« La Chine a le soutien des dirigeants africains, mais pas systématiquement celui de ses populations, voire de certaines ONG et chefs d’entreprise africains »
Muriel Devey-Malu-Malu[i]
La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec un volume d’échanges qui atteignait 208,7 milliards de dollars en 2019 ; elle est la principale détentrice (un tiers) de la dette extérieure africaine estimée à 365 milliards de dollars ; quasiment tous les pays du continent ont, à l’exception du royaume d’Eswatini, rejoint l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie, la Belt and Road Initiative (BRI) ; 61 Instituts Confucius dans 46 pays différents ont été inaugurés et véhiculent la « diplomatie du peuple » chinoise ; elle a ouvert son unique base militaire extérieure à Djibouti en 2016 ; elle est le deuxième contributeur financier aux opérations de maintien de la paix et ne cesse de développer la coopération sécuritaire avec ses partenaires africains.
Malgré le discours officiel du partenariat « gagnant-gagnant », la relation sino-africaine est très controversée, essentiellement en raison de son asymétrie prononcée. Les chiffres montrent que, si la Chine est importante pour de nombreuses économies africaines, la réciproque est loin d’être vraie, et il n’y a pas de retombées positives pour les populations, les ONG et les entrepreneurs locaux surtout dans les appels d’offres et les gros contrats signés entre la chine et certains pays Africains.
Un exemple de projet : la mine de fer de Belinga[ii]
Au Gabon où le consortium CMEC (China Machinery Engineering Corporation) / Sinosteel, bénéficiant d’un financement concessionnel de l’EximBank[iii], a obtenu depuis 2006 les droits exclusifs d’exploitation de la mine de fer de la région de Bélinga.
Ce projet représentait un investissement de 3,5 milliards de dollars soit 30 % du PIB Gabonais et le coût requis pour la réalisation des infrastructures nécessaires à l’extraction du minerai de fer s’élèverait à 590 millions de dollars[iv]. Cet IDE devrait générer au Gabon près de 30 000 emplois dont 80 % pour les nationaux. En contrepartie, la China National Machinery and Equipment Corporation (CMEC) – actionnaire majoritaire (85 %) dans la coentreprise avec des capitaux publics Gabonais (15 %) – va construire un chemin de fer de 560 km entre Belinga et Santa Clara (un port en eau profonde sur l’océan Atlantique) ainsi qu’un barrage hydroélectrique pour la fourniture d’électricité à l’exploitation minière et autres activités.
Ce projet dont la mise en service est prévue pour 2011 devrait s’étaler sur 20 ans pour l’exploitation de la mine de fer et d’autres produits connexes. La Chine s’est engagée à acheter tout le minerai extrait à Belinga via un contrat de compensation. D’autres ne sont pas loin de considérer qu’il aurait été préférable de conclure un accord avec les Brésiliens de la Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), numéro un mondial du secteur. « Ils avaient l’expertise nécessaire pour un tel projet, regrette un proche du chef de l’État. Mais à l’époque [en 2006], le feu président Omar Bongo Ondimba a fait l’objet d’un intense lobbying en faveur des Chinois ».
Pour remporter l’appel d’offres, ces derniers n’avaient pas hésité à multiplier les promesses.
L’État gabonais a signé le 24 novembre dernier un accord avec Fortescue Metals Group. Il s’avère qu’à ce jour, ce projet n’a jamais vu le jour. Ceci est un exemple de type de promesse faite par la chine à certains pays Africains afin d’avoir des gros marchés et que les populations locales ne bénéficient pas, car les taux de chômage restent toujours aussi élevés et ces populations autochtones n’ont pas accès à l’eau, à l’électricité dans certains cas.
Il est à noter tout de même que la Chine est le pays qui investit le plus en Afrique subsaharienne aujourd'hui notamment en matière d'infrastructures (routes, stades, palais, etc.…). Les gouvernements Africains signent de plus en de plus de partenariats avec la Chine car il y a le sentiment d'être traité d'égal en égal. La chine n'a pas d'histoire coloniale avec l'Afrique. Par ailleurs, outre les gouvernants, la plupart des populations estiment que les Chinois travaillent mieux et vite en comparaison de sociétés par exemple française. Si un projet initié par les Chinois échoue ou tarde à se concrétiser, c'est souvent lié à des luttes intestines au sein des gouvernants ou le non-paiement des échéanciers de la part du pays bénéficiaires.
Abdoulaye Wade[v] déclarait au sommet UE-Afrique de décembre 2007 tenu à Lisbonne : « Quand je veux construire cinq kilomètres de routes avec la Banque mondiale ou les autres institutions financières internationales, il me faut cinq ans. Avec la Chine, c’est quelques jours. Je dis oui ou je dis non, ils viennent, on signe le papier, ils sont sur place ». Cela permet également aux hommes politiques africains d’améliorer leur image auprès de leur population en montrant que la situation évolue.
De plus, Pékin ne se préoccupe pas des affaires internes (bonne gouvernance, droits de l’Homme, démocratie, etc.) de certains pays Africains[vi].
