Pro-Life contre Pro-choice : une confrontation informationnelle au cœur de la campagne présidentielle américaine
Historiquement clivant, le droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) est depuis longtemps l’objet de nombreuses batailles informationnelles, juridiques et politiques dans le monde. Ce clivage est particulièrement marqué aux États-Unis, pays tiraillé entre une forte culture religieuse traditionnaliste et un libéralisme politique affirmé.
Deux camps s’affrontent : les pro-life contre le droit à l’avortement et les pro-choice, qui défendent ce droit. Une opposition à première vue binaire, au même titre que la vie politique américaine : les républicains, traditionnellement pro-life, contre les démocrates.
En 2022, la Cour Suprême des États-Unis annule l’arrêt Roe V. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement dans la Constitution américaine, avec l’arrêt Dobbs[i]. Une conséquence du mandat présidentielle de Donald Trump, qui avait nommé trois juges très conservateurs à la Cour Suprême passant ainsi de 6 juges républicains contre 3 démocrates. Une vingtaine d’États promulguent alors de nouvelles lois qui restreignent l’accès à l’IVG ou l’interdisent complètement[ii].
Depuis, la polémique sur le droit à l’avortement inonde les réseaux sociaux, les tribunes pro-life ou pro-choice fleurissent dans la presse et pas un meeting politique ne se passe sans l’évoquer. Les pro-life, galvanisés par la victoire obtenue en 2022, réclament une interdiction fédérale de l’IVG et demandent à étendre le concept de personhood. Cette notion légale est apparue dans la Constitution américaine en 1787. Elle permet de distinguer les personnes entières et les personnes de moindres valeurs, non-protégées par la Constitution. Au fil de l’histoire américaine, les personnes racisées, les femmes et les personnes handicapées ont accédées au statut de personhood et les pro-life demandent l’attribution de ce statut aux embryons, dans et hors de l’utérus[iii].
Face à eux, les pro-choice utilisent les conséquences juridiques et sociales de l’annulation de l’arrêt Roe pour prouver le bien-fondé de leur combat et se font les porte-drapeaux de la liberté, si chère aux yeux des américains. Ils cherchent ainsi à faire basculer les élections en faveur des démocrates afin permettre la réinscription du droit à l’avortement dans la Constitution et faciliter l’accès à l’avortement dans tous les États. Ils sont encouragés par les derniers sondages indiquant que 69% des Américains désapprouvent l’annulation de l’arrêt Roe.
Figure 1 : sondage CNN – mai 2024
Ce sujet aux implications multiples devient un enjeu majeur dans les swings-states, ces États ni rouge ni bleu, où le pouvoir est divisé entre les partis et où les indécis restent à convaincre[iv].
Le résultat de l’affrontement entre Donald Trump et Kamala Harris pour les présidentielles de novembre 2024 pourrait alors dépendre de l’issue de cette énième guerre entre l’idéologie radicale des pro-life et le libertarisme des pro-choice.
Une polarisation de la société américaine
La guerre des narratifs
Le courant pro-life est un mouvement émergent au début des années 1970, et prend de l’ampleur à la promulgation de l’arrêt Roe V. Wade légalisant l’avortement en 1973. Il est alors représenté par le National Right to Life Committee, association rassemblant des militants principalement issus des communautés religieuses chrétiennes. Proche du Parti républicain, promouvant des valeurs familiales traditionnalistes, il devient désormais presque impossible de séparer les deux. De nombreux élus républicains se déclarent fondamentalistes et sont de fervents défenseurs de l’idéologie pro-life, à l’image de Mike Pence. Ancien Vice-Président de Donald Trump, il est apparu à Washington D.C. lors de la March of Life en 2019, manifestation annuelle regroupant les militants pro-life et créée en réaction à l’arrêt Roe en 1973. Si les pro-life étaient connus jusque dans les années 2000 pour leur militantisme violent[v], avec pour apogée le meurtre du docteur Tiller célèbre pour sa pratique des avortements tardifs en cas de danger pour la mère, ils se transforment à l’ère des réseaux sociaux afin d’influencer la vie politique et sociale des Américains.
