Quatrième épisode du dossier sur le déclin de la Grande Bretagne
Ce travail a été réalisé par Les étudiantes et les étudiants de la SIE28 de l’EGE.
Le système politico-judiciaire britannique, longtemps perçu comme un modèle de stabilité démocratique et de rigueur institutionnelle, est aujourd’hui mis à rude épreuve par une succession de scandales majeurs. Qu’il s’agisse des affaires de grooming, du scandale Horizon, des écoutes téléphoniques orchestrées par le groupe Murdoch, ou encore des abus pédophiles dissimulés au sein des institutions religieuses et politiques, ces révélations dévoilent un ensemble de dysfonctionnements structurels, éthiques et institutionnels. Ces affaires, par leur ampleur et leur gravité, questionnent les fondements mêmes d’un système censé garantir la justice et la transparence. Une analyse approfondie des incohérences est nécessaire pour comprendre comment ces abus ont pu prospérer dans l’ombre et interroge les limites des réponses apportées par les autorités britanniques.
Le scandale des affaires de grooming au Royaume-Uni
L’affaire des gangs de “grooming localisé” ou plutôt les affaires de cercles d’exploitation sexuelle de mineur(e)s au Royaume-Uni sont apparues dans les années 70-80. À ce jour, on recense une trentaine d’affaires, certaines comptant plus de 1000 victimes sur une cinquantaine d’années pour les plus anciennes. Véritable scandale social, sanitaire, humain, considérant le nombre de personnes impliquées, autant victimes que criminels, et les décennies pendant lesquelles ces cercles ont perduré, au vu et su des autorités locales et nationales.
Le “grooming”, “pédopiégeage” ou sollicitation d’enfants à des fins sexuelles, couvre, au sens large, les mesures prises par une personne qui cherche à établir une relation de confiance avec un ou une enfant à des fins sexuelles. À la différence du grooming en ligne, le grooming localisé implique une action sur un territoire géographique physique : quartier, ville, département, région, et non en ligne, même si des contacts par et sur internet peuvent être utilisés dans le mode opératoire des prédateurs. Il est possible de documenter une quinzaine d’affaires importantes de grooming au Royaume Uni, et plus précisément en Angleterre :
Rotherham : de la fin des années 80 jusqu’en 2013. Plus de 1400 victimes pour environ 70 hommes condamnés, dont la majorité en 2024[i].
Telford : entre les années 80 et 2010. Probablement plus de 1000 victimes. Rapporté au nombre d’habitants, c’est le plus gros scandale d’exploitation sexuelle de mineurs. Plus de 200 auteurs de crimes identifiés mais seulement une dizaine de condamnations[ii].
Huddersfield : de 2004 à 2011-2012, 15 hommes condamnés, plus de 120 crimes sexuels sur 15 filles[iii].
Rochdale : de 2008 à 2012, une centaine de victimes pour 9 hommes condamnés[iv].
Oxford : entre 1998 et 2012, environ 300 victimes pour 22 hommes condamnés[v].
Bristol : période inconnue, 13 hommes condamnés en 2014, nombre de victimes inconnu[vi].
Derby : période inconnue, une centaine de victimes pour 9 condamnations[vii].
Peterborough : période inconnue, nombre de victimes inconnu mais 10 hommes condamnés en 2014[viii].
Newcastle : entre 2010 et 2014, nombre de victimes inconnu, 18 personnes condamnées[ix].
Halifax et Bradford : période et nombre de victimes inconnu, estimation par la police d’une centaine de criminels impliqués mais condamnations d’uniquement de 27 personnes en 2018[x].
Aylesbury : entre 2006 et 2012, 5 hommes condamnés en 2014[xi].
Banbury : entre 2009 et 2014, 6 hommes condamnés en 2015[xii].
Preston, Durham, Tower Hamlets, Essex, St Helens, Swansea : période en cours, plusieurs investigations en récentes par les autorités[xiii], nombre de victimes encore inconnu.
Le but de la police est de prévenir le crime.
