Le monde fait face à de lourdes et profondes mutations économiques et relationnelles. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud et les Caraïbes (ASC) sont des terrains de combats en termes d’aides et d’accompagnement au développement. Cette forme de guerre économique oppose des puissances qui masquent la finalité de leur action à travers des termes diplomatiques utilisés par les acteurs de développement. « Partenariat de développement » plutôt que de parler d’aide ou de don , « renforcement des capacités » pour décrire les programmes destinés à améliorer les compétences et l’efficacité des institutions locales, « appropriation nationale » l’astuce pour donner la commande des processus de développent aux pays africains, « le donnant-donnant et la coopération Sud-Sud » utilisé(e)s dans le cadre de discussions multilatérales pour encourager les échanges des pays situés géographiquement au sud du globe. C’est une liste interminable qui n’exclue pas la résilience, la conditionnalité, et l’alignement faisant référence à la cohérence entre les aides et les priorités nationales stratégiques de développements des pays demandeurs. La question n’est pas que sur le lexique mais sur les rapports de force sur terrain. Comment la France arrive à se positionner ?
La naissance du système français d’aide au développement
Pierre Denis « géographe de terrain » est un homme de l’ombre cité dans la genèse de la Caisse Centrale de la France Libre (CCFL). Sa bibliographie est décrite dans un ouvrage de Philippe Oulmont, Pierre Denis, français libre et citoyen du monde. Il fut appelé par le général De Gaulle à Londres le 20 juin 1940, et neuf jours après à Saint Stephen’s House, il devint le Directeur des Forces Françaises Libres – mouvement de résistance durant la seconde guerre mondiale. Le général Charles de Gaulle à l’origine de ce mouvement n’était pas le seul à voir en Pierre Denis, un personnage atypique très efficace en gestion financière, qu’il acquiert à la Société Des Nations, précurseur de l’ONU. Le ministère britannique des finances, la banque britannique, et les autorités alliées ont fait confiance à Rauzan (P. Denis) en raison de son honnêteté, son intégrité et son bon sens.
C’est grâce à cette confiance que la France Libre a pu obtenir les premières facilités pour l’aide matérielle, financière, logistique, la création d’une caisse centrale de la France libre, indispensable pour créer une force militaire.
La CCFL va s’étendre jusqu’en Alger en 1943 et le 31 juillet 1943 elle sera dissoute à la suite de plusieurs désaccords de personnalités, un rapport de force avéré entre Churchill et de Gaulle Cf. accords de Churchill-de Gaulle (1940-1943). Ce qui conduit à la dissolution de la CCFL.
Le 30 avril 1946, une loi fixe les bases du système français de coopération avec des subventions de l’État et des prêts de la caisse. La loi n° 46-880 concerne l’établissement, le financement et l’exécution des plans d’équipements et de développement pour les territoires d’outre-mer.
Elle prévoit la création de programme de développement de dix ans visant à « moderniser » les territoires d’outre-mer et des colonies, en transformant ces régions en économie modernes. Cette démarche française était unique dans la forme et dans son ampleur. C’est en 1947, qu’une agence ouvre à Brazzaville, la France fut la première à se positionner dans ce domaine.
Le Royaume-Uni crée en 1948 le Commonwealth Development Corporation (CDC). Son rôle était similaire à celui de la CCFOM avec une attention particulière sur l’agriculture. La France et l’Espagne avaient une approche culturelle similaire, elles imposaient leurs cultures avec dureté, contrairement aux Britanniques qui avaient une approche stratégique pour le commerce comme à Singapour et Hong-Kong.
L’émergence de l’Agence Française pour le Développment
A la suite d’un compromis entre les pays industriellement développés et les pays en développement, la déclaration de Rio sur l’environnement a fait bouger les lignes des priorités. En 1992, la CCCE change de nom et de feuille de route. Elle devient la Caisse Française de développement (CFD) le 30 octobre de la même année. Une nouvelle entité s’intègre dans l’environnement stratégique de la France, le FFEM (Fonds Français pour l’Environnement Mondial). Basé sur l’ODD (Objectif Développement Durable), ce dispositif va fonctionner sous l’égide de la CFD.
