L’influence de la Chine en Polynésie Française, au travers de son projet d’aquaculture sur l’atoll d’Hao
Depuis la fin des années 80, la Chine a commencé à s’intéresser à la Polynésie française. Au cours de ses dernières années, elle a acquis plusieurs hôtels dont deux cinq étoiles et possède également un important réseaux diplomatique au sein de l’archipel. Cette politique de croissance ne se limitent plus qu’à l’achat de biens immobiliers mais aussi à des projets d’investissement, comme celui de créer une zone aquacole sur l’archipel de Hao, archipel le plus éloigné de Tahiti, situé à 919 kilomètres de la capitale locale.
Pékin ambitionne de créer la plus grande ferme aquacole du monde, plus de cinquante mille tonnes de poissons seraient produit chaque année. Pour mener à bien ce projet titanesque, elle investirait plus de 600 millions d’euros sur les dix prochaines années. Cette manne financière, fait miroiter d’importantes retombées économiques pour l’île. Cependant, derrière ce projet, se cache une ambition débordante de l’Empire du Milieu. Son premier objectif est de répondre à la demande intérieur de poisson. Demande en constante croissance. Les eaux de la Zone Economique Exclusive de la Polynésie française sont riches en ressources halieutiques et minières.
Mais le véritable objectif de Pékin est d’élargir son champ d’influence jusqu’aux confins du Pacifique. La Polynésie est située à un carrefour stratégique pour la politique d’expansion chinoise, plus communément appelée, Route de la Soie, carrefour entre le continent asiatique le continent Nord-Américain et l’Antarctique. SI Pékin parvient à ses fins, elle deviendra un acteur incontournable de la vie locale et pourra à terme installer aisément ses infrastructures de câbles sous-marins permettant de relier l’Amérique. Cette potentielle implantation pourrait fortement nuire à la sécurité des communications françaises dans le Pacifique.
Un réseau diplomatique au service de l'expansion chinoise
Pour réaliser ses objectifs, la Chine a bâti un important réseau d’influence au sein de l’Archipel. Le projet aquacole marque la volonté d’écarter la France dans sa politique indo Pacifique et ce sur son propre territoire. Ainsi, elle a su tirer profit des Accords de Defferre 1982 permettant à la Polynésie Française d’acquérir une autonomie dans sa gestion administrative et financière, seul les pôles régaliens tels que la Défense et la Justice sont conservés par la Métropole.
Paris a laissé la liberté à cette collectivité d’outre-mer de pouvoir lier des partenariats économiques et politiques avec des puissances étrangères. De cette liberté est née, l’Association d’amitié entre les peuples entre la Chine et la Polynésie Française. Cet organisme, au nom de la présence ancienne de pêcheurs chinois sur l’île, crée de nombreux liens entre les populations locales et chinoise favorisant ainsi une meilleure intégration des populations immigrées.
En 2007, est créé le consulat de Chine sur l’île de Tahiti. Bien qu’ayant un rôle purement administratif, le Consulat acte l’ambition de Pékin d’accroître son influence sur l’île. Cette nouvelle administration, permet d’étendre la toile chinoise sur terrain économique en améliorant les connections avec le réseau des affaires locales. Durant la crise du Covid-19, au travers de cet institut, Pékin a su utiliser sa diplomatie du « masque » en livrant 2,2 millions de masques chirurgicaux et 15,8 milles masques FFP-2. Cette politique a permis d’accentuer son emprise sur l’île en se substituant à l’Etat français dans son rôle régalien de protection de la population.
Enfin, en 2013, est officialisé l’Institut Confucius au sein de l’Université de Papeete. La spécificité de l’institut est de promouvoir la Culture Chinoise à l’international au travers de l’organisation d’événements culturels tels que des expositions mettant en avant les progrès sociaux et technologiques réalisés par le parti communiste. L’IRSEM met en garde contre cet organisme accusé d’influencer le corps professoral et d’être à l’origine de possible actes de corruption.