Cartographie : E. S. École de Guerre Économique, 2024 ©
Le scandale de la Poste britannique (ou Scandale Horizon)
En janvier 2024, la diffusion de la série-fiction Mr Bates & the Post Office relance médiatiquement le scandale Horizon, l’une des plus grandes erreurs judiciaires de l’histoire britannique (avec plus de 3500 accusations et plus de 900 condamnations).[xiv] Ce scandale trouve son origine dans le logiciel informatique Horizon, conçu pour automatiser la comptabilité des agences postales. Présenté comme une avancée technologique, il a pourtant généré de graves dysfonctionnements, conduisant à l’accusation de centaines de gérants d’agences postales pour fraude, vol ou détournement de fonds.[xv]
La Poste britannique, rejetant tout problème logiciel, a mis en place un système interne d’enquêtes et de poursuites, évitant le recours à la justice classique.[xvi] Cette gestion opaque, marquée par des condamnations arbitraires et une pression intense sur les accusés, a conduit à des ruines financières, des peines de prison et des drames personnels. Si l’affaire est restée relativement confidentielle pendant deux décennies, la mobilisation d’associations comme la Justice for Subpostmasters Alliance et la récente médiatisation ont poussé le gouvernement britannique à intervenir. Une enquête publique et des indemnisations, dépassant le milliard de livres, cherchent désormais à réparer les torts causés.
Cette affaire a mis en lumière de nombreuses problématiques du système judiciaire britannique. Tout d’abord, l’arrivée des nouvelles technologies de gestion et le recours aveugle aux informations données par la machine sans possibilité de remise en question ou de recours pose question sur l’importance donnée à l’informatisation face à la parole humaine. En outre, le système d’enquête géré par la Poste britannique au détriment du système judiciaire national pose des problématiques sur la délégation de compétences judiciaires à des initiatives privées. Cela remet par conséquent en question le principe britannique de la présomption de culpabilité jusqu’à preuve du contraire. Enfin, le fait que le scandale soit resté relativement confidentiel jusqu’à ce qu’une série télévisée ne le mette en lumière suscite de sérieuses interrogations sur la capacité des autorités britanniques à reconnaître et réparer de telles erreurs judiciaires en l’absence d’une médiatisation soutenue.
La police britannique : entre faiblesses structurelles et inaction complice
Les années Thatcher au Royaume-Uni, puis l’ère qui a suivi jusqu’en 2001, sont marquées par une priorisation de la lutte contre le crime organisé et la gestion des troubles sociaux. Malgré des restrictions budgétaires générales dans le pays, liées aux choix économiques de la Première Ministre britannique, le budget de la police augmente. Une phase de modernisation de l’appareil judiciaire s’ouvre alors qui met l’accent sur la technologie et la collaboration communautaire.
Des moyens financiers, matériels et humains contraints depuis les années 2000
Le passage au XXIème siècle, marqué par les attentats de 2001 et 2005, va bouleverser la stratégie de sécurité intérieure du pays. Avec CONTEST, la stratégie antiterroriste mise en place à partir de 2003 par le Home Office, et le Terrorism Act de 2006, la priorité de la police est désormais la lutte anti-terroriste. Auparavant de 890 millions de livres sterling, les dépenses de sécurité nationale sont portées à 1,5 milliards[xvii] après les attentats du 11 septembre, puis 2,1 milliards de livres sterling après ceux de 2005.
Cette focalisation sur le terrorisme, qui a entrainé une augmentation globale du budget de la police britannique, masque néanmoins une diminution des fonds alloués à la police communautaire[xviii]. Les nouvelles priorités du Home Office ont conduit à réduire le nombre d’agents présents dans les quartiers et ont amorcé le déclin des relations entre la police et les communautés locales.
En 2008, la crise des subprimes frappe le Royaume-Uni et conduit à la mise en place de politiques d’austérité qui ont affecté les finances publiques, notamment les budgets alloués aux forces de l’ordre. Le rapport Financial sustainability of police forces in England and Wales du 4 juin 2015 fait état d’une diminution de 25% (2,3 milliards de livres sterling) du financement alloué aux commissaires de police et au crime entre 2010-2011 et 2015-2016. La BBC[xix], quant à elle, indique une réduction de 20% du financement de la police entre 2010 et 2007.
