Les laboratoires pharmaceutiques investissent beaucoup de temps et d’argent dans la recherche et le développement de nouveaux traitements. L’industrie pharmaceutique joue un rôle essentiel. Leur objectif étant de trouver le « médicament blockbuster ». Un produit qui pourra être vendu massivement à une large population. De manière générale, la concurrence est limitée dans le secteur de la santé.
Afin de préserver leur exclusivité, de puissantes stratégies sont mises au point par les laboratoires. Le cas du traitement de la DMLA et des 3 acteurs étroitement liés dominant le marché (ROCHE, NOVARTIS et Genentech) en est l’illustration.
Un dossier délicat qui va mêler à la fois enjeux juridiques, intérêts économiques et risque médical. C’est l’histoire d’un détournement économique d’une même molécule vendue sous deux appellations, deux marques et deux prix différents. Depuis 2008, un intense travail de lobbying va permettre au laboratoire suisse NOVARTIS d’imposer un médicament 30 fois plus cher mais équivalent à celui du laboratoire ROCHE. Cette campagne de communication globale et structurée conduira les 3 laboratoires à plusieurs condamnations par les Autorités de la concurrence françaises et italiennes, les considérant non pas comme 3 laboratoires distincts mais comme une entité unique. L’objectif de cette analyse sera de comprendre les mécanismes d’influence orchestrés et mises en œuvre par les trois laboratoires en particulier en Europe et en France.
Le contexte
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est une maladie de l’œil gravement invalidante jusqu’à la cécité. La DMLA est la principale cause de malvoyance chez les personnes de plus de 50 ans dans les pays industrialisés. Elle altère significativement la vision centrale, en faisant notamment apparaitre des tâches sombres au milieu de la vision.
En France, cette pathologie toucherait plus d’1 millions de personnes. La DMLA fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques. En effet, elle représente autant un enjeu de santé publique que financier majeur pour les systèmes de santé publique. Les traitements disponibles étant particulièrement onéreux. Jusqu’en 2005, il n’existait pas de traitement efficace et de nombreux patients perdaient la vue. Puis, un nouveau médicament est venu révolutionner le traitement de la DMLA, permettant de considérablement ralentir la progression de la maladie. Il se présente sous la forme d’un liquide injecté directement dans l’œil.
Le docteur Philip J. Rosenfeld, M.D., Ph.D en ophtalmologie, sera à l’origine de cette découverte arrivée par hasard. Il constatera que ses propriétés retardent le développement de la maladie et améliorent la vue. Ce traitement appelé AVASTIN (bévacizumab), a été mis au point aux États-Unis et est développé par le laboratoire américain Genentech. L’AVASTIN initialement utilisé pour le traitement de plusieurs cancers, est autorisé par les autorités compétentes américaines (US FDA pour U.S. Food and Drug Administration) dans le traitement de la DMLA. Simultanément, le laboratoire américain Genentech développa avec ses chercheurs en ophtalmologie un nouveau médicament spécialement dédié à la DMLA : le LUCENTIS (ranibizumab). Le LUCENTIS deviendra l’unique médicament autorisé dans le traitement de le DMLA.
Durant plusieurs années, pour réaliser des réductions de coûts, des pharmaciens dans les hôpitaux, notamment en France, détourneront l’usage initial de l’AVASTIN pour l’utiliser, sans autorisation, pour soigner certains cas de la DMLA. On parle dans ce cas d’utilisation « hors AMM » (Autorisation de mise sur le marché).Face à l’utilisation croissante « hors AMM » (Autorisation de mise sur le marché) de l’AVASTIN dans le traitement de la DMLA, les autorités publiques de plusieurs pays ont lancé des projets de recherche pour tester l’efficacité et les éventuels effets secondaires associés à la prescription de l’AVASTIN pour le traitement de la DMLA.
Pour obtenir l’octroi d’AMM, les médicaments concernés doivent être conformes notamment en termes de sécurité ou d'efficacité. Le principe d’obligation d’obtention d’une AMM pour une indication thérapeutique donnée dans l’Union européenne par la directive n°2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, tout médicament fabriqué industriellement et mis en vente sur un marché national ou dans l'Union européenne doit faire l'objet d'une AMM.
