Offshore Leaks, Panama Papers, Paradise Papers, LuxLeaks… autant de noms affiliés aux révélations sur l’opacité des paradis fiscaux. Depuis une dizaine d’années, les révélations se succèdent à la Une de la presse internationale pour dévoiler les dessous de l’évasion fiscale. Le 8 Février 2021 dernier, « Les décodeurs » du Monde et seize autres médias partenaires internationaux, ayant mené une enquête d’investigation de plus d’un an, publient OpenLux en révélant l’ampleur des manœuvres d’évasion et d’optimisation fiscales réalisées au Luxembourg et l’accusant d'être un paradis fiscal au coeur de l'Union Européenne.
Les membres du consortium international de médias à l'origine de l'attaque informationnelle
Les « décodeurs » sont une équipe de treize journalistes du quotidien le Monde. Depuis 2009, Ils publient un blog avec un outil appelé Décodex qui permet de vérifier les informations qui circulent sur Internet. L’équipe « des décodeurs » du Monde pilote un consortium international constitué de seize autres médias internationaux, dont Süddeutsche Zeitung en Allemagne, un des trois grands quotidiens allemands de tendance libérale de gauche, le Soir, un quotidien généraliste belge, de tradition libérale et historiquement au centre de l'échiquier politique belge, McClatchy aux Etats-Unis, l’hebdomadaire Woxx au Luxembourg, IrpiMedia en Italie, et le consortium de journalistes d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project, un regroupement de journalistes d'enquête qui ont travaillé sur différentes zones géographiques et différentes thématiques dont la corruption et le crime organisé.
Le Luxembourg comme cible
Le Grand-Duché du Luxembourg est le plus petit des États membres de l’Union Européenne après Malte. Il compte 614000 habitants, avec un PIB par habitant de 79 593 dollars le classant en deuxième position au classement mondial derrière le Qatar. Ancienne puissance métallurgique, le Luxembourg s’est spécialisé dans la finance et attire un grand nombre d’investisseurs avec son triple A, la notation maximale concédée par les agences de notation financière aux institutions publiques et aux entreprises, au regard de leur capacité à rembourser les titres émis. Le Luxembourg jouit également d’une stabilité politique et fiscale et d’un environnement économique favorable. La dette du Luxembourg est à ce jour de 27 % comparée à celle de la France proche des 120 %. Le Luxembourg est l'un des cinq premiers pays européens à avoir mis en place un registre des bénéficiaires effectifs (RBE) qui permet d'identifier les personnes physiques réellement bénéficiaires d'une société afin de se conformer à la plus récente directive européenne anti-blanchiment européenne LCB-FT portant sur la transparence financière.
OpenLux, révélation de montages financiers d'optimisation fiscale via le Luxembourg
L'enquête OpenLux, contrairement aux enquêtes similaires passées, telles que LuxLeaks, Panama Papers ou Malta Files, ne s'appuie pas sur une fuite de données obtenue à l'aide de lanceurs d'alerte. Elle repose sur le téléchargement automatisé et massif appelé web scraping. A partir des 3,3 millions de documents rendus publics à travers des bases de données luxembourgeoises, les décodeurs ont ainsi pu exploiter le registre du commerce et des sociétés (RCS) et surtout le registre des bénéficiaires effectifs (RBE). Les enquêteurs du Monde et leurs partenaires média ont ainsi mené une analyse micro-économique et ont dévoilé pour la première fois l’identité des propriétaires et la nature des actifs. Ils ont également dénoncé le statut de paradis fiscal du Luxembourg, véritable centre financier offshore à mi-chemin entre la City de Londres et les îles Vierges britanniques, dopé par sa politique en matière de fiscalité en décrivant les différents montages financiers. Sur la période 2018-2019, 6.500 milliards d'euros d'actifs auraient été placés dans ces sociétés "offshore", soit plus de 100 fois le PIB 2019 de ce pays de 600.000 habitants, troisième centre financier d'Europe après Londres et Zurich. L’attaque informationnelle révèle également que près de 15.000 Français ou entreprises ont créé une société au Luxembourg pour échapper à l’impôt, pour un total de 100 milliards d’euros et que des hommes politiques, des célébrités, des Sociétés multinationales, des familles royales ont fait passer de l’argent par le Luxembourg pour réduire leurs impôts et éviter ainsi tout contrôle. L’enquête démontre aussi que les fonds suspects ont des origines variées (mafia italienne, banditisme russe, parti d’extrême droite italien, marchés publics viciés par des proches du régime vénézuélien).
