Dans un contexte global bouleversé ; avenir très incertain - situation sécuritaire dégradée - fin de l’approche bipolaire du monde - environnement économique rendu encore plus imprévisible et insaisissable aujourd’hui par le multilatéralisme, la France fait l’objet d’une véritable manœuvre de Guerre de l’information russe. Complexe par la multiplicité des coups portés et la diversité des acteurs utilisés, les techniques suivent des schémas similaires, véritable signature. S’appuyant principalement sur les vecteurs digitaux les plus populaires, mais pas exclusivement, la stratégie russe de Guerre de l’Information vise la France à plus d’un titre. Sii la majeure partie des actions de prédation russes utilisent massivement Internet et les réseaux sociaux, des réalisations physiques sont également observées.
Empreints de similitudes évidentes, l’analyse des modes opératoires fait apparaitre une relative complexité et une certaine multiplicité et diversité des attaquants. La radiographie des narratifs, de la conception et de l’exécution des attaques fait apparaitre trois caractéristiques prédominantes : la préméditation, la recherche de confrontation et enfin l’emploi de biais cognitifs caractéristiques de la pensée occidentale.
Les intentions politiques russes apparaissent clairement, en particulier en cherchant à influer sur le processus démocratique français. Dans le même temps, les objectifs peuvent aussi être idéologiques. Dans leur manœuvre, ils s’autorisent pour atteindre les objectifs fixés, l’emploi d’acteurs aux intérêts parfois opposés, relayant des discours distincts servant la même cause in fine.
Stratégie et effet à obtenir
La stratégie vise à occuper l'espace informationnel, à des fins de dénigrement et d’atteinte réputationnelle. La guerre informationnelle russe ciblant la France, se fonde sur un langage s’appuyant pour partie sur des thèmes conservateurs, majoritairement relayés par des relais d’influence consolidés, voire via un réseau d’« idiots utiles».
Dans le cadre global succinctement décrit supra, des éléments circonstanciels spécifiques incitent et confortent la démarche. Ainsi, le conflit en Ukraine, le discours du président français réaffirmant son soutien à l’Ukraine, les élections européennes du 09 juin 2024 en France et les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris JOP 2024, sont autant d’événements opportuns à instrumentaliser.
Dans les discours tenus par les acteurs ou vecteurs, la caractéristique prédominante est la très grande polyvalence des narratifs utilisés, avec pour cible unique la France. Ainsi, le discours est capable de cibler des publics variés, par la diffusion de propos aux contradictions assumées ; anticolonialiste et antifrançais, anti-occidental et toujours antifrançais, anticapitaliste et par là garant de l’héritage communiste, le mouvement d’influence wokiste de gauche et par ailleurs conservateur et traditionaliste, complotiste (même si en la matière les États Unis semblent la cible privilégiée en la matière).
En outre, l’utilisation récurrente de thèmes qui « parlent » à la droite et à la gauche est couramment employée.
Pour atteindre son objectif ; l’atteinte réputationnelle, la tactique s’appuie sur les mécanismes déclenchés par plusieurs biais cognitifs ; les stéréotypes, la rumeur (cf. l’approche de Walter Lipman).
Selon la cible visée, le biais utilisé est différent (cf. supra de la même manière, que les contenus des messages et du narratif sont différenciés).
Mise en oeuvre
La tactique est simple, se mettre en capacité de délivrer des messages, portant atteinte à la réputation de la France et de ses modes de vie et de pensée, puis ou dans le même temps, alimenter un « bruit de fond » délétère (créer et dénoncer les faiblesses touristiques, faire penser que le peuple français reste séduit à l’idéologie nazie).
Techniquement, le schéma s’appuie sur une organisation simple : conception – diffusion – relais. Pour ce dernier aspect, VIGINUM a admirablement analysé et décrit le principe du portail, nommé en l’occurrence Portal Kombat. Portal Kombat est la structure privée qui a coordonné la propagande du réseau. Il s’agit d’Evgeni Chevtchenko, directeur de l’entreprise TigerWeb : il a permis la création d’environ 200 « portails d’information ».
Puis les principaux vecteurs relayant sont sans grande sophistication, les réseaux d’information pro-russes et médias d’État. Est également observée, l’utilisation massive et quasi systématique du cyber (piratage, trolls).
Une caractéristique est la capacité à s’appuyer sur des médias « occidentaux » qui relaient des éléments du narratif russe (voire pro-Kremlin).
La principale caractéristique technique est l’emploi de portails, destinés à relayer différents types de contenus (cf. supra), de réseaux sociaux d’acteurs pro-russes, des agences de presse russes et des sites officiels d’acteurs locaux ou d’institutions.
Acteurs
S’agissant des acteurs, différents écosystèmes peuvent interagir, quatre majeurs. Dans un premier temps, des structures russes fabriquent littéralement et diffusent du narratif. Les attaques sont conduites par des relais d’influence prédateurs.
Quant aux cibles, trois sont classiquement et régulièrement visées, l’opinion publique, les institutions et les autorités, en particulier gouvernementales.
Enfin, s’agissant des cibles, les attaquants démontrent dans certains cas, une véritable capacité à élargir au-delà des populations et selon la thématique de l’attaque, de la diaspora russe.
Comparativement, entre le début de la guerre en Ukraine et le début du conflit israélo-Hamas, le nombre de cyberattaques russes (et chinoises) visant la France, ont doublé. L’interprétation de ce constat chiffré par l’ANSSI, conduit à différencier les effets obtenus sur le temps court, de ceux obtenus à plus long terme, suivant pour cela ce que décrivent les Loi de Brandolini et travaux de Jean-Noël Kapferer.
Les méthodes utilisées par les Russes, avec entre autres l’emploi implicite, mais systématique de biais cognitifs, inspirent les Chinois. Ces derniers compensent le retard technique (botnets, trolls) par la masse.
Sur cette base, il parait opportun d’identifier s’il y a lieu de penser que la France peut représenter une cible pour les Chinois. Enfin, il convient de s’interroger sur l’utilisation de techniques « agressives ». Peuvent-elles être interprétées comme une stratégie complémentaire des actions de soft power ou a contrario comme une conséquence de l’échec d’une stratégie de soft power ?
Rémi Bertrand
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)
Sources
https://www.geopolitique.net/our_team/colin-gerard/
https://www.diploweb.com/Sputnik-un-instrument-d-influence.html
https://www.defense.gouv.fr/actualites/france-condamne-manoeuvre-desinformation-russe