Perspectives d’avenir d’une puissance militaire britannique en déclin

Episode 5 du dossier sur le déclin de la Grande Bretagne 

Il a été réalisé par la formation SIE28 de l’Ecole de Guerre Economique

Depuis la fin de la guerre froide, les forces armées britanniques, en particulier la British Army et la Royal Air Force (RAF), ont connu une série de réductions significatives de leurs effectifs, de leurs budgets et de leurs matériels. Le démantèlement du bloc soviétique en 1991 marqua la fin de la menace militaire conventionnelle à grande échelle en Europe, incitant le Royaume-Uni à réévaluer ses priorités stratégiques et ses dépenses de défense, entraînant de facto une série de réformes visant à rationaliser et moderniser les forces, mais également à réduire leur taille et leurs capacités pour répondre à un contexte géopolitique perçu comme moins menaçant. Cependant, les conflits récents, les tensions internationales croissantes et les nouvelles menaces ont remis en question cette stratégie de contraction, soulevant des débats sur l'adéquation des forces armées britanniques aux exigences contemporaines de la défense nationale et des opérations extérieures.

 

Évolution des moyens et de la structure de la British Army

Effectifs et matériels depuis 1990

En 1990, tandis que l’URSS ne s’est pas encore effondrée, une première coupe dans les effectifs de la British Army survient, avec une réduction du personnel militaire d'environ 18 %, faisant de l'Armée de terre la branche la plus touchée des forces armées britanniques, alors même que la Grande-Bretagne avait éprouvé des difficultés à déployer une division entière dans le cadre de la guerre du Golfe[i]. Quatre ans plus tard, de nouvelles directives envisagent de réduire une nouvelle fois le personnel actif de 2 200 personnes[ii]. Cette volonté de diminuer les effectifs conservera son élan au cours des années 2000 et culminera en 2010 à travers la Strategic Defence and Security Review de 2010, qui acta une réduction de 20 000 personnels d'ici 2020[iii]. À ce jour, la directive la plus récente en ce qui concerne les coupes au sein des ressources humaines est donnée par le Defence Command Paper, document stratégique publié en 2021 par le gouvernement britannique[iv]. Parmi les priorités et les orientations stratégiques exprimées, l’objectif affiché est de 72 500 militaires d’ici 2025, soit le niveau le plus bas depuis le XIXe siècle. Au train où vont les choses, il est probable que la British Army ne puisse s’appuyer sur plus de 70 000 hommes en 2026[v]. En l'espace d'une trentaine d'années, la British Army a connu une réduction drastique de ses effectifs, passant de 150 000 soldats actifs au début des années 1990 à 82 000, un nombre à peine suffisant pour remplir le stade de Wembley[vi]. Cette tendance se reflète également dans la diminution des équipements et du matériel militaire[vii].

Le document Options for Change et Front Line First (1990) marque un tournant dans le processus de réformes des forces armées britanniques en ce qui concerne les équipements et le matériel militaire, introduisant la réduction du nombre de chars, véhicules blindés et pièces d’artillerie de manière significative et officielle. L’objectif affiché est de réorienter les forces armées vers des capacités expéditionnaires plutôt que de maintenir une posture de défense classique face à l’URSS, où la masse était perçue comme essentielle. Cela se traduit par de draconiennes réductions dans les matériels lourds, une tendance que confirmera le document Strategic Defence Review (1998), qui en plus de poursuivre dans cette voie introduit une vision de forces plus flexibles et orientées vers les opérations hors zone, avec la création de forces de réaction rapide pour des interventions à l’étranger. Alors qu’en 1990 on comptait près de 1200 chars de combat[viii], il n’y a désormais plus que 213 Challenger 2, dont seulement une quarantaine seraient opérationnels[ix]. En ce qui concerne le parc d’artillerie et celui des véhicules blindés en général ( VCI, VBTT et engins de génie ), le constat reste le même. L'AS90, un canon automoteur de 155 mm entré en service à la fin de la guerre froide et qui constitue toujours le cœur de l’artillerie britannique, a souffert d'un manque d'investissement et de pièces détachées, rendant sa disponibilité opérationnelle très faible[x]. Aujourd’hui, en comptant les Archer suédois et les AS90, l’artillerie automotrice compte 71 pièces, dont seulement une vingtaine en état d’opérer sur le terrain[xi]

Au cours des trois dernières décennies la British Army a suivi une trajectoire claire : réduire ses moyens physiques pour privilégier des forces armées plus petites, plus axées sur la technologie et mieux équipées pour les conflits de faible à moyenne intensité, en particulier en dehors de la zone traditionnelle de l'Atlantique Nord-Europe-Méditerranée de la guerre froide. Encore plus radicalement que son homologue française, l’Armée de terre britannique s’est drastiquement réduite au fil des années, et aucun domaine n’est épargné par cette politique d’économie des forces qui prévaut depuis les années 1990. Avec un arsenal d’artillerie limité, un (très) faible nombre de chars et de blindés, et un effectif de moins de 80 000 soldats, les capacités militaires britanniques sont désormais assez restreintes. Cette insuffisance se révèle particulièrement dans l'incapacité à fournir un soutien matériel et en munitions adéquat à l'Ukraine. Le retour de la guerre en Europe souligne l'importance de la quantité, qui, dans un conflit de grande envergure blindé et mécanisé comme celui observé en Ukraine, prime sur la qualité.

Mutations structurelles

L’organisation actuelle de la British Army ainsi que la répartition de ses forces terrestres opérationnelles est le résultat des réformes engagées à partir de 2011 dans le cadre du programme Army 2020 et de ses mises à jour successives, notamment Army 2020 Refine (2015-2017). L'Army Command, directement rattaché au ministère de la Défense, est dirigé par le Chief of the General Staff (CGS), qui est le plus haut responsable militaire de l'Armée de Terre britannique. Nous avons deux principaux commandements opérationnels[xii]

  • La Field Army, ou armée de campagne, constitue le pilier opérationnel de la British Army, responsable des forces prêtes au combat et des interventions à l’étranger. Chargée de la préparation, du déploiement et de la direction des unités engagées dans les opérations extérieures (OPEX), les missions de maintien de la paix et les interventions internationales, elle incarne la capacité expéditionnaire du Royaume-Uni. Cette structure regroupe trois divisions principales, auxquelles s’ajoutent des services spécialisés tels que le renseignement, les opérations cybernétiques et électromagnétiques, les services médicaux, ainsi qu’un réseau d’écoles militaires dédiées à la formation et au perfectionnement des soldats.

  • Le Home Command est responsable du soutien interne et de la préparation des forces basées au Royaume-Uni. Il veille à la formation continue des unités, assurant leur préparation opérationnelle pour des missions nationales. En plus de gérer les opérations domestiques, il supervise la mobilisation des réservistes et coordonne les activités de soutien aux populations locales, notamment en période de crise. Son rôle est essentiel pour garantir que les forces britanniques soient prêtes à intervenir rapidement, tant sur le territoire national qu'en soutien aux communautés en cas d’urgence.

