Peu de temps avant de quitter le bureau ovale, Donald Trump a promulgué le « Rodchenkov Anti-Doping Act », qui autorise la justice américaine à poursuivre pénalement une personne reconnue coupable de faits de dopage lors de manifestations internationales. A l’instar de l’expression de l’extraterritorialité du droit américain en matière de lutte contre la corruption, cette nouvelle règlementation place une fois de plus les Etats-Unis dans leur rôle d’arbitre, mais surtout, de juge international. Soumise pour la première fois au Sénat en Janvier 2019, cette loi, à la consonnance russe, est le reflet d’une bataille « hors-jeu » que livrent les Etats-Unis à la Russie.
Alors que les Jeux Olympiques de Tokyo devaient se tenir durant l’été 2020, la question du dopage dans le milieu professionnel révèle le glissement qui s’opère dans la perception des évènements sportifs. Le fondateur des Jeux Olympiques modernes, Pierre de Courbertin, accordait de l’importance au développement de l’esprit et du corps fondé sur les prouesses physiques mais aussi les qualités morales et intellectuelles. Le modèle actuel des compétitions sportives s’écarte de la conception originale de bien intrinsèque, reposant sur « le plaisir, l’effort et la coopération » pour devenir un bien extrinsèque selon la définition de D.Cohen.
Les révélations de dopage en masse de sportifs russes lors des JO de Sotchi en 2014 révèlent l’ampleur des progrès scientifiques mais aussi l’existence d’une véritable filière économique, constituée en réseau et, au podium de laquelle se trouve la Russie, la Chine et l’Inde qui représentent 40% de la production de substances dopantes dans le monde.
Rodchenkov, le lanceur d'alerte d'un scandales de dopage institutionnalisé.
Grigory Rodchenkov, directeur du laboratoire national antidopage de Moscou, jouit actuellement du statut très protecteur de « lanceur d’alerte » par les autorités américaines à la suite de ses révélations sur l’institutionnalisation du système antidopage organisé par la Russie lors des JO de Sotchi en 2014.
Lors d’une interview au New York Times, il révèle les circonstances de cette manœuvre russe qui a permis la dissimulation d’échantillon d’urine positif au test antidopage de nombreux athlètes russes. Il indique que ces dissimulations ont été orchestrées avec le soutien du Service Fédéral de Sécurité (FSB) russe et dont une enquête indépendante, menée par l’AMA (Agence Mondiale Antidopage) en 2016 est venue corroborer les déclarations de G. Rodchenkov. Décoré de la médaille de l’ordre de l’Amitié en 2014 par le Président russe Vladimir Poutine, il sera désigné par ce dernier d’« homme à la réputation scandaleuse » en 2016, année marqué par le début des allégation de dopage des athlètes russes.
Le rôle de G. Rodchenkov est clairement établi : chimiste et directeur du seul laboratoire accrédité par l’AMA en Russie (le RUSADA), il participe activement à la dissimulation des résultats positifs des athlètes russes aux tests antidopage qu’il révèlera au Comité international olympique (CIO) et plus récemment, dans son livre autobiographique qui recevra le « William Hill Sports Book of the Year » donnant encore davantage d’écho à ce scandale, à quelques mois des prochains Jeux Olympiques.
Grigory Rodchenkov apparait donc comme le capitaine d’une équipe, où le poids des institutions russes est remarquable et, dont « les combinaisons de jeu » ne se limitent pas au seul terrain de compétition. Indéniablement, les révélations du directeur ont conduit à une mise sous protection, indiquant lui-même, qu’il « craignait pour sa vie » dans le documentaire « Icare », (de Bryan Fogel), permettant à la plateforme Netflix de remporter son premier Oscar.
Le transfert forcé de Rodchenkov vers les Etats-Unis
Contraint de quitter la Russie au regard de la menace grandissante qu’il exprime ouvertement, Grigory Rodchenkov se réfugie aux Etats-Unis avec l’aide du réalisateur du documentaire Icare. Ses aveux et ses témoignages lui permettent désormais d’être un témoin protégé par le FBI au regard de l’application des principes de protection des « Whistleblower » (lanceur d’alerte) et du Programme des lanceurs d’alerte de l’AMA qui institue une procédure de signalement des comportements jugés répréhensibles.
C’est cette protection accordée par les Etats-Unis qui lui a permis de révéler aux autorités qu’il avait détruit 1 417 échantillons d’urine d’athlètes russes lors des JO de Sotchi. Cette manœuvre a permis aux autorités américaines de collecter des informations permettant ainsi de légitimer le rôle que joue désormais les Etats-Unis dans la lutte contre le dopage. En effet, depuis 1999, la mission de l’AMA ou WADA (World Anti-Doping Agency) en anglais, est de « mener un mouvement mondial pour un sport sans dopage ».
