Les retombées de la guerre informationnelle contre l’industrie aéronautique

« Oui, le train est 32 fois moins polluant que la voiture et 23 fois moins que l’avion ». L’information donnée par la SNCF, dans un article présent sur leur site institutionnel mis à jour en date du 28 juillet 2020, ne laisse aucun doute quant à son interprétation : Voyager avec la compagnie ferroviaire française est compatible avec la préservation de la planète. Autrement dit, voyager avec le train est une fierté contrairement à la honte de voyager en avion. Attention, la SNCF n’est pas dans une communication moraliste directe à l’égard des voyageurs, mais profite d’un mouvement plus global entamé il y a plusieurs années et ayant pour origine la Suède. En d’autres termes, la SNCF récolte les fruits la guerre informationnelle contre l’industrie aéronautique.

En effet, le mouvement « Flygskam » en provenance de la Suède et qui se traduit en français par « la honte de prendre l’avion » est le fruit d’une idéologie basée sur la préservation de la planète. Cette guerre par l’information débutée en 2018 par un instagrameur anonyme a, en très peu de temps, chamboulé le marché de la mobilité nationale et trans-nationale. Les répercussions de cette campagne ont introduit un mouvement de transfert des voyageurs utilisant l’avion vers le train dans plusieurs pays d’Europe occidental dont la France. En effet, alors que la SNCF s’attendait en été 2019 à une hausse de la consommation de train de 3 à 4%, elle fut agréablement surprise en constatant une hausse de 7% des réservations de billets TGV. L’ancien président directeur général Guillaume Pepy y voit la manifestation du Flygskam entamé quelques mois auparavant.

Par conséquent, les dommages infligés à l’industrie aéronautique et notamment aux compagnies aériennes ayant basé leurs business model sur le low-cost ont engendré des externalités positives pour les sociétés ferroviaires et notamment la SNCF. En effet, alors même que les voyages et les déplacements par avion, qu’ils soient sur du court courrier ou du long courrier, étaient (avant la covid) en plein boom avec des succès d’achats notamment pour Airbus (1131 avions vendus en 2019 et 863 avions livrés), les différentes compagnies aériennes craignent d’avoir à laisser des parts de marché au profit du secteur ferroviaire.

En outre, dans cette confrontation informationnelle sur la mobilité plus respectueuse de l’environnement, d’autres acteurs apparaissent pour orienter les voyageurs vers le train et délaisser l’avion comme : Greta Thunberg qui s’est interdit de voyager en avion, la Convention Citoyenne pour le Climat qui a proposé de supprimer les vols intérieurs quand il existe une alternative bas carbone qui dure moins de quatre heures à l’horizon 2025 ou bien encore, le gouvernement français qui souhaite contraindre les opérateurs aériens à ne plus utiliser l’avion sur des trajets sur lesquels la durée d’un voyage en train est inférieur à 2h30 (que ce soit Air France en contrepartie d’un prêt de 7 milliards d’euros ou bien les compagnies low cost qui utiliseraient ces lignes délaissées par Air France).

La nature de la confrontation et la stratégie des acteurs 

Dans cette guerre de l’information par le contenu, nous avons deux parties clairement opposées : l’aérien et le ferroviaire. Du côté aérien, c’est effectivement une menace pour le secteur qui a été exprimé notamment par Alexandre de Juniac, directeur général de l’association internationale du transport aérien (IATA), le 10 mai 2019 en affirmant devant l’Usaire (association d’entreprises américaines et européennes de l’aéronautique) « C’est une grande menace. Le secteur du transport aérien est confronté à un risque de réputation. C’est une première ». Tandis que du côté ferroviaire, le Flygskam est une opportunité à saisir comme l’a expliqué Jean Pierre Farandou, le nouveau PDG de la SNCF, a des étudiants lui ayant posé la question de la pertinence de payer un billet à 100 € pour un voyage Paris-Nice « Je ne pense pas que le phénomène des avions low-cost va durer, surtout après le choc de la Covid-19. Si vous intégrez les coûts environnementaux, vous ne paierez plus 30 euros pour voler de Paris à Lisbonne. Les prix de l’aérien ne reflètent pas le coût complet, dans la mesure où ils n’intègrent pas un « vrai » prix du carbone. Vous avez entendu parler du flygskam : en Europe du Nord, les jeunes ne veulent plus prendre l’avion. Ils préfèrent le train de nuit ».