 

Évolution des moyens et de la structure de la Royal Air Force

Effectifs et matériels depuis 1990

Après la fin de la guerre froide, la Royal Air Force (RAF) a procédé à des réductions significatives de ses effectifs pour s'adapter à de nouvelles priorités stratégiques et aux contraintes budgétaires. En 1994, le document Front Line First a officialisé la suppression de 7 500 postes dans la RAF, marquant une première étape importante dans cette transformation. Ensuite, la Strategic Defence and Security Review de 2010 a entériné une nouvelle réduction de 5 000 postes. Depuis lors, l'optimisation des ressources et l'intégration de technologies avancées ont continué de réduire les besoins en personnel. Entre 2017 et 2024, les effectifs ont encore diminué de 3 000 personnes. Ainsi, alors que la RAF comptait environ 90 000 membres en 1990, elle en compte aujourd’hui un peu moins de 32 000[xiii].

La revue de défense Options for Change (1990) a marqué une diminution notable du nombre d’aéronefs, avec la dissolution de plusieurs escadrons et la fermeture de bases aériennes. Certains appareils vieillissants, tels que le bombardier Avro Vulcan et les chasseurs Phantom FGR.2 et Buccaneer, ont été retirés progressivement, remplacés par des modèles plus récents comme les Tornado GR1/GR4. En parallèle, plusieurs bases extraterritoriales, notamment RAF Bruggen et RAF Laarbruch en Allemagne, ont cessé leurs activités ou ont vu leurs effectifs considérablement réduits. 

Plus tard, en 2003, les avions de reconnaissance Canberra ont été mis hors service, et en 2006, les avions de transport C-130K Hercules ont commencé à être remplacés par les plus modernes C-130J Hercules. Les Tornado GR4 ont été modernisés pour prolonger leur service jusqu'à leur retrait complet en 2019, alors que les Harrier ont été retirés dès 2010, conséquence des coupes budgétaires. L’arrivée des Typhoon en 2003 a permis de remplacer progressivement les Jaguar GR3 et certains Tornado F3, tandis que des avions de transport stratégique comme les C-17 Globemaster III ont été initialement loués à l’US Air Force avant d’être acquis par la RAF au cours des années 2000. La Strategic Defence and Security Review de 2010 a officialisé la mise à la retraite des Harrier GR9, marquant ainsi une interruption temporaire des capacités aéronavales de la RAF jusqu’à l’introduction des F-35B. Cette revue a également entraîné la dissolution de nombreux escadrons et des restructurations majeures, telles que la fermeture de RAF Lyneham, avec le transfert des opérations de transport aérien à RAF Brize Norton. Les Tornado, entièrement retirés en 2019, ont été remplacés par une flotte mixte composée de Typhoon et d’F-35 Lightning II. 

Par ailleurs, une réduction progressive des avions de transport tactique a été amorcée : les derniers C-130 Hercules devraient quitter le service d’ici 2023, remplacés par l’Airbus A400M Atlas, un avion plus moderne et polyvalent. Actuellement, la RAF dispose d’environ 150 avions de chasse, comprenant 121 Typhoon et une trentaine de F-35B. Cependant, une partie de cette flotte n’est pas opérationnelle en raison de contraintes techniques ou budgétaires. Du côté des avions de transport, la flotte comprend 22 A400M Atlas et encore 9 C-17 Globemaster III. Cette réduction continue de s'accentuer : le ministère de la Défense prévoit de retirer 30 Typhoon supplémentaires d’ici l’année prochaine pour des raisons budgétaires. À titre de comparaison, en 1990, la RAF alignait environ 770 avions de combat incluant les Harrier, Phantom, Jaguar et Tornado[xiv]

            Évolution organisationnelle : du conflit global à la force expéditionnaire

Sous l’autorité du RAF Air Command, la Royal Air Force est structurée en plusieurs groupes opérationnels, dont deux axés sur le combat, un pour le commandement et le contrôle, et un dédié à la formation et à l’entraînement des personnels :

  • Le No. 1 Group constitue la principale force aérienne de combat. Il se divise en quatre composantes : la Air Mobility Force, le Air and Space Warfare Centre, la Combat Air Force et la Force ISTAR (Intelligence, Surveillance, Targeting, and Reconnaissance), au sein desquelles se répartissent 29 escadrons mettant en oeuvre l’essentiel de la chasse britannique. Les principales bases associées incluent RAF Coningsby et RAF Waddington dans le Lincolnshire, RAF Lossiemouth dans le Moray (Écosse), RAF Marham dans le Norfolk, RAF Brize Norton dans l’Oxfordshire, et RAF Northolt dans le Grand Londres.

  • Le No. 2 Group constitue le second groupe opérationnel de la RAF. Principalement dédié au soutien, au transport, et à la logistique, il supervise également la force de réserve de la RAF. Avec 15 escadrons sous son commandement, ce groupe regroupe les avions de transport lourd et gère des unités de protection des installations aériennes. Ses principales bases sont RAF Brize Norton, RAF Marham, RAF Honington (Suffolk), RAF Wittering (Cambridgeshire), RAF Northolt et RAF Cosford (Shropshire).

  • Le No. 11 Group regroupe les principaux organes de Commandement et de Contrôle de la Royal Air Force. Sa mission consiste à planifier, superviser et coordonner les ressources pour les opérations dans les domaines de l'air, de l'espace et du cyberespace.

  • Le No. 22 Group est chargé de la formation et de l’entraînement des personnels de la RAF. Ses activités incluent la gestion de la RAF Cranwell, où se trouve le Royal Air Force College, dédié à la formation des nouveaux officiers et équipages. Ce groupe supervise également le Royal Air Force Air Cadets, ainsi que des programmes comme le Training to RAF Officers, la formation de base pour les aviateurs et le Defence College of Technical Training, spécialisé dans les formations techniques essentielles aux opérations aériennes et logistiques.

  • Au total, les forces aériennes britanniques sont réparties sur 35 bases aériennes, dont quatre situées en dehors du Royaume-Uni : RAF Mount Pleasant Complex dans les îles Falkland, RAF Gibraltar, RAF Akrotiri à Chypre, et l’Ascension Island Base sur l'île de l'Ascension. Ces bases stratégiques permettent à la RAF de maintenir une présence internationale et de soutenir des opérations globales.

