L'importance de l'industrie nucléaire est-elle sous-estimée dans le débat énergétique ?

Le 30 juin 2020 la centrale nucléaire de Fessenheim arrêtait définitivement la production d’électricité. Nous assistons à la mise en œuvre d’une partie de la loi de transition énergétique pour la croissance verte[1] (LTECV) votée en 2015. Cette loi prévoyait la fermeture de 14 des 58 réacteurs nucléaires en opération d’ici 2025. Il s’agit d’une victoire pour les écologistes européens qui s’opposent au nucléaire depuis les années soixante. En novembre 2018, cet objectif a été repoussé à 2035. La catastrophe de Fukushima a accéléré la mise en évidence du danger du nucléaire civil. Certains pays européens tournent le dos au nucléaire civil. Est-on en train de voir le début de l’ère des énergies renouvelables (EnR) ou des énergie alternatives ? Les pro et les anti nucléaires continuent à s’affronter alors que l’équation à résoudre est : comment fournir de l’énergie propre et pas chère ?

Le débat du nucléaire Civil

La place du nucléaire civil dans la génération d’électricité en France et plus globalement en Europe est remise en question. Après 60 ans de lobbying, les antinucléaires voient leurs idées triompher à cause ou grâce à la catastrophe de Fukushima. Une lecture du rapport de l’OMS[2] de 2016 pose la question des conséquences directes de cette catastrophe sur la santé des japonais. Il est difficile de faire un lien direct entre les maladies et une exposition aux radiations, selon les sources officielles « un mort et cinq malades sont associés aux rayonnements et 16 blessés en raison des explosions »[3] à la centrale de Fukushima. On trouve des chiffres beaucoup plus alarmants, "Plus de 25 000 personnes ont subi des doses élevées de radiations avec des risques importants pour leur santé" (Le Point mars 2016[4]), et sur des sites antinucléaires, on propose des chiffres cataclysmiques : 32 millions de japonais soumis aux radiations. Les mêmes batailles de chiffres existent pour Tchernobyl. Quelle est la perception du publique et quelles sont les peurs en jeu ?

L’opinion publique en France fait preuve de défiance face à l’énergie nucléaire. Cette peur de l’accident nucléaire est un terreau fertile pour les idées des antinucléaires au point de voir des paradoxes et des contre-vérités dans la perception que les français ont du nucléaire civil.

Le baromètre 2020 de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire IRSN[5] sur la perception des risques, montre l’évolution de celle du risque nucléaire chez les français. Cette analyse est confirmée par d’autres sondages (BVA - Orano 2019, OpinionWay - ADEME 2019). Premier paradoxe, les personnes interrogées pensent en majorité qu’un accident du type de Fukushima pourrait arriver en France avant un accident dans un site chimique. Et en même temps, le nucléaire civil français est jugé sûr grâce à une structure de contrôle indépendante. Le deuxième paradoxe est dans les arguments contre le nucléaire civil : peur des déchets nucléaires, peur de l’accident, peur du coût, peur de la concurrence avec les énergies alternatives, et peur de l’émission de gaz à effet de serre (GES). Ce dernier point illustre le manque d’informations et la confusion dans l’esprit de la population entre émissions de GES et nucléaire. On peut y voir la confusion induite par la loi sur la transition énergétique. Les acteurs de la filière réalisent (un peu tard ?) le terrain perdu sur la guerre de l’information chez les Français[6].

Selon le GIEC (IPCC), la perception négative des sociétés civiles contre le nucléaire est l’un des principaux freins contre l’utilisation de cette énergie afin réduire la part des énergies fossiles dans la génération d’électricité[7].