L’accroissement de l’influence chinoise au sein du territoire ne laisse pas indifférent Paris. Dès 2014, un rapport d’information du Sénat avertit sur l’activité chinoise dans la zone et s’alarme du projet de construction de l’aquacole et sur ses conséquences écologiques sur la faune et la flore de l’île. Il a fallu attendre déplacement du Président de la République en juillet 2021 en Polynésie pour avoir une réelle réponse de la part de la France sur l’implication chinoise dans l’île.
Emmanuel Macron, rappel l’agressivité et le pillages des ressources naturelles orchestrés par la Chine sur les nations insulaires du Pacifique. La France s’érige alors en rempart contre l’inquisition chinoise. Une série de mesure est alors annoncée pour faire face aux problématiques locales. L’Etat s’engage à investir plusieurs millions d’euros dans divers projets afin de développer l’activité de l’île.
Clivage entre intérêts étatique et local
D’un côté, la classe politique locale majoritairement favorable au projet aquacole et d’un autre la classe politique Nationale et les associations écologiques vivement opposées au projet. Ce clivage peut s’expliquer par la volonté d’émancipation de l’archipel à l’égard de la Métropole. Papeete souhaite ne plus dépendre sur deux points de la métropole. Tout d’abord sur sa croissance économique, elle souhaite développer son économie avec ce projet estimé à 600 millions d’euros, soit le plus important investissement étranger en France. Puis sur l’aspect culturel, l’île voit en ce projet l’occasion d’écrire sa propre Histoire sans que celle-ci ne soit liée à la Métropole. Outre ces arguments, l’administration avance aussi le fait qu’elle a déjà investi 5 millions d’euros dans la construction de digue afin de réaliser le projet.
Face à ces demandes, le gouvernement français met en avant l’infaisabilité de la chose et avertit la population locale que les retombées économiques promises par Pékin sont inexistantes, prévenant que les habitants ne recevront aucune contrepartie du projet, ajoutant que les poissons élevés ne serviront qu’à être vendus sur le marché chinois et s’il adviendrait que ces ressources soient vendues sur le marché local, elle seront vendues à très bas prix en raison du faible coût de production d’aquaculture venant ainsi concurrencer la pêche locale.
Sur le plan écologique, l’Etat est soutenu par les associations écologiques qui crient au non-sens de ce projet. Les futurs poissons seront élevés dans des eaux encore potentiellement radioactives. De 1966 à 1996, l’archipel d’Hao accueillait le Centre d’Expérimentation du Pacifique, organisme servant à diriger les essais nucléaires dans la région. Puis une telle concentration de poissons entrainerait mécaniquement une pollution des eaux qui se déverseront hors du lagon et viendront polluer les espaces de pêche de l’archipel.
En parallèle des affrontements entre partisans du pour et du contre, se situe une tranche de la population consciente du potentiel qu’apporterait l’investissement sur l’atoll d’Hao mais réticente au projet en raison de la crainte qu’apporterait la création du port. Sous couvert de pêche, cette infrastructure permettrait aux navires chinois d’avoir une base arrière pour accroitre leur champ d’action dans la région. Cette potentielle présence viendrait directement concurrencer les pêcheurs locaux moins nombreux et moins bien équipés que leurs homologues chinois. Pire encore, les professionnels de la mer redoutent le pillage des ressources halieutiques des zones à proximité des infrastructures.
L'influence des idées de la Chine par les médias :
Si la Chine peut se permettre de projeter ses ambitions sur le territoire le plus insulaire de la Polynésie Française, c’est en partie dû à sa gestion de la communication du projet. Patiemment mais sûrement, elle a su infiltrer les différentes strates des milieux économiques et politiques de l’archipel. Avec l’appui de ses institutions diplomatiques installées sur l’île, elle diffuse sa pensée et vante les avantages économiques et politiques d’un accroissement des relations entre les deux parties.