Ces coupes budgétaires ont eu des conséquences directes sur les capacités des forces de l’ordre à répondre aux crimes. Entre 2010 et 2015, le nombre de policiers en Angleterre et au Pays de Galles a baissé de 14%, passant de 143 000 à 124 000. Cette baisse est largement supérieure dans les effectifs de la police communautaire qui diminuent de 30% sur la même période, passant de 16 900 à 11 700[xx], affaiblissant davantage l’ancrage local. La baisse de confiance du public dans la police depuis est visible, Ipsos[xxi] indique qu’en 2023, seuls 48% des Britanniques considèrent leur police locale digne de confiance.
Or l’organisation territoriale de la police britannique repose sur un système décentralisé comptant 43 forces différentes en Angleterre et au Pays Galles auxquelles s’ajoutent des commissariats spéciaux comme celui de la Metropolitan Police de Londres. Dans un tel contexte, les difficultés économiques que traverse le Royaume-Uni vont entraîner des conséquences inégales dans le pays qui entraînera des pertes de confiance également inégales au sein des communautés.
Outre les difficultés structurelles en matière d’organisation pour la résolution des crimes qu’une telle mosaïque entraîne inévitablement, ce sont les disparités géographiques entre grandes villes et zones rurales qui vont être exacerbées par les coupes budgétaires. Le financement alloué à la sécurité varie de 200 livres sterling par habitant en zone urbaine à 100 livres sterling par habitant dans les zones rurales, et les fermetures de plus de 400 commissariats entre 2010 et 2018 ont affecté celles-ci de manière disproportionnée.
La présence policière étant moins forte, la criminalité se développe. Ainsi, une étude de la Countryside Alliance[xxii] intitulée Rural Crime Survey 2020 rapporte que 38% des Britanniques vivant dans des zones rurales ont été victimes d’un crime dans les 12 derniers mois et 47% pensent que la police n’y prête pas attention. La Countryside Alliance met en garde contre les conséquences du sentiment d’abandon des populations rurales et pointe l’échec des solutions proposées par le pouvoir politique.
La perte de moyens économiques et la dégradation des liens de confiance avec les communautés locales sont une atteinte fondamentale à la philosophie de maintien de l’ordre britannique car elles affaiblissent le système en permettant l’exploitation de ses incohérences.
Une doctrine d’action communautariste favorable à l’achat de paix sociale
La doctrine de maintien de l’ordre britannique repose sur une philosophie particulière dont les fondamentaux diffèrent de nombreuses approches internationales. Elle trouve son origine dans les principes rédigés par le fondateur de la Metropolitan Police : Sir Robert Peel.
Ces principes sont au nombre de 4 :
La police doit agir avec l’approbation des citoyens, et non par la force.
L’usage de la force est une mesure exceptionnelle de dernier recours.
Les policiers doivent maintenir une relation de respect mutuel avec la population.
De cette doctrine découle l’idée que la police fait partie intégrante de la communauté et n’est pas une autorité répressive. Ainsi, son bon fonctionnement dépend largement de ses relations avec les populations locales. Cette nécessité doctrinale de conserver de bonnes relations avec la population locale a eu des conséquences dévastatrices sur la manière dont furent gérées les affaires de grooming au Royaume-Uni. Car il est presque impossible d’être “bien vu” et d’avoir de bonnes relations avec toute la population locale, et tous les publics. Un choix stratégique semble nécessaire au bout d’un moment, et en l’occurrence, quelle(s) communauté(s) favoriser et inversement, dans le cadre de “litiges” par exemple.
L’une des composantes principales des affaires d’exploitation sexuelle de mineures au Royaume-Uni se situe dans l’ethnicité des criminels. Dans la très grande majorité des affaires susmentionnées, les criminels étaient britanniques d’origine pakistanaise. Cette composante raciale est critique dans la manière dont les autorités locales ont traité la problématique, ou plutôt dans la manière dont elles ne l’ont pas traité. Leur inaction découle ainsi de plusieurs problèmes. Structurels tout d’abord, comme évoqués plus haut, mais surtout ethno-sociaux et politiques, matérialisés par une peur bleue d’être accusés de racisme et la volonté de maintenir une paix sociale, tout en cherchant à ne pas froisser des communautés qui auraient traditionnellement un vote plutôt à gauche dans des villes où le parti des travailleurs (Labour) cherchait à se maintenir, avec un discours restant politiquement correct.