 

Engagements récentes et actuels de la British Army et de la RAF

La British Army a été impliquée dans divers engagements récents, notamment dans le cadre de ses obligations au sein de l'OTAN et de missions internationales, telles que les exercices militaires en Europe de l'Est ou en Finlande ( Steadfast Defender 2024 ), et son rôle de soutien à l'Ukraine face à l'agression russe[xv]. L'armée britannique est toujours présente au Moyen-Orient, en particulier pour soutenir les efforts de lutte contre le terrorisme, notamment contre des groupes comme ISIS. À travers l’opération Shader, les forces britanniques apportent de la formation et du soutien aux forces locales en Irak et ont également une présence en Syrie, se concentrant sur la collecte de renseignements, le soutien aérien et les opérations au sol[xvi]. Ce type de déploiement nécessite une grande flexibilité que peu d’armées dans le monde peuvent se vanter de posséder. Ces engagements montrent l’adaptabilité de l'armée britannique, qui continue de mener des opérations dans des environnements variés, en intervenant contre des acteurs essentiellement non étatiques. Toutefois, la British Army éprouve des difficultés notables de par ses ressources limitées et la pression exercée par des engagements multiples à travers le monde, ce qui rend la gestion de ses effectifs et de ses matériels d’autant plus difficile[xvii].

À l’instar de l’armée française, qui comme elle à les savoir-faire et la technologie mais n’a pas de ressources suffisantes tant en termes de budget, d’équipements que d’hommes, l’armée britannique reste une armée modelée pour des conflits de faible intensité dans un contexte de supériorité technologique contre un adversaire nettement plus faible. L'armée manque de matériels de soutien et souffre d'une réduction de personnel qui complique la gestion de ces missions. Outre la baisse des budgets alloués à la défense, le recrutement est à la peine. Dans une interview accordée au Times, le ministre de la défense britannique John Healey souligne que les objectifs de recrutement sont manqués chaque année, en ajoutant que « nos forces ont perdu 300 militaires à temps plein de plus que ce qu’elles recrutaient, chaque mois » en 2023[xviii]

La Royal Air Force a été impliquée dans plusieurs engagements récents, principalement dans le cadre d'opérations internationales de maintien de la sécurité et de lutte contre le terrorisme, tout en contribuant à des missions de défense nationale[xix]. Parmi ses engagements, l'opération Shader continue depuis 2014, où la RAF soutient la coalition contre Daesh en Irak et en Syrie, en effectuant des frappes aériennes et en fournissant un soutien logistique et de renseignement. De plus, la RAF joue un certain rôle dans la protection de l'espace aérien européen, avec des déploiements réguliers en Estonie et en Roumanie dans le cadre de l'opération Biloxi, en soutien aux opérations de l’OTAN[xx]. En outre, la RAF s'engage dans diverses manœuvres internationales, telles que l'Exercice Pitch Black en Australie et l'Exercice Cobra Warrior au Royaume-Uni, visant à améliorer l'interopérabilité avec des alliés et ses capacités dans le combat air-air[xxi].

Cependant, comme la British Army, la RAF doit faire face à des pressions budgétaires et aux réductions de personnel et d'équipement, ce qui complique parfois sa capacité à répondre à certaines exigences opérationnelles à long terme. Ces contraintes de ressources incitent les autorités militaires britanniques à externaliser le recrutement de personnel, y compris celui des pilotes, en faisant appel à des cabinets de conseil étrangers tels que Boston Consulting Group[xxii].

 

Les problèmes de recrutement au sein des forces armées du Royaume-Uni

Selon le site officiel du recrutement pour l’armée du Royaume-Uni, l’institution se veut inclusive de toute minorité. Elle souhaite se dresser telle une institution qui donne l’exemple en matière d’inclusion et de respect des différences culturelles, religieuses et raciales. L’armée met en avant un code de leadership “solide” ainsi qu’une culture militaire favorisant la diversité, l’équité et l’inclusion.

La crise du recrutement 

Les forces armées britanniques du Royaume-Uni ont historiquement souffert d’une véritable crise de recrutement et d’effectifs. Selon le ministère de la Défense, le recrutement a chuté de 32% et les effectifs de l’armée britannique ont baissé de 28%[xxiii]. Des chiffres ayant mené le Parlement britannique a affirmer que le pays n’est malheureusement pas en capacité de mener une guerre totale. Les raisons de cette baisse significative des demandeurs d’emploi pour les métiers militaires sont multiples[xxiv]. Le salaire ne serait pas suffisamment attractif, l’emploi militaire ne serait pas compatible avec une vie de famille, que la garde des enfants poserait un problème, qu’il n’y aurait pas suffisamment d’opportunités professionnelles civiles au terme d’une carrière militaire, où que les militaires ne seraient pas satisfaits des conditions de travail.

Afin de pallier les difficultés de recrutements, les autorités militaires effectuent un ciblage plus prononcé d’une certaine partie de la population, les 16-34 ans. L’objectif est clairement de recruter parmi les plus jeunes sujets de Sa Majesté, ceux qui ne sont en général pas investis dans une vie de famille et qui ont les salaires les plus faibles. L'armée s’adonne également à augmenter le taux de conversion à la suite d’un passage au sein du corps. Finalement le ministère de la Défense ne semble pas chercher à trouver de solutions directes aux critiques qui émanent du sondage. Cette déconnexion de la réalité n’est pas favorable à l’inversement des statistiques de recrutement, bien au contraire.

Les minorités à l’épreuve du recrutement 

Les services militaires proposent notamment des repas halal, la possibilité de faire les cinq prières par jour, le ramadan (...) pour les musulmans pratiquants. Derrière ces mots se cache cependant une diversité ethnico-culturelle très inférieure aux attentes. En effet, seuls 9.9% des effectifs des forces armées sont issus des minorités, ce chiffre n’étant que de 6.1% en ce qui concerne la réserve militaire[xxv]. L’incohérence est encore plus évidente lorsque sont analysées les statistiques des officiers issus des minorités non-blanches. Ils ne sont en effet que 2.5% à être officiers, soit 4 fois moins représentés qu’au sein du corps militaire total[xxvi]. En revanche, les minorités sont davantage représentées dans le corps des gradés inférieurs aux officiers, avec 8.8%.

L’armée ne bénéficie que d’une proportion de 0.54% de recrues musulmanes alors que cette minorité représentait, en 2014, 4.4% de la population britannique. Plusieurs théories sont avancées pour expliquer ce phénomène. La plus douce soumet l’inadéquation entre la religion musulmane et l’esprit militaire[xxvii]. La seconde hypothèse serait liée à l’implication de l’armée dans des conflits impliquant des musulmans, le Guardian citant notamment la guerre en Irak et en Afghanistan. La dernière hypothèse serait liée à des discriminations durant les phases de recrutement. Concernant la minorité d’origine africaine ou caribéenne, il est difficile de déceler si discrimination il y a, cependant seuls 6.7% des effectifs militaires du pays s’identifient comme noirs[xxviii]. Il semblerait donc que ces minorités soient sous-représentées et la cause nous est étrangère. Par crainte des discriminations ? Ou par absence de sentiment suffisamment fort d’appartenance à la nation ? 

