L’offensive informationnelle du secteur des médecines douces

Une association privée l’A-MCA est en train d’utiliser les outils de la guerre informationnelle contre l’Etat pour atteindre un objectif : devenir l’Agence Gouvernementale des Médecines Complémentaires et Alternatives qui régulera et tiendra les rênes de ce marché en forte croissance. Il s’agit dans un premier temps de décortiquer son processus informationnel et reconstituer le puzzle de ses actions pour ensuite mettre à nue sa stratégie d’attaque contre un adversaire, et enfin de voir jusqu’où nous conduit ce rapport de force à ce jour.   

Les Médecines Complémentaires et Alternatives (MCA) en chiffres

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dénombre plus de 400 médecines douces, médecines naturelles ou médecines traditionnelles dans le monde. Il faut entendre par là, toutes les pratiques ancestrales (par exemple la médecine traditionnelle chinoise à base de plantes médicinales) ou modernes, basées sur des thérapies manuelles, biologiques ou « corps-esprit ».  L’utilisation de ces pratiques est différente selon les pays, liée à la culture et l’histoire de chaque pays. 

Dans le monde, c’est la Chine qui est 1ère au palmarès avec 80% de consultations annuelles, la France (45%) dépasse l’Allemagne, les USA (35%) et le japon (15%).  En France, ces pratiques sont exclues de la médecine conventionnelle. On les appelle pratiques de soins non conventionnelles, ou médecines complémentaires et alternatives, également connues sous le sigle de MCA.

L'OMS annonce le programme pour 2023 : Promouvoir les MCA par l'accompagnement

L’OMS, c’est 194 états membres et organisations collaboratrices en réseau. Son objectif est d’amener tous les peuples des Etats membres au niveau de santé le plus élevé possible. Son rôle est de procurer des informations, des conseils et donc de l’influence. Elle bénéficie d’un canal de communication aisé pour toucher le monde entier, c’est une estrade mondiale. Son image est globalement bien appréciée par les populations.

Dans le cadre des médecines traditionnelles, l’OMS est un moteur incontestable. Cela se matérialise par une feuille de route intitulée « la stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023 » qui a été rédigée sous la direction de la présidente Dr Margaret Chan (HK).

Il s’agit pour l’OMS d’épauler les Etats Membres pour favoriser un usage sûr et efficace des MCA grâce à une réglementation des produits, des pratiques et des praticiens.

Cela passe par :

- la consolidation des connaissances et la formalisation des politiques nationales.

- le renforcement de la sécurité, de la qualité et de l’efficacité via la règlementation.

- la promotion d’une couverture sanitaire dans les systèmes de santé nationaux.

Ces objectifs sont suivis via des indicateurs de performance bien précis dont un qui concerne la régulation et chaque Etat est tenu d’en rendre compte.

Une régulation atomisée sous la responsabilité de l'Etat

En France, c’est le Code de la santé publique qui régule la santé et les soins (soins non conventionnels compris).

Plusieurs structures compétentes assurent la classification, l’évaluation et la régulation des thérapies complémentaires de façon indépendante ainsi que la vigilance sur leur usage : Agence Nationale de sécurité du Médicament, Haute Autorité de Santé, les Agences régionales de santé, l’Académie des sciences.

Le ministère des Solidarités et de la Santé traite le sujet des thérapies complémentaires sous le nom de « pratiques de soins non conventionnelles » (PSNC). L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) a la mission temporaire d’évaluer scientifiquement les MCA qui arrive à terme.  En France les médecines douces sont très populaires et connaissent un engouement sensible, la crise sanitaire a joué le rôle de catalyseur par défiance envers les médecines conventionnelles dites « dures ».

71% des Français a déjà eu recours au moins une fois à une médecine non conventionnelle au cours de sa vie. Ce secteur lucratif attire une multitude d’acteurs : les professionnels des thérapies alternatives, les professionnels d’EHPAD, les assurances complémentaires, les fabricants de compléments alimentaires et autres soins, les consultants spécialisés dans la santé et également la société civile consommatrice de soins …

Les MCA: un secteur en forte croissance mais gêné par des freins

Ce marché en forte demande connait cependant des freins : un manque d’accessibilité à ces thérapies, d’abord financière mais aussi géographique, ainsi que des sujettes à des dérives sectaires et représente la 1ère source de signalement (38%) auprès de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (Miviludes). Dans ce contexte qui présente des risques, il semble logique et légitime de vouloir mieux structurer et contrôler ce secteur par la mise en place d’une régulation pour des raisons louables de santé publique. Les enjeux sont importants et attirent donc les convoitises opportunistes. C’est ici qu’entre en jeu l’Agence des Médecines Complémentaires et Alternatives (A-MCA) pour prendre le marché des MCA sous sa coupe.