Il est donc facilement observable dans toutes les affaires de grooming que la police a préféré une communauté à une autre, en l’occurrence, une communauté peut être moins précaire et plus à même d’avoir un poids politique, contrairement à des mineures dans des situations souvent extrêmement précaires et n’ayant pas nécessairement de voix. Dans l’affaire de Telford par exemple, les enfants victimes étaient considérés comme des prostitués par l'administration, ce qui reflète une doctrine de négligence volontaire et assumée de la part des autorités[xxiii]. Au lieu de les considérer comme victimes, la police prenait en compte leurs conduites à risques et justifiait leur exploitation sexuelle par le fait que ces mineures avaient parfois déjà un passif pseudo-criminel dans des affaires de bagarres, consommation de drogues etc.
En plus de cette mauvaise considération, le rapport de l’Independent Inquiry into Child Sexual Abuse (IICCSA) paru en octobre en 2022, conclut que pour les affaires post scandales de Rochdale et Rotherham, les autorités publiques n’avaient pas agi comme il aurait fallu agir, également par peur d’une « mauvaise publicité », et d’être considérées comme « un autre Rochdale ou Rotherham », faisant primer l’image de leur ville au détriment de la justice[xxiv]. Un choix qui peut apparaître a posteriori comme stratégiquement douteux.
Enfin, certains éléments indiquent que, par crainte d'être considérées comme racistes, les autorités ont longtemps refusé d'enquêter, et les institutions ont tenté de minorer, voire d'étouffer les faits. Une telle interrogation est présente dans toutes les affaires[xxv], et elle fut reconnue par certaines personnalités politiques. Le secrétaire de l’IICSA - John O’Brian - indiquait ainsi : “Nous devons briser la culture où les gens craignent d’être accusés d’être racistes simplement parce qu’ils enregistrent des informations factuelles”[xxvi]. De la même manière, Maajid Nawaz, candidat du parti Libéral - Démocrate, déclarait que les “policiers devaient arrêter de refuser d'enquêter sur les affaires de grooming uniquement par peur d’être accusés de racisme”[xxvii]. La ministre de l'intérieur Suella Braverman admettait également à la BBC en 2023 que les autorités avaient “fermé volontairement les yeux et que les "sensibilités culturelles" et la crainte d'être "traité de raciste" avaient joué un rôle dans les scandales d'abus très médiatisés”[xxviii]. Enfin, le premier ministre Rishi Sunak déclarait, toujours en 2023, que « le politiquement correct ne doit plus empêcher la police d'utiliser l'appartenance ethnique des suspects pour identifier les bandes de grooming[xxix] ». Une reconnaissance et un aveu particulièrement conséquent au vu de l’échelon politique.
Des défaillances internes majeures qui entraînent une délégation des prérogatives à des organismes privés
L’Affaire de la Poste britannique, aussi appelée Scandale Horizon, met en cause le système informatique du même nom, conçu par l’entreprise japonaise Fujitsu, et implanté progressivement à partir de 1999 dans les bureaux de postes locaux britanniques. Le logiciel, chargé de la gestion automatique de la comptabilité des agences postales, visait à réduire les fraudes financières des gestionnaires et gérants de ces lieux, tout en offrant davantage de flexibilité dans les opérations par l’adoption de nouvelles technologies. Plus largement, cet outil avait été conçu pour lutter contre la fraude sociale estimée à 320 millions de livres par an, et la version utilisée par la Poste britannique était une déclinaison de l’objectif initial. Le logiciel était également perçu comme le moyen d’éviter la fermeture de nombreux bureaux de postes implantés dans des zones jugées peu rentables avec une meilleure gestion financière des établissements. Après son implantation, de nombreux gérants d’offices postaux ont été accusés de malversations et de détournements après que le logiciel ait indiqué des erreurs de comptabilité dans les bilans de ces établissements. De nombreux individus accusés s’en sont défendus, invoquant des dysfonctionnements dans les calculs du logiciel. La Poste britannique, face à l’ampleur du phénomène des accusations, a mis en place un système interne d’enquêtes et de gestion des plaintes, tout en soutenant son logiciel et en rejetant tout dysfonctionnement.
L’affaire Horizon est particulièrement marquante par l’implication forte d’un acteur extérieur au système judiciaire dans les enquêtes sur les employés. En effet, la Poste britannique a été grandement engagée dans l’étude des dossiers de fraude ouverts par le logiciel Horizon. Les différentes affaires étaient traitées dans le système interne à la Poste britannique, sans passer par des procureurs officiels.
