Les luttes d’influence géoéconomique en Afrique subsaharienne

L'Afrique subsaharienne est devenue aujourd'hui un champ de bataille stratégique où plusieurs puissances mondiales cherchent à accroître leur influence. Avec son histoire, la France a longtemps dominé cette région. Cependant, le Maroc émerge progressivement comme un concurrent sérieux. Cet article entend analyser comment, à travers une diplomatie économique, culturelle, et religieuse bien structurée, le Maroc redéfinit les équilibres géopolitiques en Afrique subsaharienne. En comparant les approches marocaines et françaises, nous tenterons de comprendre les dynamiques actuelles d'influence et de déterminer lequel des deux semble prendre l'avantage.

 

L'expansion économique du Maroc en Afrique subsaharienne

L'influence marocaine en Afrique subsaharienne repose en grande partie sur son expansion économique. Selon le Policy Center for the New South, les échanges commerciaux entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne ont augmenté de 47 milliards de dirhams en 2003 à 144 milliards de dirhams en 2013. Cette progression est soutenue par des investissements massifs dans des secteurs clés comme l'agriculture, les télécommunications et la finance. Aujourd'hui, le Maroc est le deuxième plus grand investisseur en Afrique subsaharienne, après l'Afrique du Sud. Entre 1999 et 2014, les investissements marocains dans la région sont passés de 18 millions à 443 millions de dollars. Les secteurs les plus ciblés sont la finance (41 % des IDE), les télécommunications (35 %) et l'immobilier (7 %). Des pays comme le Mali, le Sénégal et la Côte d'Ivoire sont les principaux bénéficiaires de ces investissements.

Parallèlement, les exportations marocaines vers l'Afrique subsaharienne ont progressé de 13 % depuis 2008, inversant un déficit commercial historique avec la région. Aujourd'hui, le commerce bilatéral est positif, témoignant d'une relation économique plus équilibrée entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne.

En revanche, les investissements de la France en Afrique subsaharienne sont en net déclin. Entre 2010 et 2020, la part des investissements français dans la région est passée de 11 % à environ 5 %. Bien que la France continue d'investir, les flux d'investissements directs étrangers (IDE) ont fortement diminué, en partie à cause des critiques sur l'intervention militaire française. Les investissements français restent concentrés sur des secteurs traditionnels comme les mines et l'énergie.

 

Diplomatie culturelle et éducative marocaine

En plus de l'économie, le Maroc utilise la diplomatie culturelle pour renforcer son influence en Afrique subsaharienne. Des médias francophones marocains ciblent spécifiquement cette région, contribuant à promouvoir l'image du Maroc comme un modèle de coopération Sud-Sud. De plus, des initiatives éducatives, telles que l'octroi de bourses d'études à des étudiants africains, renforcent les liens entre les jeunes générations des deux régions.

Ces efforts ont permis au Maroc de se positionner comme un partenaire privilégié pour la formation des élites africaines. En 2020, plus de 15 000 étudiants africains étaient inscrits dans des universités marocaines. Cela contribue à renforcer l'influence culturelle et intellectuelle du Maroc dans la région, tout en créant un réseau de futurs leaders ayant une affinité naturelle avec le royaume.

 

Investissements religieux et influence spirituelle

L'influence religieuse constitue un autre pilier de la stratégie marocaine en Afrique subsaharienne. Le Maroc soutient financièrement la construction de mosquées et d'écoles religieuses dans la région, promouvant ainsi un islam modéré, basé sur le soufisme et le rite malékite. Ces investissements ont un impact significatif dans des pays comme le Sénégal, où le Maroc finance la construction de grandes mosquées, renforçant ainsi ses liens religieux avec ces nations.

Cette stratégie permet au Maroc de se positionner comme un rempart contre l'expansion du salafisme et du wahhabisme, tout en consolidant ses relations politiques avec les pays d'Afrique subsaharienne à majorité musulmane.

 

Le déclin de l'influence française

En contraste avec l'ascension du Maroc, l'influence française en Afrique subsaharienne est en déclin. Selon une étude de l'Observatoire de la Fondation pour la Recherche Stratégique, la part des investissements français en Afrique subsaharienne a chuté, passant de 11 % en 2010 à seulement 5 % en 2020. Les interventions militaires françaises, notamment l'opération Barkhane au Mali, ont également suscité des critiques, affaiblissant davantage la position de la France dans la région.

 

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L'une des principales raisons de ce déclin est la montée des sentiments anti-français dans plusieurs pays d'Afrique francophone, où la France est perçue comme une puissance néocoloniale. Cette situation a poussé de nombreux pays à chercher de nouveaux partenaires, comme le Maroc, qui offre une approche plus respectueuse des souverainetés nationales.

 

Comparaison des stratégies marocaines et françaises

Bien que leurs approches soient différentes, le Maroc et la France partagent certains points communs dans leur quête d'influence en Afrique subsaharienne. Tous deux utilisent la francophonie comme un outil de soft power pour maintenir leur présence culturelle. Cependant, le Maroc se distingue par son approche moderne et proactive, qui répond mieux aux aspirations des nouvelles générations africaines, notamment en matière d'innovation et de développement économique.

En termes économiques, le Maroc a su concentrer ses efforts sur des secteurs porteurs comme la finance, les télécommunications et l'agriculture, tandis que les investissements français restent largement concentrés sur des secteurs traditionnels comme l'extraction minière.