Après avoir dressé un panorama des ressources humaines, des équipements et des opérations récentes de la British Army et de la Royal Air Force, il convient désormais de se concentrer sur un autre pilier central de la défense britannique : sa capacité nucléaire. Au cœur de la stratégie dissuasive du Royaume-Uni, cette force repose sur des infrastructures, des vecteurs, et une doctrine qui s'inscrit dans un cadre international marqué par une forte coopération avec les États-Unis.  Plusieurs axes seront étudiés : le programme de dissuasion nucléaire, ses principales composantes, la politique nucléaire en vigueur, les efforts de modernisation actuellement entrepris, les coopérations internationales dans ce domaine, ainsi que les coûts associés à cette politique de défense. Une telle approche permettra de mieux cerner le rôle de l'arsenal nucléaire britannique dans la politique de puissance du pays et ses enjeux, à l'échelle nationale et internationale.

 

La Force Nucléaire Britannique : Stratégie, Composantes et Enjeux

L’ancien premier ministre britannique Rishi Sunak déclarait « Dans un monde plus dangereux et plus contesté, la dissuasion nucléaire en mer du Royaume-Uni est plus vitale que jamais ». [xxix]

Programme de dissuasion nucléaire à diverses composantes

Le Royaume-Uni maintient une force de dissuasion nucléaire basée exclusivement sur des sous-marins. Cette force, connue sous le nom de "Continuous At-Sea Deterrent" (CASD), est opérationnelle depuis 1969.

Ce programme est constitué de :

  • Sous-marins lanceurs d'engins : le Royaume-Uni dispose actuellement de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de classe Vanguard, basés à Faslane en Écosse, qui assurent une présence permanente en mer : HMS Vanguard, HMS Victorious, HMS Vigilant et HMS Vengeance.
  • Missiles : les sous-marins sont équipés de missiles balistiques Trident II D5 d'origine américaine. Chaque sous-marin peut emporter jusqu'à 16 missiles.

  • Ogives nucléaires : le Royaume-Uni possède un stock estimé à environ 225 ogives nucléaires. Cependant, le gouvernement britannique a annoncé en 2021 son intention d'augmenter ce plafond à 260 ogives.[xxx]

 

Une politique nucléaire à double face

Le Royaume-Uni maintient une politique de "dissuasion minimale". Il s'est engagé à ne pas utiliser ou menacer d'utiliser des armes nucléaires contre des États non nucléaires parties au Traité de non-prolifération nucléaire.[xxxi] Cependant, depuis la guerre en Ukraine en 2022, le Royaume Uni remet l’accent sur la sécurité énergétique. Le pays veut investir près de 900 millions d’euros supplémentaires d’investissements privés ou publics pour renforcer la dissuasion nucléaire nationale ainsi que son industrie civile.

A ce titre, le Royaume-Uni a lancé un programme de modernisation de sa force de dissuasion nucléaire: 

  • Remplacement des sous-marins Vanguard par une nouvelle classe de SNLE, les sous-marins Dreadnought, dont le premier devrait entrer en service au début des années 2030.

  •  Développement d'une nouvelle ogive nucléaire en collaboration avec les États-Unis.

Une coopération internationale nécessaire pour le nucléaire militaire britannique

Le Royaume-Uni, pour continuer à être une puissance nucléaire, s'appuie fortement sur des partenariats internationaux pour maintenir et moderniser ses capacités nucléaires militaires. L'un des piliers de cette coopération réside dans la relation spéciale qu'il entretient avec les États-Unis. Ce partenariat est particulièrement visible dans l'achat et la maintenance des missiles balistiques Trident, qui constituent la base de la dissuasion nucléaire britannique.[xxxii] Ces missiles, déployés à bord des sous-marins de classe Vanguard, sont intégralement fabriqués et régulièrement modernisés grâce au soutien technique américain. En outre, le programme de Trident inclut des échanges approfondis de données, d'expertise et de technologies entre les deux nations, illustrant une interdépendance stratégique.

Au-delà de cette relation transatlantique, le Royaume-Uni a également intensifié sa coopération avec la France, autre puissance nucléaire européenne. Cette collaboration s'est notamment concrétisée par la création de projets communs tels que le programme Teutates, qui vise à partager des infrastructures de recherche et de simulation. Ce programme repose sur des installations conjointes, comme le centre de modélisation des armes nucléaires situé à Valduc en France et Aldermaston au Royaume-Uni. Ces initiatives permettent aux deux nations de simuler et d'évaluer le comportement des têtes nucléaires[xxxiii] sans recours à des essais physiques, tout en réduisant les coûts. 

Ces collaborations internationales ne sont pas uniquement des choix stratégiques : elles répondent également à des contraintes financières et technologiques. Développer et maintenir une force de dissuasion nucléaire autonome serait extrêmement coûteux et complexe pour le Royaume-Uni seul… En s'appuyant sur des alliés proches, le Royaume-Uni cherche à garantir la fiabilité et la modernisation de son arsenal tout en consolidant des alliances géopolitiques. Cependant, cette dépendance internationale soulève des interrogations sur la prétendue autonomie stratégique de la dissuasion britannique. En effet, ces partenariats impliquent une forme de dépendance technologique et politique vis-à-vis des alliés, notamment des États-Unis. 

 

Une politique nucléaire militaire coûteuse 

Les différentes modernisations et le programme Dreadnought, estimé récemment à plus de 41 milliards de livres, pèsent lourdement sur le budget de la défense britannique dans un contexte de réductions budgétaires. De plus, le National Audit Office (NAO), un organe indépendant travaillant pour le Parlement britannique, avait rendu un rapport en 2018 dénonçant la fragilité du programme. Ces coûts font donc fortement débat mais cela a aussi des retombées positives sur l’industrie de défense britannique car ils soutiennent l’emploi et maintiennent l’expertise stratégique dans les BITD. 

Après avoir défini et apprécié les capacités nucléaires du Royaume-Uni et les enjeux stratégiques qu’elles soulèvent, il est pertinent d’élargir le cadre de réflexion pour aborder la politique de défense britannique dans son ensemble. À l'heure de l'ère de l'information et face à des menaces géopolitiques et technologiques croissantes, le Royaume-Uni cherche à adapter sa posture et à renforcer ses atouts. Cette politique s’articule autour de plusieurs priorités : tirer parti des opportunités offertes par la révolution numérique, promouvoir la présence internationale de son industrie de défense, garantir sa souveraineté industrielle et opérationnelle, tout en naviguant dans un contexte de tensions croissantes avec des acteurs comme la Russie, notamment dans des formes de guerre non déclarées. Une analyse détaillée de ces axes permettra de comprendre comment le Royaume-Uni ambitionne de préserver son influence et sa sécurité dans un monde en mutation rapide.

 

Quelles perspectives pour la politique de défense britannique ?

