Les organisations « fréristes » à l’assaut de l’Union Européenne

L’Union Européenne (UE), puissance normative par excellence, accueille en son sein à Bruxelles, tous ceux qui ont une cause à défendre, pour autant qu’il s’agisse de droits humains et de valeurs humanistes. Ainsi, lobbys, think tank, organisations non gouvernementales (ONG) et autres cabinets de conseil arpentent les couloirs de l’édifice bruxellois pour y placer leurs influences et leurs idées.

Ces derniers mois, l’activisme de certains a attiré l’attention de quelques autres, tout particulièrement à l’automne 2021, lors d’une campagne de communication pour la liberté de port du hijab pour les femmes. Deux acteurs se détachaient du décor belge : l’ONG FEMYSO[i] (Forum des Organisations Européennes de Jeunes et d’Étudiants Musulmans – Forum of European Muslim Young and Student Organisation) et en contre champ, la France.

Qui est FEMYSO ?

FEMYSO est un réseau paneuropéen d’organisations, composé de trente-trois membres issus de vingt pays européens[ii] et dont la vision est de promouvoir une Europe culturellement diversifiée. On y retrouve ainsi des organisations de jeunes musulmans d’Albanie, Belgique, République Tchèque, Bosnie-Herzégovine, France, ou des structures plus complexes tel que l’Institut Européen des Sciences Humaines de Paris (IESH).

Crée en 1996, FEMYSO s’est rapidement installée à Bruxelles pour faire partie du Conseil Consultatif sur la Jeunesse du Conseil de l’Europe dès 2001. Dès lors, cette ONG va s’atteler à répondre aux appels à projets commandés par l’Union européenne en respectant les grilles normatives des institutions européennes. C’est ainsi que l’organisation non gouvernementale passera sous les radars et échappera à tous contrôles, d’autant que le fonctionnement des commissions européennes ne permet pas d’identifier qui approuve ou non ces appels à projets en tant qu’entité humaine[iii]. La pénétration de leurs idées se fait donc naturellement en suivant les règles de l’UE. FEMYSO va ainsi toucher près de 590 000€ de fonds européens entre 2007 et 2019[iv] et obtenir un solide soutien et ancrage institutionnel légitime dans ses missions qui ont pour but « d’encourager le développement d’une identité musulmane européenne »[v].

Lorsque l’on navigue sur leur site internet, la présentation est claire, voire transparente. Tout y est, des partenaires, de la mise en réseau, des campagnes, des formations, des enquêtes, comme celle en cours sur « l’islamophobie genrée »[vi] ou celle de 2019, « your vote, your voice »[vii]diffusée dans le cadre de la campagne pour les élections européennes.

Le loup est-il dans la bergerie, ou le cheval de Troie dans la cour ? Quoiqu’il en soit, FEMYSO est inscrit au registre des lobbys[viii] depuis 2015 occupe un espace informationnel important au sein de l’UE (Commission Européenne, Parlement Européen, Conseil de l’Europe), de la Ligue Arabe de la Jeunesse et des Sports, de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et de l’ONU (Organisation des Nations Unies). De prime abord, cette liste non exhaustive de ses commanditaires devrait donner une légitimité à ce groupe, puisque le décor semble planter les valeurs des droits humains défendus entre autres par l’UE. Mais en y regardant de plus près, certains points peuvent interroger et laisser sceptique. En particulier leurs publications liées au retrait inopiné de la campagne du Conseil de l’Europe, dont le but avoué était de promouvoir le port du hijab et d’encourager les femmes musulmanes à le porter, ou comment « la liberté de choisir est synonyme de diversité »[ix].

L’attaque est en règle, puisque la France est reconnue comme responsable de ce retrait[x]. Que ce soit sur leur site ou Twitter, la France est fustigée comme responsable de l’exportation du racisme : « France’s biggest export is racism », comme le précise la présidente de l’ONG, Hande Taner dans le Twitte du 4 novembre et la vidéo d’Al-Jazeera qui l’accompagne[xi] . Sur leur site, la France est accusée d’hypocrisie et de tenir un discours antimusulman.

Mais pourquoi tant d’aversion ?