Il est néanmoins possible sous conditions d’obtenir une dérogation à l’utilisation ciblée d’une spécialité autorisée à être commercialisée. En effet, la réglementation de l’Union européenne concernant les produits pharmaceutiques n’interdit pas la prescription d’un médicament « hors AMM » ou encore son reconditionnement en vue de l’utilisation suggérée. En 2013, en France l’AVASTIN est temporairement interdit dans le traitement de la DMLA, pour des raisons administratives et ne peut être prescrit par des médecins. L’AVASTIN n’a pas d’Autorisation de mise sur le marché.
Par voie de conséquence, l’AVASTIN n’est pas conditionné pour être injecté dans l’œil. Son reconditionnement nécessite une manipulation en milieu stérile en milieu hospitalier. Partant de ce constat, le ministère de la santé invoquera des risques de contamination et d’infection dans l’œil lors de l’injection. Les autorités publiques ont alors considéré que c’était au laboratoire ROCHE, distributeur de l’AVASTIN, de lancer les démarches en vue d’obtenir l’AMM. Cela n’est pas dans l’intérêt du laboratoire ROCHE de mettre en concurrence l’AVANTIS et le LUCENTIS. En effet, les laboratoires ROCHE et NOVARTIS ayant des liens capitalistiques et commerciaux seraient pénalisés.
En 2014, en Italie l’équivalent de l’Autorité de la concurrence (l’Autorita Garante della Concorrenza e del Mercato, « l’AGCM ») condamne les laboratoires ROCHE et NOVARTIS à une amende de 182,5 Millions d’euros pour entente illicite sur le prix des deux médicaments. Elle estimera que les deux laboratoires avaient « artificiellement distinguer » leurs médicaments. A partir de 2015, l’AVASTIN a pu bénéficier d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour motif économique. La RTU est une procédure dérogatoire qui permet à l’Agence nationale de sécurité du médicament (l’ANSM) d’autoriser l’usage de médicaments en dehors de leur indication officielle sous surveillance pour une durée de 3 ans.
Dans le cas de l’AVASTIN, cela a permis de contourner le refus du laboratoire ROCHE (titulaire de l’AVASTIN) de solliciter une autorisation officielle et l’utilisation de l’AVASTIN pour soigner le DMLA (à moindre coût pour l’assurance maladie). La RTU sera ensuite renouvelée en 2018, pour 3 ans. Le laboratoire ROCHE contestera devant le Conseil d’Etat l’autorisation de l’utilisation de l’AVASTIN dans le traitement de la DMLA. Le Conseil d’Etat rejettera la demande du laboratoire ROCHE de suspendre en urgence, l’autorisation d’urgence de l’AVASTIN.
Les origines de la polémique
1 molécule, 2 produits aux priorités identiques, 1 différence de prix considérable. De nombreuses études scientifiques internationales indiquent l’équivalence entre les deux traitements : l’AVASTIN et le LUCENTIS. A titre d’exemple, l’étude du National Institutes of Health de 2012 révéla que l’AVASTIN était tout aussi efficace que LUCENTIS dans le traitement de la DMLA et celle de la Cochrane Library 2014 a conclu que l’AVASTIN ne produisait pas de risques accrus ni d'effets secondaires chez les patients.
Au milieu des années 2000, Genentech développe une molécule qui bloque le développement des vaisseaux sanguins. Elle la vend au laboratoire ROCHE, qui développe l’AVASTIN et une molécule identique à NOVARTIS, qui développe le LUCENTIS. En 2009, ROCHE devient propriétaire de Genentech et bénéficiera de royalties sur le LUCENTIS. Cette année-là, pour préserver les ventes d’un de leurs produits, le LUCENTIS (ranibizumab), 3 laboratoires (ROCHE, NOVARTIS et Genentech) vont de concert dénigré l’utilisation dans la DMLA de l’AVASTIN.