En avril 2024, lors de sa visite à Varsovie, le Premier ministre britannique de l’époque, Rishi Sunak, a annoncé une augmentation significative du budget militaire, visant à atteindre 2,5% du PIB d’ici 2030. En 2024, les dépenses de défenses s’élèvent à 57,1 milliards de livres sterling. Elles augmenteront de 2,9 milliards dès l’année suivante. Cette hausse intervient dans un contexte de pressions géopolitiques croissantes et d’épuisement des stocks militaires, notamment en raison des envois massifs d’équipements à l’Ukraine. Bien que cette initiative ait été qualifiée de “renforcement le plus significatif de notre défense nationale depuis une génération”, son annonce soulève des interrogations sur la cohérence stratégique à long terme et sur la viabilité économique d’une telle ambition dans un environnement marqué par des contraintes budgétaires persistantes.[xxxiv]

La modernisation des forces armées britanniques s’inscrit dans une logique de transformation structurelle, visant à à privilégier une armée plus agile et technologiquement avancée au détriment des effectifs. Cette approche, bien qu’en ligne avec les tendances observées dans d’autres puissances militaires, pose question : une réduction des effectifs à environ 73 000 soldats d’ici 2025 permettra-t-elle réellement de maintenir la capacité opérationnelle face à des menaces hybrides et asymétriques croissantes ? Par ailleurs, les choix budgétaires semblent refléter un arbitrage délicat entre le renouvellement des capacités conventionnelles et l’investissement dans des technologies de rupture.[xxxv] Cette décision s’inscrit dans un cadre plus large de modernisation et de révision des priorités stratégiques du Royaume-Uni dans le secteur de la défense, articulé autour du rapport “Stratégie industrielle de la défense et de la sécurité” de 2021 : amélioration technologique, compétitivité à l’export et renforcement de la résilience. Cependant, l’enjeu demeure de traduire ces objectifs en actions concrètes tout en équilibrant les contraintes internes et les attentes internationales, notamment celles des alliés de l’OTAN. La question fondamentale reste donc de savoir si ces initiatives permettront au Royaume-Uni de retrouver un rôle de premier plan dans un ordre mondial en pleine recomposition ou si elles ne feront qu’accentuer les dilemmes liés à sa posture stratégique. 

 

Une politique de défense pour l’ère de l’information

Le ministère de la Défense britannique prévoit d’encourager l’innovation technologique, avec un budget alloué de 6,6 milliards de livres sterling pour la recherche et le développement sur quatre ans. Cette initiative traduit une volonté claire de maintenir une supériorité technologique face à des adversaires de plus en plus compétents. Cette démarche vise à accélérer la transition vers une force intégrée à l’ère numérique, capable d’exploiter efficacement les données, la numérisation et les technologies de pointe plus rapidement que ses adversaires.

Le ministère prévoit également d’améliorer la transparence sur ses priorités technologiques et les besoins futurs pour renforcer la confiance avec l’industrie. Il s’engage à communiquer de manière claire et précise pour instaurer une relation de confiance avec l’industrie et encourager les investissements dans la recherche, le développement et l’innovation. Il prévoit également de publier une nouvelle stratégie de collaboration et d’engagement en matière de science et de technologie de défense. Cette initiative inclura des feuilles de route détaillées pour l’avancement des projets, permettant ainsi à l’industrie de mieux comprendre les priorités gouvernementales et d’orienter ses investissements en conséquence. Par ailleurs, le ministère s’engage à renforcer sa coopération avec l’industrie dans les années à venir pour maintenir la compétitivité mondiale du Royaume-Uni. Il souhaite également promouvoir une collaboration plus étroite avec le monde universitaire. L’initiative Academic Pathways vise à améliorer la communication entre le ministère de la Défense et le milieu universitaire pour stimuler la recherche dans des domaines stratégiques pour la défense. Cette initiative prévoit de fournir aux universitaires des demandes d’action précises émanant des différents départements du ministère, afin de s’assurer que les recherches académiques répondent aux besoins concrets de la défense et favorisent le développement de nouvelles capacités.

 

Dans cet objectif de promouvoir l’innovation technologique, le ministère de la Défense s’efforce d’accroître son soutien aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) du secteur de la défense. L’objectif est de stimuler l’innovation et la compétitivité, tout en favorisant l’émergence de technologies de pointe pour répondre aux défis de sécurité futurs. Par exemple, une des initiatives consiste à élargir le programme Access to Mentoring and Finance, conçu pour soutenir les PME qui ont démontré un fort potentiel. Ce dispositif vise à accompagner ces entreprises dans la transformation de leurs innovations en produits commercialisables. Outre un mentorat personnalisé, il leur offre un accès privilégié à des prêts, des fonds d’investissement et à l’expertise de professionnels du secteur. [xxxvi]

 

Renforcer la présence internationale de l’industrie de défense britannique

En matière d’exportations, le Royaume-Uni se positionne comme le deuxième exportateur mondial de produits de défense, juste derrière les États-Unis. Toutefois, il reste quasiment absent des marchés de 17 des 20 principaux importateurs mondiaux de défense. Pour remédier à cette situation, le gouvernement prévoit de déployer diverses initiatives visant à renforcer la stratégie britannique dans ce domaine. Le gouvernement entend accompagner les industries dans leur conquête de nouveaux marchés en améliorant l’utilisation du renseignement de marchéEn combinant des informations en sources ouvertes avec une analyse approfondie du contexte géopolitique et sécuritaire mondial, le gouvernement cherche à identifier de nouvelles opportunités de vente de produits et services de défense. Le Royaume-Uni prévoit également de moderniser son système de licences d’exportation. Tout en conservant un cadre rigoureux pour les armes et les technologies à double usage, le gouvernement cherchera à améliorer la transparence et l’expérience client pour les exportateurs. L’Export Control Joint Unit (ECJU) est chargé de la mise en œuvre d’un programme de transformation destiné à atteindre ces objectifs.

Parallèlement, le Royaume-Uni, avec sa politique d’investissement étranger parmi les moins restrictives du G20, se positionne comme une destination attrayante pour les entreprises internationales. Conscient de l’importance de ces investissements pour stimuler l’innovation et la croissance économique dans le secteur de la défense, le gouvernement met l’accent sur la nécessité de protéger les technologies sensibles contre les menaces malveillantes. Pour concilier cette ouverture économique avec la protection de ces technologies sensibles, le Royaume-Uni envisage plusieurs mesures. Parmi celles-ci, la création d’une Investment Security Unit dédiée à la protection des infrastructures et technologies critiques contre les acquisitions hostiles.[xxxvii] En parallèle, le pays cherche à renforcer ses partenariats stratégiques dans le domaine de la défense, notamment avec l’OTAN, tout en élargissant sa coopération avec des alliances telles que les Fives Eyes, l’OACI, l’accord de la Lettre d’intention et la Force expéditionnaire conjointe. [xxxviii]

 

