L'épilepsie, une pathologie encore mal connue
L’épilepsie est une « affection neurologique chronique caractérisée par de brusques attaques convulsives »[1]. Elle touche, dans le monde environ 50 millions de personnes[2] et, en France plus de 600 000 personnes dont près de la moitié de la population atteinte est âgée de moins de 20 ans, selon l’INSERM[3], ce qui en fait la deuxième maladie neurologique[4], après la migraine. Les personnes souffrant de cette pathologie ont besoin d’un traitement, le plus souvent à base de valproate de sodium (VPA), afin de retrouver une qualité de vie convenable.
L'anticonvulsivant de tous les maux
La Dépakine - dont la molécule active est le VPA - est un anticonvulsivant. C’est l’un des traitements les plus efficaces pour soigner les pathologies épileptiques. Elle a été mise sur le marché en 1967 et commercialisé depuis 1994 par le groupe pharmaceutique Sanofi. Bien que sa commercialisation remonte à plus de cinquante ans, la Dépakine reste, malgré tout, un sujet d’actualité du fait de ses effets indésirables et notamment sa toxicité sur l’embryon et le fœtus. En effet, le laboratoire Sanofi est mis en examen pour « homicides involontaire », « blessures involontaires » et « tromperie aggravée ».
Le poids de l'industrie pharmaceutique
En France, en 2020, l’industrie pharmaceutique représente 90 milliards d’euros de chiffre d’affaire[5], soit plus de 3,5% du PIB national. C’est un secteur d’activité qui est soumis à des enjeux financiers et d’influence importants car la lucrativité y est grande. Sanofi est une entreprise française. Elle est l’un des leader sur le marché des produits pharmaceutiques et est à la pointe de la technologie en matière de recherche médicale, de développement et de production de traitements pour les affections de longue durée et les maladies rares. La firme est implantée dans 10 régions de France et emploie 25 400 salariés sur le territoire. Au regard de son chiffre d’affaire - 34,9 milliards d’euros en 2019 - Sanofi occupe le 4e rang mondial et le premier rang national dans le secteur industriel de la santé[6]. Elle est la première entreprise française en ce qui concerne la recherche et le développement. Elle y a investi, en 2018, plus de 17% de son chiffre d’affaire.
Le valproate de sodium, une molécule de plus de 50 ans
En France, les médicaments à base de VPA - molécule active de la Dépakine, de ses dérivés et de leurs génériques - ont été mis sur le marché pour le première fois en 1967 puis commercialisé par Sanofi depuis 1994. La Dépakine, en 2015, représente près de 34 millions d’euros de chiffre d’affaire pour le secteur de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, Sanofi a réalisé 80% de ces ventes. Au regard de ces données, on peut légitimement se demander si Sanofi n’a pas intérêt à minimiser son implication dans les affaires judiciaires en cours.
L'épilepsie : une maladie psychiatrique ou neurologique ?
Dans le cas de l’épilepsie, la relation entre psychiatrie et neurologie est complexe. En effet, cette pathologie relève du domaine neurologique car elle est induite par des troubles électriques cérébraux même si dans l’inconscient collectif, elle relèverait plutôt du domaine psychiatrique. Cette maladie hérite d’un passé fantasmagorique de par la manifestation impressionnante des symptômes chez les patients en crise. De ce fait, les patients atteints d’épilepsie - et encore plus les patients présentant des symptômes sévères - sont souvent stigmatisés, mis de côté car cette pathologie est perçue comme honteuse.
La neurologie, grande perdante de la désertification médicale
Tant en psychiatrie qu’en neurologie, la recherche scientifique et les informations à disposition manquent. Ce peu d’information et de recherche dans ces domaines de santé pourrait avoir une explication au regard de la désertification médicale en neurologie. En effet, il manque de professionnels formés sur ces sujets. Ainsi, le nombre de neurologues, en France actuellement, est de 2500[7] alors que le nombre de patients atteints de pathologies neurologiques est croissant (+6,7%/an). Cette conjoncture amène les patients épileptiques à consulter leur médecin généraliste pour la prise en charge de leur pathologie. Or, dans le communiqué de presse de l’Association « Épilepsie France » du 10/02/2019 un médecin généraliste reçoit « moins de 10 heures de formations à l’épilepsie »[8] au cours de son cursus de 8 années. Cela pose la question de l’efficience et de l’efficacité de la prise en charge de cette pathologie chronique.