En tout état de cause, la SNCF dispose d’un boulevard pour attirer beaucoup plus de voyageurs. Il est évident que ce n’est pas qu’avec des slogans du type « Vous êtes un explorateur dans l’âme, sensible à l’écologie ? Passez à l’étape d’après et optez pour un tourisme responsable et durable ! Ça commence par le choix d’un mode de transport respectueux de l’environnement. » qu’elle pourra gagner encore plus de part de marché. La SNCF s’est plutôt positionnée sur une politique de baisse des prix avec le service Ouigo, sur la fusion entre Thalys et Eurostar pour en faire une entité européenne desservant le nord de l’Europe et qui arrivera en 2021, un investissement plus accru sur l’hydrogène ainsi que sur les possibilités du digital. Autrement dit, alors même que la SNCF n’a pas été à l’initiative de ce mouvement, elle en profite pour, d’une part, s’habiller de ces slogans et, d’autre part, mettre en œuvre des projets en rapport avec la fierté de prendre le train. Mais au-delà de la fierté de prendre le train, il y a aussi un travail à faire (ou qui se fait) pour convaincre d’autres consommateurs que les trajets en train sont agréables. Il s’agira pour la SNCF de travailler et ainsi communiquer sur la perception du temps pour le voyageur.

Côté aérien, Alexandre de Juniac concède un défaut de communication du secteur en affirmant « En dehors des cercles de l’aviation, personne n’est au courant de tout que nous faisons. Personne ! Peut-être n’avons-nous pas assez communiqué ». Le 5 mai 2019, il avertit les membres de l’association qu’à défaut, des idées « stupides comme la taxation du kérosène » seront sur le champ de la guerre informationnelle. Il s’agit là d’un aveu évident sur la défaite de communication des avancées en matière de protection de l’environnement par le secteur aérien, selon Alexandre de Juniac.

Les compagnies aériennes tentent de communiquer sur leurs mesures en matière de protection de l’environnement. Air France a par exemple misé sur une communication s’agissant du renouvellement de sa flotte d’avions moins émettrice en CO2ou bien encore de « l’éco-pilotage, le recyclage, la compensation des émissions de CO2, l’utilisation de carburants durables d’aviation et la mobilisation de la recherche ».

Qui sort vainqueur de cet affrontement informationnel ?

Indubitablement, les réseaux pro environnement qui ont, en très peu de temps, basculé le paradigme de la mobilité. Autrement dit, un simple compte Instagram a conduit tout le secteur aéronautique et ferroviaire (de la production à son exploitation) à s’adapter à un nouveau besoin du consommateur. En utilisant la morale comme levier d’action, le mouvement Flygskam a su s’exporter au-delà des frontières suédoises. L’individu pro écolo trouve les moyens d’agir sur un phénomène qui est plus grand que lui. Par comparaison, cette action individuelle a trouvé beaucoup plus de retentissement économique et politique en si peu de temps que l’action individuelle du tri sélectif.

Sur le marché français, la SNCF récolte bien évidemment les fruits de cette communication moralisatrice. Opportuniste au début, elle devra sans doute avoir une communication plus offensive et le plus rapidement possible pour préparer la sortie du confinement afin de prendre des parts de marchés sur l’avion mais aussi sur les transports par route.

Quant à Air France, sur le champ de la guerre informationnelle, force est de constater l’incapacité de cette compagnie à s’extraire d’une posture défensive. En effet, l’enjeu fondamental réside dans le marché des consommateurs de voyage : Le consommateur voulant voyager moins cher et le consommateur voulant voyager en respect de la protection de la planète quitte à payer plus cher. La bataille informationnelle se joue sur la seconde catégorie qui détient une propension à consommer suffisamment importante pour payer plus cher une mobilité plus écologique. Par conséquent, les compagnies aériennes peuvent, pour recapter cette population, lui proposer de payer plus cher son billet permettant ainsi de financer des projets verts. C’est sur ce champ là que les compagnies aériennes peuvent aussi jouer et convaincre le consommateur qu’il n’y a de plus honte à prendre l’avion.

Mohamed Gareche

 

 

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