La transition énergétique est l’une des problématiques majeures du monde contemporain et mobilise actuellement tous les acteurs globaux du monde. L’Afrique subsaharienne est devenue l’un des espaces où le besoin en énergie se pose avec acuité compte tenu des défis liés au développement industriel et aux besoins croissants en électricité des populations.
Enjeux et parties prenantes
Dans ce contexte les découvertes de gaz au niveau des cotes africaines sonnent comme une aubaine pour les futurs pays producteurs. Au même moment, les défenseurs de l’environnement prônent l’avènement d’une économie plus décarbonée bannissant de fait l’utilisation du gaz naturel considéré comme un combustible polluant. Cette confrontation d’opinion et de position fait apparaitre deux camps qui ont des intérêts et objectifs différents et dont les méthodes souvent utilisées, pour communiquer et influencer, peuvent paraitre contradictoires en fonction de l’évolution du contexte économique.
Pour preuve les plus grandes rencontres ou plateforme d’échange, notamment le forum économique de DAVOS, le G20 et la COP 27 sont des espaces d’affirmation sans voile des positions des belligérants identifies.
Le débat et la guerre des mots font rage avec des attaques sans ambigüité. L’enjeu est donc primordial pour ne pas dire de taille pour les Etats de ce monde ainsi que les entreprises mais aussi la société civile. Chaque partie adverse pratique le dénigrement de l’autre partie en essayant de démonter les arguments des uns et des autres.
La confrontation informationnelle concernant l’utilisation pour la transition énergétique du gaz fait rage précisément en Afrique subsaharienne ou des pays futurs producteurs comptent sur cette manne pour développer leur économie.
L'attaque frontale des pro énergies renouvelables
Cette confrontation s’opère sur plusieurs fronts notamment les sommets, les réunions, les colloques mais aussi l’industrie financière Les deux parties qui s’affrontent sont les pro Energies fossiles spécifiquement le gaz et les pro énergies renouvelables. Plusieurs Etats européens et des ONG environnementales mènent des propagandes à travers les médias et la société civile, à destination surtout de la population européenne afin d’influencer les grands groupes et les décideurs publics européens sur l’arrêt de la conduite de projets pétroliers et gaziers. Pour les défenseurs des énergies renouvelables : le modèle actuel n’est pas durable. Ils affirment qu’il faut nécessairement tendre vers des alternatives plus propres, car la consommation d’énergie est un facteur réel des phénomènes de changement climatique auxquels nous assistons.
Encerclement cognitif
Cette opération d’influence se fait principalement en menant un encerclement cognitif sur le caractère polluant de l’exploitation du gaz. A titre d’exemple, Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ne cesse de pointer la responsabilité majeure du gaz dans le réchauffement climatique, la quête d’une transition énergétique dite verte est son cheval de bataille ces dernières années.
Cet encerclement cognitif se reflète aussi dans l’industrie financière par la mise en place de normes défavorables aux nouveaux projets en développement dans le secteur « oil and gaz ». A titre d’illustration, l’Accord de Paris pointait en 2015 l’importance de « rendre les flux financiers compatibles avec une trajectoire vers de faibles émissions de gaz à effet de serre ». Aligner les services financiers avec une trajectoire 1,5 °C implique de prévenir tout service financier au développement de nouveaux projets d’énergies fossiles. Depuis 2015 et après la COP21, un nombre croissant de banques, d’assureurs et d’investisseurs ont pris des engagements en matière de désinvestissement des énergies fossiles y compris le gaz naturel.
La pression sur le monde de la finance
La plupart des banques et certains assureurs et investisseurs, au rang desquels on trouve AXA, Société générale, Groupama et Scor, ont pris quelques engagements concernant la réduction de leurs engagements sur de nouveaux projets sur le gaz, position souvent approuvée par les Etats, actionnaire de taille dans ces grands groupes.