Déni luxembourgeois
Via Twitter, le gouvernement luxembourgeois a tenté de se justifier et a démenti le jour même de la publication de l’enquête du Monde les allégations des médias internationaux selon lesquelles le pays restait un énorme paradis fiscal. Dans sa communication, l’exécutif luxembourgeois s’est défendu en mettant en avant le fait qu’il évaluait et actualisait en permanence son architecture de surveillance et son arsenal de mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le Grand-Duché a également ajouté être "pleinement conforme à toutes les réglementations européennes et internationales concernant les normes de transparence". Pour compléter sa défense, le gouvernement a également souligné avoir renforcé les effectifs et les actions de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) dont le nombre d'employés aurait doublé en sept ans. En dernier point, l’exécutif luxembourgeois s’est dit ouvert à toutes les enquêtes d'autorités en charge de vérifier sa probité en matière de respect de la réglementation fiscale. En réponse à l’attaque informationnelle, les services du gouvernement luxembourgeois avaient réservé le nom de domaine Openlux.lu afin de publier l’attachement du Luxembourg aux règles communautaires et de se revendiquer être l’un des premiers pays à « avoir opté pour un registre ouvert et transparent, accessible en ligne gratuitement, sans aucune restriction au public ».
Silence des médias et du gouvernement français
L’attaque informationnelle contre le Luxembourg a pointé le caractère régional des paradis fiscaux en mettant notamment en avant Les Français en tête des utilisateurs de l’opacité luxembourgeoise avec 17 000 sociétés et « 37 des 50 familles françaises les plus fortunées structurant leur groupe, leur patrimoine et leurs investissements à travers des dizaines de holdings luxembourgeoises. La plupart des médias français (Télévision, presse écrite, …) n’a pas réagi à l’attaque informationnelle OpenLux. L'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne relève que de nombreux médias français (TF1, BFM TV, Le Parisien, Le Figaro ou Le Point) ont peu couvert l’enquête OpenLux du fait que leurs propriétaires étant eux-mêmes propriétaires de sociétés offshore au Luxembourg. En France, le secteur de la presse est un grand Monopoly. 90 % des quotidiens nationaux vendus chaque jour appartiennent à 10 oligarques du BTP, de l’armement, du luxe ou de la téléphonie, ayant accaparé les grands quotidiens nationaux, les chaînes de télévision et les radios, pour asseoir leur influence. Quant au gouvernement français et aux autres Etats européens visés, la prégnance du lobby financier pèse sur eux car ce sont les marchés financiers qui les financent.
En définitive, l’attaque informationnelle menée par les journalistes du Monde et leurs 16 partenaires médias n’a pas suscité de véritable réaction malgré le manque à gagner de 20 milliards pour la France estimé par l’économiste Gabriel Zucman, signataire d’une tribune dans le Monde avec 13 autres économistes appelant l’Union Européenne à créer d’urgence un cadastre financier européen pour plus de transparence. L’harmonisation fiscale européenne est en en ligne de mire … et la question de l’extinction de la souveraineté des Etats en matière de fiscalité est soulevée. Il convient certainement de prendre un peu de recul pour constater que les précédentes attaques informationnelles menées par le consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), ont apporté des changements légaux ou réglementaires et depuis une dizaine d'années, les règles de fiscalité internationale ont évolué grâce à la coopération fiscale et qui s’est traduite par exemple par la fin du secret bancaire.
Jérôme Volclair