Garantir la souveraineté industrielle et opérationnelle 

Le ministère de la Défense met l’accent sur le renforcement de la résilience de la base industrielle de défense pour les années à venir. L’objectif est d’assurer à l’armée britannique un accès fiable aux équipements et capacités nécessaires, à la fois à court et long terme. Cela inclut notamment la diversification des chaînes d’approvisionnement afin de réduire la dépendance à l’égard d’un seul fournisseur ou d’une seule région. À cette fin, le ministère de la Défense met en œuvre plusieurs mesures clés. Il s’engage à cartographier les chaînes d’approvisionnement critiques pour identifier et atténuer leurs vulnérabilités, à diversifier les sources d’approvisionnement afin de limiter les dépendances, et à investir dans un programme d’innovation destiné à renforcer la compétitivité et la productivité du secteur de la défense britannique. [xxxix]

 

La guerre non déclarée du Royaume-Uni avec la Russie

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, les relations entre la Grande-Bretagne et Moscou se sont encore détériorées. Londres s’est imposée comme l’un des principaux soutiens militaires de Kiev, fournissant des armes et condamnant fermement l’agression russe sur la scène internationale. Cette hostilité s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes depuis plusieurs années, marqué par des évènements tels que l’annexion de la Crimée en 2014, l’empoisonnement de Sergueï Skripal à Salisbury en 2018, ainsi que les cyberattaques et les campagnes de désinformation attribuées au Kremlin. Ces actions ont renforcé la perception de la Russie comme une menace majeure pour la sécurité nationale et européenne, poussant Londres à adopter des sanctions économiques strictes et à intensifier ses mesures de défense.

Parallèlement, le sentiment antirusse s’est amplifié au sein de la population britannique, nourri par les scandales politiques, les ingérences électorales présumées, et la guerre en Ukraine. Cette méfiance se traduit par des critiques dans les médias et une solidarité accrue avec les alliés européens face à l’agression russe.[xl]

Les racines de cette inimitié sont cependant bien plus anciennes. La guerre de Crimée (1853-1856), où la Grande-Bretagne s’est alliée à la France pour soutenir l’Empire ottoman contre la Russie, et le “Grand Jeu” pour le contrôle de l’Asie centrale au XIXe siècle ont posé les jalons d’une rivalité durable. Cette tension a été exacerbée par la révolution bolchevique de 1917, perçue comme une menace existentielle par les élites britanniques. Londres a activement participé à l’intervention militaire contre-révolutionnaire entre 1918 et 1919, dirigeant plus de la moitié des forces alliées engagées. 

Tout au long des décennies suivantes, la peur d’une contagion révolutionnaire, notamment lors de la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne, a alimenté un profond sentiment antirusse parmi les cercles dirigeants, consolidant une méfiance qui perdure aujourd’hui. Le 20 novembre 2024, les forces ukrainiennes ont utilisé pour la première fois des missiles longue portée Storm Shadow, fournis par le Royaume-Uni, contre des cibles russes. En réaction, l’ambassadeur russe à Londres, Andreï Kelon, a déclaré que cette action place désormais le Royaume-Uni en situation de “participation directe” au conflit opposant la Russie à l’Ukraine. Ces missiles, de plus longue portée jamais livrés à Kiev, soulignent le rôle central du Royaume-Uni dans le soutien occidental à l’Ukraine.[xli]

La politique de défense britannique s'appuie sur des piliers stratégiques, parmi lesquels la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) occupe une place de premier plan. Considérée comme un levier essentiel de souveraineté et d'innovation, la BITD ne se limite pas à fournir des équipements militaires : elle traduit une ambition économique et technologique intégrée à la stratégie nationale. La section suivante s’attachera à explorer le rôle de la BITD en analysant ses contributions à la souveraineté et à l’innovation, en identifiant ses secteurs et acteurs clés, et en évaluant les répercussions du Brexit sur cette industrie vitale pour le Royaume-Uni.

 

La place de la BITD dans la stratégie de défense du Royaume-Uni

La BITD se définit comme l’ensemble de l’industrie qui contribue au fonctionnement opérationnel et courant de l’armée. Elle se subdivise le plus souvent en trois secteurs industriels que sont : la production d'équipement militaire létal, d'équipement non létal, et de produits courants.

Entre souveraineté et innovation

Le gouvernement Starmer a annoncé en 2024 vouloir développer une BITD dont la stratégie alignerait les priorités sécuritaires et économiques du pays grâce à des chaînes d’approvisionnement résilientes donnant la priorité aux entreprises britanniques pour l’octroi de marchés publics. La nouvelle stratégie du pays s’articule autour de trois objectifs : l’innovation, la résilience et une meilleure intégration de la BITD, plus proche des besoins des armées. Une stratégie qui tente de pallier quatorze années de sous-financement des armées en accordant désormais 2.5% du PIB au secteur de la défense[xlii].

Ainsi le pilier des objectifs à long-terme du Royaume-Uni en matière de sécurité nationale et de politique étrangère repose sur sa BITD. En mars 2021, le Secrétaire d’État à la Défense présentait une nouvelle stratégie industrielle de défense et sécurité, visant à privilégier l’industrie britannique plutôt qu’une approche libérale, lorsque des impératifs de sécurité l’exigent [xliii]. Le gouvernement a donc identifié deux catégories d’industries dans lesquelles le Royaume-Uni doit conserver des capacités de production souveraines sur terre : la catégorie stratégique (nucléaire, sous-marins, cyber et clés de cryptage) et la catégorie « indépendance opérationnelle », qui comprend les armes complexes, les armes nouvelles, la construction navale, les essais et les armes CBRN[xliv].

Cependant en raison de la conjoncture des dernières années, passant par le Brexit, le Covid-19 et la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni peine à mettre en place sa nouvelle stratégie en matière de BITD… En effet, le pays demeure encore dépendant des industries étrangères dans de nombreux secteurs d’activités et les pénuries de matériel militaire en tout genre sont récurrentes. Il en ressort qu’en raison du contexte militaire en Ukraine, la collaboration avec ses alliés s’est davantage développée, mettant à mal l’exécution de ladite stratégie. En 2019, les activités de la BITD mobilisaient 434 000 employés au Royaume-Uni, le Ministry of Defence (MoD) soutenant que ses investissements permettaient de soutenir près de 207 000 emplois dans l’industrie nationale[xlv]. Cependant, le Brexit et les restrictions à la libre circulation compliquent le recrutement, malgré un nouveau système d’immigration et l’objectif du gouvernement de positionner le pays comme un « hub d’innovation et de talents internationaux ».

A l’heure actuelle, le pays souhaite apporter un soutien indéfectible à l’innovation dans les secteurs de l’IA, des technologies quantiques[xlvi] et des capacités spatiales. Celles-ci génèrent des retombées positives dans l’ensemble de l’économie et soutiennent les secteurs stratégiques dans lesquels le Royaume-Uni peut développer un avantage comparatif grâce à la stratégie industrielle. En somme, si le Royaume-Uni parvient à mettre en exergue sa stratégie en matière de BITD, le pays devrait gagner en souveraineté militaire et bénéficier d’un développement économique accru. En effet, le Royaume-Uni souhaite que le développement économique lié à la BITD profite à toutes les régions du pays. Une réflexion ambitieuse qui semble difficilement applicable.

