Pressions informationnelles pour promouvoir les compléments alimentaires

Le succès des compléments alimentaires est bien réel. Mais cette réussite est-elle due à de véritables bienfaits, ou résulte-t-elle d’une distorsion de nos perceptions grâce à une pression informationnelle savamment menée ? 

Les compléments alimentaires en France depuis 2010

D’après la Directive 2002/46/CE du Parlement européen, transposée par le décret n°2006-352 du 20 mars 2006, les compléments alimentaires sont définis comme « les denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés ».

 

Le cadre réglementaire des compléments alimentaire est fixé par ce décret qui les associe naturellement au code de la consommation (comme l’article L. 511-22 ). Ce ne sont donc pas des médicaments.

 

Leurs bienfaits et leurs risques

L’agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (anses) met en valeur sur son site que « les déficits d’apport et a fortiori les carences en nutriments sont très rares dans la population générale et ne concernent que la vitamine D. ». De plus, elle ajoute que : «de manière générale, en l’absence de pathologie, la couverture des besoins nutritionnels est possible par une alimentation variée et équilibrée dans le cadre d’une vie quotidienne physiquement active. La consommation de compléments alimentaires n’est alors pas nécessaire ».

 

Cette même source précise que « l'industriel est responsable de la conformité des compléments alimentaires mis sur le marché avec les dispositions réglementaires en vigueur, tant en matière de sécurité que d’information du consommateur ».

 

Internet regorge d’affirmations invérifiables sur des bienfaits qualitatifs octroyés aux compléments alimentaires. D’après le Vidal, « la très vaste majorité des études cliniques revendiquées pour les compléments alimentaires sont souvent de trop petite taille, sans placebo ou effectuées sans garantie d’homogénéité préalable entre les groupes comparés ».

 

Pour résumer la situation :

La consommation de compléments alimentaires n’est pas nécessaire.

Il est difficile de trouver des études scientifiques probantes confirmant les bienfaits supposés des compléments alimentaires ;

Les industriels sont seuls responsables de la bonne conformité des informations délivrées aux consommateurs ainsi que de la sécurité de leurs produits.

Si on considère aussi que nombre de consommateurs se fournissent sur internet où le marché est hors de tout cadre et de tout contrôle, les risques pour le consommateur l’emporteraient largement sur les bénéfices prétendus.

 

Quelques chiffres sur les compléments alimentaires

D’après une étude menée par le Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet) sur les chiffres de l’année 2022, que l’on trouve sur leur site et dont les deux premières pages sont reproduites ci-dessous, nous pouvons mettre en évidence les points suivants :

 

. Le marché en France est de 2,6 milliards d’€, avec une croissance de 3 % par rapport à 2021.

. Plus de la moitié du marché, à savoir 54 %, est distribué par les pharmacies, avec une hausse en valeur de 9 % par rapport à 2021.

. Les consommateurs s’approvisionnant en pharmacie cherchent en priorité des bienfaits concernant la vitalité/immunité, la digestion et l’humeur/stress.

 

L’article de blog de Armor Protéines[i] nous apprend que la France est le troisième marché européen et que le canal de distribution majoritaire en pharmacie peut se généraliser à toute l’Europe.

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Figure 1 : marché des compléments alimentaires réparti par circuit de distribution et types de compléments alimentaires vendus en pharmacie en 2022

Stratégie d'influence des promoteurs

Les principaux types de promoteurs des compléments alimentaires sont :

- Les producteurs, en partie regroupés au niveau européen dans l’AESGP (Association of the European Self-Care Industry) et au niveau français dans le Synadiet (précédemment cité) et dans Néres[i].

- Les distributeurs, majoritairement représentés par les pharmaciens (54 % du CA).

- Les autres distributeurs, dont ceux qui opèrent directement en ligne, que nous ne couvrirons pas dans le cadre de cet article.