La réforme de la politique de coopération de 1998 va rebattre les cartes sous Lionel Jospin, et remplace la CFD par l’AFD. A la même période, la Chine entre en jeu. La personne du métier inconnue de ses actions en Afrique jusqu’en 1958. La Chine est impliquée sur projet de construction d’un chemin de fer avec un financement de 400 millions de dollars. A cette période, elle avait un statut de Pays en développement. Howard W. French dans son ouvrage China's Second Continent : How a Million Migrants Are Building a New Empire in Africa démontre la mise en place d’une puissance chinoise en Afrique. Il est révélé, qu’en plus du financement, la Chine a envoyé près de 50.000 ouvriers et ingénieurs pour construire le chemin de fer reliant la Tanzanie et la Zambie (projet TAZARA, de 1860 km). Le Projet du TAZARA a été perçu comme : « une alternative aux influences impérialiste et coloniale dans les pays africain ».
En 1994, la Chine rend public le déploiement de deux grosses banques : la banque d’export-Import (China Exim Bank) et la Banque de Développement de Chine (CDB) qui vont s’inscrire dans une politique d’aide au Développement à l’étranger. China Exim Bank sera fortement impliqué dans les prêts concessionnels, et le financement des infrastructures en Afrique et en Asie. Elle a également joué un rôle crucial dans les exportations chinoises. Le FOCAM (Forum sur la coopération sino-africaine) est lancée en 2000. C’est une plateforme pour discuter des priorités stratégiques, économique et politique entre la Chine et les pays africains.
Dans le même temps, le G8 (Crée en 1975 sous Valéry Giscard d'Estaing pour faire face au choc pétrolie) est convoqué en 1999 après l’inclusion de la Russie en 1998. L’objectif de ce sommet était de statuer sur le « désendettement des pays pauvres », qui avaient atteint « la ligne rouge d’endettement ». L’initiative va donc permettre à l’AFD de créer le C2D (Contrat de désendettement et de Développement). La précédente appellation, « pays pauvres très endettés (PPTE) » donnée par les créanciers du Club de Paris n’a pas plus aux concernés. Ce mécanisme a permis d’injecter 315 millions d’euros. Les pays cibles n’étaient pas exonérés du remboursement de la dette. Le C2D est ainsi un mécanisme de reconversion de la dette en aide au développement, permettant au pays bénéficiaire d’investir sur des projets essentiels.
Récapitulatif des stratégies concurrentes d’aide au développement
La CCFL, créée en 1940 sous l'impulsion du Général de Gaulle et dirigée par Pierre Denis, a joué un rôle crucial pendant la Seconde Guerre mondiale en assurant le financement et le soutien logistique des Forces Françaises Libres. Elle a permis à la France Libre d'obtenir des ressources matérielles et financières auprès des alliés, notamment le Royaume-Uni.
Contrairement à l'approche britannique, plus pragmatique et axée sur le commerce, la France a adopté une politique coloniale assimilationniste, cherchant à imposer sa culture et son modèle aux colonies. Cette approche a engendré des tensions et des conflits, notamment la guerre d'Algérie, accélérant le processus de décolonisation.
. L'USAID a été créée en 1961 par le président John F. Kennedy dans le contexte de la Guerre Froide et des mouvements d'indépendance. L'objectif était de promouvoir la démocratie et de contrer l'influence soviétique en offrant des aides principalement sous forme de dons aux pays en développement. Cette initiative a permis aux États-Unis de s'imposer comme un acteur dominant de l'aide humanitaire.
. Le C2D (Contrat de Désendettement et de Développement) est un mécanisme mis en place par l'AFD à la suite du sommet du G8 de 1999. Il permet de convertir la dette des pays pauvres en aide au développement, finançant des projets prioritaires. Cependant, ce système conditionne l'aide au remboursement de la dette et a été critiqué pour son manque de transparence et des accusations de détournements de fonds.
La Chine s'est imposée comme un acteur majeur du développement en Afrique en investissant massivement dans les infrastructures, en accordant des prêts concessionnels et en s'engageant dans des projets de grande envergure comme la construction du chemin de fer TAZARA. Son approche pragmatique et non-interventionniste, ainsi que sa capacité à répondre aux besoins des pays africains, lui ont permis de gagner en influence.