 

Secteurs et acteurs clés

D’après le groupe ADS qui rassemble les professionnels britanniques de l’aérospatial, de la défense, de la sécurité et de l’espace, le secteur aérospatial, exportant 94 % de sa production, est le plus lucratif avec un chiffre d’affaires de 33,9 milliards de livres sterling (39,4 milliards d’euros). Les activités militaires y contribuent à hauteur de 25 %, soit 8,5 milliards de livres (9,9 milliards d’euros), contre 24,4 milliards (28,5 milliards d’euros) pour la défense, 14,5 milliards (16,9 milliards d’euros) pour la sécurité et 14,8 milliards (17,2 milliards d’euros) pour l’industrie spatiale[xlvii].

Les grandes entreprises britanniques de la BITD, telles que QinetiQ, BAE Systems, Babcock et Rolls-Royce, occupent une place majeure sur le marché et brillent à l’international par leurs exportations[xlviii]. Par exemple, BAE Systems participe à la conception et à la fabrication du fuselage arrière et des technologies électroniques du F-35 Lightning II, tandis que Rolls-Royce fournit la soufflante de la version F-35B et avait contribué au développement du turboréacteur F136.

Pour l’année 2019, la BITD britannique a généré 44 milliards de livres sterling (51,2 milliards d’euros) d’exportations. En 2018, BAE Systems, Leonardo, Rolls-Royce et MBDA ont lancé le programme Tempest, un futur système de combat aérien autonome prévu pour les années 2030. Actuellement, l’industrie britannique de l’aviation de combat soutient 18 000 emplois directs et des dizaines de milliers dans sa chaîne d'approvisionnement. D'après les classements du Stockholm International Peace Research Institute, BAE Systems et Rolls-Royce figurent parmi les 25 premières entreprises mondiales dans le secteur des armements et des services militaires. En 2019, BAE Systems, classée 7e, employait 124 000 personnes au Royaume-Uni, dont 50 000 dans sa chaîne de production[xlix].

Le Royaume-Uni prévoit des innovations dans certains domaines tels que les véhicules blindés de combat, les systèmes d’artillerie avancés et les aéronefs, afin de moderniser les forces armées britanniques dans un contexte de tension internationale.

 

Focus sur la structure organique de la BITD post-Brexit

La BITD se subdivise en trois piliers : la production d'équipement militaire létal, d'équipement non létal et les biens dits courants. 

En ce qui concerne les biens courants (vivres, médicaments, carburant, vêtements…), dans le contexte post-Brexit, l’armée britannique souffre de grands problèmes d’approvisionnements, le secteur étant en pleine mutation afin de répondre aux enjeux contemporains de réarmement et d’indépendance militaire.

Concernant le matériel non-létal, le Royaume-Uni souffre également de problèmes d’approvisionnement de matériaux critiques et de composants électroniques[l]. Afin de pallier ce phénomène, le pays appelle à augmenter la place des partenariats publics-privés[li] mais aussi les investissements dans les secteurs sensibles et sous tension. 

Dans le domaine du matériel létal, le Royaume-Uni connaît les mêmes problèmes que dans le domaine du matériel non-létal. Il faut constater des pénuries de munitions, des défaillances dans les chaînes d’approvisionnement et une crainte de carence en innovation. Les solutions mises en place sont des partenariats public-privés et l’appel aux investissements dans les secteurs stratégiques. Il faut porter le constat que le secteur des équipements militaires létaux est en pleine transformation afin de revenir sur des capacités opérationnelles de taille. Ce défi est mené avec un objectif de planification proactive des capacités d’approvisionnement de matériel.

 

Les conséquences du Brexit sur la BITD britannique

En 2018 les négociations sur le sort des relations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne débouchaient sur une forte collaboration dans les domaines de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense[lii]. Finalement, l’accord qui fut conclu avec l’Union Européenne a débouché sur un désengagement du Royaume-Uni des opérations et missions entreprises dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, pilier fondamental de l’UE. La Commission Européenne a cependant conclu que la coopération entre les deux entités devait apparaître dans les domaines de la sécurité et de la défense lorsque leurs intérêts convergent.

« Il est notamment prévu :

  • La collaboration du Royaume-Uni sur les projets actuels et futurs pertinents de l’Agence européenne de défense (AED) par le biais d’un accord administratif ;

  • La participation des entités candidates du Royaume-Uni à des projets de collaboration en matière de défense réunissant des entités de l’Union et bénéficiant d’un financement du Fonds européen de défense (FED) ; et

  • La collaboration du Royaume-Uni aux projets de Coopération structurée permanente (PESCO), lorsque le Conseil de l’Union européenne dans sa formation de PESCO l’invite à participer à titre exceptionnel. »[liii].

 

La conséquence directe du BREXIT pour le Royaume-Uni a été d’établir une nouvelle stratégie en matière de BITD. Depuis 2020, le secteur de la défense britannique, privé de son accès privilégié au marché européen, doit s'adapter à une nouvelle réalité et renforcer ses partenariats bilatéraux avec ses alliés. Le gouvernement de Boris Johnson (2019-2022) avait annoncé des investissements dans des domaines stratégiques tels que la cybersécurité, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et l’espace militaire, tout en poursuivant le développement de la lutte anti-sous-marine, ainsi que des armes hypersoniques et à énergie dirigée.

Par ailleurs, le Secrétaire d’État à la Défense a affirmé que le Royaume-Uni développait le programme Tempest, des hélicoptères d’attaque et un navire de surveillance océanique[liv]. Il a également identifié des secteurs stratégiques à réglementer pour les investissements étrangers, notamment la défense, l’espace et les technologies de pointe. Face aux tensions avec Washington, aux désaccords avec Bruxelles et aux impacts économiques du COVID-19, le pays dispose de ressources limitées, fragilisant sa BITD. Ces défis représentent toutefois une occasion de renforcer sa résilience et de définir une nouvelle stratégie militaire et économique pour consolider sa position sur le marché mondial de la défense.

Le Brexit n’a fait qu’accélérer le processus de privatisation de l’industrie de défense du Royaume-Uni. Pour des besoins croissants d’efficacité et d’innovation les pouvoirs publics ont décidé d’attribuer davantage de pouvoir au secteur privé[lv]. Afin de maintenir la compétitivité, les pouvoirs publics ont décidé de conserver une certaine concurrence internationale dans un certain nombre de domaines afin que les entreprises nationales ne perdent pas en force d’innovation. Ce processus de privatisation a conduit à une concentration de l’industrie de défense aux mains de trois acteurs clés : BAE Systems, Lockheed Martin et Boeing. Somme toute, le Brexit aurait dû rendre les relations entre le Royaume-Uni et l’UE plus rigides, cependant « grâce » au conflit en Ukraine la tendance pourrait définitivement se renverser au profit d’une alliance continentale européenne contre un ennemi commun, la Russie.