La stratégie d’influence de ces promoteurs passe par le déploiement massif d’une rhétorique élaborée, servant leur guerre informationnelle. Nous nous appuierons sur les concepts rhétoriques ci-dessous formalisés et abondamment illustrés par Clément Viktorovitch dans son essai «Le Pouvoir rhétorique » :

. « Sophismes : Les procédés argumentatifs fallacieux, violant une ou plusieurs règles de la logique. »

. « Appel à la majorité ou argument ad populum : sophisme consistant à prétendre qu’une position serait justifiée parce qu’elle est partagée par le plus grand nombre. »

. « Effet de halo : biais cognitif consistant, pour établir un jugement sur un individu, à se laisser influencer par une ou plusieurs caractéristiques marquantes qui viennent colorer l’entière perception que l’on a de lui. Il a, par exemple, été démontré qu’il suffit de chausser des lunettes pour avoir l’air, subitement, plus compétent. »

. « Généralisation hâtive : Raisonnement par induction dont les preuves ne devraient pas être considérées comme suffisantes pour établir une conclusion. »

. « Hypotypose : Figure consistant à déployer une description riche et détaillée. »

. « Pivot émotionnel : Technique d’influence du comportement par les affects, en associant une émotion inconfortable à un appel à l’action, qui permet de résoudre la tension. Il en existe principalement trois : peur-solution, espoir-réalisation, indignation-mobilisation. »

 

Un rapport d’Asterès, cabinet de conseil dans le domaine économique, intitulé « Les compléments alimentaires » et ciblant la France a été commandé par le Synadiet en 2016. Sa lecture révèle, par sa richesse et le professionnalisme de sa production, que ces parties prenantes disposent de moyens conséquents. L’argumentaire de ce rapport se décompose de la façon suivante :

  • Insister sur le déficit de l’assurance malade pour introduire l’importance de la prévention. Citons par exemple : « le déficit budgétaire de l’assurance maladie est à la fois chronique et profond », « Les maladies cardiovasculaires : un coût colossal pour la société », « Dans ce contexte, notre système de santé doit changer de paradigme pour tendre vers une logique de prévention des maladies plutôt que de rester essentiellement axé sur le curatif. »

  • Associer les compléments alimentaires au concept de prévention, avec des références abondantes au « cancer ». Citons par exemple : «Les compléments alimentaires, poursuivant une logique de bien-être au quotidien et de prévention sanitaire, s’inscrivent dans le modèle du « prévenir plutôt que guérir » que doit embrasser le système de santé.».

  • Il y a 13 occurrences du terme « cancer » dans de rapport.

     

Le tableau de la figure 2 ci-dessous fournit les chiffres de la prévention.

- Amplifier la perception des carences dans l’alimentation de la population ; Nous pouvons citer : « « 5 fruits et légumes par jour », une recommandation peu suivie », « seulement 60% des étudiants déclaraient avoir une alimentation équilibrée. En s’appuyant sur les résultats de l’enquête INCA 2, le Crédoc a estimé que 80% de la population française courait un risque de déficience pour la vitamine D. Cette part est de 60% pour la vitamine A, le magnésium et le bêta-carotène, de 50% pour la vitamine C, l’iode et le cuivre, de 40% pour la vitamine E et de 33% pour le calcium. »

 

- Amplifier la place des compléments alimentaires dans la société et leur légitimité. Nous pouvons citer : « L’enquête INCA 2 indique que près d’un Français de plus de 18 ans sur cinq (19,7%) et un enfant sur dix (11,5%) étaient consommateurs de compléments alimentaires en 2006 – 2007. »

 

- Finir la démonstration en concluant que les compléments alimentaires, par leur aspect préventif, permet de faire des économies pour l’Etat. Nous pouvons citer : « Fort de cette capacité à réduire l’occurrence de certaines pathologies, les compléments alimentaires peuvent constituer des leviers d’économies budgétaires pour l’assurance maladie. »