Une fuite se serait-elle produite dans l’infiltration par cette ONG et ses partenaires au sein des institutions européennes ? Deux agendas se seraient-ils télescopés ?

Le décor était-il trop beau, à la manière d’une « façade d’un village Potemkine »[xii] ?

Cet épisode de la campagne du hijab, comme celui du « dictionnaire inclusif » à destination de la Commission Européenne où la patte de ces organisations apparaît, a mis en lumière toute une constellation d’organisations musulmanes prônant un islam politique et rigoriste.

Depuis plusieurs années, si elles ne font pas la « une » des médias, elles sont néanmoins dans le viseur de chercheurs, tel que Lorenzo Vidino (directeur du programme de recherche sur l’extrémisme à l’Université George-Washington), d’essayistes et auteurs tel que Michaêl Privot (ancien membre des Frères Musulmans et auteur de l’ouvrage « Quand j’étais Frère Musulman, parcours vers un islam des lumières » éd. La Boîte de Pandore, 2017), ou tout simplement des services de renseignements belges. Avec la dénonciation de cette campagne, des enquêtes ont été menées et toutes ont convergées vers la galaxie des Frères Musulmans. Que ce soit par leurs membres, ou les ramifications de certains partenaires, une nébuleuse frériste se dessine avec comme ombre portée les réseaux religieux turcs (DITIB)[xiii] ou le think tank turc SETA[xiv]  qui publia le rapport « L’Islamophobie en Europe », payé 126 951€ sur fonds européens[xv].

En d’autres termes, à défaut de pouvoir entrer dans l’UE comme membre à part entière, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan alimente l’influence des Frères Musulmans dans les institutions européennes, et ce, autour d’émanations tel que le Council of European Muslims (CEM, anciennement Union des Organisations Islamiques de France – UOIF), du CCIF (Collectif contre l’Islamophobie en France) avant sa dissolution en 2020 ou du Collectif contre l’Islamophobie en Belgique.

Sous couvert de la promotion de la diversité culturelle, de la construction de liens d’équité et humanistes ainsi que « d’encourager le développement d’une identité musulmane européenne », une dynamique politico-religieuse a été mise en œuvre grâce à la générosité des institutions européennes, ainsi qu’à l’utilisation d’individus complaisants (ou communément appelés « idiots utiles »), et dont la commissaire européenne Helena Dulli[xvi] semble être le porte-drapeau.

Cette stratégie d’influence de guerre des images et des mots, en d’autres termes de guerre informationnelle, aurait pu continuer à passer sous silence sans cette offensive de choc du hijab et de « la beauté [qui] se trouve dans la diversité »[xvii].

L’agenda frériste semble avoir été percuté de plein fouet par un agenda franco-français qui, de toute part en Europe, semble légitimée du fait de l’histoire récente et des différents attentats islamistes dont ce pays a été le sujet. Alors que commençait le jugement des tueries du 13 novembre 2015, de la commémoration de l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, que s’enflammait la rhétorique bien particulière de la laïcité républicaine à la française et enfin des enjeux électoraux en vue de la prochaine élection présidentielle et l’émergence d’un candidat hors système, l’affaire ne fit pas long feu.

La question de l’islam en France est de nature épidermique. Si la campagne de communication de FEMYSO ne fit pas grand bruit, c’est la contre-attaque française par le retrait de la campagne sur le site du Conseil de l’Europe[xviii] et l’attaque informationnelle de défense en victimologie de FEMYSO qui firent écho. Dans une rhétorique habituelle de victimisation, l’ONG a accusé la France d’islamophobie, concept politique multifonction[xix] inventé en son temps par le CCIF, ancien compagnon de route de cette ONG. La boucle est fermée.

 

Frédérique Anckner-Hebbrecht

Sources

[i] « FEMYSO ». s. d. Consulté le 14 février 2022. https://femyso.org/.

[ii] « Nous sommes FEMYSO – FEMYSO ». s. d. Consulté le 14 février 2022. https://femyso.org/we-are-femyso/.