Au même moment, les ophtalmologistes se mirent à administrer de l’AVASTIN. Quand les autorités publiques commencèrent à chercher un cadre d’utilisation, NOVARTIS mit en place des méthodes d’influence en vue d’exagérer les risques d’une utilisation « hors AMM » (autorisation de mise sur le marché), c’est-à-dire en dehors des indications officielles du médicament. La firme ROCHE ne demanda jamais d’autorisation pour l’utilisation dans la DMLA car, en tant qu’actionnaire unique de Genentech détenteur de la licence du LUCENTIS, elle était davantage intéressée au chiffre d’affaires du LUCENTIS. En sachant qu’une injection de LUCENTIS coûte 1 161 €, contre 30 à 40 € pour l’AVASTIN.
Certes les patients et les hôpitaux ne perçoivent pas directement les effets de ces différences de prix, car en France l’Assurance Maladie remboursent toutes les demandes de LUCENTIS. Dans les faits, à raison d’un coût 30 fois supérieur remboursé à 100%, l’usage du LUCENTIS était considéré comme un des couts le plus important de l’Assurance maladie d’environ 430 millions d’euros en 2013, en progression rapide de 40% en 2 ans.
Dans ce contexte, les laboratoires Genentech, ROCHE et NOVARTIS ont recouru à un ensemble de manœuvres dans le but de préserver la position dominante et le prix du LUCENTIS, en limitant l’utilisation « hors AMM » de l’AVASTIN. Le fabricant de l’AVASTIN, le laboratoire ROCHE refusera toute forme de négociation. En réponse les médecins feront pression et obtiendront que l’AVASTIN soit utilisable sous le régime des RTU pour motif économique en 2015.
Les liens étroits des 3 laboratoires dominants du marché de la DMLA : GENENTECH, ROCHE, NOVARTIS
Les 3 laboratoires possèdent d’étroits liens capitalistiques croisés et contractuels :
- Le laboratoire américain Genentech : développe et commercialise l’AVASTIN et le LUCENTIS ; possède un contrat de licence auprès du laboratoire ROCHE pour l’AVASTIN
- Le laboratoire suisse ROCHE : commercialise l’AVASTIN dans le reste du monde ; verse des redevances à Genentech sur les ventes de l’AVASTIN ; est titulaire de l’AMM en France depuis 2005 dans le cadre du traitement de certains cancers ; détient une participation contrôlante de Genentech (avec 60% du capital jusqu’en 2009 puis 100%)
- Le laboratoire suisse NOVARTIS : commercialise le LUCENTIS dans le reste du monde en dehors des Etats-Unis ; possède un contrat de licence auprès du laboratoire NOVARTIS pour le LUCENTIS ; est titulaire de l’AMM en France pour le LUCENTIS dans le cadre du traitement de la DMLA ; verse des redevances à Genentech sur les ventes du LUCENTIS ; possède des participations non contrôlantes dans ROCHE Holding à hauteur de 33,33%
Il n’est donc pas dans l’intérêt du laboratoire ROCHE de mettre en concurrence l’AVANTIS et le LUCENTIS.
Déploiement d'un lobbying important à plusieurs niveaux de la part des trois laboratoires
Les laboratoires NOVARTIS, ROCHE avec l’aide de Genentech vont, de concert, s’organiser pour ne pas laisser les médecins utiliser l’AVASTIN dans l’œil et les convaincre d’injecter le LUCENTIS à la place.
D’une part, le laboratoire NOVARTIS lancera une large campagne de dénigrement de l’AVASTIN entre 2008 et 2013 auprès des professionnels de santé, des autorités du secteur de la santé, des associations de patients et du grand public, en ciblant plus particulièrement les « Key Opinion leaders » (principaux leaders d’opinion) des médecins reconnus dans leur domaine, qui devaient servir de relais au discours du laboratoire.
