Le domaine de recherche de l'intelligence artificielle a été fondé en tant que discipline académique en 1956. A l’origine de cette discipline, une poignée de scientifiques dans une dynamique pluridisciplinaire (mathématiques, psychologie, ingénierie, économie et science politique) ont commencé à discuter de la possibilité de créer un cerveau artificiel.
Le dictionnaire Larousse définit l’intelligence artificielle comme un ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine. Avec l'intelligence artificielle, l'homme côtoie un de ses rêves prométhéens les plus ambitieux : fabriquer des machines dotées d'un « esprit » semblable au sien. Pour John MacCarthy, l'un des créateurs de ce concept, « toute activité intellectuelle peut être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine ». Tel est le pari – au demeurant très controversé au sein même de la discipline – de ces chercheurs à la croisée de l'informatique, de l'électronique et des sciences cognitives.
L’industrialisation de l’IA et les défis de la démocratisation
A date, l’IA sujet polymorphe, complexe, abscons pour beaucoup est un outil dénué de sensibilité, d’esprit critique, de conscience, et qui ne fait que reproduire ce pourquoi un être humain l’a programmé.
L’IA regroupe de nombreuses technologies et algorithmes permettant de reproduire les capacités humaines avec une grande précision et efficacité. Un des objectifs classiques de l’IA est de réaliser un « robot » décideur qui soit perçu comme intelligent par un humain, et passant avec succès le test de Turing.
Pour découvrir et mettre en perspective la profondeur des technologies, dans une logique d’anticipation de stratégie française/européenne ambitieuse autour de l’IA, l’analyse du schéma Hype cycle for AI de Gartner est essentielle pour la compréhension des enjeux actuels et à venir. De plus à l’évidence l’intelligence artificielle et l’identité numérique rayonnent sur l’édition 2020 du Hype Cycle des technologies émergentes livrée par Gartner.
Les techniques d’apprentissage automatique (Machine Learning, Deep Learning, ...) sont prédominantes dans les usages et les expérimentations actuels. Nous identifions par ailleurs aujourd’hui 2 tendances majeures de l’IA sur le schéma Hype cycle for AI de Gartner 2020, à savoir sa démocratisation et son industrialisation.
L’impact des technologies d’IA, qui permettent une autonomie décisionnelle sur nos vies personnelles et professionnelles, (partout dans nos usages quotidiens, mais invisible) sera à l’évidence important et se caractérisera par un changement de paradigme mettant à l’œuvre l’interaction homme-machine, dans une logique de complémentarité. Il s’agira surtout de développer une forme de complémentarité capacitante, étant entendu que certains rapports ne sont pas souhaitables, pour exemple : obéir aux ordres d’une intelligence artificielle, perdre le contrôle sur les processus, déléguer les décisions à la machine, autant de modes de complémentarité, qui, au niveau individuel et collectif, seront susceptibles de créer différents traumatismes et souffrances.
La guerre de l'information pour ou contre l'IA
Ainsi les fantasmes, les promesses, les attentes, les interrogations, les incompréhensions, voire la défiance généralisée de l’opinion publique à l’égard de l’IA se caractérisent avec force et une fréquence accrue dans la littérature économique et politique actuelle. Il s’agit là d’une stratégie délibérée de guerre de l’information que se livrent les acteurs « pour » ou « contre » l’IA.
Cependant son avènement est inéluctable. Force est de constater, que l’intégration, et le déploiement de l’IA dans notre monde contemporain est une réalité. Je pense particulièrement à la révolution des données disponibles (BIG DATA/OPEN DATA), à la puissance de calcul informatique désormais accessible par le cloud permettant une démocratisation de l’IA, et aux algorithmes qui de la même façon se démocratisent (AIaas).
Il est à noter par ailleurs que les récents progrès de l’IA sont en grande partie dus à l’utilisation croissante de processeurs graphiques, les GPU (graphic processing unit) permettant de réaliser du calcul généraliste et massivement parallèle. (Cf. Rapport Villani – p127).
Les GPU apparaissent donc aujourd’hui comme clés pour le développement de l’IA. C’est pourquoi il est essentiel de penser l’innovation de rupture (DeepTech) dans ces domaines également, pour des raisons de souveraineté, mais également pour des raisons environnementales.