Quand nous observons la réalité sur le terrain, on constate qu’il y a quelque chose de similaire à l’invasion chinoise du continent africain. C’est une chose qui rappelle les effets que la colonisation a eu sur le continent africain, comme le fait d’amener des milliers d’ouvriers chinois en Afrique sous le prétexte de l’emploi, alors que parallèlement l’Afrique souffre du chômage. Au-delà de ces dénonciations du danger d’une nouvelle colonisation, les entre–prises chinoises sont accusées d’inonder les marchés locaux avec des contrefaçons ou des produits de mauvaise qualité. Les petits commerces chinois submergent de nombreuses villes africaines, pour concurrencer directement les marchés locaux.
Plus de 30.000 Chinois seraient aujourd’hui installés en Algérie par exemple, travaillant dans les secteurs de la restauration et du textile. Au Cameroun, les vendeurs des beignets (tradition locale) sont concurrencés par les vendeurs chinois. La présence chinoise en RDC se ressent principalement à travers les petits marchands et restaurants. Ces commerces forment une concurrence impitoyable pour les locaux. Ici encore, il faut cependant partiellement relativiser ces observations. La majorité des importations chinoises de produits de base ne forment qu’une petite partie des importations totales (moins de 25 %). La Chine exporte bien plus des machines, des équipements électroniques, etc.
Un problème réside dans la question de la main d’œuvre chinoise. De nombreux contrats chinois seraient accompagnés d’une clause exigeant que 70 % des travaux soient exécutés par des ouvriers chinois. Il faut toutefois nuancer cette affirmation car cela dépend des pays et des contrats. Dans certains cas, la main-d’œuvre locale peut atteindre 60 % (deux exceptions notables sont la Sierra Leone et l’Angola). De nombreuses sociétés chinoises sont néanmoins confrontées à un manque de main-d’œuvre locale qualifiée et doivent recourir à leurs nationaux. Cela risque d’ailleurs d’avoir des conséquences importantes sur le moyen terme lors de l’entretien des infrastructures, les locaux n’étant pas suffisamment formés. Un problème supplémentaire est que les ouvriers chinois vivent dans des campements fermés, ce qui réduit le contact et donc le commerce avec les populations locales. La Chine a en outre été accusée de faire appel à des prisonniers ou des conscrits pour ses travaux. Les sociétés chinoises ont également la réputation de faire peu de cas des conditions de travail des ouvriers locaux, si dans les médias occidentaux, les bas salaires et les conditions de travail sont souvent dénoncés, les sociétés chinoises ne sont pas les seules à avoir ce monopole regrettable. En effet certaines sociétés occidentales sont également pointées du doigt et il n’est pas rare qu’il y ait des tensions entre employeurs et ouvriers exemple au Sénégal et en Zambie[vii] .
Quid des PME et TPE locales
Les entreprises locales ne sont pas aussi épargnées par le système en place, il y a de plus en plus des entreprises qui répondent aux appels d’offres, et grâce aux prêts de l’État chinois, elles avaient trouvé un moyen d’amortir leurs coûts d’installation, quitte à mener des projets à perte. Mais une fois implantées localement et bien rodées aux pratiques locales, on observe généralement qu’elles réajustent à la hausse leurs tarifs dixit Jacques Darbin[viii].
Ceci ne favorise pas vraiment l’essor des PME et TPE locales dans le secteur des infrastructures, BTP et du textile, car il est à noter que ces entités représentent plus de 50% du tissu économique de l’Afrique subsaharienne.
En Afrique de l’Ouest, par exemple, les entreprises chinoises n’entrent que très rarement en concurrence avec des entreprises locales, mais ils contribuent à la création de nouveaux emplois peu qualifiés. Ils augmentent la concurrence sur le terrain des appels d’offre, ce qui entraine une diminution des marges bénéficiaires des entreprises actives dans le secteur des matières premières. Pour les États africains, en revanche, cette nouvelle concurrence contribue à une hausse de leurs revenus. Il arrive que la diplomatie chinoise intervienne pour soutenir la signature d’un très gros contrat par une entreprise nationale. Mais cette pratique, qui n’est pas toujours couronnée de succès, n’est pas spécifique à la diplomatie chinoise. Si elle n’est pas non plus spécifique aux États africains, elle renvoie néanmoins à un mode de fonctionnement particulier au sein de ces derniers. Les boutiques ou les restaurants chinois s’insèrent quant à eux dans des secteurs où des commerçants aux origines diverses sont présents depuis longtemps. Aux Libanais, Syriens, Grecs, Français, Belges, ou Indo-Pakistanais s’ajoutent aujourd’hui des commerçants chinois. Si leur présence étonne et entre en concurrence avec certains, il en faudrait davantage pour bouleverser l’économie politique des pays concernés. Et c’est d’autant plus vrai que, en raison de leur prix bas, les produits chinois s’adressent à une clientèle qui n’avait pas accès à ce type de produits avant leur arrivée.