C’est à l’occasion d’un sommet extraordinaire, ayant lieu en 2016, soit au moment des enquêtes visant le laboratoire russe, que l’AMA dans un communiqué de presse indique que l’« ’élaboration d’un programme d’incitation, de gestion et de protection des lanceurs d’alerte devrait se voir reconnaître la plus grande priorité principale ». Dans ce même communiqué, l’Agence demande à la Russie de garantir la sécurité Yulia Stepanova, ancienne athlète russe, qui a dénoncé les pratiques de dopage, soutenues par les institutions russes, lors de compétitions internationales mais aussi la sécurité de tout autre lanceur d’alerte.
Malgré ce communiqué, G. Rodchenkov se place sous la protection des Etats-Unis et du programme de protection des témoins organisé par le FBI car il juge que les actions de l’AMA sont insuffisantes au regard du risque auquel il s’expose vis-à-vis des autorités russes. Les Etats Unis sont donc terrain d’accueil, de protection et de révélation qui s’expriment tant dans la sphère politique, que médiatique et culturelle faisant des JO de Sotchi, l’évènement du plus grand scandale de dopage.
Le rôle des Etats-Unis ne se limite désormais plus à la seule protection des témoins privilégiés dans la lutte contre le dopage, mais s’exprime par l’adoption et la promulgation récente d’une réglementation : le « Rodchenkov Anti-Doping Act ».
Les Etats-Unis étendent une fois de plus leur juridiction sur d'autres terrains de jeu
Cette réglementation permet désormais à l’organisation judiciaire américaine de poursuivre toute personne impliquée dans une affaire de dopage internationale. La notion de « toute personne » est entendue de manière large en réalité et, exclut de son champ d’application les athlètes qui sont soumis aux dispositions du Code Mondiale Antidopage.
Les poursuites par les autorités américaines sont possibles dès lors qu’une affaire de dopage survient à l’occasion d’un évènement sportif international impliquant soit un athlète américain, un sponsor ou encore un diffuseur américain.
A la lecture de ce texte, les poursuites par les autorités judiciaires américaines pourront être réalisées en dehors du territoire américain et ce, quelque soit la nationalité des personnes concernées par les faits ou la participation à des faits de dopage. Entendu de manière large, les Etats-Unis expriment une fois de plus l’extraterritorialité du champ d’application de leur loi, imposant un modèle comme il est remarquable en matière de lutte contre la corruption.
Pourtant, force est de constater le paradoxe de cette loi. En effet, les Etats-Unis s’érigent en grand défenseur de la lutte antidopage, malgré les réticences de l’AMA qui craint une désharmonisation dans le système qu’elle souhaite défendre dans la lutte antidopage. L’Agence internationale craint également que la multiplication des législations nationales dissuade les lanceurs d’alerte. Les Etats-Unis ne faiblissent pas et menacent même l’AMA de retirer la contribution annuelle versée à l’Agence (environ 2,7 millions de dollars).
L’extraterritorialité du droit américain n’est pas une nouveauté, son extension à des domaines tel que le sport fait sens dès lors qu’une prise de conscience des enjeux économiques est prise en considération. Plus largement, les compétitions sportives sont, dans une large mesure, une aventure humaine partagée. La compétition est le terrain politique où la victoire ne peut se limiter au seul entrainement de fond. Elle nécessite une explosivité et une anticipation du jeu de l’autre pour monter sur le podium.
Néanmoins, comme le souligne Patrick Trabal, professeur de Sociologie à l’Université de Nanterre, les Etats-Unis semblent prendre une voie dans laquelle les joueurs ne sont pas de même niveau. En effet, l’extraterritorialité s’impose aux personnes non américaines et pourtant, le « Rodchenkov Antidoping Act » exclut de son champ d’application les ligues professionnelles américaines ainsi que le sport universitaire alors même que l’engouement pour ces compétitions restent fort et ce, hors des Etats-Unis.
Par l’adoption de cette règlementation, les Etats-Unis restent dans leur rôle, devenant les arbitres du monde, quel que soit le terrain de jeu qu’ils occupent. La question qui subsiste est celle de savoir pourquoi les ligues sportives américaines ont été exclues du champ d’application ce texte. La réponse économique peut trouver un écho néanmoins l’approche d’une volonté d’extension du soft power par la mise en place d’une « hard law » fait davantage de sens lorsque le « goal » est à l’extérieur du terrain national.
Takwa Nasri
Auditeur de la 35ème promotion MSIE