Alors que les troupes russes commencent à s’affaiblir et à progressivement accumuler des retraites sur le territoire ukrainien, le président russe Vladimir Poutine annonce la « mobilisation partielle » de 300 000 réservistes pour rééquilibrer le rapport de force en réponse à l’affaiblissement de ses troupes. Il réitère publiquement sa menace d’escalade nucléaire en usant d’une rhétorique que le secrétariat général de l’OTAN considère comme « dangereux et imprudent », tandis que des mouvements d’opposition et de désorganisation se coordonnent au sein même de la Fédération de la Russie pour contester l’influence par la terreur.
Une menace publique à remettre dans son contexte
Rappelons-nous qu’environ 120 000 à 150 000 majoritairement volontaires ou professionnels avaient été initialement amassés aux frontières de l’Ukraine à l’aube de « l’opération militaire spéciale » du 24 février alors que seulement 5 937 combattants russes auraient perdu leur vie sur les champs de bataille en Ukraine d’après l’annonce officielle du général Sergei Shogu, ministre de la défense depuis 2012. Une telle mobilisation ne serait-elle pas démesurée ? A priori, ce chiffre pourrait sembler terrifiant puisqu’il représenterait presque le double des combattants utilisés au début de l’encerclement militaire de l’Ukraine.
Toutefois, pour remettre ces chiffres en perspective, notons que les plateformes d’analyse en sources ouvertes telles que RussianWarship.rip, Prozorro.Sales, ou Oryx affichaient déjà au 14 aout des pertes humaines russes excédant 43 500 morts au combat, puis au 23 septembre, 56 000 morts et 224 000 blessés. D’autre part, même si la Russie compte 25 millions de réservistes – c’est-à-dire ayant réalisé leur service militaire obligatoire – tous ne sont pas en condition opérationnelle pourcombattre, et parmi ceux qui sont opérationnels, tous ne sont pas aussi bien entrainés que les militaires sous-contrat ou de carrière qui sont adéquatement équipés pour combattre et régulièrement habitués aux combats.
Suite aux offensives contre l’Ukraine en 2014 et 2015, l’armée russe avait favorisé une organisation par bataillons tactiques parés au combat exclusivement composés de 700 à 900 soldats et d’officiers sous-contrat. De 2016 à 2021 le nombre de bataillons tactiques russes serait passé de 66 à 168 pour un effectif total passant de 394 000 en 2019 à seulement 405 000 combattants en 2020. Au-delà de la difficulté à recruter un tel effectif de 300 000 combattants en quelques mois, s’ajoute la complication de la révision de l’organisation, la constitution et les techniques de combat prenant en compte le niveau de professionnalisation des nouvelles troupes moins parées et moins entrainées. Il s’agirait donc de véritablement réadapter le mode de formation au combat afin de garder un minimum d’efficacité opérationnelle. Et s’il ne s’agit pas d’un « bluff », cette annonce de mobilisation affiche bien la volonté de Poutine d’affirmer à nouveau une influence par la menace en mettant en avant l’illusion du chiffre. Toutefois, il serait intéressant de voir en combien de temps les 300 000 nouvelles troupes de réservistes pourraient être opérationnelles.
Une contestation russe qui prend de plus en plus d'ampleur
À la contrainte de la professionnalisation des forces militaires semble s’ajouter une aversion grandissante au sein même de l’opinion militaire russe. Et à en croire le rapport du Strategic Studies Institute de l’US Army War College « THE RUSSIAN PEOPLE AND THEIR ARMY » de Robert Pringle, le modèle de la conscription russe semble être imparfait et profondément impopulaire, d’autant plus que l’illusion du pouvoir militaire russe vient au détriment de la réduction des dépenses publiques.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, les médias occidentaux prennent cette opportunité pour mettre sur le devant de la scène les quelques ex-militaires russes comme Yevgeny Lyamin ayant décidé d’abandonner leur engagement militaire contre Poutine, comme « Misha » ayant abandonné son tank en échange d’une récompense de £7,500, ou bien comme le parachutiste fugitif Pavel Filatiev ayant déchiré ses documents d’identification militaire et son passeport avec aisance avant de les jetés dans les toilettes et en insultant son président russe à son arrivée en France. En mettant en scène de tels cas particuliers, et en les diffusant au plus grand nombre d’auditeurs, l’intention est claire : dénigrer l’adversaire en pointant du doigt une certaine faiblesse d’influence militaire, bien qu’il ne s’agirait que de comportements marginaux.
Parallèlement, suite à la perte d’Izyum, Kupiansk et Balaklia face aux ukrainiens, le leader militaire tchétchène Ramzan Kadyrov, un des plus loyaux alliés du président russe Vladimir Poutine, alla même jusqu’à critiquer publiquement la performance de l’armée russe en mentionnant ouvertement les erreurs stratégiques commises Poutine qui subit encore de cuisants échecs à l’heure actuelle. Cet acte fort décrédibilise d’autant plus le positionnement de force que Poutine souhaite montrer par son discours de menace.
Un début de désorganisation générale du peuple russe
Dans l’histoire de la Russie, c’est véritablement la première mobilisation depuis la Seconde Guerre Mondiale qui semble avoir déclenché un mouvement de panique général provoquant plusieurs kilomètres de queues aux différentes frontières de la Russie. Theguardian.com montre des mouvements de migrants russes par voie routière de St Pétersbourg à la Finlande, d’Orenbourg au Kazakhstan, de Vladikavkaz à la Géorgie, et de la République de Bouriatie à la Mongolie, ainsi que par voie aérienne depuis Moscou vers toute destination possible.
Alors que des mouvements de protestation du peuple russe sur 38 différentes villes de la Fédération de la Russie contre la mobilisation de réservistes militaires fait l’objet de plus de 1300 arrestations, le peuple russe continue à prendre le risque des 15 ans de détention et des 5 millions de roubles d’amende. De la même manière, la réponse répressive de la part de Poutine avait déjà permis de mettre l’opposant politique Alexey Navalny en détention pour 9 ans de prison.
Toutefois, Poutine garde tout de même un espoir de légitimation de la guerre dans les régions annexées du Donetsk, Lougansk, Kherson et de Zaporijjia par des referendums sur plusieurs jours. Des campagnes de ralliement organisées avec des volontaires distribuant des journaux et des tracts ainsi que des bannières et des panneaux publicitaires aux couleurs du drapeau russe appellent les résidents qui n’auront pas voulu fuir l’occupation russe à voter « oui ».
En affirmant l’identité nationale russe sur le territoire ukrainien, Poutine pourrait gagner du temps pour se renforcer militairement en légitimant sa menace de dissuasion nucléaire comme bouclier et rééquilibrer son rapport de force.
Sa rhétorique basée sur des menaces d’escalade militaire ou nucléaire à l’encontre des forces de soutien à l’Ukraine ne sera pas une première. Mais cette fois-ci, de nombreuses opportunités ont été laissées aux médias occidentaux pour contraster sa tentative d’influence par la menace… Pour autant, le narratif de Poutine continue à accuser ses adversaires de lui avoir fait la guerre tout en sachant qu’il était le premier à initier « l’opération militaire spéciale » sur l’Ukraine.
Pierre Le Vu Hoa