Afin de ne pas généraliser, l’environnement des affaires en Afrique du Sud est bien plus régulé qu’ailleurs en Afrique (ou qu’en Chine), restreignant ainsi la latitude d’action de compagnies chinoises habituées à plus de libéralité et de laisser-faire, en Afrique centrale en particulier.
De plus, les entreprises chinoises ont peu de fournisseurs africains, en valeur seuls 47% des approvisionnements des entreprises chinoises[ix] proviendraient de sociétés africaines, qui pourraient davantage bénéficier des investissements chinois sur le continent.
La création des zones économiques entre autres favorise les entreprises chinoises lors des appels d’offres, car ces dernières bénéficient des défiscalisations et des avantages que n’ont pas les PME locales.
Conclusion
La nature de la présence chinoise en Afrique, et notamment l’absence de respect d’un niveau minimum de normes, en particulier sociales et environnementales, dépendent également beaucoup de la nature des différents régimes africains avec lesquels la Chine travaille. D’une manière générale, les progrès de la démocratie et l’existence d’une véritable société civile nuisent à la marge de manœuvre de Pékin ou des entreprises chinoises.
Les Chinois ont mieux compris que quiconque que la faiblesse de l’Afrique réside dans ses infrastructures et que cela forme un frein au développement économique et social du continent. Aussi la Chine finance de grands projets routiers, ferroviaires, hydrauliques et de construction (stades, palais).
En définitive, la Chine n’est pas nécessairement l’« ami des Africains », mais il s’agirait plutôt d’« un mariage de raison ». Les dirigeants des pays en marge de la communauté internationale apprécient fortement la présence chinoise (Soudan, Zimbabwe), ainsi que ceux des pays en transition et en reconstruction (Angola, RDC, Sierra Leone, Tanzanie). Il n’en demeure pas moins que les investissements chinois ont en effet incontestablement permis aux pays africains de renforcer leurs capacités industrielles et de créer des emplois. Les partenariats avec la Chine ont des avantages indéniables et des inconvénients que, du fait de leur caractère stratégique pour la Chine, les Africains ont largement la capacité de contrer.
Par ailleurs, la Chine regarde aussi d’un œil très bienveillant l’émergence à venir d’une classe moyenne africaine, au pouvoir d’achat non-négligeable, qui pourra bientôt atteindre les quelques centaines de millions de personnes.
Gaulthier Moussouami
Notes
[i] Née à Paris, géographe et historienne de formation, journaliste-reporter à MAKANISI, spécialisée sur l’Afrique, en particulier l’Afrique Centrale. Elle a conçu le site www.makanisi.org avec Arthur MALU-MALU.
[ii] Bélinga est une ville du Gabon, située dans la province de l'Ogooué-Ivindo. Ses alentours abritent un vaste gisement de minerai de fer, qui s'étend au Cameroun et à la République du Congo voisins. Ce gisement, découvert en 1895, recèle une réserve d'un milliard de tonnes.
[iii] China Export-Import Bank
[iv] Cf. Lucy Corkin, China’s Contribution to the Development of African Infrastructure through Investment in Extractive Industries, Afrodad, Occasional Papers, n° 8.
[v] Président de la République du Sénégal du 1er avril 2000 au 2 avril 2012.
[vi] Européens et Américains ne sont pas toujours très regardants dans leurs relations avec certains régimes Africains.
[vii] En 2005 et 2011, des ouvriers zambiens perdront la vie dans une mine de cuivre à Chambishi dirigée par des Chinois. Cet incident entraînera des tensions entre la population locale et les Chinois sur place.
[viii] Ancien Directeur de filiales de Sogea-Satom, Kinshasa, 4 juillet 2009.
[ix] Le rapport de McKinsey, publié mercredi 28 juin 2017, s’appuie sur des études conduites dans huit pays du continent qui génèrent à près des deux tiers du PIB d’Afrique sub-saharienne. Il estime que plus de 10 000 entreprises chinoises opèrent actuellement sur le continent, soit quatre fois plus que les estimations précédentes.
Sources
https://www.jeuneafrique.com/31863/economie/bras-de-fer-autour-de-belinga/
https://www.gabonreview.com/exploitation-du-fer-de-belinga-le-dossier-rouvert-10-ans-apres/
https://www.youtube.com/watch?v=eL8WxboFUq4&list=PLmKB2BgNW4dq8f2IpnfY6RDnyXheKpP2Y&index=2&t=680s
https://www.youtube.com/watch?v=-ko5BxPz2OE&list=PLmKB2BgNW4dq8f2IpnfY6RDnyXheKpP2Y&index=1&t=257s
https://www.jeuneafrique.com/451769/economie/10-000-entreprises-chinoises-operent-continent-selon-mckinsey/
https://www.forbes.fr/finance/quelle-strategie-pour-la-chine-en-afrique/
Vulliet, B., Kernen, A., « Petits commerçants et entrepreneurs chinois au Mali et au Sénégal », in Afrique contemporaine, n° 228, 2008/4
La Chine et les grandes puissances en Afrique : Une approche géostratégique et géoéconomique de Tanguy Struye de Swielande à UCL Presses Universitaires de Louvain.