Les nouvelles formes d’approche de la France au Rwanda et au Kenya

Présente en Afrique depuis plus de 150 années, la France a développé une relation très fructueuse avec l’Afrique. Mais depuis quelques années, un contexte général de la montée du panafricanisme africain s’observe et de plus en plus de pays africains se soulèvent contre l’impérialisme colonial en général, et contre la France et ses intérêts en particulier. Plusieurs évènements (l’intervention de la France lors de la crise post-électorale ivoirienne en 2011, les propos de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 lié au rôle de la France dans la chute de Mouammar Kadhafi, la dévaluation du franc CFA en 1994...)[1] expliquent ce déclin, faisant passer la relation France Afrique de l’entente cordiale historique à de l'incompréhension, puis de la défiance et à de la révolte. Les situations conflictuelles s’enveniment dans ces pays avec le regain des rivalités face à la montée de la concurrence mondiale. 

Pour contrebalancer sa perte de puissance, la France, en tant qu’acteur mondial qui veut maintenir et voir augmenter ce positionnement, doit réorienter sa stratégie d’influence dans les pays africains anglophones ou lusophones[2], notamment au Rwanda et au Kenya.

Les obstacles à franchir en Afrique du Sud-Est

A l’égard de l’Afrique en général, dans ses régions orientale et australe en particulier, les puissances internationales comme la Russie et la Chine échafaudent de nouvelles stratégies pour limiter, voire empêcher et restreindre la percée de l’influence française dans cette zone. 

L'influence russe et ses relais traditionnels

En Afrique anglophone, c’est l’Afrique du Sud qui, en sa qualité de puissance régionale, constitue le principal partenaire de Moscou[3]. S’y ajoutent quelques anciens partenaires de la Russie avec lesquels Moscou a conservé des liens.

Cette présence économique s’exprime à travers les investissements dans le secteur des mines et infrastructures. Elle est renforcée par des investissements significatifs dans le secteur minier. Au Zimbabwe et en Angola, les entreprises russes exploitent des mines de diamants, d’uranium et de platine. Au Burundi, l'exploitation aurifère est assurée par la société russe Tanganyika Gold[4]. Majoritaire dans les mines, le groupe Alrosa[5] est l'un des principaux sponsors du forum Russie - Afrique que le Kremlin a orchestré les 23 et 24 octobre à Sotchi. Etaient présents en particulier des représentants d'Ouganda, de Zimbabwe et du Bostwana. C’est également le cas des sociétés Uralchem et Norilsk Nickel (exploitation de nickel et de palladium), Nkomati (mine de nickel et de chrome) en Afrique du Sud[6]. On peut également mentionner la création d’infrastructures, notamment le rachat d’une usine de construction de rail par Transmashholding en Afrique du Sud.

Le commerce des armes constitue un outil d’influence assez classique[7]. La Russie utilise les ventes d’armes comme un levier diplomatique puissant. Par exemple, la vente d’hélicoptères militaires illustre comment Moscou utilise le commerce des armes pour renforcer ses relations bilatérales et accroître sa présence dans la région.

Il n’est pas surprenant de constater le rôle de plus en plus visible joué par les sociétés militaires privées (SMP) russes en Afrique de l’Est (comme le déploiement des forces du groupe Wagner pour soutenir la rébellion au Soudan)[8].

Les gouvernements africains mettent en avant les bénéfices économiques et sécuritaires et soulignant la fiabilité de la Russie comme partenaire stratégique. Cette rhétorique est souvent amplifiée par des médias locaux et russes, créant une perception positive de sa présence sur le continent hors pré-carré français.

L'omniprésence économique et médiatique de la Chine

Elle est présente dans les pays susceptibles de lui assurer un approvisionnement régulier et au meilleur prix dans les secteurs énergie et matières premières. La Chine privilégie aussi les marchés plus prometteurs[9] (large population et vaste marché intérieur, important besoin en infrastructures). 

La Chine déploie une stratégie axée sur des investissements massifs dans les infrastructures (projets de routes, chemins de fer, ports et aux centrales électriques). En Angola, la Chine a financé des projets d’infrastructure majeurs à hauteur de 45% de ses dettes publiques extérieures (environ 22 milliards de dollars)[10]. La Zambie est le 3ième pays avec 7% du montant total des investissements chinois en Afrique. Au Rwanda, le projet de la construction des routes et du système de drainage d'une valeur totale de 175,45 millions de dollars, vise à améliorer l'accès aux infrastructures et à renforcer la résilience face aux conséquences du changement climatique à Kigali[11]. Les investissements directs étrangers de la Chine au Kenya devraient croître de 10% en 2023 par rapport aux 348 millions de dollars en 2022[12].

L’influence de l'opinion publique en Afrique de l’Est se fait à travers des médias comme CGTN (China Global Television Network) qui diffusent des contenus favorables à la Chine, mettant en avant les succès des partenariats sino-africains. La propagande chinoise se concentre sur les bénéfices mutuels de ces relations et sur la création d'une "communauté de destin commun".