L’A-MCA est une association privée loi 1901 fondée le 09/09/20. Les trois co-fondateurs sont Mme Véronique Suissa (docteur en psychologie) et DG; M. Serge Guérin président (sociologue) expert des questions liées au vieillissement et M. Philippe Denormandie, père du ministre de l’Agriculture (Dr chirurgien neuro-orthopédiste).

L’A-MCA (1) se définit comme le premier lieu d’expertise des médecines complémentaires et alternatives (MCA) « pour favoriser l’essor des pratiques complémentaires bénéfiques et lutter contre les méthodes alternatives et les dérives en santé ». C’est un écosystème de 150 acteurs qui compte des experts, de nombreux professionnels des MCA, des partenaires variés, des équipes sur le terrain ; le tout sous la responsabilité d’une gouvernance composée des cofondateurs et des professionnels dans le domaine communication stratégique.

Une association qui prend le nom d’agence (2) marque sa volonté implication dans les affaires de l’Etat. L’objectif est annoncé ! l’A-MCA veut s’immiscer dans les affaires de l’Etat. Le logo exprime un jeu de symboles forts. Des couleurs qui renvoient au drapeau français et un cœur dans les mains pour marquer l’idée d’accompagnement, de protection de la santé et de la vie des patients.  A ce titre, le site internet de l’A-MCA EST une belle vitrine pour vendre son concept. Ils reprennent leurs missions, les activités, les partenariats ; ils mettent en avant les équipes d’experts et font la promotion des événements. C’est également un lieu privilégié de synthèse de publications de contenu (Articles de presses, et rapport annuels de réflexion).

L’occupation du terrain par la connaissance

En amont de la création de l’A-MCA (2019) les 3 co-fondateurs ont dirigé la rédaction d’un ouvrage collectif « Médecines complémentaires et alternatives, pour ou contre ? », où il s’agissait de promouvoir les MCA. Ce livre avait surtout pour but de se faire connaitre et légitimer leurs connaissances. Ils se présentent comme experts du secteur MCA et aussi porte-voix des professionnels et des civils. Ils organisent dans la foulée le 1er colloque MCA au ministère de la Santé en octobre 2019. Puis ils vont enchainer des débats-conférences à travers la France, selon l’adage battons le fer tant qu’il est chaud.

A la rentrée 2021, ils font paraitre un livre sur l’homéopathie et organisent aussi des débats-conférences. Ils ont également sorti leur ouvrage intitulé « structurer le champ des MCA » rédigé sous forme d’un rapport. Ces ouvrages sont à destination du grand public et des professionnels et sont toujours l’occasion de parler de l’Agence à travers les médias ou réunions. Les auteurs sont invités à des émissions de forte audience (podcast France inter) ; Ils utilisent les magazines grand public et la presse professionnelle pour mettre en avant leurs idées et promouvoir leurs actions. Ils sont aussi très actifs sur les principaux réseaux sociaux en France avec des publications quotidiennes et comptent un nombre important d’abonnés professionnels ou non (Facebook  et Twitter et LinkedIn ). Ils utilisent aussi régulièrement les vidéos sous forme de formats courts ou plus longs pour des annonces exceptionnelles comme lors du lancement de l’Agence en 2020, sur YouTube avec l’utilisation du storytelling.  L’AMC est présent sur de nombreux salons professionnels pour promouvoir leurs activités. Les trois co-fondateurs ont par exemple organisé récemment (08/10/21) une conférence pour « parler des MCA pour le bien vieillir » au salon des séniors.

Un discours bien rodé, habile et séducteur

La lecture des articles ou encore le visionnage de vidéos ou de podcasts font ressortir un vocabulaire récurrent. L’A-MCA, met en avant sa qualité d’expert technique hors pair des MCA. Il est question de démarche proactive pour promouvoir le bien-être de tous en proposant des méthodes et des bonnes pratiques. Mais l’A-MCA  se revendique aussi comme un lieu de réflexion et d’écoute des patients. 