 


[i] Tossini, J. V.  A brief look at the British Defence Budget in the 1990sUK Defence Journal”. (2023, 15 juillet).

[ii] Tossini, J. V.  A brief look at the British Defence Budget in the 1990sUK Defence Journal”. (2023, 15 juillet).

[iii] Gouvernement britannique, National Security Strategy and Strategic Defence and Security Review 2015: A Secure and Prosperous United Kingdom. Octobre 2010.

[iv] Parlement britannique, Defence People: Recruitment and Retention in the Armed Forces.

[v] Dannatt, L. “We risk repeat of the 1930s unless we invest in our armed forces”, The Times, 19/01/2024.

[vi] Noël Dempsey, UK Defence Personnel Statistics,Parlement britannique, 21/11/2017.

[vii] International Institute for Strategic Studies (IISS), The Military Balance 2024 .

[viii]Defence Committee, Shifting the Goalposts: Defence Procurement and the Armed Forces, Sixth Report of Session 2019-21, Parlement Britannique, 2021.

[ix] Romanacce, T., “L’armée britannique n’a plus que 40 chars et quelques bateaux prêts pour une guerre”, Capital.fr, 7/07/2023. 

[x] Saw, D., “The British Army Artillery Renaissance – British Army Artillery”, European Security & Defence, 7/11/2022.

[xi] International Institute for Strategic Studies (IISS), op. cit.

[xii]Future Soldier: The British Army’s Future Workforce, Ministère de la Défense du Royaume-Uni, 11/2024.

[xiii] UK Defence Personnel Statistics, op. cit.Parlement britannique.

[xiv]“1990 - RAF Museum. RAF Museum”,Royal Air Force Museum, 13/01/2021.

[xv]A Breakdown of British Forces Deploying in Europe”, UK Defence Journal.

[xvi]“Operation Shader”, Royal Air Force (RAF).

[xvii] Editorial Team, “British Military Logistics”,Total Military Insight, 16/07/2024.

[xviii] Global Operations. Royal Air Force (RAF).

[xix] Global Operations. Royal Air Force (RAF).

[xx] “RAF Typhoons and Personnel Return from Op Biloxi in Romania”,Royal Air Force (RAF) 

[xxi] « En panne de pilotes, l'armée britannique se tourne vers le BCG ».Consultor.25/01/2023.

[xxii]Global Operations. Royal Air Force (RAF).

[xxiii] UK Regular Armed Forces Continuous Attitude Survey Results. 2023.

[xxiv] Marie-Joelle Theanna,“The MOD’s recruitment crisis : what is going on, Bolt Burton Kemp”,08/04/2024. 

[xxv] Accredited official statistics, UK armed forces biannual diversity statistics, 01/10/2022.

[xxvi] Dannatt, L.. “We risk repeat of the 1930s unless we invest in our armed forces”. The Times.19/01/2024.

[xxvii] Equality and human rights commission, 2024.

[xxviii] Questions raised about the diversity deficit in the upper ranks of the British army, aoav.org, 03/02/2022.

[xxix] “Nucléaire: Le Royaume-Uni va investir près de 900 millions d’euros supplémantaires” Latribune.fr 25/03/2024.

[xxx] Emmanuelle Maitre, “Vers un retour des armes nucléaires de l’OTAN au Royaume-Uni”, Fondation pour la recherche stratégique, 11/2023.

[xxxi] Xavier Bediolles, “Dépendances et interdépendances dans le secteur nucléaire britannique”, Open Editions, 2001.

[xxxii] Clément Arminjon, La coopération franco-britannique dans le domaine nucléaire et la relation avec les Etats-Unis, Centre de recherche supérieur de la marine, 11/2012.

[xxxiii] Clément Arminjon, La coopération franco-britannique dans le domaine nucléaire et la relation avec les Etats-Unis, Centre de recherche supérieur de la marine, 11/2012.

[xxxiv] Les Echos, Le Royaume-Uni renforce encore son budget militaire face aux nouvelles menaces, 24 avril 2024.

[xxxv] GOV.UK. “The Strategic Defense Review”.2021.

[xxxvi] HM Government. (2021). Defense and Security Industrial Strategy.

[xxxvii] HM Government. (2021). Defense and Security Industrial Strategy.

[xxxviii] HM Government. (2021). Defense and Security Industrial Strategy.

[xxxix] Le Monde. “Le Royaume-Uni et ses alliés accusent la Russie de multiples opérations de piratage et de manipulation”. 07/12/2023.

[xl] France Info. “Guerre en Ukraine : l’ambassadeur russe à Londres estime que le Royaume-Uni est désormais “directement impliqué” dans le conflit”.22/11/2024.

[xli] Defence Committee, Shifting the Goalposts: Defence Procurement and the Armed Forces, Sixth Report of Session 2019-21,Parlement britannique, 2021.

[xlii] “A Varsovie, Rishi Sunak annonce augmenter le budget de défense du Royaume-Uni et aider l’Ukraine” Euronews. 23/04/2024.

[xliii] Laetitia Cesari. La base industrielle et technologique de défense (BITD) britannique, Carnets de vols, 140, 2021, Le monde britannique.

[xliv] Jeremy Quiin, The Defense and Security Industrial Strategy update, Written Statement, 18/05/2022.

[xlv] Auteur non spécifié, “La base industrielle et technologique de défense (BITD) britannique”, HAL.science,2019.

[xlvi] Auteur non spécifié, “Brèves Numériques, Royaume-Uni, Minsitère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique”, 07/02/2024.

[xlvii] Laetitia Cesari, La base industrielle et technologique de défense (BITD) britannique, Carnets de vols, 140, 2021, Le monde britannique.

[xlviii] Howard Wheeldon Fraes, “UK defense compagnies – Rolls-Royce, BAE systems, Qinetiq, Marshalls ADG – winning more orders”,Battle-updates, 29/10/2020. 

[xlix] Laetitia Cesari. La base industrielle et technologique de défense (BITD) britannique. Carnets de vols, 140, 2021, Le monde britannique.

[l] Jean-Pierre Maulny, “Europe: Industrie d’armement à l’heure de l’économie de guerre”, Caia.net, 09/07/2024.

[li] Business AM, “Le Royaume-Uni dévoile une nouvelle stratégie de défense industrielle pour stimuler l’emploi et l’innovation”, fr.businessam, 03/12/2024.

[lii] M.Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret, “Défense européenne : le défi de l'autonomie stratégique”, Senat.fr, 2018-2019.

[liii] Murille,B.C.”Post Brexit”, Reviste Ejérictos, 05/08/2024.

[liv] Alex Roman, “La suède s’apprête à rejoindre le programme britannique Tempest”, Surfeo, 17/08/2024.

[lv] Sergeant J, “L’industrie de défense britannique: entre tropisme américain et logique européenne”, Observatoire de la société britannique, 2006