D’autre part, les 3 laboratoires, auront recours à différentes méthodes de blocage et diffuseront un « discours alarmiste et trompeur » auprès des pouvoirs publics français. Ces pratiques visaient à renforcer leurs inquiétudes et à faire obstacle aux initiatives de ces derniers pour sécuriser administrativement l’utilisation de l’AVASTIN pour le traitement de la DMLA.
En premier lieu, Novartis aurait eu recours à diverses pratiques de dénigrement vis-à-vis de l’AVASTIN (entre mars 2008 à novembre 2013). Dans sa décision du 09 septembre 2020, l’Autorité de la concurrence a dénoncé la stratégie mise en place par NOVARTIS reposant sur le déploiement d’une campagne de dénigrement à l’égard de l’AVASTIN auprès de relais d’influence dans l’ensemble de la communauté médicale.
Cette campagne de communication globale et structurée mettait l’accent sur les risques liés à l’utilisation « hors AMM » D’AVASTIN en ophtalmologie, et plus particulièrement pour le traitement de la DMLA, contrastant avec la sécurité, l’efficacité et la tolérance de LUCENTIS pour un usage similaire. Le discours évoluant en fonction du contexte scientifique et réglementaire.
Plus précisément, le laboratoire NOVARTIS appuyait régulièrement sur les risques liés à l’utilisation « hors AMM » en ophtalmologie, en particulier dans le traitement de la DMLA. NOVARTIS suggérait voire affirmait l’existence d’un risque d’effet systémique supplémentaire lié aux propriétés biologiques de l’AVASTIN qui différeraient de celle du LUCENTIS, en appuyant sur une « garantie de sécurité » du LUCENTIS. A plusieurs reprises, NOVARTIS a présenté des résultats d’études scientifiques existantes de façon parcellaire, sortis de leur contexte et en omettant les résultats généraux.
Autre approche de NOVARTIS, celle consistant à faire une présentation sélective des modifications effectuées par l’Agence européenne du médicament sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l’AVASTIN et du LUCENTIS. Au regard de la communication de NOVARTIS, l’Autorité européenne de santé aurait informé le public d’effets indésirables systémiques détectés uniquement pour l’AVASTIN. Alors que dans les faits, l’Autorité concluait qu’il n’y avait pas lieu de distinguer l’AVASTIN du LUCENTIS. En outre, NOVARTIS s’abstiendra de communiquer sur le fait que le LUCENTIS a obtenu la même mention dans son RCP. Enfin, NOVARTIS appuya régulièrement sur la responsabilité civile et pénale des professionnels de santé qui prescriraient AVASTIN « hors AMM ».
En second lieu, il a été fait grief les pratiques mises en œuvre par les 3 laboratoires vis-à-vis des pouvoirs publics de 2008 à 2013 (ROCHE entre avril 2008 et début novembre 2013 – Novartis de mai 2011 à début novembre 2013 – Genentech entre avril 2011 et début novembre 2013). Les laboratoires NOVARTIS et ROCHE, aidé de Genentech, ont déployé une stratégie visant à faire obstacles aux initiatives des pouvoirs publics français permettant d’autoriser administrativement l’usage d’AVASTIN pour le traitement de la DMLA (retard dans l’étude GEFAL), au travers d’un ensemble de comportements de blocage administratif et de diffusion d’un discours trompeur aux responsables politiques et aux autorités de santé.
A titre d’exemple, le laboratoire ROCHE aurait contribué à retarder la mise en place de l’étude du Groupe d'Étude Français AVASTIN versus LUCENTIS (GEFAL). Pour ce faire, le laboratoire n’aurait pas fourni une partie des échantillons et des informations nécessaires au bon déroulé de l’étude réclamés par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, tout en diffusant un discours alarmiste concernant la sécurité du recours à l’AVASTIN dans l’œil. Dès mai 2011, NOVARTIS communiquera un discours « inquiétant », en sélectionnant certains résultats des études de comparaison et en les présentant en dehors de leur contexte, été diffusée à l’ensemble des parties prenantes du secteur de la santé et a donné lieu à de nombreuses réactions.
