, la délivrance du paracétamol est uniquement en pharmacie et par le pharmacien (et non en accès libre) et d’autre part, le fait que ce médicament n’est pas génériquable (au sens où : si le nom de marque figure sur l’ordonnance, alors, le pharmacien ne peut pas proposer une autre marque)
De la première vague du COVID à l’annonce de la relocalisation
Le premier acteur audible : L’académie nationale de pharmacie (ANP) fait état le 12 février 2020 de l’impact potentiel du COVID sur les approvisionnements et insiste sur l’urgence de relocaliser la production de matière première- les principes actifs- en France et Europe. « Il faut relocaliser la production des matières premières pharmaceutiques ». Ce communiqué est dans la continuité des précèdent rapports ; il rappelle l’importance de retrouver une indépendance au niveau européen, en particulier pour les « médicaments indispensables », tels que les antibiotiques, les anticancéreux ... mais pas du paracétamol en priorité.
Le 15 Juin 2020, le consul général de France en Chine (Benoit Guidée) était accueilli dans l’usine de SEQENS à Wuxi. Au plus fort de la pandémie, notons le remerciement des équipes locales pour leur implications dans la montée en cadence de production du principe actif (APAP), symbole de l’amitié franco-chinoise et de la confiance de l’état français face à sa dépendance vis-à-vis de l’unité de production chinoise. Le lendemain, Emmanuel Macron en visite dans l’usine SANOFI de Lyon évoque l’initiative de relocaliser la production et le conditionnement de médicament sur le sol français, dont le paracétamol.
L’hypothèse de la relocalisation du paracétamol est reprise en août 2020 par Nicolas Biz, directeur projets du laboratoire SEQENS. Les militants CGT chimie en font état en septembre 2020 sur le media local France Bleue Isère, puis au niveau national dans le journal l’humanité le 16 octobre. Au-delà d’une prise de conscience générale, la volonté d’autonomie stratégique fait consensus, le paracétamol pourrait en faire partie selon un article des échos du 25 novembre 2020. La décision est officialisée au début de l’été 2021 par SEQENS et dans la presse française.
L’aveuglement général
Au cours du dernier trimestre 2020, le paracétamol est devenu le symbole de la souveraineté du plan France relance. Le focus informationnel reprend la dialectique : souveraineté et emploi, alors que l’indépendance n’est pas de fait.
Point essentiel ayant peu de résonnance : l’investissement de l’Etat via BPI dans SEQENS pour la relocalisation, alors que le groupe SEQENS est en vente depuis février 2021.
Au-delà de la transparence de l’allocation des fonds publics, pas de lisibilité sur l’assurance de la pérennité de l’investissement et des contreparties obtenues.
La matière première (PAP) nécessaire à la production de l’APAP provient de Chine et de SEQENS pour le site du Roussillon. Les excipients nécessaires à l’incorporation du principe actif sont également importés. On ne parle pas du contrôle ou des accords quant au prix de transfert pour éviter de « délocaliser » la marge ? En d’autres termes, à combien est acheté le PAP aujourd’hui et dans un an ? Quelles sont les exigences de l’Etat qui investit via BPI ?
Les leçons de 2008 ne sont pas à l’ordre du jour. Quelle réflexion sur les raisons profonde de la fermeture, et comment s’assurer de ne pas faire les mêmes erreurs ?
Rentabilité versus survie sanitaire
Une fois la production rapatriée en France, l’opération est-elle rentable avec les nouveaux modes de production ? Le prix du comprimé va-t-il rester stable, car si le bilan final est l’augmentation du comprimé, c’est le système de remboursement assurance maladie qui paiera. Sur ce point, Jean Casteix rassure les salariés de l’usine d’UPSA lors de sa visite du 29 juillet 2O21 « Afin de favoriser le maintien de ces emplois sur votre territoire, le Gouvernement a décidé de stabiliser le prix du paracétamol jusqu'au 31 décembre 2024 ». On comprend donc qu’en cas de hausse de coût de production de l’APAP, c’est l’Etat qui paiera, et donc le risque est assuré avec de l’argent public jusqu’à fin 2024.
L’étude de la concurrence internationale n’est pas non plus le sujet. En quoi le nouveau site va être compétitif dans un environnement international, où les concurrents ne vont certainement pas rester contemplatifs. L’état peut-il exiger des industriels à la fois un prix du médicament bas, et ignorer le contexte concurrentiel auquel ils font face.
Une autre grille de lecture
La chronologie des évènements, guidés par l’effet médiatique de l’annonce de possible pénurie, interroge sur la nature et le bien fondé de la décision. On se pose la question du rapport de force entre l’Etat français et l’industrie pharmaceutique en matière d’investissement et des contreparties obtenues. L’appui des associations de pharmaciens combiné au récent intérêt de l’opinion public et à la volonté d’emploi, a-t-il laissé le choix aux décideurs politiques et facilité la lucidité en matière d’investissement ?
C’est le choix d’investissement pour le paracétamol (très évocateur pour la sphère publique) qui manque de justification par rapport à d’autres molécules. Le paracétamol a pris le dessus dans le champ médiatique alors que des ruptures d’approvisionnement en cascade étaient indiquées en avril 2020 : curares, propofol, midazolam, antibiotique augmentin sous tension.
Est-ce que l’APAP est l’avenir dans la chaine de valeur de l’industrie pharmaceutique française ? Enfin, et d’autant plus que le groupe SEQENS est en vente, pourquoi n’a-t-on pas exigé un partenariat public/privé qui laisserait du poids à la participation de l’Etat ?
Le mot souveraineté à tout prix, sans stratégie industrielle, a également fait disparaitre la notion de projet commun et la dimension humaine du projet. C’est l’incapacité ou le refus de l’Etat à associer les représentants du personnel du secteur de la pharmacie - les syndicats – à la re construction du tissu industriel. Les salariés du Roussillon sont à nouveau pris en étau entre politique et industriel, et non come parties prenantes du projet.
Symbole de souveraineté en temps de COVID, l’avenir dira si le paracétamol est l’acte 1 de la bataille pour le re amorçage d’une politique industrielle dans le secteur pharmaceutique ou la continuité de la gestion du déclin guidée par des décisions politiques prises dans l’instant, et dont le plan de communication informationnel est au premier plan.
Christophe Gauthier