Par opposition, les pro-choice sont eux fortement imbriqués dans le Parti démocrate. Le leak des e-mails d’Hillary Clinton en 2015 avait exposé les nombreux liens entre le Planned Parenthood, principale association pro-life américaine, et les démocrates[vi]. En juin 2024, PBS news estime que l’association a investi 40 millions de dollars dans la campagne présidentielle pour le Parti démocrate. Des exceptions sont néanmoins à noter dans les deux cas, comme Terrisa Bukovinac, fondatrice du PAAU (Progressive Anti-Abortion Uprising), une organisation qui se réclame de la gauche radicale et qui s’était portée candidate à l’investiture du Parti démocrate pour 2024.
Afin de diffuser leur idéologie et influencer l’opinion publique, la sémantique est soigneusement étudiée. Le terme « pro-vie », ou droit à la vie, a lui-même une forte connotation positive, en comparaison avec « anti-avortement ».
Des évolutions sont à noter depuis quelques années et depuis l’annulation de Roe. Ainsi, les pro-choice ont commencé à favoriser les termes de « liberté » et « droits », comme le montre l’importante association NARAL Pro-choice America, changeant de nom en 2023 pour Reproductive Freedom for All. Un choix judicieux dans un pays où la liberté individuelle est une valeur constitutionnelle et où de nombreux Américains, de tous bords politiques et religieux, voient en l’interdiction totale de l’IVG une privation de liberté incompatible avec leurs valeurs. Ainsi, selon les récents sondages, comme celui du Pew Research Centre datant de mai 2024, 63% des américains déclarent que l’avortement devrait être légal[vii]. Un chiffre en augmentation depuis l’annulation de l’arrêt Roe en 2022. Sur ce point, des dissonances existent au sein des militants pro-life. Une partie, plus discrète, appelle à des compromis afin d’adoucir l’image radicale présentée par les pro-life et ainsi rassurer les modérés du Parti républicain. Les pro-choice présentent un front plus uni, tous les militants demandant le droit à choisir et le respect des libertés.
L’argumentaire des pro-life est simpliste et vise à toucher l’émotionnel comme le montre la page d’accueil du site prolifeacrossamerica.org : « love the babies » (aimez les bébés) « protect mum and baby» (protégez la mère et bébé). D’autres contiennent des inexactitudes scientifiques. Ils affirment par exemple que les battements de cœur du fœtus existent dès 18 jours après la conception. Cette théorie est démentie par l’American College of Obstetricians and Gynecologists qui donne des instructions et explications sur son site internet sur les expressions et termes biaisés, à idéologie pro-life et médicalement inexactes. Ils reprochent l’impact culpabilisant que ce type de langage peut avoir et encourage la rigueur scientifique dans les textes sur l’avortement[viii].
La désinformation fait partie de la communication pro-life. Elle créé et diffuse des contenus à portée éducative dans le but de cibler la population, parfois jusque dans les écoles. La vidéo « bébé Olivia », soutenu par une partie du corps médical pro-life et clamant être scientifiquement correcte, a pour but de « changer l’opinion des gens concernant le meurtre des enfants non-nés » selon l’ONG Live Action, association pro-life très active. Là aussi, de nombreuses erreurs scientifiques sont dénoncées par le corps médical non affilié aux groupes pro-life et les codes visuels « roses, niais et infantilisants », selon la sénatrice démocrate du Tennessee Heidi Campbell, semblent faire partie d’une charte graphique affiliée au mouvement[ix]. Les sites internet prônant l’idéologie pro-life sont construits sur une esthétique traditionnellement associée au féminin, tout en rose et photographie de famille.
Figure 2 : page d’accueil du site prolifeacrossamerica.org
Le terme fœtus est d’ailleurs peu ou pas utilisé, et les mots « bébé » ou « enfant » lui sont préférés. Ils sont accolés à « meurtre » ou « démembré » dans certains contenus, comme ces vidéos diffusées par des comptes pro-life sur Instagram montrant un bébé être démembré pour être retiré du ventre d’une femme. Le message devenu horrifique sert à effrayer les femmes qui songeraient à avoir recours à l’avortement, montrant l’immoralité de cet acte. Les pro-life prônent la morale religieuse et affirment être la voix des plus faibles ne pouvant se défendre seuls : « fight for the innocent. Your gift now will give unborn babies a voice » est le slogan en première page de l’association Susan.B Anthony Pro-Life America.
