Les manœuvres informationnelles autour du lithium en France

La pandémie liée au virus SARS-CoV-2 a mis en évidence la forte dépendance économique de la France envers des pays tiers. Dans ce contexte sanitaire particulier, on a pu voir des produits qui étaient sans grands enjeux à un moment donné (masques, respirateurs…) prendre un caractère très critique.   Les matières premières sont devenues une priorité de garantie de souveraineté nationale ; parmi elles, l’une revient régulièrement le acas du lithium. Métal de la transition énergétique, le lithium est à la fois décrié, encensé et instrumentalisé, suivant les intérêts, comme a pu l’être le pétrole dans un autre temps.   

L'élément clé de la batterie électrique

Le lithium est symbolisé par deux lettres Li qui figurent en haut à gauche du tableau périodique des éléments chimiques. De numéro atomique 3, c’est le plus léger des éléments chimiques solides. Il se présente sous deux formes : saumure (brines en anglais) ou roche. Il a été découvert par le chimiste suédois Johan August Arfwedson en 1817 lors de l’analyse d’un minéral de pétalite et il est produit industriellement depuis 1923.

Le Lithium est utilisé dans de nombreux domaines : la métallurgie, la santé, la chimie fine, les verres et céramiques (18%). C’est seulement dans des années 70, que les chercheurs et industriels ont réalisé son utilité dans le stockage de l’électricité. En offrant le compromis « endurance, poids et puissance », le lithium est aujourd’hui un élément sine qua non de la mobilité électrique. 65% de la production mondiale de Lithium est utilisée pour la fabrication des batteries Li-Ion (téléphonie, télécommunication, automobile …). Les prévisions indiquent une sensible accélération de cette demande sur la prochaine décennie afin de répondre aux besoins de la transition énergétique.

La perception de l'enjeu du lithium

Un microsondage d’opinion publique organisé en France auprès de personnes de tous les âges et profils sociaux professionnels fait ressortir les mots suivants : pile, liquide, énergie, mines, extermination des peuples, corruption, batterie, pollution, guerre des territoires, maladie bipolaire, psychiatrie, gaz, Nirvana, progrès, performance, exploitation, déchets, environnement, nickel et métaux rares, Chili, flamants roses.

Le Lithium n’a pas bonne presse auprès du grand public. Cela est essentiellement dû aux attaques informationnelles récentes à base d’infox de la part des lobbies du pétrole. Arte (la face cachée des énergies vertes), France 2 , TF1 et autres medias grand public ont diffusé entre 2020 et 2021 plusieurs vidéos et documentaires à charge contre la voiture électrique en accusant le Lithium d’être polluant. Ce type de film a un effet dévastateur sur l’opinion publique grâce à des méthodes efficaces utilisant sensationnalisme (vidéos d’enfants dans les mines, flamants roses dans les Salars d’Amérique latine). Le message est ancré à long terme et il est très difficile ensuite de rétablir les vérités. On est clairement face à de la manipulation cognitive de masse réussie.  

La Bolivie et plus particulièrement le fameux Salar de Uyuni est régulièrement pris en exemple d’exploitation de Lithium, or il s’agit de Cobalt. Mais l’effet est garanti car on joue sur les affects du public qui n’ira pas vérifier dans sa grande majorité. Il existe quelques actions de vérification des faits (fact-checking) entre autres le film documentaire A-Contresens 2021, ou des blogs spécialisés. Cela demande un effort et une motivation de recherche de vérité. Quand le mal de la désinformation est fait sur l’esprit de la population, il faut ensuite sortir l’artillerie lourde informationnelle pour de-bunker les cerveaux avec des moyens souvent réduits sans garantie de résultat.

Une consécration médiatique du lithium par la reconnaissance scientifique

Le prix Nobel est une récompense qui a une portée médiatique internationale ; Par définition les prix sont remis à des personnes « ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité », par leurs inventions, découvertes et améliorations dans différents domaines de la connaissance.  Ainsi il faut voir le prix Nobel comme un excellent outil de propagande auprès de la population avec une cérémonie orchestrée sous forme de storytelling.  Ainsi, le 9 octobre 2019, le monde entier apprend que le Nobel de Chimie est attribué à 3 chimistes : L’Américain John Goodenough, le Britannique Stanley Whittingham et le Japonais Akira Yoshino pour leur travail sur le développement des batteries lithium-ion. 

Les mots utilisés par l’Académie Nobel sont importants d’un point de vue du contenu informationnel et des impacts cognitifs sur la population : « Les batteries lithium-ion ont révolutionné nos vies depuis leur apparition sur le marché, en 1991. Elles ont jeté les bases d'une société sans fil et libérée des combustibles fossiles, pour le plus grand profit de l'humanité ».  Ce prix Nobel médiatise aussi la Recherche des trois continents stratégiques : l’Asie, l’Amérique et l’Europe ; en marquant une nouvelle fois l’importance universelle de Lithium.  