Dans la même lancée, l’ONG Reclaim Finance s'efforce d'obtenir l'adoption par les institutions financières françaises de solides politiques d'exclusion et d'engagement dans le secteur du pétrole et du gaz, avec un accent particulier sur les nouveaux projets en développement. Ces actions, accompagnées de larges campagnes de communication peuvent être considérées comme des attaques frontales pour qui connait le rôle important joué par les marchés financiers dans la réalisation des projets d’exploitation d’énergies fossiles et particulièrement le gaz naturel, caractérisés par des niveaux d’investissement colossaux. La place de la France est très importante grâce à des entreprises comme AXA et Amundi. Influencer le système financier français pour qu’il ne soutienne plus l'expansion de projets gaziers pourrait devenir un cas d’école qui peut être reproduit à l’encontre d’autres institutions financières du monde entier.
La contre-offensive en Afrique subsaharienne des futurs pays producteurs de gaz naturel
« L’Afrique est un continent d’1,3 milliard d’habitants, dont 600 millions n’ont pas accès à l’électricité », a déclaré Macky Sall. « Il faut aussi soutenir l’industrialisation. Dans ce contexte, n’étant pas les plus grands pollueurs puisque n’étant pas industrialisés, il serait injuste dans la recherche de solutions (au réchauffement climatique) qu’on veuille interdire à l’Afrique d’utiliser les ressources naturelles qui sont dans son sous-sol ». D’emblée, on note une riposte sans ambiguïtés dans cette confrontation informationnelle.
Les futurs pays producteurs de gaz africains, défenseurs de l’utilisation des énergies fossiles exposent leurs arguments sans porter de gants : entre 1960 et 2020, l’Afrique n’a contribué qu’à 3,3 % des émissions de gaz à effet de serre. Durant la même période, l’Asie et l’Europe en ont émis huit fois plus. Alors que les Africains sont les plus exposés aux phénomènes climatiques extrêmes,
Ils arguent que les besoins énergétiques de l’Afrique sont énormes et urgents pour que l’Afrique s’industrialise et que le gaz doit être utilisé comme catalyseur. Avec plus de 600 tcf de réserves prouvées de gaz naturel sur le continent, le gaz présente une option propre pour remédier au déficit énergétique du continent. Par conséquent, le gaz doit être considéré comme une matière première qui engendre un plus grand bien pour le peuple africain.
Autre argument utilisé en termes de riposte informationnelle, l’exploitation de rapports venant de groupes de réflexion et de clubs scientifiques. Par exemple le rapport Africa Energy Review 2021 publié par PwC indique que l’Afrique reste l’un des plus faibles émetteurs d’empreinte carbone de la planète et, par coïncidence, l’un des moins développés au monde. « L’Afrique ne représente que 3 % des émissions mondiales cumulées de CO2 et moins de 5 % des émissions mondiales annuelles de CO2 », indique le rapport. Le rapport de PwC souligne en outre : « Considérant que l’un des principes clés énoncés par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est que les parties doivent agir « sur la base de l’équité et conformément à leurs responsabilités communes mais différenciées et leurs capacités respectives. En termes simples, la transition juste vers une voie de développement durable variera d’une société et d’une économie à l’autre et une approche unique ne peut être adoptée.
L’assaut informationnel s’appuie aussi sur le rapport produit par L’Agence internationale de l’énergie qui stipule que le gaz naturel est une source d’énergie propre favorable qui fait progresser la transition énergétique. « Sa capacité de stockage, sa capacité à être livré par pipelines ou liquéfié et envoyé par bateau, ainsi que la capacité des centrales électriques au gaz à s’allumer et à s’éteindre rapidement, permettent au gaz naturel de répondre aux fluctuations saisonnières et à court terme à la demande et pour soutenir l’utilisation croissante des énergies renouvelables variables telles que l’éolien et l’électricité », souligne l’Agence internationale de l’énergie.