A l’opposé, les pro-choice ont pour argument la défense du droit des femmes, la liberté individuelle et la santé publique. Si dans les années 1980 et 1990, les mouvements pro-choice répondaient majoritairement aux attaques pro-life par des argumentations scientifiques, les associations ont peu à peu adapté leur communication afin de rendre leur message plus accessible à la majorité de la population américaine. Ils utilisent alors des images chocs, parfois inspirées de la pop culture, comme l’utilisation du costume de La Servante Écarlate, série dystopique issue du roman de Margaret Atwood : un symbole d’oppression qui joue sur les peurs et dénonce les restrictions de liberté.
Figure 3 : manifestation pro-choice – Washington D.C. – 2022
Ils critiquent régulièrement la désinformation et le manque de rigueur scientifique des pro-life, les accusant de manipuler les femmes, comme lors d’une campagne dans le Massachusetts où les pro-life sont appelés les « anti-abortion ». Les conséquences de l’arrêt Dobbs sont mises en avant : augmentation de la précarité, impacts négatifs sur l’économie américaine, dégradation de la santé chez la femme. En s’appuyant sur divers rapports d’économistes, souvent issus des démocrates[x], et en présentant des arguments économiques et sociaux, les pro-choice espèrent ainsi convaincre des personnes initialement passives dans la guerre pour le droit à l’IVG de rejoindre leur camp.
Des stratégies similaires
Tous les vecteurs de communications possibles sont utilisés par les deux camps, des plus traditionnels aux plus modernes, et inondent la population d’informations contradictoires. Les panneaux publicitaires sont utilisés régulièrement par les deux partis au gré des évènements socio-politiques américains. En janvier 2024, un panneau publicitaire sur Times Square promouvant la marque de couche Everylife fut affiché durant 5 jours en soutien à la March for Life. Dans cette guerre informationnelle, chaque action d’un camp entraine une réaction de l’autre et les pro-choice défilent chaque année lors d’évènements comme la Women’s March. Toute l’année, des tracts sont distribués dans les rues, devant les centres médicaux et dans les universités, grâce à des relais bien implantés comme Students for life ou Medical students for choice. Les réseaux sociaux sont également pris d’assaut, chaque mouvement ayant de jeunes représentants et influenceurs pour véhiculer leurs idées, comme @genuinelygia ou @sarahsophief sur Instagram, toutes deux suivies par des milliers de personnes. Ces relais permettent de toucher la jeune génération très active sur les réseaux et qui peut être encore hésitante sur la question de l’avortement. En 2021, sur la seule plateforme de TikTok, le contenu avec l’hastag pro-life accusait environ 987,9 millions de vues et 1 milliard pour l’hashtag pro-choice[xi].
Orchestrés par les différentes associations, les interventions et témoignages de femmes se multiplient lors des meetings politiques, permettant aux Américains de s’identifier plus facilement. Certaines deviennent des martyrs de la cause pro-choice, comme la texane Kate Cox dont l’histoire est reprise dans la presse internationale, ou l’activiste Hadley Duvall, violée par son beau-père durant son enfance. Elle dénonce l’absurdité des positions radicales des pro-life et fait campagne pour les démocrates, déclarant « je ne suis pas pro-avortement, je suis pro-occupez-vous de vos affaires ». Un langage familier pour les plus jeunes rappelant qu’être pro-choice n’implique pas un « génocide de bébés », expression régulièrement utilisée par les pro-life, mais signifie vouloir protéger la liberté et la vie privée des Américains. Les pro-life contre-attaquent avec des témoignages lors de meetings, des podcasts créés en réponse au témoignage de Kate Cox, et de nombreuses personnes issues de la gen-z (génération des années 2000) partagent leurs histoires sur les réseaux sociaux. Le narratif est généralement le même : l’avortement aurait pu les priver d’une des personnes les plus importantes de leurs vies. Ces stories sont partagées par des milliers de jeunes utilisateurs, devenant une trend et encouragées par les associations pro-life comme Live Action.
Des campagnes de spots publicitaires sont créées, plus ou moins originales. Ainsi une publicité pour la plateforme Youtube a été réalisé par l’agence 72andsunny et son partenaire the Abortion Freedom Fund. La publicité apparait en début de vidéo en cas de recherche pro-life. Les internautes ont alors le choix de cliquer sur skip the add et de participer à financer les avortements ou de regarder la publicité pro-choice en entier. Selon l’agence, le résultat est positif pour la cause, qu’importe le choix : « every impact is a win ».