Une telle situation s’explique par des prérogatives spéciales historiquement attribuées aux grandes institutions du Royaume-Uni qui permettaient à ces dernières de directement ouvrir des poursuites sur leurs employés accusés, sans passer par les organes judiciaires. Il n’existait alors pas de service public chargé d’ouvrir des procédures pour le compte de l’Etat à l’encontre des employés publics, ce qui revenait à la charge de l’institution concernée par le litige. C’était par la suite cette même institution qui enquêtait, relevait les preuves à charge contre l’employé, et qui présentait finalement le dossier au tribunal.
Face à ces prérogatives particulières, le Crown Prosecution Service a été créé en 1986, afin de doter le Royaume-Uni d’un service chargé de poursuivre des employés publics. La Poste britannique a cependant conservé une partie de ses prérogatives qui lui ont permis de lancer des poursuites sans passer par le CPS durant le scandale Horizon. En d’autres termes, elle n’avait donc pas l’obligation de soumettre les dossiers à une autorité judiciaire indépendante (le CPS) avant d’engager une procédure. Elle ne transmettait le dossier à une autorité compétente qu’une fois l’enquête réalisée et les charges présentées contre un individu. Les personnes accusées ont été pour une grande partie d’entre elles condamnées à verser des indemnités voir à des peines de prison.
Cette situation pose plusieurs problématiques dans le scandale Horizon. Tout d’abord, la Poste britannique engageait directement les procédures contre les employés sans les soumettre au CPS afin de contrôler l’intégralité du processus d’enquête et de poursuite. La poste avait donc la compétence d’accuser, d’enquêter et de se constituer partie civile contre un individu, créant de fait une situation de conflit d’intérêt important et limitant par conséquent la défense de l’individu accusé. Ce dernier n’avait en outre pas les garanties judiciaires classiques d’un procès, mettant en cause les principes de la procédure contradictoire et équitable. Ce constat est particulièrement problématique dans un état de droit sur la question de la défense des individus qui n’est pas pleinement assurée.
La Poste britannique ne remettait également pas en cause les conclusions que pouvait avoir le logiciel Horizon, posant ainsi d’autres problèmes éthiques sur la prise en compte des données d’une machine au sein d’enquêtes judiciaires. En effet, le logiciel Horizon a accusé des milliers de personnes, apportant des "preuves" de malversation basées sur des données erronées et un mauvais traitement de l’information par le logiciel. Cette situation interpelle sur la manière dont les tribunaux et entreprises doivent traiter des indices et faits relatés par une machine ou un processus de traitement informatique. Si la parole d’un individu peut être remise en doute lors d’un procès, la remise en cause de celle de la machine est moins bien appréhendée et le risque d’erreur est minimisé par les analystes.
Dans ce scandale, bien que la société Fujitsu rejetât au début toute erreur dans le logiciel[xxx], la Poste britannique n’a pas remis en cause le logiciel et le problème a donc au-delà du problème informatique, une dimension humaine. Le principe de présomption d’innocence n’était pas respecté dans cette affaire et la charge revenait à l’individu accusé de démontrer son absence de culpabilité face aux données du logiciel considérées comme fiables. Le système judiciaire britannique est en effet en partie fondé sur l’idée que la justice est infaillible et que seuls les coupables sont condamnés. Dans le cas du scandale Horizon, la parole de la Poste britannique apportant des preuves considérées comme fiables n’était pas remise en cause par la justice (sauf si l’individu arrivait à prouver explicitement son innocence). Le système judiciaire britannique était en définitive également surchargé, conduisant à réduire le temps de traitement de ces affaires.
Enfin, d’autres défaillances organisationnelles et internes à la Poste britannique ont été relevées. La Poste a été en effet accusée d’avoir délibérément entravé des enquêtes visant à connaître la véritable source des déficits trouvés par le logiciel Horizon et qui pouvait être consultée en parcourant les archives verrouillées.