Victimisation et actualisation du levier émotionnel
L’utilisation par les futurs producteurs de gaz naturel en Afrique de l’argument de tentative de blocage pour leur souveraineté économique par les pays occidentaux est une technique de manipulation soulignée dans le but d’obtenir le soutien de leur opinion publique. Alors qu’à l’échelle mondiale, le gaz naturel est apprécié comme carburant de transition vers un système énergétique net zéro, dans le contexte africain, il est bien plus que cela. La réalité est qu’à travers le continent, à l’exclusion de l’Afrique du Nord, la majorité des pays continuent de lutter contre la crise énergétique ; ce phénomène entraîne des conséquences désastreuses sur le plan socio-économique.
Ainsi l’activation du levier émotionnel de la victimisation compte tenu de l’histoire passée de domination et d’influence qui passe auprès des médias et de la société civile africaine est un moyen important de riposte noté dans ce rapport de force.
Après la déclaration du Chancelier allemand, Olaf Scholz , à la COP 27,, qui sonnait comme un réquisitoire contre les énergies fossiles, Macky Sall a profité d’un panel initié par le Président espagnol Pedro Sanchez, en marge de la COP 27, pour défendre à nouveau l’exploitation du gaz. Le Président en exercice de l’Union africaine affirmait : “L’exploitation du gaz que certains veulent arrêter au motif de lutter contre le réchauffement climatique, est pour nous un facteur de résilience, lorsqu’elle se substitue à la coupe de bois ou au charbon de bois pour la cuisson ou d’autres usages, a plaidé Macky Sall. Il nous faut donc travailler ensemble dans un esprit d’ouverture prenant en compte la diversité des situations pour réaliser nos objectifs communs”.
Le Président en exercice de l’Union Africaine appelle “à promouvoir une transition énergétique juste et équitable, qui prenne en compte les besoins particuliers de l’Afrique”. Cette posture de combat informationnel du Chef de l’Etat du Sénégal montre une forte volonté de défense des intérêts économiques d’un futur Etat producteur de gaz naturel. En effet le pays ouest africain place beaucoup d'espoir dans l'exploitation future commune avec la Mauritanie des champs de gaz et de pétrole découverts dans l'Atlantique ces dernières années.
Exploitation des failles dans la posture de combat informationnel
Dans leur stratégie de guerre informationnelle, les pro énergies fossiles (gaz naturel) précisément les futurs pays producteurs d’Afrique subsaharienne, n’ont pas hésité à sauter sur le contexte de la guerre en Ukraine pour se positionner comme acteurs et potentiels influenceurs. En effet cette crise a fait apparaitre la position de dépendance énergétique des pays occidentaux, grands défenseurs avec leurs ONG des énergies renouvelables, vis-à-vis de la Russie.
Un marketing informationnel a été mené à travers plusieurs médias avec comme objectif de convaincre les acheteurs européens, que les tankers en provenance des États-Unis sont à douze ou quinze jours de navigation, alors qu’ils ne mettent que cinq à six jours pour atteindre les côtes mauritaniennes ou sénégalaises. Cela signifie aussi qu’il y a moins d’émissions de Co2 pendant le transport. L’exploitation de cette faille a abouti à la constatation d’incohérences dans le discours de dirigeants de pays porteurs de voix dans la politique du tout renouvelable.
En effet, le chancelier allemand lors d’une visite d’Etat affirmait (contrairement à son discours à la Cop 27) lors d’une visite d’Etat au Sénégal que « L’Allemagne est déjà engagée dans des projets d’énergie renouvelable ou de stockage de l’énergie, et des discussions ont commencé au sujet du gaz, discussions qui devraient se poursuivre de « manière très intensive » au niveau des experts « parce que cela a du sens » et qu’il « est dans notre intérêt commun d’accomplir des progrès », a-t-il poursuivi.
Au vu du contexte actuel, il est clair que les pays africains futurs producteurs de gaz (pro énergies fossiles) résistent aux assauts et sortent indemnes des manœuvres et attaques des pro énergies vertes. Cela se confirme par la poursuite de leurs projets malgré les attaques et les tentatives d’encerclement cognitif de certains acteurs de la société civile et de leurs relais étrangers.
Mohamed Rassoul Mbaye
Auditeur de la 41ème promotion MSIE de l’EGE