Figure 4 : publicité Youtube réalisée par 72andsunny pour Abortion Freedom Fund
Ces campagnes permettent d’agir sur l’opinion publique mais pour influencer directement la vie politique et juridique américaine, chaque camp investit un budget conséquent dans le lobby. Par exemple, le Planning familial, un des plus grands groupes pro-choice, a passé environ 1 million de dollars en 2021 en lobby et frais de publicité. Des efforts sont faits collectivement lors de périodes politiques cruciales, comme les midterms de novembre 2022, avec 150 millions de dollars réunis par les associations pro-choice. L’association pro-life, the Susan B. Anthony List, a dépensé environ 16 millions de dollar en 2021 en lobby politique[xii].
une problématique sociétale intrinsequement politique
Les républicains, entre contradictions et intérêts politiques
Les pro-life constituent donc une grande partie de l’électorat des républicains. Ils représentent l’Amérique ultra-puritaine dont les valeurs religieuses et familiales sont celles de la droite américaine. Ils défendent et font campagne pour les élus républicains, en échange d’une position affirmée contre l’avortement. Une partie des membres du parti, se revendiquant « chrétiens nationalistes » (mouvement regroupant les fondamentalistes religieux comme les évangélistes), militent activement pour l’idéologie pro-life, endossant les rôles de porte-paroles. J.D Vance, colistier de Donald Trump pour la campagne de 2024 et connu pour ses positions extrémistes, est cité en première page du site du National Right to Life Committee, dans un texte mélangeant Dieu, la politique et le génocide de bébés, donnant un caractère divin et sacré à leur mission de protection de la vie.
Figure 5 : affiliation religieuse de l’électorat de Donald Trump en 2020
Néanmoins, les républicains n’affichent pas un front uni sur le sujet. Certains élus républicains, héritiers du sénateur ultra-conservateur Barry Goldwater, se revendiquent comme étant les seuls respectant l’idéologie originelle du Parti républicain. Ils sont donc fondamentalement pro-choice, l’interventionnisme de l’État allant à l’encontre de la liberté individuelle et du respect absolu de la vie privée[xiii]. D’autres, déçus par le premier mandat de Donald Trump, ont fondé Le Lincoln Group et ont récemment réalisé une campagne de publicité dénonçant les dérives autoritaires et les atteintes à la liberté causé par les nouvelles lois anti-avortement de certains États[xiv].
Donald Trump, de nouveau candidat pour la campagne présidentielle de 2024, était jusqu’à ce début d’année considéré par les pro-life comme un allié de choix. Une personnalité politique peu puritaine mais considérée par les fondamentalistes comme l’Élu, choisi par Dieu pour sauver l’Amérique, comme prêché par le pasteur républicain Jackson Lahmeyer, fondateur des Pastors for Trump. Une dimension biblique amplifiée par la tentative d’assassinat de juin 2024 sur le candidat, considérée comme « une tragédie, mais aussi un miracle », selon le pasteur.
Or, celui à qui on doit l’annulation de l’arrêt Roe a bien pris en compte les récents sondages et le risque encouru s’il persiste dans cette rhétorique ouvertement pro-life. Depuis début 2024, on assiste alors à un changement de discours chez une majorité de républicains. Des sites internet d’élus ouvertement pro-life font disparaitre toute déclaration se rapportant à l’avortement et en avril 2024, Donald Trump déclare que la décision d’annulation de Roe était allée trop loin et qu’il laisserait le choix aux États de gérer cette problématique : « leave it up to the states ». Conscient du coût politique d’une position radicale sur l’avortement, partagé entre leur socle électoral évangélique et les républicains modérés, le Parti républicain tente de transformer l’avortement en un non-sujet.
Une ligne de conduite parfois difficilement tenue par Donald Trump, connu être incontrôlable. Il accuse la candidate démocrate Kamala Harris de vouloir « l’avortement avant et après la naissance des bébés » lors d’un meeting en juillet 2024, renouant ainsi avec la rhétorique pro-life. Revirement en août 2024 lorsqu’il publie un post sur son propre réseau social Truth affirmant être pour la défense des droits reproductifs, utilisant cette fois le même champ lexical que les pro-choice.