Lorsque la possibilité d’une RTU pour l’AVASTIN a été envisagée par les pouvoirs publics, les laboratoires ROCHE et Novartis ont intensifié les contacts avec les représentants du gouvernement et les autorités de santé. L’argumentaire consistait notamment à diffuser sur une présentation biaisée du processus de changement de RCP de l’AVASTIN, et à insister sur les risques de scandale sanitaire. Sur la base des pièces justificatives du dossier, il apparait qu’au minimum depuis avril 2011, l’implication de Genentech était systématique dans les échanges entre ROCHE et les autorités de santé et définissait le contenu du discours à tenir.
Les réponses et condamnations de la société civile et des autorités publiques
La Cour de justice européenne, dans son arrêt du 11 avril 2013, a estimé qu’il était possible de reconditionner l’AVASTIN en seringue.
Dans son arrêt du 23 janvier 2018 (aff. C-179/16, F. Hoffmann-La Roche), La Cour de justice de l’Union Européenne a jugé que l’entente entre les groupes pharmaceutiques ROCHE et NOVARTIS dans le but de diminuer l’utilisation ophtalmologique de l’AVASTIN au profit de celui du LUCENTIS était susceptible de constituer une restriction de concurrence, après avoir précisé que l’AGCM pouvait considérer que le LUCENTIS et l’AVASTIN relevaient du même marché et pouvaient être considérés comme des produits concurrents.
La réglementation européenne n’interdit pas l’utilisation de médicaments « hors AMM » ni leur reconditionnement pour une telle utilisation. En conséquence, dans la mesure où l’AVASTIN était fréquemment prescrit « hors AMM » dans le domaine pharmaceutique, l’AVASTIN et le LUCENTIS pouvaient être considérés comme substituables et donc, comme appartenant au même marché.
En Europe, les 3 laboratoires ont reçu plusieurs condamnations dont 2 majeures : en Italie par l’Autorita Garante della Concorrenza e del Mercato (« l’AGCM », équivalent de l’Autorité de la Concurrence) et en France par l’Autorité de la concurrence saisie par la société civile.
En Italie, le 27 février 2014, l’Autorita Garante della Concorrenza e del Mercato (« l’AGCM », équivalent de l’Autorité de la Concurrence) adopta une décision sanctionnant les laboratoires ROCHE et NOVARTIS à hauteur de 182,5 millions d’euros pour entente anticoncurrentielle et illicite sur le prix des deux médicaments. L’Autorité estima que les 2 laboratoires avaient « artificiellement distingué » leurs médicaments.
En France en 2014, UFC-Que choisir fit une demande de publication d’un décret auprès du gouvernement. Ce décret devait permettre aux ophtalmologistes d’utiliser l’AVASTIN dans la DMLA dans le cadre de recommandations temporaires d’utilisation (RTU) pour motif économique.
UFC-Que déclarera en 2014 : « "La passivité des pouvoirs publics et autorités sanitaires dans ce dossier est aussi étonnante que préjudiciable pour les usagers du système de santé". Elle demandera également la mise en place d'une commission d'enquête pour "faire toute la lumière" sur l'affaire.
Le 09 septembre 2020, l’autorité de la concurrence, saisie en 2012 par l’UFC-Que choisir, infligera une amende record de plus de 440 millions d’euros au laboratoire NOVARTIS (environ 385 millions d’euros), Genentech et ROCHE (environ 60 millions d’euros) pour « pratiques abusives ».
Il sera reproché aux trois laboratoires :
- L’abus de position dominante collective (notion de droit de la concurrence à partir du pouvoir de marché d’entreprises ayant entre elles des liens étroits)
- Le dénigrement de l’AVASTIN par NOVARTIS
- La diffusion d’un discours alarmiste et trompeur auprès des autorités publiques
Les effets / le bilan
Les laboratoires ROCHE et NOVARTIS lanceront une longue procédure juridique contre l’État français sans que ces manœuvres n’aboutissent. Le médicament AVASTIN sera finalement autorisé en France pour son usage dans le traitement de la DMLA mais non sans effet.