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Figure 2 : répartition des dépenses de préventions institutionnelles en 2014

Cet argumentaire est très discutable et utilise abondamment les procédés rhétoriques définis précédemment par Clément Viktorovitch. Ainsi, il est fait abondamment usage de sophismes, de pivots émotionnels et de généralisations hâtives. Par exemple, en associant les compléments alimentaires à la prévention et donc en posant les compléments alimentaires comme solution face à la peur du déficit budgétaire et même du cancer, tout cela sans le moindre lien logique. Les hypotyposes sont aussi utilisées comme le démontre la figure 2 pleine de chiffres mais sans le moindre rapport avec les compléments alimentaires. Il est aussi fait appel à la majorité lorsque le rapport légitime les compléments alimentaires par le fait qu’ils sont actuellement abondamment utilisés et recommandés. Enfin, une grande partie des affirmations, et notamment celles relatives à la santé sont délivrées sans source, les auteurs étant des économistes et non des professionnels de santé.

 

L’étude Self-Care in Europe: Economic and Social Impact on Individuals and Societyde 2021, commandé par l’AESGP englobe toute l’Europe. Nous pouvons notamment insister sur les points suivants :

  • Les auteurs sont « Cosima Bauer , Uwe May, Chiara Giulini-Limbach, Anissa Schneider-Ziebe,. Thien-Kim Pham B.Pharm » et nous les retrouverons ultérieurement ;

  • Ils utilisent tous les procédés rhétoriques précédemment cités, pour aboutir à la même conclusion : les compléments alimentaires permettent de faire des économies.

     

Cette étude est ensuite reprise et « légitimée » par l’article à comité de lecture Self-Medication in Europe: Economic and Social Impact on Individuals and Society en 2023 ce qui permet d’apprécier l’ampleur des moyens dont disposent ces promoteurs. De la même façon, nous pouvons noter que :

  • Les auteurs sont de nouveau, comme pour l’étude précédente « Uwe May, Cosima Bauer , Anissa Schneider-Ziebe , Chiara Giulini-Limbach ».

  • L’étude est citée une seule fois dans Google Scholar.

  • Les conclusions vont dans le même sens pour établir un lien entre l’usage des compléments alimentaires et les économies dégagées par la collectivité.

     

Enfin, le rapport de Néres publié en 2023 et qui s’intitule Enseignements de l’étude Self-care in Europe : Economic and Social Impact on Individuals and Society pour la France, sert de caisse de résonance aux études précédentes, utilisant exactement les mêmes procédés rhétoriques précédemment détaillés.

L’analyse de cette succession d’événements informationnels, nous pouvons résumer la ligne argumentative défendue par ces promoteurs de la sorte : guérir coûte cher, mieux vaut prévenir que guérir, donc prévenir permet de faire des économies or les compléments alimentaires sont de la prévention (affirmation discutable et non démontrée) donc les compléments alimentaires permettent de faire des économies. Ainsi, dans ces études, les suggestions sont toujours abondantes et se transforment souvent en incantations dont la mise en lumière demande le déploiement d’une énergie considérable.

Enfin, concernant l’article à comité de lecture, il n’est pas question de le remettre en cause sans une analyse beaucoup plus détaillée et scientifique. Nous pouvons simplement constater que, même s’il semble avoir été peu repris dans le monde académique, cet article est utilisé (comme dans le rapport de la Néres) comme pilier d’un procédé rhétorique de généralisation hâtive utilisant la légitimité de l’article pour sous-entendre que toutes les affirmations énoncées dans le document hériteraient du même sceau de validation académique.