Figure 6 : publication de Donald Trump sur le réseau social Truth
Il tente également de prendre publiquement ses distances avec le Project 2025 d’Heritage Foundation, programme créé pour le candidat républicain par un groupe d’ultra-conservateurs et permettant d’appliquer l’idéologie radicale en politique et dont J.D Vance vient de signer la préface[xv]. Des contradictions largement dénoncées par les démocrates, accusant les républicains de mentir sur leur réel projet politique afin de gagner les élections de novembre.
Une carte majeure pour les démocrates
Une dynamique tout à fait inverse pour les démocrates, sortant renforcés de l’annulation de l’arrêt Roe et du désistement en juillet 2024 de Joe Biden à la candidature démocrate au profit de la vice-présidente actuelle Kamala Harris. Celle-ci, fervente militante pour la cause pro-choice, est connue pour son activisme et ce depuis le début de sa carrière en tant que juriste dans l’État de Californie.
Pour les démocrates investis dans la cause des droits des femmes, la frilosité de Biden fut longtemps une source d’hésitation, peu convaincus quant à son investissement sur le sujet et sa réelle volonté de revenir à une situation pré-2022. Traditionnaliste chrétien, il était visiblement gêné lorsque le sujet devait être abordé durant ces discours, allant jusqu’à éviter de prononcer le mot abortion et déclarant être contre l’avortement à titre personnel.
L’engagement d’Harris rassure et les femmes sont mises en avant lors de son investiture en tant que candidate démocrate. La défense des droits fondamentaux y est un sujet phare et trois militantes viennent témoigner, dont Hadley Duvall qui déclare que « ne pas avoir le choix est inconcevable » en rappelant que c’est la réalité pour beaucoup de femmes et filles des États-Unis, dénonçant la politique anti-avortement de Donald Trump. En citant « les femmes et les filles », Duvall fait référence à sa propre histoire et rappelle la vulnérabilité des jeunes filles subissant l’inceste et ne pouvant avoir accès à l’avortement en cas de grossesse. Les critiques sur la politique de Donald Trump en matière de droits reproductifs se multiplient. Kamala Harris la qualifie d’« assault on freedom », des déclarations qui pourraient expliquer la tentative de Donald Trump de paraître plus modéré sur le sujet, notamment avec son tweet précédemment cité, posté le jour de l’investiture démocrate. Avec la même stratégie que les pro-choice, la candidate fait du mot « Liberté » le thème de sa campagne, allant jusqu’à avoir l’aval de Beyoncé, la chanteuse et star américaine, d’utiliser son tube « Freedom » comme musique officielle pour sa campagne[xvi].
Les derniers sondages montrent que cela semble payant : là où seulement 30% des femmes de moins de 45 ans pensaient voter Biden, les chiffres montent à 52 % pour Harris, sans perdre de l’électorat masculin[xvii]. Tout en marginalisant Trump et J.D Vance, les qualifiant de « weird », Kamala Harris cherche à donner au Parti démocrate un aspect moderne et tourné vers l’avenir, en opposition au Parti républicain pro-MAGA (Make America Great Again) qu’elle assimile régulièrement à un parti rétrograde. Suite à une loi contre l’avortement votée en Arizona, elle avait ainsi déclaré en avril 2024 : « Trump veut ramener l’Amérique aux années 1800 ».
Deux stratégies pour deux amériques differentes
On assiste depuis le début de la campagne présidentielle américaine à une réduction simpliste du débat, les deux partis privilégiant les slogans et les attaques personnelles contre le ou la candidat(e) adverse. La place du droit à l’avortement dans cet affrontement connait deux évolutions opposées selon le parti politique. En place centrale de l’argumentaire de Kamala Harris, il fait ressortir les contradictions chez les républicains qui paraissent de plus en plus divisés et qui tentent de faire disparaitre le sujet sous les autres problématiques d’importance pour la population américaine. S’il est difficile d’estimer aujourd’hui l’efficacité de la stratégie des démocrates pour les élections de novembre, les conséquences de l’annulation de Roe sur la société américaine ont été repris et utilisés comme armes par les pro-choice et l’idéologie pro-life présentée comme liberticide et contraire aux valeurs fondamentales des Américains, faisant front uni avec le parti Démocrate. Quant aux fondamentalistes pro-life, ils pourraient refuser de se rendre aux urnes dans un geste de protestation face au récent revirement de Donald Trump.