Parmi les effets des opérations d’influence des laboratoires ROCHE et NOVARTIS, on peut lister :
- Le retard dans la mise en place de l’étude GEFAL.
- L’influence des autorités de santé avec un niveau inquiétude accru et un maintien d’une posture de grande prudence même après les premiers résultats favorables des études comparant l’AVASTIN et le LUCENTIS (i.e. points d’information de l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé –AFSSAP- en 2009 et en 2011, et recommandation de la Haute Autorité de Santé -HAS- en 2012).
- L’interdiction par la Direction Générale de la Santé (DGS) de l’utilisation de l’AVASTIN hors AMM en juillet 2012.
- plus généralement retard de l’adoption de dispositions permettant d’encadrer et de sécuriser l’utilisation de l’AVASTIN « hors AMM » en ophtalmologie,
- L’assurance que l’AVASTIN ne puisse pas être reconnu par les autorités de santé françaises comme un comparateur pertinent au LUCENTIS, limitant la possibilité de renégociation du prix du LUCENTIS par les autorités en charge de la fixation du prix des médicaments plus tôt et de manière importante
Malgré les condamnations, les nombreuses études scientifiques et la réglementation, les actions de lobbying des 3 laboratoires semblent avoir fonctionné. Le laboratoire NOVARTIS sort vainqueur avec son traitement leader sur le marché, malgré la présence de l’AVASTIN et des nouveaux produits du marché.
La réponse des laboratoires
A l’issue de la décision de l’Autorité de la concurrence du 09 septembre 2020, les laboratoires NOVARTIS et ROCHE ont fait appel de la décision de l’autorité de la concurrence. Un porte -parole de NOVARTIS déclarera au magazine STAT :
"Novartis is very disappointed by the outcome of the decision and strongly refutes the accusations…regarding alleged anti-competitive practices. […] Novartis firmly believes the company has acted appropriately and in compliance with all applicable regulations. Novartis believes that this decision relies on a gross misinterpretation of the facts and a distortion of previous case law that is not intended to cover the situation in this case." « NOVARTIS est très déçu de la décision et réfute fermement les accusations de présumées pratiques anti-concurrentielles » [… ] NOVARTIS pense sincèrement que la firme a agi de manière appropriée et en conformité avec toutes les réglementations applicables. NOVARTIS estime que cette décision repose sur une mauvaise interprétation flagrante des faits et une distorsion de la jurisprudence antérieure qui n'est pas destinée à couvrir la situation en l'espèce. »
Quant au laboratoire ROCHE, un de ses représentants déclarera au même media STAT, "we respectfully disagree with and are disappointed by the decision made by the competition authority. Roche acted with the best interest of patients and their safety in mind and in compliance with the regulations set out by the health authorities. We stand behind our actions and will appeal this decision." “ Nous ne sommes pas d’accord avec la décision et sommes déçus de cette décision prises par l’Autorité de la concurrence. ROCHE a agi en gardant à l’esprit le meilleur intérêt et la sécurité des patients en conformité éditée par les autorités sanitaires. Nous maintenons nos actions et ferons appel de la décision. »
Conclusion
Depuis, sont arrivés sur le marché d’autres traitements : EYLEA, MACUGEN, VISUDYNE. Ces actions auront significativement impacté le comportement des professionnels de santé et donc, sur la structure du marché. Ces manœuvres ont contribué à limiter l’usage « hors AMM » de l’AVASTIN dans de nombreux établissements hospitaliers, pour le traitement de la DMLA et, plus généralement, en ophtalmologie.
En outre, en limitant les prescriptions d’AVASTIN et en maintenant, de ce fait, NOVARTIS en position de quasi-monopole, le discours du laboratoire a empêché que l’AVASTIN puisse servir de comparateur de prix et de justifier une baisse du prix du LUCENTIS. Ces pratiques auront un effet mécanique sur la fixation du prix d’EYLEA, alternative au LUCENTIS, qui devait être fixé au même niveau du prix de liste de LUCENTIS, minoré d’une décote de 10 %.
Pascale Mascheroni
Auditrice de la 35ème promotion MSIE