Remise en cause de Blocs ayant structuré le monde ; changements structurels des doctrines militaires, particulièrement dans le monde occidental projeté dans des conflits asymétriques à l’opposé de ce que le siècle précédent avait proposé ; avancées technologiques majeures, notamment dans le domaine des NTIC, entraînant jusqu’à nos jours un accroissement des échanges et une vélocité de l’information que le monde n’avait jamais connue…
Le XXIème siècle, comme le XXème, a commencé sur des changements géo-économiques d’une violence rare, entraînant une remise en cause des ordres établis qui semblaient immuables et qui étaient les conséquences de la stupeur qu’avait entraîné la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Certaines « anciennes grandes puissances », comme feu le bloc soviétique, ne l’étaient plus, d’autres localisées en Europe, citons à minima le Royaume-Uni et la France, perdaient de leur superbe tout en maintenant un positionnement sur la scène internationale, et d’autres aussi, et surtout, poursuivaient ou initiaient leur « dynamique de puissance » : les BRICS.
La première décennie, qui observe une continuité avec celle des années 1990 s’offre comme une vitrine des changements auxquels nos contemporains sont et seront confrontés dans les années à venir. Le monde connu change, et changera de manière radicale sans retour en arrière, au moins avant de très nombreuses années. Les forts devaient devenir moyens, et de nouveaux équilibres devaient voir le jour.
A cet égard, l’image apocalyptique et hautement symbolique de la première puissance mondiale, touchée le 11 septembre 2001, pour la première fois de son Histoire sur son sol, marque sensiblement et dans la chair l’avènement de ce qui semblait déjà une nouvelle ère : celle de ceux qui doivent se faire entendre. Sans tenter de rédiger une liste d’événements qui ne se serait de toute façon que difficilement exhaustive, les vingt années écoulées nous en exposent à toutes les échelles, prouvant que ce siècle est résolument celui de la « revendication ».
L'émergence d'une "cultural war"
Les actes de violences, de rébellions, de guerre civile ou de résistance armée ou non, ont cours dans l’humanité et n’ont certes pas attendu notre époque pour être effectués : les guerres de religion, la résistance espagnole contre l’Empire français, l’IRA et la résistance irlandaise contre le Royaume-Uni, la Résistance face à l’Allemagne Nazi, les marches contre la ségrégation aux Etats-Unis et les mouvements représentés par Martin Luther King ou par Malcom X… Le XXème siècle en a concentré sur de courtes périodes. Toutefois, notre époque avec l’essor continu et permanent des NTIC, notamment d’internet, a offert l’opportunité aux masses d’être au courant rapidement d’événements lointains géographiquement. Le corollaire de ce fait réside dans la possibilité pour chaque individu de proposer une information en retour aux masses.
Si, à l’aube de ce siècle, les techniques n’étaient pas aussi abouties qu’elles le sont au début des années 2020, force est de constater qu’elles ont précipitées les revendications de multiples groupes, jadis supposés discrets, dans le grand « champ informationnel »: Al Qaïda et ses ramifications, Boko Haram, sont des exemples de groupes armés communément considérés comme terroristes qui ont eu le loisir de « profiter » des avancées techniques de ce monde et de se hisser dans la « cour des puissances » en exprimant leur velléités et leurs multiples revendications. Ces entités, mais aussi les Etats ont pu faire montre de leurs intérêts ou de leur volonté des déstabiliser ceux des autres grâce à l’essor de ces techniques : les ouïgours en Chine, les Rohingyas en Birmanie, sont des causes portées à ce jour par des élus occidentaux, loin physiquement et politiquement des préoccupations des nations extrême-orientales.
Après un XXème siècle marqué par des horreurs dont le point d’orgue réside, en occident (et pour l’occident d’ailleurs), dans l’holocauste des juifs européens par l’Allemagne nazie, une des vertus cardinales consécutive à cette pensée devient la défense des plus petits, où qu’ils soient, sans d’ailleurs parfois (souvent) comprendre le contexte politico-culturel et en calquant des pensées exogènes à une situation précise. Si des Etats, des organisations s’emparent des moyens informationnels, les individus, nécessairement, sont en capacités de le faire. Dans un contexte général de possibilité offerte de faire état de ses revendications au plus grand nombre, « les masses » ont également profité de ces opportunités d’exploiter l’information : la prendre, comme la créer.