Les sondages semblent actuellement en faveur de la candidate démocrate mais les élections présidentielles aux États-Unis sont réalisées au suffrage indirect. Le résultat se jouera alors en fonction de la dizaine des swing-states, toujours indécis entre les deux partis, et Donald Trump, misant comme en 2016 sur le culte de la personnalité et le populisme, cherche à récupérer le vote des antisystèmes. On peut néanmoins être certain que l’affrontement entre les militants pro-life et les militants pro-choice ne s’arrêtera pas à l’élection de novembre 2024, qui n’est qu’une bataille dans cette guerre informationnelle. Quelle que soit l’issue, chaque camp continuera le combat pour atteindre ses objectifs : protéger le droit à l’avortement et le réinscrire dans la Constitution pour les uns ou imposer une interdiction totale dans tous les États pour les autres.
Chloé Giuliani
Auditrice de la 45ème promotion Management Stratégique et Intelligence Economique MSIE
Notes
[i] Marion Pulce, « « Overturn Roe, hell no ! » : l’arrêt Dobbs, chronique d’une bataille politique et judiciaire », IdeAs [En ligne], 22 | 2023, mis en ligne le 01 octobre 2023. http://journals.openedition.org/ideas/16689
[ii] Allison McCann and Amy Schoenfeld Walker, “Tracking Abortion Bans Across the Country”, The New York Times [En ligne], modifié le 23 août 2024.
[iii] Freya Blackmore, « The Making and Breaking of People: A History of Personhood in United States Constitutional Law », The London School of Economics and Political Science [En ligne], mis en ligne le 26 mars 2024.
[iv] « Les « swing states », ces États qui font pencher la balance », Share America [En ligne], modifié le 13 mars 2024.
[v] Jamil Abou Assi, « Les activistes radicaux de la mouvance anti-avortement », Centre Français de Recherche sur le Renseignement [En ligne], février 2026.
[vi] Annie Karni and Anna Palmer, « Clinton’s Planned Parenthood ties run deep », Politico [En ligne], mis en ligne le 30 juillet 2016.
[vii] « Public Opinion on Abortion », Pew Research Center [En ligne], mis en ligne le 13 mai 2024, consulté le 09 septembre 2024.
[viii] « Facts Are Important: Abortion Is Healthcare », The American College of Obstetricians and Gynecologists [En ligne].
[ix] James Farrel, “What Is ‘Meet Baby Olivia’? Controversial Video Could Be Required Viewing In Some Tennessee Schools”, Forbes [En ligne], mis en ligne le 06 avril 2024, consulté le 09 septembre 2024.
[x] « Abortion Bans Harm Women’s Reproductive Freedom and Cost Our Economy Billions of Dollars”, Joint Economic Committee Democrats [En ligne], mis en ligne le 09 avril 2024, consulté le 09 septembre 2024.
[xi] Lauretta Brown, « Gen Z Is Spreading the Pro-Life Message in a Whole New Way on TikTok », National Catholic Register [En ligne], mis en ligne le 1er janvier 2021, consulté le 09 septembre 2024.
[xii] Caitlin Oprysko et Daniel Lippman, “A look at the abortion lobbying landscape”, Politco [En ligne], mis en ligne le 03 mai 2022. Taylor Giorno et Srijita Datta, “Abortion rights groups consistently spent more on lobbying and political contributions than their counterparts. So what happened?”, Open Secrets [En ligne], mis en ligne le 5 juillet 2022.
[xiii] Coste F., « Des alliés inattendus pour les femmes américaines : les hommes républicains pro-choice », Revue française d’études américaines, (n° 114) (4), 41-61.
[xiv] The Lincoln Project, “That is the world here”, CNN [En ligne], consulté le 09 septembre 2024.
[xv] Marin Saillofest, « Project 2025 : le texte de J. D. Vance que la campagne Trump a voulu cacher à ses électeurs », Le Grand Continent [En ligne], mis en ligne le 6 août 2024.
[xvi] Colby Itkowitz et Clara Ence Morse, « How Kamala Harris shifted Democrats’ message from ‘democracy’ to ‘freedom », The Washington Post [En ligne], mis en ligne le 20 août 2024. https://www.washingtonpost.com/politics/2024/08/20/kamala-harris-freedom-democracy-biden/
[xvii] Jodi Enda, “How Kamala Harris Is Changing the 2024 Electorate”, Ms. [En ligne], mis en ligne le 26 août 2024.