. Le projet "Belt and Road Initiative", lancé en 2013, vise à développer les infrastructures et les échanges commerciaux entre la Chine, l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Ce projet représente une menace pour les acteurs occidentaux car il offre une alternative aux modèles de développement occidentaux et permet à la Chine d'accroître son influence géopolitique et économique.
Alors que la France mise sur des projets d'inclusivité, de justice sociale et de développement durable, la Chine privilégie les investissements dans les infrastructures et les projets à forte visibilité. La Chine investit également dans le "Soft Power" en créant des Instituts Confucius et en offrant des bourses aux étudiants africains, tandis que la France réduit les budgets de ses centres culturels.
L’AFD confrontée aux enjeux cachés de puissance
La Foire aux questions est une arme de défense qui soutient les activités de l’AFD et permet de colmater les cybers attaques. Elle est faite de plusieurs réponses aux questions que se posent beaucoup de personnes partout dans le monde. L'AFD opère dans un monde multipolaire marqué par une concurrence accrue entre les puissances occidentales et émergentes, notamment la Chine, pour l'influence géopolitique et économique, particulièrement sur le terrain du développement en Afrique, Asie et Amérique du Sud et au Moyen-Orient.
On peut s’interroger sur la capacité de l'AFD à s'adapter à la concurrence chinoise et à amplifier ses actions. Son modèle de communication est très centré sur une approche du développement décorrélé des problématiques de puissance. Sa posture neutre d’aide au développement interroge à propos de la légitimité stratégique des prêts accordés et des angles d'attaque à privilégier pour contrebalancer la politique chinoise en Afrique. Il n’en demeure pas moins vrai que la question de l'influence de l'Union Européenne sur l'action de l'AFD reste un sujet qui soulève de nombreuses interrogations en termes d’intérêt national pour la France.
Des questions à éclaircir
Quelle vision stratégique traduit l'évolution de la politique française de coopération et d'aide au développement depuis la Seconde Guerre mondiale.
Comment l'AFD s'inscrit-elle dans ce contexte historique ?
N’y-a-t-il pas nécessité de comparer les approches de la Chine et de la France en matière d'aide au développement. Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque modèle ?
Le C2D est-il un outil efficace pour le développement des pays pauvres ?
Comment l'influence des nouvelles technologies et des géants du numérique impacte-t-elle la géopolitique du développement ?
Face à la montée en puissance de la Chine, quelle stratégie l'AFD devrait-elle adopter pour rester un acteur majeur du développement ?
Et l’Afrique se contenterait-elle d’être elle, un instrument manipulé ?
Siegfried Mime (SIE28 de lEGE)
Pour rappel : les acteurs de l’AFD
Comité de Développement - Le gouvernement – CICID
L’agence est dirigée par le conseil de développement (Président de la République comme patron). Le gouvernement français étant donc l’institution motrice de commande de l’AFD. Présidé par le chef du gouvernement (le premier ministre), l’appareil d’État agit sous la forme d’un comité restreint appelé le CICID. Le Comité Interministériel de la Coopération International et du développement assure le bon déroulé et la définition, la gestion, le suivi des politiques de coopération internationale. Le secrétariat du comité est assuré conjointement avec :
- Ministère de l’Europe, des Affaires Étrangères, (Le ministre délégué chargé de la coopération et du développement - pilote stratégique)
- Ministère de l’Économie (Trésor)
- Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer
Le CICID identifie l’AFD comme étant « L’opérateur pivot pour l’aide bilatérale (et multilatérale) au développement » Cf. Le dispositif Français de coopération (1998-2004). L’instrument de coopération essentiel (le groupe AFD) se base sur l’idée de conformité à l’idéal démocratique. Figé sur des règles de concessionnalité (des prêts dont les taux d’intérêts sont inférieurs à ceux du marché), il est présent dans les DOM-TON et les pays de solidarité prioritaire.
Selon la page de l’Agence Française de Développement, le CICID a identifié les priorités de base des actions de l’aide au développement :
- Le climat
- L’éducation
- L’égalité entre homme et femme
- La santé
Il se réunit tous les mois en conseil.