Le prix de la lenteur administrative
Concernant les effets secondaires de la prise de Dépakine par les femmes atteintes d’épilepsie qui sont en âge de procréer ou enceintes, les premières études alertant et « faisant état de malformations (du fœtus et du nouveau-né) liées aux antiépileptiques en général datent des années 1970 »[9]. Des registres des malformations étaient tenus et mettaient en avant, chez les nourrissons exposés in utero, des cas de spina bifida[10] et de fentes labio-pallatine[11] très prononcées. Aussi, « des retards de langage, des besoins éducatifs plus importants, des baisses des capacités intellectuelles, des problèmes de coordination, des troubles du spectre autistiques, cognitifs et comportementaux »[12] y étaient également consignés. Or, il a fallu attendre une trentaine d’années avant que la responsabilité de la Dépakine soit reconnue de manière certaine dans ces affections. L’Assurance Maladie a, quant à elle, calculé qu’entre 1967 et 2016, le nombre de grossesses ayant été exposées au VPA se situerait entre 64 000 et 100 000[13] et qu’entre 2 150 et 4 100 enfants seraient atteints d’« au moins une malformation congénitale majeure »[14].
Ne pas alerter pour ne pas inquiéter
Au regard de l’enquête rétrospective de l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS) en 2016 et des différentes modifications de la notice de la Dépakine, en France, ayant eu lieu au cours du temps, nous pouvons constater qu’avant les années 2010 « aucune indication sur la nature des risques n’a été inscrite » alors que chez nos voisins européens, le risque de malformation y était inscrit depuis 2002. Les conclusions de cette enquête font état d’« une certaine inertie des autorités sanitaires nationales, de l’agence européenne et des laboratoires en matière d’information des prescripteurs comme des patients ».[15] Et Sanofi de se défendre que le laboratoire avait pourtant demandé à plusieurs reprises à l’Agence du médicament de faire évoluer le RCP (la notice) de la Dépakine tout en se gardant bien de ne « pas ou peu communiquer avant 2015 en direction des médecins et des patientes sur les risques tératogènes du VPA » [16].
Le fait d’avoir « informé tardivement et incomplètement les autorités compétentes » [17] et d’avoir « fourni tardivement, incomplètement, approximativement et de manière excessivement rassurante » [18] fait partie des chefs d’accusation relevés par les trois experts judiciaires en charge de l’affaire. Ces derniers ajoutent que Sanofi n’a pas été « proactif, tant au niveau de la recherche que de la communication. Au contraire, la firme a cherché à circonscrire les risques commerciaux potentiels »
Est-il acceptable de laisser de côté la potentielle toxicité pour l’enfant à naître sous prétexte qu’il faille maintenir le traitement chez la future mère et, a fortiori, maintenir les bénéfices commerciaux de la firme ?
Le prolongement judiciaire
Depuis 2015, en France et en Europe, un programme d’information des patientes et de régulation des prescriptions est mis en place afin de guider ces derniers dans la prise en charge de cette pathologie. Ces mesures se traduisent par le conditionnement de la prescription de VPA à la signature d’un protocole de soins de la part de la patiente et le recueil de son consentement éclairé.
À ce jour, plusieurs actions en justices ont été menées contre le laboratoire pharmaceutique Sanofi et contre l’État. Le tribunal de Montreuil a reconnu pour la première fois, 2 juillet 2020, la responsabilité partielle de l’État dans cette affaire. Ce dernier a été condamné à l’indemnisation de trois familles dont les enfants présentent un handicap persistant 0 LA suite de leur exposition à la Dépakine in utero.
Amandine Mamelin
Auditrice de la 35ème promotion MSIE
Bibliographie
1 Dictionnaire Le Robert.
2 Organisation Mondiale de la Santé, Principaux repères, février 2018.
3 BAULAC S. et all., Épilepsie : un ensemble de maladies complexe, encore mal compris, INSERM, 2018.
4 https://informations.handicap.fr/a-sommet-national-epilepsie-10551.php
5 Source : Conseil National de l’industrie.
6 www.pharmexec.com/vies/pharm-execs-top-50-companies-2020
7 Association « Épilepsie France », communiqué de presse du 10/02/2019.
8 Ibid.
9 LEBLANC A., « La longue histoire des « enfants Dépakine » », Enfance & Psy, ERES, n°86 - 2020/02, pp. 136-141.
10 Malformation liée à un défaut de la fermeture du tube neural postérieur et une ouverture du canal médullaire, dans le bas du dos.
11 Plus communément appelé « bec de lièvre ».
12 LEBLANC A., « La longue histoire des « enfants Dépakine » », Enfance & Psy, n°86 2020/02, pp.136-141.
13 ANSM, Exposition in utero à l’acide valproïque et aux autres traitements de l’épilepsie et des troubles bipolaires et risque de malformations congénitales majeures en France, 2017.
14 Ibid.
15 Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium, 2016.
16 LEBLANC A., « La longue histoire des « enfants Dépakine » », Enfance & Psy, ERES, n°86 - 2020/02, pp. 136-141.
17 SEKEL H., « Dépakine : Sanofi mis en examen pour homicides involontaires », Le Monde, publié le 03/08/2020.
18 SEKEL H., « Dépakine : Sanofi mis en examen pour homicides involontaires », Le Monde, publié le 03/08/2020.