Le Maroc, grâce à une stratégie bien pensée alliant diplomatie économique, culturelle et religieuse, est en train de remodeler les dynamiques en Afrique subsaharienne. Comparativement, la France voit son influence s'éroder, affaiblie par les critiques sur son passé colonial et ses interventions militaires. Ainsi, dans cette guerre de l'information, le Maroc semble sortir vainqueur, en s'appuyant sur une approche respectueuse des souverainetés nationales africaines et en répondant aux aspirations des nouvelles générations. Les prochaines années seront cruciales pour déterminer si le Maroc pourra consolider cette position dominante et si la France saura s'adapter à ces nouvelles réalités géopolitiques.

Le Maroc a réussi à s'imposer comme un acteur économique majeur en Afrique subsaharienne grâce à une stratégie d'investissement ciblée. Selon les chiffres de l'Office des Changes marocain, le flux des investissements directs marocains à l'étranger (IDME) a atteint 5,3 milliards de dirhams en 2020, dont une grande partie est destinée à l'Afrique subsaharienne. Les entreprises marocaines, telles que Attijariwafa Bank, Maroc Telecom, et l'Office Chérifien des Phosphates (OCP), jouent un rôle clé dans l'expansion du royaume dans des secteurs stratégiques comme la finance, les télécommunications et l'agriculture. Par exemple, l'OCP, l'un des plus grands producteurs mondiaux d'engrais, a investi massivement dans le développement agricole de la région, renforçant la sécurité alimentaire de plusieurs pays africains.

Le Maroc ne se contente pas d'une stratégie purement économique ; il investit également dans le domaine culturel et éducatif pour renforcer son influence. À travers des initiatives telles que la Fondation Mohammed VI des Ouléma africains, le Maroc promeut un Islam modéré et tolérant dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. Cette approche contraste fortement avec l'influence salafiste soutenue par d'autres acteurs dans la région. En parallèle, le Maroc a accordé des milliers de bourses d'études à des étudiants africains, ce qui a permis de former une nouvelle génération de leaders africains ayant des liens étroits avec le royaume. En 2021, plus de 25 % des étudiants étrangers au Maroc provenaient d'Afrique subsaharienne, selon les données du ministère de l’Enseignement Supérieur marocain.

La diplomatie religieuse marocaine joue également un rôle central dans son expansion en Afrique subsaharienne. Grâce à son statut de Commandeur des Croyants, le roi Mohammed VI a su renforcer les liens spirituels entre le Maroc et plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, notamment par le soutien aux confréries soufies et à la construction de mosquées. Par exemple, le Maroc a financé la rénovation de la Grande Mosquée de Dakar au Sénégal, renforçant ainsi son influence dans ce pays clé de la région.

En revanche, la France, autrefois acteur incontournable de la région, voit son influence diminuer progressivement. Selon une étude de l'Agence Française de Développement (AFD), l'aide publique au développement française en Afrique subsaharienne a chuté de 12 % entre 2010 et 2020, reflétant une réorientation des priorités françaises. Cette baisse de l'engagement financier, combinée à des interventions militaires controversées, telles que l'opération Barkhane au Sahel, a alimenté un sentiment croissant de ressentiment anti-français dans plusieurs pays africains. Des manifestations anti-françaises ont été observées au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où la présence militaire française est de plus en plus perçue comme une ingérence néocoloniale.

 

Tout est question de stratégie

La bataille d’influence en Afrique subsaharienne entre le Maroc et la France est emblématique des changements géopolitiques en cours sur le continent africain. Le Maroc, avec une stratégie d’expansion économique bien pensée et une diplomatie culturelle et religieuse proactive, s’est imposé comme un acteur clé dans la région. Ses investissements ciblés dans des secteurs porteurs tels que la finance, les télécommunications, et l’agriculture, ainsi que son approche respectueuse des souverainetés nationales africaines, lui ont permis de nouer des relations solides avec plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.

D’un autre côté, la France, malgré ses liens historiques profonds avec cette région, semble voir son influence s’éroder. Les critiques croissantes sur son rôle perçu de puissance néocoloniale et ses interventions militaires controversées, comme l’opération Barkhane, ont affaibli sa position. Néanmoins, la France reste un acteur majeur, notamment dans des secteurs traditionnels tels que les infrastructures, l’énergie, et les mines. Son expertise technique et sa capacité à mobiliser des ressources financières importantes demeurent des atouts significatifs.

En termes de potentiel futur, le Maroc apparaît mieux positionné pour répondre aux aspirations des nouvelles générations africaines. Grâce à une stratégie de coopération Sud-Sud, le royaume offre une alternative crédible aux modèles de développement occidentaux, tout en renforçant sa présence économique et culturelle. Le Maroc mise également sur l’enseignement et la formation des élites africaines, ce qui pourrait lui permettre de maintenir et d’accroître son influence à long terme.

 

Cependant, la France conserve un potentiel indéniable. Bien que son influence soit en déclin, elle dispose encore de leviers importants, notamment à travers ses entreprises multinationales et ses relations diplomatiques de longue date. Si la France parvient à réinventer sa stratégie en Afrique subsaharienne en adoptant une approche plus respectueuse des souverainetés locales et en mettant davantage l’accent sur la coopération économique plutôt que militaire, elle pourrait regagner une partie de son influence perdue.

Le Maroc semble avoir pris l’avantage dans cette nouvelle compétition, la France n’est pas hors-jeu. Les années à venir seront cruciales pour déterminer si le Maroc pourra consolider sa position dominante et si la France saura s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques en Afrique subsaharienne. Dans ce contexte, la capacité de chaque pays à se réinventer et à répondre aux besoins des pays africains déterminera en fin de compte lequel d’entre eux jouera un rôle prépondérant sur le continent à l’avenir.

 

Kamal Akridiss (MSIE45 de l’EGE)

 

 

Sources :

Deux livres qui abordent le sujet de l’influence du Maroc en Afrique et les dynamiques géopolitiques et économiques de la région :

Annexes :

 

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