Grignon est bien plus qu’un patrimoine à préserver : c’est un atout stratégique dans la compétition internationale et l’affrontement des puissances autour des thématiques critiques de l’agroalimentaire et de la préservation des écosystèmes.
Dans la compétition internationale autour des enjeux de l’agriculture de demain, la France dispose d’un atout maître, unique au monde. Il s’agit de ne pas le sacrifier mais bien de le repenser dans une perspective stratégique.
Pression démographique, épuisement des ressources, fragilisation sans précédent de la biodiversité et dérèglement climatique sont des défis sans précédents qui posent la question de la vie voire de la survie de pans entiers de la population comme de la sauvegarde notre environnement.
En corollaire, exode rural massif et émigration incontrôlée, insécurité alimentaire, guerre pour l’eau sont des enjeux majeurs et antinomiques, facteurs de crises systémiques futures, auxquels la planète, et donc l’Europe et la France, doivent faire face chaque jour davantage.
Dans ce contexte, notre pays dispose d’atouts majeurs : une politique nationale et internationale de plus en plus active en faveur de la préservation de l’environnement, un écosystème agroalimentaire parmi les plus puissants du monde, des acteurs particulièrement innovants et impliqués sur les sujets sociétaux et environnementaux de l’alimentation et de l’agriculture durable, des laboratoires et institutions solidement établis en Europe comme à l’international, des chercheurs et des écoles de premier plan.
Mais...
Paradoxalement, c’est en partie dans un souci de classement international (et donc de notoriété et d’attractivité) que la plupart des activités d’enseignement et de recherche d’Agroparistech se sont progressivement relocalisées sur Saclay, afin d’y contribuer à la constitution d’un grand pôle français dédié à la recherche, en conformité avec les critères de classements internationaux tel que le classement de Shanghai.
C’est un véritable paradoxe.
Deux arguments plaident en effet en faveur non seulement de la conservation mais surtout du redéploiement et du développement à Grignon de certaines activités de premier plan liées aux enjeux cités et en particulier à la recherche « terrain », à la veille stratégique, à la prospective et à l’innovation.
- Grignon, un atout d’exception en termes d’attractivité.
Aucun état du monde, quelque que soit son rang dans le classement de Shanghai, ne dispose d’un patrimoine équivalent. Véritable « Oxford » ou « Cambridge » de l’agro-alimentaire, Grignon est un lieu emblématique, un symbole du génie français et des savoir-faire accumulés par des générations de femmes et d’hommes souvent pionniers dans leur domaine.
N’importe quel état du monde peut construire un campus et y installer des chercheurs. Aucun n’a eu, n’a ou n’aura un « Grignon », qui en termes d’attractivités de chercheurs internationaux, de cerveaux et de talents de la Foodtech et de l’Agritech, représente un tel potentiel d’attractivité. Potentiel bien plus puissant que n’importe quel classement de Shanghai, dès lors que Grignon est perçu et exploité comme tel. C’est un formidable outil d’influence.
- Grignon, une arme de guerre économique.
Les grandes puissances, Etats-Unis et Chine en tête, rebattent les cartes et imposent leurs règles, leurs lois et leurs classements comme autant d’oukases, avec d’autant plus de facilité que la dispersion des interlocuteurs est grande.
L’enjeu premier pour la France est non seulement l’attractivité, mais aussi l’indépendance et la souveraineté face au pillage technologique, à la fuite des cerveaux, à la financiarisation du vivant, à la guerre des brevets et à la prédation des terres agricoles qui frappe notre pays comme tant d’autres.
En effet, l’agro-alimentaire est l’activité la plus critique du siècle qui vient : recherche, économie, emplois, résilience face aux crises futures ! Il lui faut un lieu symbolique, qui démontre par sa nature même, la capacité à faire cohabiter recherche, expérimentation, innovation avec un environnement préservé. Grignon a vocation à être ce lieu d’exception tant par son histoire que par ses potentialités.
Permettre des expériences internationales in vivo de grande ampleur, héberger des acteurs innovants de premier plan, accueillir congrès et symposiums d’exception dans un cadre unique, devenir l’observatoire de l’agro-alimentaire mondial, représenter le savoir-faire comme l’ambition française. Grignon doit incarner la symbiose entre ces activités humaines et l’environnement tout en étant une vitrine technologique, vers laquelle doivent converger talents et investisseurs.
Tels doivent être les axes d’effort d’un redéploiement de Grignon en coopération avec l’ensemble des acteurs des filières concernées, publics autant que privés.
Non pas pour « préserver » Grignon, mais pour l’intérêt de la France dans l’affrontement que se livrent les puissances sur les thématiques ultra-critiques de l’alimentation de la population mondiale et de la préservation des écosystèmes.
Grignon est un lieu symbolique. Il est déjà une « marque » à laquelle beaucoup sont attachés.
Grignon doit devenir le « flagship » de notre stratégie de souveraineté agro-alimentaire.
Patrick Cansell
Enseignant à l'Ecole de Guerre Economique