La conquête du terrain immatériel
La création des réseaux sociaux dont Facebook, fondé en 2004 et accessible au plus grand nombre en 2006, et Twitter, fondé aussi en 2006, sont les représentants les plus éminents, a permis à chaque personne du monde entier d’exprimer sa vérité et son émotion. Les sites culturels collaboratifs, aussi, tel Wikipedia autorise autant l’accès à l’information et à la connaissance, que la possibilité de faire valoir son point de vue et son analyse.
Il paraît dans le même temps nécessaire d’évoquer l’évidence : ces moyens sont également des entreprises, issues du même pays : les Etats-Unis. Nous évoquions, en préambule de ce propos, la remise en cause majeure de ce que furent le XXème siècle durant les blocs et leur puissance. Les Etats-Unis, consciemment ou inconsciemment, semblent avoir compris la nécessité d’être en pointe dans ces technologies, il y a une vingtaine d’années, encore naissantes, et de nos jours, durablement établies. Il semble ici difficilement concevable de ne pas, donc, évoquer les supports d’accès à l’information et aux moyens de communiquer que sont les GAFAM. Nous avons certes souligné la création de Facebook, mais il est inimaginable de ne pas citer aussi Google et son portefeuille multitâches, dont Youtube et Gmail sont parmi les éléments les plus importants de notre temps. Qui pourrait aujourd’hui évoluer dans notre époque, sans les accès devenus quasiment essentiels offerts par les plateformes précitées ? Ce qui résistent à cette « pression moderne » qu’est : « l’injonction à la connexion permanente » ne se trouvent pas dans les jeunes générations, qui s’expriment sur des réseaux, où la création artistique est tout aussi prégnante que celle de se créer une « famille numérique ». L’intérêt social de plateformes comme Instagram ou Tiktok est d’autant plus certain qu’il permet aussi à des individus d’horizons lointains de se retrouver dans des causes communes, ou tout du moins dans des intérêts communs.
Dimension fondamentale du comportement des puissances dans la grande compétition mondiale, cette conquête du terrain immatérielle, conceptualisée par Christian Harbulot dans la 3ème édition du Manuel d’Intelligence Économique, est une des voies ouvertes depuis vingt ans dans la confrontation économique internationale.
La révolution de l'échelle de temps
La liste précédente n’est évidemment pas non plus exhaustive, et évoque d’ailleurs une plateforme non étasunienne, TikTok (plateforme chinoise). Nous pourrions en citer d’autres, telles que des plateformes russes ou même françaises (Rutube et Dailymotion respectivement). Cependant, notre propos consiste à exposer que l’ensemble des acteurs politiques, économiques, institutionnels, à la possibilité de trouver, d’exploiter, de donner, de l’information et de se regrouper par groupe d’intérêts. Entreprise, partis politiques, Etats, ONG, organisations politiques, individus : tous sont consommateurs et peuvent être acteurs actifs ou passifs de l’information. Précisément, les Sociétés n’ont jamais dans l’Histoire été aussi rapidement soumises aux changements : dans leurs essences et leur structuration. Toute l’ont été, et les civilisations et les cultures changent, évoluent, meurent parfois, rebondissent parfois aussi, et en occident, la dite mort de l’Empire romain ou en tout cas sa transformation et sa dilution dans les nations chrétiennes européennes, sont un exemple semblant probant. Ces changements sont sur des échelles de temps de plusieurs décennies voire plusieurs siècles. Sans que ce soit regrettable ou acceptable, le changement de perception qu’ont les sociétés occidentales sur elles-mêmes et donc sur le monde, l’Occident étant encore aujourd’hui une vitrine culturelle pour l’ensemble des continents (même si les événements très récents, en Afrique, en Asie, et à l’Est du continent européen accélèrent cette « chute ») via le formidable soft power de sa première puissance : les Etats-Unis, est vertigineux. La nécessaire revendication des populations longtemps reléguées au second plan dans leurs pays, comme les populations noires aux Etats-Unis ou homosexuelles globalement dans le monde, ont trouvé des échos dans les opinions publiques accrus par l’émergence puis l’utilisation forte à propos des réseaux et plateformes si avant évoquées. Plateformes qui ont aussi activement autorisé l’expansion des idées liées à la défense des minorités, ethniques, sexuelles, culturelles, religieuses, à partir de paradigmes essentiellement occidentaux, en choisissant sciemment la mise en avant de tels combats ou telles discriminations et en en masquant parfois la contextualisation.