La Chine renforce aussi son influence à travers des programmes de coopération technique et de formation. Des milliers d’étudiants africains bénéficient de bourses d’études en Chine (bourses, cultures et des instituts Confucius), et des professionnels participent à des programmes de formation technique.

Les grandes puissances marquent bien leur présence en l’Afrique de l’Est utilisant plusieurs stratégies de contre-influence efficaces pour empêcher d’autres grandes puissances d’émerger. Pendant ce temps, la France est restée longtemps en retrait jusqu’aux récentes difficultés observées dans son pré-carré africain.

Pour renforcer son influence sur cette autre partie de l’Afrique malgré cette concurrence très féroce, la France développe des modèles de confrontations informationnelles qui varient d’un pays à l’autre et suivant le contexte des antagonistes en place.

La tentative de réconciliation de la France avec le Rwanda

La tragédie rwandaise a fait l’objet d’une guerre de l’information avec Kagamé et ses relais qui mènent des attaques contre la France et ses intérêts. Raymond Faider[13], à travers sa publication « Génocide rwandais : une guerre informationnelle d’usure menée contre la France », a démontré que le Rwanda domine le champ d’affrontement psychologique. 

Cependant, des efforts significatifs contre-offensives informationnelles pour reconquérir le Rwanda sont faits par la France pour rétablir ses relations. 

L’une des premières contre-attaques françaises sont contenues dans les conclusions du Rapport Duclert[14], rendues publiques au mois d’avril 2021. Elles confirmèrent sur le fond les accusations portées par Kigali mais, réfutent toute idée de complicité de l’État français tout en lui imputant des responsabilités dans le génocide. Les conclusions du Rapport Muse[15], publié dans la même foulée, allèrent quant à elles dans le sens souhaité par Paris. Le terme de « complicité » n’y apparaît à aucun moment associé au rôle de l’État français. L'Union Européenne joue également un rôle crucial en soutenant les initiatives françaises.

Un aspect central de la réconciliation a été l'organisation d'un colloque international intitulé « Savoirs, sources et ressources sur le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda : la recherche en acte », tenu du 11 au 19 septembre 2022 à l’Université du Rwanda à Kigali et Huye[16]. Ce colloque a rassemblé des enseignants-chercheurs rwandais et français, créant une plateforme pour échanger des perspectives et des connaissances sur le génocide. Le choix de l'Université du Rwanda comme lieu pour le colloque revêt une grande signification. Le soft power français au Rwanda se manifeste aussi par des initiatives culturelles et éducatives Parallèlement à ces actions et en droite ligne avec sa stratégie de reconquête dans la sous-région de l’Afrique anglophone, la France a déployé d’autres initiatives au Kenya. 

Le renforcement des liens entre la France et le Kenya

Première puissance économique d’Afrique de l’Est, le Kenya est l’un des partenaires les plus choyés par Pékin en Afrique. Néanmoins, diverses stratégies sont mises en place par la France pour renforcer sa position à l’égard de ce pays

L’intérêt des entreprises françaises pour le Kenya est en forte croissance. De 35 en 2012 à 110 en 2023, les entreprises françaises[17], actives les secteurs tels que les infrastructures, l’énergie, les télécommunications et l’agro-industrie, réseau ferroviaire (138 millions de dollars investis), contribuent de manière significative au développement économique du pays. On note aussi des investissements dans les infrastructures de transport (ligne de chemin de fer entre le centre-ville de Nairobi et l'aéroport international Jomo Kenyatta et ligne de transmission électrique de 400 kV de Menengai à Rongai[18]).

Au niveau du contenu, la stratégie française consiste à maintenir une présence active sur les réseaux sociaux kenyans afin de contrecarrer les narratives négatives et de promouvoir ses initiatives. Au niveau du contenant, la France investit dans les infrastructures de télécommunication au Kenya dans l’optique de contrôle de la diffusion de l’information et les narratives adverses. 

La France, face à la nécessité d’orienter sa stratégie d’influence vers les pays africains non francophones, fait face à un écosystème complexe dont les acteurs ont été catégorisés et présentés. La reconquête de son influence en Afrique de l’Est, notamment au Kenya et au Rwanda par la France, repose sur une combinaison d’investissements économiques et d’initiatives diplomatiques. Des efforts qui visent à accroître l’influence française et à protéger ses intérêts et témoigne de la résilience et de l’ingéniosité de la diplomatie française, prête à relever les défis du XXIe siècle. Ces différentes stratégies semblent toutefois insuffisantes face aux divers moyens développés par les autres puissances notamment chinoises et russes sur le terrain.

 

Euloge Thon,
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

 

 

Notes


 


[14] Duclert Vincent : Auteur du rapport « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994)», remis au Président de la République Française le 26 mars 2021.

https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/279186_1.pdf

[15]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/17/depuis-le-genocide-en-1994-entre-la-france-et-le-rwanda-un-si-long-chemin-diplomatique_6080484_3212.html