Un élément important concerne tout le vocabulaire autour de la structuration et la régulation des MCA, le soutien et la prévention et la lutte contre les dérives sectaires. les animateurs de l’A-MCA emploient les mots d’ordre et évaluation ainsi que des termes liés au droit : légalisées, les critères de formation, diplômes.  Ils utilisent des notions à la mode, de cure (guérir) et de care (prendre soin de manière altruiste). Cela marque la distinction entre les 2 médecines : une médecine technique froide et une médecine plus douce et humaniste dans le but de préparer à 2 systèmes de régulation séparés.  On y retrouve aussi l’utilisation importante d’un vocabulaire anxiogène autour des MCA : Les charlatans, les dérives sectaires, les victimes, les risques, les imposteurs….    

Le levier de la peur

L’Association joue avec l’arme de la peur concernant les dérives sectaires liées aux MCA, en effet en attaquant l’émotionnel, en touchant les risques vitaux cela est efficace pour fédérer surtout en cette période de crise sanitaire. L’A-MCA reprend donc à son avantage un constat incontestable d’une activité sectaire active dans le domaine. Elle communique régulièrement les résultats d’enquêtes officielles et les témoignages de victimes pour appuyer le fait que les MCA sont la cible de très nombreuses sectes en France. Après avoir préparé le terrain anxiogène, elle apporte ensuite sa solution de régulation de la profession et légitimer sa raison d’être auprès des professionnels et décideurs institutionnels. L’A-MCA se présente comme le sauveur.

L’association sait s’entourer d’acteurs stratégiques. Ces liens lui permettent d’infiltrer d’autres réseaux et d’être présente sur des terrains utiles à maitriser pour atteindre son objectif. Cela se matérialise par de la communication, des prescriptions ou encore des sponsors, voire d’autres actions qui servent les objectifs des 2 partenaires. Il ne faut pas perdre de vue que le partenariat est toujours intéressé.  

Parmi les partenaires, on y trouve des associations et fondations comme France Alzheimer qui possède une forte notoriété, des acteurs du monde éducatifs comme des universités françaises ou étrangères ; des entreprises sociales comme le groupe action logement ou les Entreprises sociales pour l’habitat  et aussi des mutualistes comme AG2R la Mondiale, en effet ces complémentaires font de la prise en charge des MCA, un produit d’appel.

On y voit aussi des groupes de maisons de retraite désireux de proposer une offre bien-être à leurs clientèles. Il ne faut pas oublier aussi tous les évènements organisés en partenariat (cette liste n’est pas exhaustive). L’association entretient également des liens avec la société du spectacle dans le cadre de concept « Art et santé »  qui mêle les soignants, les praticiens, les patients et les artistes ; cela a été mis en avant lors d’un évènement en Octobre 2021 où l’A-MCA s’est affichée avec l’acteur Francis Huster, acteur français populaire qui permet de véhiculer une image positive de l’action auprès du grand public.

Le « noyautage » du système institutionnel

Ce noyautage, outil d’influence très utilisé en guerre de l’information se matérialise ici sous différentes formes :

. Etre présent sur les lieux symboliques de l’Etat : un colloque médecines complémentaires et alternatives au ministère de la Santé le 28/10/2019.

. Une rencontre avec le Directeur Général de la Santé, le Pr Jérôme Salomon au ministère de la Santé en juillet 2020.

. En janvier 2021, on assiste à la rencontre hautement symbolique à l’Elysée avec Brigitte Macron (directrice de la fondation des hôpitaux de paris) pour présenter les travaux de l’Agence.

 . Grace au réseau : Agnès Firmin-Le Bodo (députée) à la tête d’une tribune dans le Monde pour promouvoir l’agence et transformer la structure en agence gouvernementale d’évaluation des médecines complémentaires.

. Huit parlementaires (certains faisant partie de l’association) vont déposer une résolution parlementaire.

. Un rapport présenté au secrétaire d’Etat Laurent Pietraszewski.

On peut noter la présence d’anciens ministres comme Xavier Bertrand (déjà impliqué dans le débat du remboursement de l’homéopathie), Myriam El Khomri et Pr Emmanuel Hirsh spécialiste d’éthique médicale.