Une fois les connections établies, il ne reste plus qu’à mettre en lumière l’idée de projet souhaité par Pékin. Pour ce faire, la communication auprès de la population se fait par le biais de la presse locale. Lors des diverses publications, les aspects environnementaux et la gestion des ressources halieutiques ne sont pas abordés. Seules sont abordées les questions liées aux respects des procédures administratives et à la gestion des stocks de pêche par les navires chinois.
Les médias étrangers sont aussi sollicités tels que la presse russe avec le média russe RT et la chaine chinoise de télévision CGTN relayant la venue du Président de la Polynésie française. Enfin, pour parfaire sa stratégie d’influence, la Chine a invité en « grande pompe » le vice -Président de l’île, Edouard Fritch. Au cours de cet entretien a été abordé la question des investissements chinois dans la région notamment dans le secteur du tourisme, la production des perles noires et du projet d’aquaculture. Les médias chinois ont couvert le sujet avec une interview de M. Fritch par la plus importante chaine de télévision chinoise, CNNT. Cette même chaine, s’est engagée à réaliser une série de reportages sur l’île afin de promouvoir la Polynésie en Chine.
Le retard des autorités française face aux actes de prédation de la Chine :
Face à cet affrontement informationnel, l 'Etat a répondu tardivement. La visite du Président de la République en juillet 2021 a marqué les esprits avec son discours où sera prononcé « On ne peut pas être français un jour, puis le lendemain chinois ». Le Chef de l’Etat met en garde les autorités polynésiennes face aux investissements chinois et aux conséquences que cela pourrait entrainer dans les relations entre Paris et Papeete. Une fois les avertissements lancés, le Président de la République a annoncé une série d’aides financières pour l’archipel. Un fonds de 85 millions est créé pour financer un ensemble de 52 projets sur notamment les thématiques de l’agriculture, du logement et de la transition énergétique.
Sur l’aspect social, l’Etat a entrepris des travaux de restauration sur l’atoll d’Hao afin de bâtir un Régiment du service militaire adapté (RSMA) qui permet aux jeunes de 18-25 ans en décrochage scolaire de bâtir un projet professionnel dans un cadre militaire.
Conscient du retard pris, le Président de la République s’est efforcé de montrer son soutien à se département d’outre-mer au travers des diverses visites sur l’archipel sur le thème de la préservation de l’environnement, l’économie locale avec une attention particulière sur les pêcheurs locaux et sur les investissements à réaliser pour développer l’action sociale. Après 4 jours de visites intenses, Emmanuel Macron a accordé une interview à la chaine de télévision France 1, où il réaffirme l’importance qu’il attache au soutien de l’archipel à la métropole. Pour contrer les pressions de Pékin, l’Etat peut compter sur des blogs spécialisés mettant en garde contre les dangers pour la France de la présence chinoise. Malheureusement, ces sites sont d’une certaine technicité, ils ne s’adressent donc pas au public visé et ne permet pas une large diffusion. Pour parvenir à ses fins, la Chine a su faire miroiter le potentiel profit et les retombées de ses investissements sur l’Archipel tout en distillant auprès des habitants l’intérêt de se détacher de la métropole.
Cette influence a été savamment orchestrée par une politique à long terme d’investissement stratégique, une connaissance accrue de la classe politique, des réseaux des affaires et une diffusion en continue de la bien pensée chinoise à travers ses instituts culturels et des médias. L’Etat tente de s’opposer à cette influence grandissante en brandissant des mesures de rétorsions à l’égard de Papeete et tente de répondre aux besoins de développement économique et social de l’Archipel en investissant dans des projets servant l’intérêt général.
Paul Viguié (SIE 26 de l’EGE)
Sources
A Hao, en Polynésie française, un projet controversé de ferme aquacole géante.
Edouard Fritch reçu par le vice-président chinois.