A ce stade de l’analyse, il semble utile de faire un focus sur la distribution en pharmacie. Sur ce champ, des procédés similaires sont utilisés. Tout d’abord, les pharmacies sont occupées de « vendeurs en blouses blanches » jouant efficacement sur l’effet de halo. Aux demandes d’informations et de conseils sur les résultats quantitatifs des compléments alimentaires, j’ai systématiquement reçu des réponses vagues faisant appel à la majorité sans plus de détails factuels. De plus, tout est fait pour gommer les différences avec les médicaments (soumis à des tests cliniques) pour implicitement hériter du « pouvoir de guérir » des médicaments. Ainsi, comme nous le constatons sur les captures ci-dessous, en plus d’être vendu par les mêmes « spécialistes » et dans les mêmes endroits, les compléments alimentaires se dotent d’un packaging minimisant tout signe distinctif spécifique, par exemple en reléguant sur le coté de façon quasiment invisible la mention dûe.

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Figure 3 : reproduction d’une boite de complément alimentaire (obtenue en pharmacie)

 

Stratégie d'influence des détracteurs

Les principaux types de détracteurs des compléments alimentaires sont :

. Des agences nationales et certaines institutions.

. Des associations de protection des consommateurs et des journalistes.

Leur stratégie pour faire entendre leur voix est ardue car ils sont confrontés à un mécanisme « d'inversion de la charge de la preuve » : en effet, c’est à eux qu’incombe la mission de prouver qu’un grand nombre d’affirmations des promoteurs sont partielles voir complètement fausses. De plus, ils doivent réussir à rendre audibles leurs contre argumentations face au biais de confirmation[i] des consommateurs qui ont envie, voir même pour certain ont besoin, de croire aux promesses miraculeuses de certains compléments alimentaires.

 

Pour illustrer notre analyse, nous nous fondons sur les sources et citations suivantes :

. Le site officiel du ministère de la santé, qui écrit :

  • « Les substances constituant les compléments alimentaires n’exercent pas d’action thérapeutique et n’ont pas vocation à prévenir ou guérir une maladie. »

  • « Les déficits et carences en nutriments sont rares dans la population générale. Un régime alimentaire adapté et varié, dans des circonstances normales, apporte en effet à un être humain tous les nutriments nécessaires à son bon développement et à son maintien en bon état de santé. »

  • « Les compléments alimentaires mis sur le marché ne sont pas soumis systématiquement à une évaluation scientifique préalable visant à garantir leur qualité. »

 

. L’article du Vidal sur « Les compléments alimentaires sont-ils efficaces ? »  qui écrit :

  • « Mais, pour de nombreuses substances utilisées, les industriels ne disposent pas d’études dignes de confiance et vantent leurs produits en utilisant divers arguments discutables. »

  • « Les études cliniques de qualité insuffisante pour les compléments alimentaires. »

     

. Le rapport « Les compléments alimentaires destinés aux sportifs » de l’anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) publié en novembre 2016, où il est écrit :

  • « Aussi l’Anses encourage-t-elle à une information efficace auprès des pratiquants, notamment les plus jeunes, soulignant les risques de la prise de tels compléments au regard des faibles bénéfices escomptés. »

     

. Le rapport « Les compléments alimentaires contenant des plantes » de l’Académie nationale de Pharmacie publié en Décembre 2018 qui soutient le raisonnement suivant : 

  • Considérant « que la notion de « bénéfice-risque » n’est pas prise en compte dans le développement des compléments alimentaires » ;

  • ils recommandent « la modification de la liste des plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires, en retirant celles pour lesquelles il n’existe pas de données de sécurité suffisantes dans la littérature scientifique » ;

  • et ils recommandent « le renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour le contrôle et l’enregistrement des compléments alimentaires ».

     

Ainsi, à la lecture de ces pages web et de ces documents, leur stratégie se décline ainsi :

. Mettre en avant l’inexistence de bénéfices réels, en réfutant l’existence d’études rigoureuses quantifiant d’éventuels bénéfices ;

. Souligner les risques encourus par certaines substances, en mettant en avant qu’il n’y a pas d’évaluation de risque systématique avant la mise sur le marché ;

. Et donc en déduire un rapport bénéfice/risque extrêmement faible.