L’ambition qui doit être celle de la France ( AI FOR HUMANITY – L’IA au service de l’humain ) doit s’envisager au niveau européen. Cette mise à l’échelle permet d’incarner et de nourrir une existence possible de l’Europe, et ce dans le but de se positionner autrement dans le concert international de guerre économique sur le sujet de l’IA. Cette ambition traduite dans le label français TECH4GOOD englobe à la fois les enjeux contemporains clés de la double transition numérique et écologique, et la mise en perspective des objectifs onusiens de développement durable (ODD).
Beaucoup d’autres enjeux et sujets d’actualités comme l’éthique (IA, données), la confiance & la transparence, la normalisation & la certification (audit), les biais cognitifs dans la collecte et la classification des données, la mixité, la diversité et l’inclusivité, la vie privée, la protection des données personnelles (Souveraineté – extraterritorialité : RGPD, CNIL, ...) et l’ouverture des données publiques et privées (open data – intérêt général); font partis inéluctablement des préoccupations actuelles. Ces sujets seront naturellement pris en considération dans notre analyse de façon implicite, sans pour autant développer cette partie en profondeur.
L’intelligence artificielle est devenue pour tous, et très vite, un enjeu stratégique, un nouvel outil de création de valeurs économiques sur lequel investir. A ce titre il est essentiel de penser notre devenir en prenant en compte le principe de souveraineté numérique de notre approche.
Le design, un élément du soft power français ?
La position de la France dans le concert international, pour sortir de notre position supposée de colonie numérique, doit être singulière et se différencier en adoptant une posture résolument « french touch » propre au soft power français lié à notre culture. En ce sens il semble opportun de mobiliser les potentialités du design, afin de développer l’expérience utilisateur comme facteur clé de succès d’appréhension, d’acceptation sociétale et de capacité d’exécution des organisations dans l’utilisation de l’IA.
Le design est un terme aussi large que l’intelligence artificielle. Il design est en fait une approche centrée sur l’humain, permettant de repenser le monde. Cette pratique met en avant, en évidence ce qui reste à l’humain, ce qui fait sa singularité, à savoir sa créativité, son imagination, sa sensibilité et son esprit critique.
Dominique Sciamma Président de l’APCI – Promotion du design et Directeur de CY École de Design, mathématicien de formation puis informaticien, est un praticien de l’IA (Membre de l’Association française d’intelligence artificielle). En Juillet 2017, il rejoint sur invitation le Hub France IA (dont l’objectif est d’animer l’écosystème de l’intelligence artificielle en France et en Europe) en étant un des 100 membres fondateurs. Au sein de ce think tank il anime aux côtés de Jean-Louis Frechin, le groupe de travail Design et IA. Ce dernier envisage le design comme un acte politique. Grace à la conviction qui les anime (voire mission), ils écrivent ensemble une note à destination de la mission Villani ayant pour objet Pas d’IA sans design ?!
Dominique Sciamma développe l’idée que seul le design peut éviter à l’IA un nouvel hiver. Ainsi une IA européenne nourrie de design, centrée sur les gens, pourrait faire la différence avec les approches chinoises ou américaines. J’aime à penser que le Design est un atout majeur pour l’A – j’en suis même convaincu ! Il pourrait contribuer à une critique de la culture dominante de l’IA, et permettre d’envisager des futurs possibles à l’hégémonie actuelle (peut-être passagère) des grands acteurs du numérique (GAFAM, NATU, BATX,....).
Les marges de manœuvre de l'utilisateur
L’IA aura besoin du designer pour être utilisée de manière optimale et pertinente, car c’est lui qui s’intéresse à l’expérience utilisateur. Pour que l’intelligence artificielle entre dans nos vies, et qu’elle soit acceptée, utilisée, il sera nécessaire de travailler sur l’acceptabilité, l’ergonomie, les facilités d’usage. Finalement, c’est le designer qui créera les conditions éthiques, justes et pertinentes de l’intégration de l’IA dans de nouveaux services et objets ; ce qui rend son rôle d’autant plus important. Son action permettra de résister aux boîtes noires des programmes « auto-apprenants », ceux des techniques du deep learning, dont les logiques de fonctionnement sont actuellement inintelligibles (principe de la « boîte noire »).