[iii] Pétreault, Clément. 2022. « La galaxie européenne des Frères musulmans (2/5) ». Le Point. 25 janvier 2022. https://www.lepoint.fr/monde/la-galaxie-europeenne-des-freres-musulmans-25-01-2022-2461976_24.php.

[iv] Ibidem

[v] Adenor, Jean-Loup, et Hadrien Brachet. 2021. « FEMYSO, ces jeunes européens qui gravitent dans la galaxie des Frères musulmans ». 14 novembre 2021. https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/femyso-ces-jeunes-europeens-qui-gravitent-dans-la-galaxie-des-freres-musulmans.

[vi] « Enquête sur l’islamophobie genrée – FEMYSO ». s. d. Consulté le 14 février 2022. https://femyso.org/campaigns/current/gendered-islamophobia-survey/.

[vii] « YOUR VOTE, YOUR VOICE – FEMYSO ». s. d. Consulté le 14 février 2022. https://femyso.org/campaigns/past/yourvoteyourvoice/.

[viii] « Registre des représentants d’intérêts ». s. d. Consulté le 15 février 2022. https://ec.europa.eu/transparencyregister/public/consultation/searchControllerPager.do?declaration=FEMYSO&search=search.

[ix] « «La liberté dans le hijab» : une campagne de communication du Conseil de l’Europe fait polémique ». 2021. LEFIGARO. 2 novembre 2021. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-liberte-dans-le-hijab-une-campagne-de-communication-du-conseil-de-l-europe-fait-polemique-20211102.

[x] « The Attack on the Council of Europe’s Hijab Campaign Is an Attack on Human Rights – FEMYSO ». s. d. Consulté le 14 février 2022. https://femyso.org/the-attack-on-the-council-of-europes-hijab-campaign-is-an-attack-on-human-rights/.

[xi] « FEMYSO sur Twitter ». s. d. Twitter. Consulté le 14 février 2022. https://twitter.com/FEMYSO/status/1456366170702024704.

[xii] Pétreault, Clément. 2022. « L’Union européenne aime-t-elle trop les Frères musulmans ? (1/5) ». Le Point. 24 janvier 2022. https://www.lepoint.fr/monde/l-union-europeenne-aime-t-elle-trop-les-freres-musulmans-24-01-2022-2461799_24.php.

[xiii] Pétreault, Clément. 2022. « La galaxie européenne des Frères musulmans (2/5) ». Le Point. 25 janvier 2022. https://www.lepoint.fr/monde/la-galaxie-europeenne-des-freres-musulmans-25-01-2022-2461976_24.php.

[xiv] Welle (www.dw.com), Deutsche. s. d. « Erdogan’s AKP Basks in Glow of Think Tank Financed by Influential Family, DW Finds | DW | 14.11.2019 ». DW.COM. Consulté le 14 février 2022. https://www.dw.com/en/erdogans-akp-basks-in-glow-of-think-tank-financed-by-influential-family-dw-finds/a-51258757.

[xv] Pétreault, Clément. 2022. « Les coups de pouce de la Turquie aux Frères musulmans en Europe (4/5) ». Le Point. 27 janvier 2022. https://www.lepoint.fr/monde/les-coups-de-pouce-de-la-turquie-aux-freres-musulmans-en-europe-27-01-2022-2462332_24.php.

[xvi] « Helena Dalli sur Twitter ». s. d. Twitter. Consulté le 15 février 2022. https://twitter.com/helenadalli/status/1461358263136448524.

[xvii] Adenor, Jean-Loup, et Hadrien Brachet. 2021. « FEMYSO, ces jeunes européens qui gravitent dans la galaxie des Frères musulmans ». 14 novembre 2021. https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/femyso-ces-jeunes-europeens-qui-gravitent-dans-la-galaxie-des-freres-musulmans.

[xviii] « Messages on Countering Anti-Muslim Hate Speech _Conseil de l’Europe ». s. d. Toolkit for Human Rights Speech. Consulté le 14 février 2022. https://pjp-eu.coe.int/en/web/human-rights-speech/campaign-on-countering-anti-muslim-hate-speech.

[xix] Conesa, Pierre. 2021. « Islamophobie : l’invention d’un concept ». 13 avril 2021. https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/islamophobie-linvention-dun-concept.