Le scandale Horizon est en partie lié à une cause humaine. Certains dirigeants de la Poste britannique sont accusés d’avoir été au courant des problèmes liés au logiciel Horizon sans avoir pris des mesures pour lutter contre les données erronées et en envoyant délibérément certains employés en justice. De plus, les enquêteurs chargés par la poste d’enquêter sur les employés recevaient parfois des primes en fonction du nombre de condamnations réussies et un pourcentage sur la récupération des sommes prétendument volées.[xxxi]
Ces pratiques, non-déontologiques, auraient ainsi orienté et incité des enquêteurs à s’obstiner sur certains individus accusés, renforçant le caractère biaisé des procédures. Des soupçons se portent également sur de potentielles pratiques discriminatoires avec un traitement inégal de certains gérants de bureaux de poste en fonction de leur appartenance à des minorités ethniques. Certains documents auraient été retrouvés dans les archives de la poste, traitant certains employés avec des termes racistes comme "negroid".[xxxii]
Ces défaillances liées à la Poste britannique et au système judiciaire anglais ont notamment conduit au scandale Horizon et au nombre de victimes impliquées par le logiciel. Les défaillances internes à la Poste britannique sont en train d’être traitées dans le cadre d’un procès judiciaire en vue de réparer les dommages subis par les victimes injustement accusées et condamnées.
L’affaire Murdoch, que nous détaillerons plus tard, a révélé des défaillances majeures au sein de la police. Le scandale lié à des écoutes téléphoniques de personnalités en vue d’obtenir un avantage concurrentiel dans l’industrie médiatique par le journal News of the World, a donné lieu à trois opérations : Weeting, Elveden et Tuleta. L’opération Elveden, en particulier, a mené à la condamnation de 34 personnes dont 21 fonctionnaires publics et 9 policiers, ainsi que de nombreuses démissions. Parmi eux on retrouve l’inspectrice en chef April Casburn de l’unité nationale de lutte contre le financement du terrorisme, le commissaire de la police métropolitaine Paul Stephenson ou encore le chef de la lutte antiterroriste John Yates. Ces derniers recevaient des pots de vin en échange d'exclusivité pour le journal, entretenaient des relations particulièrement étroites avec des personnalités du journal ou ont ignoré les éléments de preuves qui avaient été portés à leur attention dès 2006.
L'interaction entre les médias et la société civile comme système de justice parallèle
La succession de scandales révélés par les médias britanniques, qui mettent en lumière les manquements de la police dans le traitement des affaires à caractère pédophile, et la perception d’un système judiciaire défaillant au sein de la population, ont conduit à une perte de confiance dans la capacité de la police à lutter efficacement contre la pédophilie. Par ailleurs, la croissance des infractions sexuelles en ligne, notamment du grooming, génère de l’indignation et un sentiment d’urgence au sein de la population.
La société civile s’organise en réponse à l’opacité judiciaire
Dans ce contexte, différents groupes de “chasseurs de pédophiles” sont apparus au Royaume-Uni pour lutter contre ce phénomène, en dehors du cadre légal. Ces groupes utilisent de faux profils d’enfants en ligne pour piéger les suspects et collecter des preuves, organisent des rencontres “pièges” (Sting Operations), souvent filmées, pour confronter le suspect, et diffusent par la suite la vidéo et les informations personnelles du suspect sur les réseaux sociaux, l’exposant ainsi publiquement en ligne (pratique du doxing).
Depuis leur apparition, les “chasseurs de pédophiles” ont gagné en influence au cours des années. L’utilisation de preuves fournies par ces groupes dans les affaires judiciaires est passée de 11% en 2014 à 44 % en 2016, atteignant plus de 60% en 2018[xxxiii] dans certaines régions, et ont permis à la justice d’obtenir des condamnations.
Les méthodes employées par ces groupes, en dehors de tout cadre légal, soulèvent certains problèmes. Les “chasseurs de pédophiles”, n’étant pas des professionnels formés, peuvent commettre des erreurs d’identification et accuser à tort des personnes innocentes[xxxiv]. La pratique du doxing, avant toute vérification par les autorités, constitue un risque de diffamation et peut causer de sérieux dommages à la réputation des individus visés. Cette pratique viole par ailleurs les droits des suspects, qu’il s’agisse de la présomption d’innocence ou du droit à la vie privée, et peut porter atteinte à la sécurité des personnes visées (harcèlement, agressions physiques). Il existe également un risque de mauvaise allocation des ressources policières et de compromission des enquêtes. En effet, les méthodes employées par ces groupes, non encadrées par la loi, peuvent entraver la collecte de preuves admissibles devant les tribunaux[xxxv] et les interventions de ces groupes, qui font appel à la police à la suite des Sting Operations, détournent les ressources policières d’enquêtes plus importantes[xxxvi].
