Abidjan, la capitale économique de la Cote d’Ivoire représente 20% de la population du pays avec plus de 5 millions d’habitants. Avec une densité de 14 500 habitants au km2, c’est un véritable défi de décongestion de cette agglomération au regard du niveau de faiblesse du système de transport public. Les Abidjanais passent plusieurs heures par jour dans les embouteillages et cette situation a un impact négatif sur la fluidité des activités économiques. Afin de juguler cet épineux problème de Traffic, un impressionnant projet de train urbain dénommé « LE METRO D’ABIDJAN » a vu le jour.
Chronologie d’un projet ambitieux qui tarde à venir
Au lendemain de la crise post-électorale de 2010, le pays a lancé un appel d’offres international pour la construction de la première ligne de train urbain de 37 km du nord au sud de la ville. Un consortium dirigé par les géants coréens Dongsan Engineering et Hyundai Rotem sera retenu pour un coût d’environ 1 milliard d’euros. Contre toute attente et à la surprise générale, l’Etat ivoirien va relancer les consultations plusieurs mois après le choix porté sur le consortium coréen. Officiellement, ce consortium peinerait à mobiliser suffisamment de ressources pour mener à bien ce projet à fort impact social (déguerpissement, indemnisations, déplacement de réseaux existants, etc).
Deux équipes se constituent alors pour y répondre : la première est constituée de Dongsang Engineering (bureau d’études coréen spécialisé dans l’électricité) et Hyundai Rotem (fabricant coréen de matériel roulant). La seconde associe Bouygues Travaux Publics (filiale du groupe Bouygues spécialisée en travaux publics) et Alstom (fabricant français de matériel roulant).
Curieusement avant toute décision définitive, et pour des raisons qu’on ignore jusqu’à ce jour, Alstom se désiste et les trois entreprises restantes se regroupent. Elles remettent une offre le 4 octobre 2013. Ainsi, naquit le consortium STAR : Société des Transports Abidjanais sur Rails avec un capital social reparti comme suit :
- Dongsan Engineering : 9%.
- Hyundai Rotem : 33 %.
- Bouygues Construction : 33 %.
- Keolis (SNCF) : 25% .
L'implication de l'Exécutif Français dans ce dossier
Depuis les indépendances, les plus grands projets de développements en Côte d’Ivoire ont été réalisés par des entreprises Françaises. Le pays est non seulement le premier producteur mondial de cacao mais est surtout la première économie de la zone franc CFA. Il représente à lui seul 40% du PIB des 8 pays l’Union Economique et Monétaire Ouest Africain. Il abrite enfin une base militaire française qui sert de support à l’opération BARKANE au sahel. Autant d’éléments qui font de lui, un pays stratégique pour tout dirigeant français qui souhaite maintenir une stratégie d’influence dans cette partie du monde.
C’est donc sans surprise que malgré l’accord obtenu en 2013, la France va mener plusieurs actions de lobbying afin de ravir cet important projet structurant de la ville d’Abidjan. En effet, plusieurs mois après, la Cote d’Ivoire annoncera que les 42% du capital de la STAR qui appartenaient à Dongsan et de Hyundai ont été repris par l’Etat. Officiellement, ces deux entreprises coréennes sont confrontées à des difficultés de financement et le Trésor Publique ivoirien devra les indemniser à hauteur de 9,7 millions d’euros. Une belle victoire pour le spécialiste français du secteur des transports qui avait été écarté du projet en 2015 mais dont l'État français n'a jamais caché sa volonté de le voir réintégrer le consortium. En fait, l’Etat ivoirien a par la suite cédé ses 42% de part à ALSTOM ainsi que de nouvelles entreprises françaises telles que Colas Rails. STAR devient ainsi un consortium 100% français.
Pour matérialiser cette belle victoire des réseaux d’influence français, la cérémonie de lancement officielle des travaux du métro d’Abidjan sera présidée par les présidents Alassane OUATTARA et Emmanuel MACRON le 30 novembre 2017. Le coût actualisé du giga projet sera estimé ce jour-là à 1,4 milliards d’euros sur la base de l’avenant numéro 1 qui met à la charge de l’état de Côte d’Ivoire, le financement des impenses. C’est-à-dire les indemnisations des personnes impactées par le projet.
Le gouvernement ivoirien sera confronté à des difficultés de liquidités, pour libérer sa part de capital. Cette situation fera naitre un deuxième avenant qui nécessitera le déplacement d’Emanuel MACRON et de Bruno LEMAIRE le 21 décembre 2019 pour sa signature. Le projet définitif à cette date sera évalué à près de 1,590 milliards d’euros soit 1044 milliards de francs CFA. Le ministre Français de l’économie et des finances annoncera à cette occasion que « le coût de construction du projet sera couvert par des financements français avec un mix de prêts du Trésor et de financements privés garantis par l'État français ».
Réactions hostiles de parlementaires français d'extrême droite et d'extrême gauche
La stratégie d’influence de haut niveau menée dans ce dossier par l’exécutif français, a repositionné non seulement de grands groupes français dans le projet, mais démontre que le politique peut avoir de puissants leviers pour accompagner le privé dans l’atteinte de ses objectifs à l’international.
En 2018, le député français Bruno Bilde a attiré l'attention du Ministre de l'économie et des finances « sur l'aide de 1,4 milliards d'euros que la France a accordée à la Côte d'Ivoire pour le métro d'Abidjan ». Il a demandé qu’il soit indiqué les modalités de cet accord, le montant total de l'aide apportée par la France pour ce projet et le calendrier de déblocage de fonds. Il a aussi demandé que lui soient expliquées les raisons qui ont conduit à opter pour une aide directe plutôt qu'à un prêt dans un pays qui connaît une croissance de 7 % par an. Il a terminé par indiquer qu'il voyait une incohérence à décider ce genre de libéralités et, dans le même temps, opérer des coupes budgétaires très lourdes pour les plus démunis en France ».
Le 25 novembre 2020, le sénateur communiste Pierre Laurent a quant à lui dit à propos de ce métro que « dans les conditions financières actuelles, (ce projet) serait une catastrophe pour la Côte d’Ivoire et son peuple et une aubaine pour les seuls actionnaires de multinationales françaises. Il constituerait ce qu’il est convenu d’appeler un éléphant blanc». Il a même demandé au gouvernement français d’arrêter sa politique de pillage des pays africains et d’abandonner ce projet néfaste pour le peuple ivoirien. Car pour lui, il y’a une violation de la loi Sapin 2 relative à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique.
Tjima Diabate
Auditrice de la 35ème promotion MSIE