Lutte d’influence informationnelle dans le repositionnement stratégique des grandes puissances en Afrique
Le continent africain a toujours été l'objet des convoitises et d'attraction des puissances occidentales. Cet appétit se justifie par la présence de nombreuses ressources naturelles et minières dont regorgent son sol et son sous-sol. L’Afrique possède à elle seule plus de soixante types de minerais différents, soit un tiers des réserves mondiales, tous minerais confondus (diamant, cuivre, platine, charbon, or, nickel, cobalt, bauxite, calcaire, argent, étain et gypse...etc.). Les grandes puissances, par des stratégies aussi variées qu’insolites cherchent à accroître leur influence sur le continent de demain. Après les sommets “France-Afrique”, “Russie-Afrique”, “Turquie-Afrique”, “Chine-Afrique” et “Japon-Afrique”, et tout récemment “USA-Afrique”, on se demande si le Nouveau Partage de l’Afrique n’est pas en cours ? À l’évidence, le continent africain est le terrain où se joue la guerre d’influence stratégique des grandes puissances.
Consolidation de la présence chinoise
Depuis des années, la Chine est engagée, par un processus très soft, dans la consolidation de sa présence en Afrique. Son influence passe par l’octroi des financements de projets et par une campagne informationnelle basée sur la remise en cause des rapports entretenus entre les Etats africains et les autres grandes puissances. Cette stratégie a permis à la Chine d’investir massivement sur le continent africain et de se hisser au rang de premier créancier mondial des pays pauvres et en développement. “La convergence d’intérêts” entre la Chine et l’Afrique a donné naissance à la « Chinafrique », une notion fondée sur le discours de l’alternative à la France et les États-Unis d’Amérique. Aussi, Pour de nombreux gouvernements africains, la Chine incarne un palliatif aux bailleurs et partenaires commerciaux traditionnels. Ce “grand ami” qui offre une aide sans conditionnalité de gouvernance, qui peut mobiliser d’impressionnants financements et, en tant qu’usine du monde, produit presque tout à meilleur prix que ses concurrents, apparaît comme un partenaire fiable qui a pour objectif d’aider par des mécanismes plus souples les Etats Africains.
Par ce stratagème, La Chine a lentement mais surement consolidé son emprise sur l’Afrique. Elle est son premier partenaire commercial, avec un volume d’échanges qui atteignait 208,7 milliards de dollars en 2019 ; elle est la principale détentrice (un tiers) de la dette extérieure africaine estimée à 365 milliards de dollars ; quasiment tous les pays du continent ont, à l’exception du royaume d’Eswatini, rejoint l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie, 61 Instituts Confucius dans 46 pays différents ont été inaugurés et véhiculent la « diplomatie chinoise du peuple ». Elle est le deuxième contributeur financier aux opérations de maintien de la paix et ne cesse de développer la coopération sécuritaire avec ses partenaires africains (inauguration de sa base militaire à Djibouti le 1er aout 2017).
Malgré le discours officiel du partenariat « gagnant-gagnant », la relation sino-africaine commence à être très controversée, essentiellement en raison de son asymétrie prononcée. Les chiffres montrent que, si la Chine est importante pour de nombreuses économies africaines, la réciproque est loin d’être vraie. Contrairement à ce que cette expression laisse croire, la « Chinafrique » ne traduit pas une interpénétration économique et donc une dépendance mutuelle, mais une réorientation de la dépendance de l’Afrique dans le cadre d’une nouvelle asymétrie économique et financière. De ce fait, la politique de prêts des autorités chinoises cristallise aujourd’hui les inquiétudes autour du « piège de la dette ». L’Afrique s’est-elle fait tromper ?
Les interrogations sur la montée en puissance de la présence russe
L’Afrique et surtout sa partie subsaharienne occupait jusqu’alors une place marginale dans les doctrines russes de politique étrangère, et les capacités institutionnelles de l’influence russe (instituts culturels, médias internationaux, réseaux diasporiques) y étaient parmi les moins développées du monde. Cependant, depuis quelques années la Russie a étendu son influence en Afrique plus, sans doute, que tout autre acteur extérieur. De son intervention militaire en Libye et du renforcement de ses liens avec l'Algérie et l'Égypte en Afrique du Nord à son soutien aux gouvernements militaires du Mali et du Soudan, en passant par le remplacement de la France en tant que principal partenaire international en République centrafricaine (RCA) et par une action agressive dans toute l'Afrique australe, la Russie modifie le paysage de la gouvernance et de la sécurité du continent.
En octobre 2019, le sommet Russie-Afrique de Sotchi, qui devrait connaître une nouvelle édition en 2023, a matérialisé la montée en puissance de la présence russe en Afrique. En effet, les officiels russes se sont affichés sous deux facettes aux yeux des dirigeants africains présents : d’un côté, celle d’un partenaire économique et un prestataire de sécurité pragmatique ; de l’autre, celle d’un défenseur des souverainetés et d’un rempart contre les ingérences des anciennes puissances coloniales (France) et des États-Unis. Ce volontarisme fondé sur “ le sentiment d’amertume pendant la période de pouvoir unipolaire des États-Unis et de ses alliés (la France)” a rapidement débordé dans l’espace informationnel et numérique subsaharien, progressivement investi par plusieurs types d’acteurs russes. À titre d’exemple, la République Centrafricaine est aujourd’hui le terrain le plus fertile de l’expansion de l’influence russe. La radio Lengo Songo, l’une des principales radios de Bangui, est en réalité un sous-traitant au service de la stratégie russe en République centrafricaine. Ses orientations éditoriales sont systématiquement alignées sur les intérêts de ce nouvel « allié » du régime. Elle a par exemple couvert avec assiduité les manifestations pro-russes et anti-françaises dont Bangui a été émaillée ces derniers mois. Au-delà de la scène centrafricaine, Lengo Songo témoigne de l’évolution des pratiques d’influence de la Russie en Afrique.