Le rapprochement avec la société civile et le monde éducatif

Le but de la commission citoyenne est d’être au plus près des citoyens français (les principaux consommateurs), c’est un lieu de sensibilisation, de débats sociétaux, de consultations citoyennes afin d’écouter les besoins pour réagir plus efficacement. Etre sur le terrain pour comprendre les besoins et ainsi être pro-actif dans l’offre.  

L’A-MCA a des relations privilégiées avec des universités en France et à l’étranger (Canada) ; c’est très utile pour comprendre les besoins des enseignants, des étudiants et ainsi que les rouages de ce milieu à forte valeur cognitive. De plus, les universités sont un lieu privilégié pour rencontrer les professionnels de demain qui seront véhicules d’un message qu’elle aura insufflé. A ce jour les comptes ne sont pas publiés. Il est donc impossible de connaitre l’état de son pouvoir financier ni l’identité des principaux intéressés.

La faible riposte d’une administration peu organisée et peu armée pour la communication de masse

En face de cette attaque très active de l’A-MCA, le répondant administratif est faible, déséquilibré et mal adapté. On trouve deux acteurs principaux et des satellites :  

. Citizen4Science (C4S)

Cette jeune association d’intérêt général (3) à but non lucratif est présidée par le Dr Fabienne Blum ; elle a été créée en janvier 2021 pour répondre à la crise scientifique qui touchait la covid. Cette association promeut la science et lutte contre la désinformation, les pseudosciences, les dérives sectaires en santé et le harcèlement de porteurs de la parole scientifique. La communication est sous la responsabilité de la présidente qui joue le rôle de community manager sur les réseaux sociaux Twitter Facebook LinkedIn et dans la presse.

Son effectif est bien plus limité que celui de l’adversaire et son activité actuelle est très accaparée par la crise sanitaire. La stratégie contre l’A-MCA consiste plutôt à faire du « fire-fighting » et communiquer en réaction. Son mode de défense est fondé sur un plan purement technique pour renverser le discours autour des MCA. Les animateurs de cette association cherchent la confrontation sur le champ scientifique (tribunes dans la presse) mais ils oublient que le centre de gravité du combat n’est pas la confrontation entre la médecine conventionnelle et les MCA mais la régulation de ces dernières.

. Le collectif Fakemed

Ce collectif fondé en association loi 1901 en mai 2018, regroupe des médecins, il a été très actif et très efficace en matière de guerre informationnelle dans le cadre du déremboursement de l’homéopathie en France en 2018-2019 (actions sur les réseaux sociaux). Mais ce collectif commet la même erreur que Citizen4Science : il se trompe de combat en attaquant l’ennemi sur le volet scientifique. Des membres du collectif ont par exemple mené des enquêtes et fait des rapports sur la situation des MCA au sein des Universités de médecine françaises mais cela n’a aucun effet en matière de lutte contre la tentative d’accaparement de la régulation des MCA par l’A-MCA ; le résultat n’est pas là.

Il existe aussi quelques acteurs satellites telles que les Académies de Médecine et Pharmacie publient des communiqués, comme en juin 2021 en rappelant que l’évaluation et la régulation des thérapies complémentaires reviennent à un organisme public indépendant.

L’exemple de l’A-MCA montre comment une jeune association privée bien motivée réussit à mettre en place un système informationnel de combat efficace pour atteindre son objectif : devenir l’Agence gouvernementale des MCA en s’appropriant le rôle de régulateur monopolistique. L’objectif n’est pas encore atteint, il y a encore des épreuves à passer mais le terrain est bien préparé : un champ assez libre avec une riposte faible.  

Henri Duflot

 

Notes

1- L’A-MCA déclare être « un espace de réflexion, d’action, d’information et de démocratisation qui a pour but de structurer le champ des MCA, soutenir les pratiques de prévention, promouvoir l’attention à la qualité de vie des personnes, lutter contre toutes les formes de dérives en santé. »

2- Le terme agence définit un organisme administratif chargé de tâches d'information et/ou de coordination. Ici il y a une connotation d’accompagnement, d’aide à la décision.

3- L’association a pour objet de créer et faire vivre un lieu de rassemblement citoyen sur le thème de la science en général et des sciences de la vie et de la santé en particulier, qui vise à préserver l’intégrité et l’éthique de la science, et à en promouvoir sa connaissance, sa communication et son utilisation adéquates notamment dans l’élaboration des politiques.

 

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