Le designer en tant que creative technologist deviendra le chef d'orchestre, donnera des directives et prendra des décisions pour l’avènement d’une IA responsable « à la française », en lien avec nos valeurs et notre culture. Il questionnera les impacts et les enjeux humains, sociétaux, économiques et conceptuels de l’intelligence artificielle. De la même façon, il réfléchira aux formes et aux interactions qu’elle est susceptible de prendre dans un futur proche. Le designer fait partie à l’évidence des nouveaux métiers de l’IA (Data scientist, Data analyst, ...), son action politique servant l’intérêt général.
L’interaction du design et de l’IA doit cependant s’apprécier dans une double acception; l’idée étant de comprendre en quoi le design peut enrichir l’IA comme vu précédemment, mais aussi identifier et comprendre le role de l’IA pour la pratique du design (le potentiel de créativité de l’IA : IA Design). L’intelligence artificielle permettra d’anticiper les modifications, les évolutions et potentialités de la pratique du design (generative design). Elle aura très certainement pour conséquence de changer radicalement le design et la manière dont les designers travaillent sous l’angle de l’interdisciplinarité, de l’automatisation, de l’aide à la création, et ses conséquences éventuelles en termes de perte d’emploi. En effet demain une partie de cette production technique et esthétique pourra être automatisée et le rôle du designer ira encore davantage vers sa capacité à comprendre l’humain et les usages, vers l’expérience et vers la lecture du monde en général.
Interdisciplinarité et diversité : le printemps de l'IA à la Française
L’Enjeu de l’interdisciplinarité, notion chère à Cédric Villani, est un atout pour devenir un acteur agissant, influent et participé au leadership européen qui pourrait advenir. A dessein, il est important de s’appuyer sur le Réseau National d’Instituts Interdisciplinaires d’Intelligence Artificielle (RN3IA) qui vise à encourager les recherches interdisciplinaires, et à encourager l’originalité.
L’interdisciplinarité peut aussi se caractériser dans une dynamique d’acculturation voire d’alphabétisation des conseils d’administration, afin de faire pénétrer la culture de l’IA au sein des organisations. Pourquoi ainsi ne pas nommer des chercheurs en IA dans les conseils d’administration ? Etant entendu que la Data Literacy ou l’art de donner du sens à la donnée est le véritable enjeu de nos sociétés, organisations et entreprises. Développer cette culture d’entreprise orientée vers les données, est un sujet critique pour l’ensemble des organes de gouvernance de l’entreprise, dans une logique de création de valeur, d’évolution du modèle économique voire de survie dans une économie pos-digitale.
L’interdisciplinarité associée à la diversité afin de développer des territoires d’exploration plus intimes, moins visibles : « Certains domaines de l’IA moins visibles aujourd’hui (représentation des connaissances, Web sémantique, IA distribuée, théorie des jeux) ne doivent pas être oubliés; ils sont porteurs d’une diversité qu’il ne faut pas abandonner, et qui porte peut-être les germes de la prochaine révolution de l’IA.
La diversité est d’autant plus importante face aux GAFAM, qui semblent concentrer leurs efforts sur les domaines les plus visibles : c’est peut-être dans ces autres domaines que nous pourrons créer la surprise face aux moyens mise en œuvre par ces géants de l’IA » (Cf. Extrait du rapport Villani - Page 77).
Mobiliser l’intelligence artificielle et le BIG DATA pour la détection des signaux faibles, modéliser les futurs possibles (design fiction), mobiliser les énergies, l’inventivité, l’élasticité d’esprit, l’agilité du faible pour provoquer la certitude et l’hégémonie d’oligopoles constitués à caractère libertarien et transhumaniste, semble être une stratégie opérante pour reprendre la main sur nos expertises sectorielles, nos avantages concurrentiels et nos niches d’excellence actuelles et à venir, à l’image de la deeptech, territoire d’innovations de rupture. In fine l’IA ne sera jamais en mesure de rivaliser avec l’imagination et la créativité d’un être humain.
Patrick Blancheton
Auditeur de la 36ème promotion MSIE