 

Enfin, ces agences et institutions ont de leur côté comme chambre de résonance les journalistes et associations de protection des consommateurs qui disposent par contre de moyens dérisoires comparativement à ceux des promoteurs comme précédemment évoqué. Ils sont donc dans l’impossibilité de marteler suffisamment ces messages qui sont de ce fait très faiblement perçus.

 

Le succès des compléments alimentaires, résultat d'un rapport de force informationnel multidimensionnel

Dans cette dernière partie, nous analysons les rapports de force sur chaque échiquier : sociétal, politique et économique. Nous synthétisons ci-dessous graphiquement la chronologie des évènements, ainsi que les acteurs en présence. 

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Figure 4 : chronologie des évènements précédemment cités

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La méthode des échiquiers pour décrypter les méthodes d'influence

Cette représentation des actions (méthode des échiquiers développée par l’Ecole de Guerre Economique) a été réalisée sous le prisme suivant : « dans quelle mesure les acteurs cherchent à imposer les compléments alimentaires comme une solution aux problématiques de santé ».

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Figure 6 : les échiquiers avec les actions des principaux acteurs

Rapport de force sur l'échiquier sociétal

Nous constatons dans la représentation ci-dessus que les actions se font très peu sur l’échiquier sociétal : cet échiquier est surtout celui qui est l’objet de toutes les influences dans la mesure où il accueille les consommateurs, arbitres finaux de cette confrontation : les coups partent de l’échiquier économique pour rebondir sur l’échiquier politique en vue d’atteindre l’échiquier sociétal. Il y a sur cet échiquier aussi quelques acteurs comme l’Académie Nationale de Pharmacie qui essaient de prêter main forte aux institutions dans cette confrontation informationnelle.

Rapport de force sur l'échiquier politique et législatif

L’échiquier politique est la principale cible des attaques, dont le centre de gravité est l’état relativement neutre. En effet, la stratégie d’influence suivie par les acteurs économiques actifs semble être de remettre en cause les politiques liées aux compléments alimentaires sur le plan sanitaire mais surtout sur le plan de la dépense publique. On peut aussi imaginer que ces actions s’inscrivent dans un schéma plus ambitieux consistant à distiller dans les sphères institutionnelles dans un second temps l’idée que les compléments alimentaires devraient être partiellement ou intégralement remboursés car bénéfiques sur le plan sanitaire grâce à leur pouvoir de prévention, et bénéfiques que le plan économique grâce à leur capacité à réduire les coûteuses dépenses de la figure 2.

L’Etat se défend en contre-attaquant principalement par le biais d’agences nationales comme l’ANSES. Mais l’énergie nécessaire pour factualiser un contre discours pour chaque attaque informationnelle est loin d’être à la portée des acteurs en présence sur cet échiquier politique, au regard des enjeux.

 

Rapport de force sur l'échiquier économique

L’échiquier économique est celui dont partent les principales attaques informationnelles car c’est celui qui a tous les bénéfices à tirer de cette confrontation. En effet, la situation suivante lui est très avantageuse :

Les compléments alimentaires ne sont pas traités législativement comme des médicaments mais comme des aliments, c’est à dire avec une législation très permissive, des possibilités de sanctions dérisoires en cas de dérives et des moyens de contrôle très faibles déployés par les autorités.

Les producteurs sont des gros acteurs de l’industrie pharmaceutique avec des moyens colossaux, dont l’activité de lobbying est déjà très structurée et présente. De plus, ils sont organisés aussi bien au niveau national qu’européen ce qui décuple leur puissance.

Tout ce qui est lié au complément alimentaire se positionne au croisement entre la médecine et la croyance : ce sujet est donc propice aux actions d’influence.