Paradoxe environnemental

Il semble y avoir, après les controverses des années 2000, un consensus sur la nécessité de réduire les GES et ainsi limiter ou ralentir le changement climatique. La fermeture des centrales nucléaires en Allemagne et en France peut être vue comme une chose positive vers le développement plus rapide des énergies alternatives. Même si le nucléaire n’est pas dans les faits plus dangereux pour le climat que les énergies alternatives, les autres risques potentiels peuvent justifier un rééquilibrage de la production d’électricité. Le résultat de ces fermetures est contrasté voir contestable. Elles ont eu pour conséquence quasi immédiate l’ouverture ou la réouverture de centrales à charbon en Allemagne et en France avec pour effet une augmentation du CO2 émis. En 2017, la France émettait six fois moins de CO2 que l’Allemagne par KWh produit[8]. Il est paradoxal de chercher à enlever un danger potentiel (l’accident nucléaire), par un danger avéré  (le rejet de CO2 dans l’atmosphère) alors que le bilan global de la France pour le CO2 en 2018 est bien en deçà des bons élèves européens[9].

On peut espérer que les centrales soient remplacées par des énergies alternatives plus propres et moins risquées. Le bilan des formes de production d’énergies alternatives est contrasté et remis en cause par les mêmes qui refusent le nucléaire.

Paradoxe économique

La production nucléaire a permis à la France de réduire le déficit commercial énergétique pendant plusieurs décennies. La France a exporté 55,7TWh en 2019 soit environ 2,2 milliards d’Euros[10]. Cette capacité pourrait être remise en question avec la LTECV. L’Allemagne est le premier producteur de charbon en Europe devant la Pologne, Elle peut donc valoriser une ressource et faire profiter son économie interne. La France ne produit plus de charbon depuis presque 10 ans et importe ce charbon. Il est paradoxal de vouloir sortir d’une industrie qui est génératrice d’emplois et avec une balance commerciale excédentaire pour la remplacer même temporairement par une industrie carbonée qui affaiblie notre balance commerciale.

La France malgré des objectifs ambitieux (32% d’EnR en 2030), les industriels français ne se positionnent pas en leader sur le marché mondial des éoliennes à la différence du Danemark, de l’Allemagne et de l’Espagne. La Cour des comptes dans son rapport de mars 2018[11] met en cause le manque de stratégie claire, de dispositifs de soutien cohérents ce qui ne permet pas un développement d’une filière industrielle française avec les conséquences pour la balance commerciale et les emplois. La filière énergétique française (nucléaire, gazière,  pétrolière) était reconnue dans le monde entier pour son excellence, mais l’abandon d’une politique d’indépendance énergétique claire et assumée, aboutit à un délitement qui n’est pas compensé par l’émergence de nouveaux champions industriels.

La force informationnelle en faveur des énergies alternatives nous fait prendre des directions incohérentes économiquement et incohérentes avec les objectifs d’émissions de GES.

Une absence de débat

Camille Badaire Le Page montre dans deux articles publiés en 2020[12] [13]qu’il y a un encerclement cognitif de la France par l’Union Européenne et particulièrement par l’Allemagne sur le sujet du nucléaire civil. Ils nous imposent un désengagement du nucléaire civil, induisant un affaiblissement d’EDF et plus globalement un affaiblissement de l‘économie française si les prix de l’électricité augmentent trop.

En réalité, il n’y pas d’énergie propre, il n’y a qu’un équilibre entre bénéfices et risques. Est-il encore possible d’avoir un débat publique sur la stratégie d’indépendance énergétique française hors des dogmes ? Mais sans une politique énergétique assumée et un le débat dépassionné autour des risques et des bénéfices, le nucléaire civil est-il compatible avec une politique de réduction des GES ?

« Pour la question de l’énergie, on a des lois physiques qu’on connait et on doit se baser sur ces lois pour penser le future et non pas imaginer que l’on va découvrir (…) de nouvelles façons de produire d’autres formes d’énergies. Car on ne peut pas construire le future de nos sociétés sur des paris qui sont trop risqués. » Etienne Klein, Thinkerview, 2018[14]

 

Loïc Michel
Auditeur 35ème promotion MSIE