Malgré les déclarations de la police qui désapprouve les activités de ces groupes, met en garde contre les risques et les dérives, et refuse de collaborer officiellement avec eux, celle-ci est contrainte de reconnaître l’utilité de ces groupes qui fournissent des informations permettant d’identifier les suspects et d’obtenir des preuves. Lorsque les preuves sont admissibles, elles sont utilisées par les tribunaux pour obtenir des condamnations qui valident ainsi les actions de ces groupes. Bien que controversés, force est de constater que les “chasseurs de pédophiles” contribuent à pallier les défaillances du système judiciaire[xxxvii]. Du fait de leur utilité, des pistes pour encadrer et réguler leurs actions, afin de prévenir les risques et dérives, garantir le respect du cadre légal et assurer la bonne conduite des enquêtes, sont aujourd’hui proposées. A titre d’illustration, Jim Gamble, ancien directeur de l’agence nationale de protection de l’enfance en ligne, propose la création d'une “armée de volontaires” formés par la police pour traquer les prédateurs en ligne. Ces “détectives numériques” agiraient sous la supervision des forces de l’ordre.
Dans le cas du grooming, les affaires étaient connues du public à l’échelle locale, et par des acteurs locaux, que ce soit à travers des rumeurs, l’impact conséquent sur les jeunes d’une même ville, la prévention des familles et les actions - parfois - des services sociaux et des associations de victimes. Plusieurs acteurs et surtout actrices locales ont essayé de faire porter la voix des victimes et d’alerter sur les évènements en cours. Par exemple, Maggie Oliver, une détective de la police de Manchester a démissionné de ses fonctions pour essayer d’alerter sur le manque de considération de la GMP face aux affaires de grooming[xxxviii]. Constatant l’inaction de la police, elle a par la suite créé la fondation Maggie Oliver venant en aide aux victimes des gangs d’exploitation sexuelle de mineurs[xxxix]. On peut également citer Alexis Jay, une ex-membre des services sociaux, qui a conduit le rapport “Jay” (ou rapport de l’IICSA) sur les affaires de grooming de Rotherham et Rochdale[xl] et qui militait depuis des années pour la considération et la prise en charge des victimes.
Sur un autre plan, il s’avère également que certains imams étaient également au courant de ce que les membres de leur communauté pouvaient faire. Leur réponse fut d’essayer de “régler le problème en interne”, avec des rappels à l’ordre d’un point de vue religieux par exemple, mais sans aller voir les autorités[xli].
Dans l’Affaire Horizons, la société civile était avant la médiatisation assez faiblement mobilisée. En réalité, l’affaire restait assez confidentielle en dépit du nombre de victimes concernées. Jusqu’alors, de nombreuses victimes constituaient alors divers groupes et associations afin de médiatiser l’affaire et de susciter l’intérêt de l’opinion. Malgré divers articles relayant la situation de cas isolés, le grand public n’avait pas conscience de l’ampleur du scandale. En 2017, un groupe mobilisant 555 gérants d’agences postales s’était engagé dans une action en justice contre la Poste britannique. Cet événement n’avait pas connu un important retentissement dans la sphère publique, même si cinquante-huit millions de livres sterling leur ont été accordés en dédommagement en 2019 (une somme pour la majeure partie consacrée au remboursement des frais juridiques). En février 2021, le lancement d’une enquête publique sous la direction de Sir Wyn Williams, relative au scandale et ayant recueilli de nombreux témoignages d’employés de la Poste britannique et de Fujitsu a permis une plus forte prise de conscience par la société civile de l’affaire, notamment par une plus forte représentation dans les réseaux sociaux et par les associations de victimes. Enfin, la large médiatisation de l’affaire par la diffusion de la série dramatique "Mr Bates vs The Post Office" a très fortement accru la mobilisation de la société civile, notamment par la prise de conscience des nombreuses conséquences dramatiques pour les victimes et leurs familles (suicides, faillites, ruptures, dépressions, etc.), renforçant l’émoi public. Cette situation a conduit les pouvoirs publics à réagir face au scandale et à l’implication massive de l’opinion.