Le prix Draper est décerné tous les ans par l’Académie Nationale d’Ingénierie des Etats Unis (NAE) organisation privée qui fait partie de l’Académie Nationale des Sciences des Etats Unis. Ce prix, sorte de prix Nobel de l’ingénierie, n’a pas la portée médiatique du prix Nobel et passe presque inaperçu au sein de la population française non scientifique et c’est ainsi qu’en 2014, un franco-Marocain Rachid Yazami associé au japonais Akira Yoshino ont reçu le discret prix pour le travail sur la batterie Li-ion. La France a sans doute manqué la récupération médiatique pour rayonner sur la scène du Lithium. A partir de 2019, le message acté de la Science est que le monde ne pourra plus tourner sans le lithium.

Le vocabulaire autour du lithium : mythes et symboles

Plusieurs erreurs de vocabulaire sont commises pour décrire le lithium. Ces erreurs sont volontaires pour brouiller le message ou involontaires par manque de connaissances dans le domaine.   En effet, il n’est pas rare de lire les termes métaux rares, terres rares, or de simples recherches montrent que c’est faux. Le lithium est largement distribué dans la nature (33ème élément terrestre le plus abondant). Des discours vont diffuser l’idée de rareté pour introduire une impression de pénurie et d’une transition énergétique non viable sur le long terme.

Le lithium est une matière première qui n’est pas rare géologiquement mais qualifiée de sensible, stratégique et critiques d’un point de vue économique.  Ce qui pose un problème, ce ne sont donc pas les ressources comme il est souvent question mais sa concentration géographique (bien supérieure à certains métaux rares) ; il est produit principalement en Australie (50%) ; au Chili (23%) ; en Chine (10%) et Argentine.  Cette concentration géographique va causer des dépendances et donc un risque économique pour les pays consommateurs d’où l’aspect grandement stratégique du lithium.

Il est intéressant aussi d’analyser le vocabulaire symbolique pour qualifier le lithium, Il prend les noms d’or blanc, de nouvelle essence, le nouveau pétrole, le pétrole blanc ; ce champ lexical indique le basculement dans une nouvelle ère qui va remplacer le pétrole, l’énergie fossile est annoncée à disparaitre.  Quant à l’utilisation du mot or, cela renforce le caractère précieux qui attise les convoitises.

L'importance de la refonte du code minier

Le lithium, situé dans le sous-sol est par conséquent soumis au droit minier.  En France, le droit minier est régi par le « code minier » qui définit ce qu'est une mine et les conditions dans lesquelles elles peuvent être exploitées ou dont leurs séquelles doivent être réparées ou compensées. Ce code inclut des parties de nature législative, et des parties de nature réglementaire ; souvent proposées à modification. La réglementation est utilisée comme arme pour orienter les stratégies économiques et industrielles et donc très négociée dans les jeux de pouvoir. 

En 2014, Arnaud Montebourg alors Ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique sous le gouvernement Hollande annonçait déjà la refonte urgente du code minier pour marier écologie et économie : « C'est un dossier très important puisqu'il s'agit d'une réforme qui permettra à la France (...) de redevenir une nation minière". Cette réforme est menée "en respectant les équilibres, en associant la population, et donc finalement en renforçant l'adhésion à ces projets d'intérêt économique majeur pour la souveraineté de notre pays et pour l'avenir de notre industrie ».

En 2021, il est toujours question de réforme du code minier mais cette fois-ci il est proposé de l’intégrer à la « loi climat » qui fait partie du projet de loi « Climat et résilience ». Parmi les articles en cours de réforme, l’accent est mis sur les critères environnementaux et sociaux en incluant d’avantage la population dans les projets, ceci afin d’éliminer les freins et de rendre « acceptable » le retour dans notre paysage d’une industrie qui a laissé derrière elle de mauvais souvenirs.

Cette refonte du droit minier génère une bataille de l’information principalement entre l’Etat, les Industriels, les Ecologistes dont les ONG. Les écologistes sont montés au créneau en dénonçant des mesurettes .

Le discours politique autour du lithium

Le vice-président de la Commission Européenne, Maros Sefcovic et le commissaire au marché intérieur Thierry Breton (ancien PDG d’Atos) ont lancé en 2020 l’Alliance Européenne des matières premières critiques.   Cette Alliance fait partie du Plan d'Actions sur les matières premières critiques dont l’objectif est de rendre l'approvisionnement de matières 1ères plus sûr et durable.

L’ « Airbus de la batterie » ou l’Alliance européenne des batteries lancée par Paris et Berlin est dans les faits est une co-compétition plutôt qu’une alliance, mais l’objectif est annoncé pour la France (et accessoirement l’Allemagne), elle va réussir à devenir un acteur important de la fabrication de batteries à base lithium pour les véhicules électriques. Bien qu’il s’agisse essentiellement de communication et d’accompagnement, L’Europe et la France envoient un message au reste du monde de leur engagement pour lutter contre les dépendances économiques.

Une matière première vitale pour la France

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des finances et de la relance a rappelé les enjeux de la souveraineté technologique lors d’un discours en mars 2021 en mentionnant le lithium comme matière sensible en ligne de mire du gouvernement.