Dans ce contexte, on assiste à une série de pressions informationnelles structurées, extrêmement professionnelles et très bien ciblées, avec des attaques directes vers l’Etat mais aussi vers les consommateurs. En effet, les grands syndicats de producteurs structurent un narratif destiné aux décideurs de la société mais surtout de l’état comme exposé précédemment. Et en parallèle, les pharmacies agissent sur le terrain au contact des consommateurs pour les influencer directement comme nous l’avons vu. Ces acteurs ont tout à gagner au regard des gains économiques en jeu, et en revanche relativement peu à perdre compte tenu du contexte législatif évoqué précédemment.

Le consommateur, arbitre de cette confrontation informationnelle

Il n’y a eu aucune modification de l’arrêté du 24 juin 2014 sur l’utilisation des plantes malgré la recommandation du rapport de 2018. De plus, contrairement aux recommandations de ce même rapport, les effectifs de la DGCCRF n’ont cessé de fortement diminuer[i]. Enfin ; il n’y a pas d’actions législatives récentes visant à simplifier l’accès et l’interprétation des seules allégations dont la mention est autorisée

Ainsi, de façon plus générale sans nous cantonner aux seules recommandations de l’Académie Nationale de Pharmacie, il semble que l’État, à travers ses institutions, laisse le champ complètement libre aux acteurs économiques qui peuvent continuer leurs actions d’influence sans courir le moindre risque et sans se voir opposer de résistance représentative. 

Cette situation peut nous laisser penser que l’état, par cette inaction, va même dans une certaine mesure jusqu’à aider les promoteurs des compléments alimentaires.

Le consommateur est laissé comme le seul arbitre de cette confrontation qui tourne à l’avantage des acteurs économiques comme le montre la croissance du marché des compléments alimentaires illustrée dans la figure 

Les risques pris par le consommateur dans l’ingestion de compléments alimentaires dépassent largement d’hypothétiques bienfaits non démontrés.

Les producteurs et distributeurs déploient une stratégie d’influence visant à complètement brouiller les frontières entre les médicaments et les compléments alimentaires. Ces attaques informationnelles sont subtiles et difficiles à contrer comme nous l’avons montré dans la deuxième partie. 

Ce brouillage permet notamment d’avancer avec insistance l’idée que les compléments alimentaires permettraient de réduire les coûts de santé par leur pouvoir préventif, qui reste à démontrer ; et à complètement faire oublier les risques qui leurs sont liés.

. Les citoyens sont alors livrés à eux même dans ce choix de consommation et choisissent alors en moyenne de consommer de plus en plus de compléments alimentaires. Cette situation est vraisemblablement, comme explosé dans cet article, le résultat d’une action soutenue des promoteurs qui ont réussi à maximiser la perception des bienfaits de ces produits, tout en réussissant à faire minimiser les perceptions sur les risquent encourus. Tout ceci en parvenant à geler les actions de régulation supplémentaire de la part de l’état qui n’ont pas évolué depuis des années.

Ainsi, il semblerait que cette pression informationnelle menée par les promoteurs des compléments alimentaires soit relativement fructueuse, comme en témoignent les progressions sur ce marché. En ouvrant notre champ d’analyse au marché du bien-être et du développement personnel, il n’est pas impossible que nous constations que les modes opératoires décrits ici soient aussi plus largement utilisés sur cet autre marché plus englobant. 

 

Salvatore Russo,
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

Notes

[1] - l’un des premiers transformateurs de lait au monde, article qui présente l’avantage de mentionner explicitement ses sources.

[1] - « interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pour toutes les questions relatives […] aux compléments alimentaires ».

[1] - définit par Clément Viktorovitch dans son essai comme la « tendance naturelle des êtres humains à retenir surtout les informations qui les confortent dans leurs opinions initiales, ce qui leur épargne d’avoir à changer d’avis ». 

[1]- entre 2007 et 2022, un quart des postes a été supprimé comme on peut le lire sur le site du Sénat et cette tendance ne s’est pas inversée entre 2018 et 2024.