L'opposition des contextes civilisationnels
Ainsi, nous pouvons évoquer ici l’idéologie woke, « éveillée », qui présente de plus en plus d’adeptes ou en tout cas de relais, par les moyens de communications traditionnels mais aussi et principalement par les vecteurs numériques de communication, très souvent d’origine californienne. Soulignons pour exemple l’émoi qu’a suscité l’épisode de la mort de George Floyd en France et en Europe. L’importation du mouvement Black Lives Matter dans nos contrées fut autant symptomatique de la puissance des réseaux sociaux (américains), que de l’emprise culturelle étasunienne sur les esprits européens. Nonobstant le peu d’analyse de ce dramatique incident, les contextes historico-culturels radicalement différents des deux espaces civilisationnels occidentaux s’étendant sur les rives opposées de l’Atlantique, n’empêchèrent pas la prolifération d’un combat ethnico politique sans doute noble, mais profondément étranger à la réalité européenne.
Les réseaux sociaux, les plateformes de « diffusion en flux continu » ou streaming : Amazon Prime, Netflix, Disney +, toutes états-uniennes également, participent de la diffusion d’idées qui remettent en cause les fondements des cultures occidentales et qui rejaillissent souvent contre l’occident lui-même quand les acteurs d’autres aires culturelles se saisissent des faiblesses que les occidentaux créent eux-mêmes, pensant pourtant le faire au nom de valeurs « réparatrices ».
Nous évoquions précédemment Boko Haram. Boko Haram ou le groupe sunnite pour la prédication et le djihad, est une organisation terroriste ayant prêté allégeance à l’Etat islamique en 2015, dont la traduction en français serait la suivante : « l’éducation occidentale est un péché ». Avec, tous les effets que cela peut avoir sur leurs actions à l’encontre de population accusée d’être par essence proches des occidentaux : les chrétiens ou (rarement au regard du nombre) les juifs.
Puissance et ... décadence
La position privilégiée des Etats-Unis d’Amérique leur offre une « fenêtre de puissance » inouïe, sur le monde entier, par la diffusion de leurs idées ; idées qui, dans l’ensemble du monde « blanc » semble acceptée comme loi. Précisons-le encore une fois : il n’est pas pertinent d’être froidement favorable ou défavorable à telle idée ou telle idéologie ; il est en revanche nécessaire de se demander comment des idées liées à des situations étrangères peuvent être prises pour « argent comptant » dans nos sociétés ? Mais pour se poser cette question qui aurait pour finalité d’analyser dans le détail chaque fait cité, en en analysant encore d’autres, il convient d’étudier comment les Etats-Unis, d’où paraissent issues les idéologies woke (et avec elles l’ensemble des idéologies vouées à l’émancipation du fait minoritaire), en sont arrivés à porter des messages ouvertement contradictoires : puissance et décadence ? En amenant avec eux dans un premier temps l’ensemble de l’occident, mais aussi par ricochet, une partie du monde ouvert à son influence.
La puissance d’une nation ne s’observe pas uniquement à ses capacités financières ou militaires, mais aussi à sa capacité intrinsèque à fédérer d’abord autour d’un roc de valeurs civilisationnelles. Un Etat puissant, est d’abord un Etat qui suscite une adhésion forte.
À l’occasion des funérailles de la reine Elisabeth II, l’expérience que le Royaume-Uni, associé à certaines nations du Commonwealth (le Canada surtout) a donné au plus de 4 milliards de personnes les ayant suivies, est significative.
En comprenant ce qui dans la construction des Etats-Unis, permet cette évolution, il devient possible de s’en prémunir. Et surement, de retrouver le chemin d’abord de la connaissance de soi, de la fierté, de l’influence, et donc…de la puissance.
G. Dewellet G. R; Kouakou & Frederic Bourdeau
Auditeurs de la 39ème promotion MSIE de l'EGE