« Si nous voulons être véritablement indépendants et autonomes, il est indispensable d'avoir un approvisionnement en produits essentiels et un approvisionnement en matières premières qui soient sécurisés. Sur le lithium, le graphite, le nickel, nous devons pouvoir être indépendants et ne plus dépendre de l'Asie ».

Pour répondre au besoin de l’indépendance française dans l’industrie des batteries, des initiatives sont mises en place directement sur le sol français. Par exemple, une trentaine de Gigafactories, des méga-usines de batteries, doit sortir de terre en Europe dans d’ici 2030, dont au moins trois en France.  Un mouvement vertical de la chaine de valeur est préconisé : il s’agit de l’intégration de toutes les étapes du processus depuis l’extraction des matières, en passant par le raffinage, la transformation jusqu’à la production de batterie.

Les experts du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) appellent à investir l’amont de la filière en exploitant les quelques gisements de lithium nationaux, dans le Massif central, en Alsace ou encore en Bretagne.  Les projets miniers d’extraction du lithium sont des affaires délicates qui demandent une solide préparation en amont pour présenter les dossiers et les faire accepter auprès des « opposants traditionnels » et populations locales ; celles-ci ont un potentiel de résistance non négligeable à cause du souvenir d’une industrie minière polluante. (Germinal). On retrouve ces mêmes résistances dans d’autres pays d’Europe comme le Portugal  

L’exemple dans le Puy de Dôme : la confrontation

Depuis début 2021, on assiste dans la commune de Saint Pierre Roche, à un conflit autour d’un projet de centrale géothermique : avec d’un côté, les pro-centrale que comptent la commune et les industriels TLS Géothermics et Storengy (filiale d’Engie) et de l’autre, une partie des riverains qui s’opposent au forage en grande profondeur. L’analyse du dossier montre que les riverains n’ont pas été consultés dès le début de projet et se sont ensuite retrouvés devant un fait accompli d’un accord de démarrage des travaux.

La riposte des riverains se matérialise sous forme d’affichage de propagande sur la voie publique, entretiens sur des radios , pétitions, manifestations et d’autres actions concertées grâce à la constitution d’un collectif anti-forage (Collectif Projet Centrale de Géothermie Profonde à Saint-Pierre-Roche) qui communique via les réseaux sociaux et utilise les autres canaux d’informations.

Les inquiétudes des riverains concernent les conséquences de l’activité de forage sur l’environnement en soulevant les « vraies finalités » du projet qui serait la production de Lithium à partir des eaux géothermales comme annoncée sur la page d’accueil Facebook de l’entreprise de forage.

En accusant l’industriel d’entretenir une opacité du projet, le collectif anti-Li a renforcé l’hostilité de la population. Ils pointent du doigt les risques de nuisances du forage sur leur région protégée : les impacts négatifs sur la qualité de vie, l’environnement, le tourisme, la chute du prix de l’immobilier, les risques sismiques liés à l’activité d’extraction comme en Alsace. De leur côté, le conseil municipal et les entreprises adoptent la posture du silence en attendant la suite de la procédure en cours.

L’exemple de l’Alsace : la concertation

En Alsace, sur le site de Rittershoffen, l’exploitation de géothermie profonde fait l’objet d’une étude de récupération innovante du lithium.

C’est le groupe minier français Eramet, déjà producteur de Li en Argentine, qui dirige des tests expérimentaux. Cette étude est suivie dans le cadre d’un projet collaboratif européen EuGeLi (European Geothermal Lithium Brimes)  Ce programme EuGeLi prend en compte les exigences environnementales comme conditions d’exécution afin d’éviter les freins de la société civile et des écologistes. Pour le moment, ce projet à l’état de test expérimental, permet de communiquer sur l’implication de la France dans la production de Lithium « propre » sur son sol mais également de préparer les populations locales à la bonne réception de cette nouvelle usine à lithium.

En France, le lithium, or blanc ou plutôt gris peut être starifié (ex du Prix Nobel) ou au contraire mis au banc des accusés par des écologistes, il peut aussi être la cible de campagnes bien rodées de désinformation entretenues pars les lobbies du pétrole (documentaires anti-mobilité électrique). Il sert d’outil de propagande dans les discours du gouvernement pour promouvoir l’industrie innovante, rayonner dans le monde et jouer la carte de la souveraineté auprès des pays tiers. Il sait aussi enflammer un village de 150 habitants totalement hostiles à la production locale.

Cette transition énergétique aura bien lieu, elle va entrainer des basculements de pouvoirs sur la scène géopolitique. Le lithium est devenue une matière 1ère clé de l’économie mondiale et cela jusqu’à la mise au point de systèmes alternatifs plus performants. Les opposants directs et indirects de la transition énergétique ont tout intérêt à gagner du temps et repousser l’échéance le plus tard possible ; leur créativité en matière d’influence est bouillonnante mais la riposte s’affute. Cette guerre informationnelle autour du lithium est récente, le futur va connaitre d’autres batailles, particulièrement dans le domaine de la réglementation et sanitaire. A suivre…

 

Laurence Descloix
Auditrice de la 37ème promotion MSIE