Derrière cette stratégie se cache une politique russe axée sur la conquête des gros contrats commerciaux notamment dans le domaine de la sécurité, du gaz et du pétrole. Aussi, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, Moscou a fourni 44 % de toutes les importations d'armes africaines de 2017 à 2021. De même, les investissements russes en Afrique dans le domaine gazier et pétrolier susmentionné connaissent une augmentation considérable. L'une des raisons étant l'attractivité croissante des marchés africains du gaz et du pétrole pour les sociétés russes telles que Rosneft, Gazprom, Lukoil, non seulement comme une opportunité d'augmenter la production et l'impact sur le marché mondial du gaz, mais aussi pour influencer les prix et les conditions du marché d'autres pays.
La tentative de coup d’Etat menée en apparence par Evguéni Prigojine, le chef groupe paramilitaire Wagner, contre le pouvoir de Vladimir Poutine laisse planer un doute sur la solidité de l’édifice russe en Afrique.
Le repositionnement stratégique des Etats-Unis et d'Afrique subsaharienne
Dans le document intitulé “Stratégie américaine envers l'Afrique subsaharienne" publié en août 2022, Washington détaille ses quatre objectifs pour les cinq prochaines années en Afrique. Il s’agit de : favoriser les sociétés ouvertes ; offrir des dividendes démocratiques et en matière de sécurité ; travailler au redressement après la pandémie et sur les opportunités économiques ; soutenir la préservation et l'adaptation au climat et une transition énergique juste.
Il faut souligner que la stratégie mise en exergue dans ce document a pour objectif de contrecarrer la progression chinoise sur le continent africain. En effet, il souligne que Pékin se comporte en Afrique comme dans une "arène pour défier l'ordre international fondé sur des règles, faire avancer ses stricts intérêts commerciaux et géopolitiques (...) et affaiblir les relations des États-Unis avec les peuples et les gouvernements africains".
Dans le même sens, face à la déconstruction du mythe franco-américain en Afrique et la forte stratégie informationnelle menées par la Russie, les USA affichent leur ferme volonté de contrer la progression du positionnement stratégique des Russes en Afrique. D’ailleurs, le document assure que la Russie "considère la région (l’Afrique) comme un environnement permissif pour les sociétés para-étatiques et militaires privées, créant souvent de l'instabilité pour en retirer un avantage stratégique et financier". La désinformation est identifiée comme un pilier de la stratégie russe en Afrique.
C'est dans cet élan que s’est tenu le 2eme Sommet USA-AFRIQUE du 13 au 15 décembre 2022. L’objectif principal dudit sommet était assurément la reconquête de l'Afrique par l'Amérique. Après trois jours d'échanges, ce sommet a accouché de 55 milliards de dollars de coopération publique sur 3 ans et 15 milliards d'accords privés entre les Etats-Unis et les pays africains.
...Et la France
La France n’est pas indifférente face à la perte progressive des parts de marché en Afrique et cette situation cristallise l’attention à l’Elysée. Le discours du Président Emmanuel Macron lors de la conférence des Ambassadeurs Français, le 1er septembre 2022 en est l’illustration. En effet, le Président Français veut contrer le narratif anti français des Chinois, Russes et Turcs en Afrique. Selon le Figaro, « Au sommet de l’État, on a sonné la mobilisation, une meilleure coordination de l’influence française en Afrique va être recherchée avec la nomination de l’ancienne ambassadrice au Ghana Anne-Sophie Avé au poste d’ambassadrice de la diplomatie publique en Afrique ».
Plus loin, on annonce que la France envisagerait de se doter d’un média ou d’une galaxie de médias pour mener, sur le sol africain, une nouvelle forme de communication d’influence. Le Quai d’Orsay aurait la charge de lancer un média d’influence sur Internet pour contrer les narratifs anti-français. Ce média en ligne prend ses racines dans un rapport de Luc Briard et Liz Gomis, publié en mars 2022, s’inscrivant lui-même dans le cadre du projet de création de la « Maison des mondes africains et diasporas » porté par Emmanuel Macron depuis 2021. Dans ce rapport, le binôme évoquait, à renfort d’euphémismes, l’idée de « fabriquer de nouveaux imaginaires » ...
Ronny Minkos,
étudiant de la 41ème promotion MSIE
Sources complémentaires
Charles-philippe David, Julien Tourreille, « La Politique étrangère des Etats-Unis », 4e édition, Paris, presses de sciences po, septembre 2022,
Sonia le Gounellec, « Géopolitique de l’Afrique », Paris, QSJ n 4234, PUF, 2022.