Groupe AFD
Par la loi du 4 aout 2021, on parle d’un groupement de plusieurs acteurs qui forme le soft power de la France. Le modèle économique de l’AFD repose sur un bilan de 70 milliards d’euros en 2023. Son ratio de solvabilité est de 14,95%, ce qui reste inférieur à la normale. L’institution est obligée de verser des dividendes au budget de la France de 20%. Pour correspondre à une banque dotée d’outils de coopération humaines et financières, le groupe se dote de :
- AFD
Institution financière spécialisée sous la forme de banque de développement. Juridiquement c’est un établissement public national à caractère industriel ou commercial non doté d’un comptable public. Elle pèse 75 milliards d’euros d’actifs en 2023 soit 30% de l’aide publique au développement après la Caisse de Dépôt.
- Filiale Proparco
Spécialisée dans le financement des projets des acteurs du secteur privé depuis 45ans. Proparco fait partie de l’association des institutions européenne de financement du développement (IEFD) à l’exemple d’une douzaine et plus d’institutions bilatérales - la DEG (German Investment and Development Company) par exemple. Elle intervient dans le financement des projets et accompagne des tailles variables d’entreprises (des start-up, TPE, PME, ETI, Grands Groupes) et agit de manière indirecte via des institutions financière et non financières. A travers l’initiative Choose Africa, elle contribue à l’émergence des capacités des pays partenaires sur plusieurs plans à l’exemple du numérique (Digital Africa). Elle communique à travers le slogan : #MondeEnCommun.
- Expertise France
Fondée le 1er janvier 2022 sous l’impulsion du Sénat, c’est une agence interministérielle spécialisée dans la coopération technique. Expertise France est le bureau d’études technique du groupe AFD qui conçoit et met en œuvre des projets au sein des pays partenaires.
- Campus AFD
C’est un campus doté d’outils de formations pour améliorer les coopérations, et former les pays partenaires, diplomates, et les OSC (Organisation de la Société Civile).
Glossaire des termes clés
AFD : Agence Française de Développement - institution financière publique qui met en œuvre la politique de développement de la France.
CCFL : Caisse Centrale de la France Libre - institution financière créée pendant la Seconde Guerre mondiale pour soutenir les Forces Françaises Libres.
CCFOM : Caisse Centrale de la France d'Outre-Mer - institution financière créée en 1944 pour soutenir le développement des territoires d'outre-mer.
CCCE : Caisse Centrale de Coopération Économique - nouvelle appellation de la CCFOM en 1958.
CFD : Caisse Française de Développement - nouvelle appellation de la CCCE en 1992.
USAID : United States Agency for International Development - agence américaine pour le développement international.
C2D : Contrat de Désendettement et de Développement - mécanisme de conversion de la dette en aide au développement.
FOCAM : Forum sur la coopération Sino-Africaine - plateforme de dialogue entre la Chine et les pays africains.
Belt and Road Initiative : projet chinois d'infrastructures et d'échanges commerciaux reliant l'Asie, l'Afrique et l'Europe.
Système de Bretton Woods : système économique mondial établi en 1944 pour stabiliser les monnaies et promouvoir la coopération économique.
Liste des sites web
- https://www.afd.fr/fr
- https://www.afd.fr/fr/notre-role/
- https://www.expertisefrance.fr/web/guest/nos-missions
- https://www.expertisefrance.fr/
- https://www.proparco.fr/fr/une-institution-financiere-au-service-du-secteur-prive-et-du-developpement-durable/
- https://www.afd.fr/fr/ressources/document-denregistrement-universel-2023
- https://www.tresor.economie.gouv.fr/
- https://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-international/l-aide-au-developpement/le-comite-interministeriel-de-la-cooperation-internationale-et-du-developpement-cicid
- https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/
- https://liseo.france-education-international.fr/
- https://www.mfa.gov.cn/ :
- https://www.mfa.gov.cn/fra/zxxx/202409/t20240905_11485997.html
Liste des articles
Le dispositif français de coopération internationale
Pour une gouvernance démocratique. Document d’orientation de la politique de coopération française :
Les financements en santé du groupe AFD et du FID pour les OSC.
Renforcement du partenariat entre la BEI et les IEFD dans le bassin méditerranéen.