Les médias comme caisses de résonnances et accusateur public
Le second point critique des affaires de grooming au Royaume-Uni concerne le traitement qui en a été fait par les autorités locales. En l’espèce, alors que la police était au courant, au moins par les rumeurs, de ce qu’il se passait, elle n’a pas bougé un doigt pendant plusieurs décennies. Il a fallu attendre le début des années 2010 pour voir apparaître les premières condamnations, timidement, et une décennie plus tard pour que les polices présentent publiquement des excuses.
Comment expliquer cette chronologie ? Principalement par le bruit qu’ont fait les principaux médias du pays sur le sujet. En ce qui concerne le déclenchement des premières investigations au début des années 2010, on peut citer l’article du Times britannique paru en 2007 : “Mothers Of Prevention”[xlii] qui fut précurseur dans la publicité des affaires de grooming à l’échelle nationale. En 2011, un second article intitulé “Conspiracy of silence on UK sex gangs”[xliii] déclencha les premières condamnations quelques années plus tard.
De la même manière, les torrents de contestations qu’a engendré un article du Mirror paru en 2018[xliv] documentant l’inaction des services de police dans plusieurs affaires - avec une emphase sur Telford, où le chiffre de 1000 victimes est mentionné - a poussé cette dernière à présenter publiquement des excuses. Des informations qui furent d’ailleurs contestées, puis confirmées par le rapport de près de 500 pages de l’ “Independent Inquiry into Child Sexual Abuse” paru en octobre en 2022 (IICSA)[xlv] et reprises ensuite par The Guardian[xlvi].
L’opinion publique s’est au départ faiblement mobilisée concernant le scandale Horizon, l’affaire étant restée pendant une longue période relativement confidentielle. La médiatisation récente de l’affaire a donc eu une forte importance dans la prise de conscience de l’ampleur du scandale et de la mobilisation ayant suivi. Alan Bates est le principal lanceur d’alerte du cas Horizon.[xlvii] Victime du logiciel en ayant été accusé à tort de malversations financières, la Poste britannique l’a poursuivi en réclamant des dommages et intérêts avant de lui retirer la gestion de son bureau de poste. Convaincu de son innocence et soupçonnant un problème lié au système informatique, il a constitué un maillon essentiel dans la médiatisation de l’affaire en fondant notamment la "Justice for Sub Postmasters Alliance" (JFSA), une association visant à regrouper l’ensemble des victimes injustement accusés par la Poste britannique. Le regroupement permettait de rassembler les preuves de chacun tout en constituant une action collective contre la poste et ses agissements. Les initiatives de Bates ont progressivement permis d’attirer l’attention des médias, notamment à partir du démarrage d’un procès collectif en 2017. Lors de ce procès, le groupe formé par Bates a obtenu une indemnisation financière qui concernait 555 gérants de bureaux de poste. Favorisant l’ouverture d’une enquête publique et renforçant la médiatisation de l’affaire, Bates a ensuite été au centre d’une série-fiction racontant le scandale en se basant sur de vrais témoignages de victimes.
Après le démarrage de l’enquête publique en 2021, les divers médias nationaux ont alors davantage relayé l’affaire, permettant une prise de conscience plus massive de l’opinion publique. La diffusion de la série-fiction en 2024 sur la chaîne BBC a enfin permis de mobiliser l’opinion sur cette affaire, la faisant passer d’une injustice mal connue et isolée à un scandale judiciaire de grande ampleur.[xlviii] Cette mobilisation s’explique notamment par le narratif utilisé dans la série. L’utilisation de procédés cinématographiques couplée à un récit basé sur des témoignages réels et associé à des ressentis émotionnels ont permis au spectateur de s’identifier aux intervenants racontant leur histoire et l’injustice subie. Cela suscite ainsi dans l’opinion publique de la sympathie, de l'empathie et de la solidarité envers les victimes suscitant une injustice. Au-delà de ça, l’indignation provoquée crée une pression importante sur les institutions et les politiques desquels les individus attendent une réponse face à cette situation. Par la même occasion, les associations et organisations de défense des droits se sont davantage intéressées aux victimes du scandale horizon de par la médiatisation de l’affaire et ont donc ajouté une pression supplémentaire.
La médiatisation des affaires présentant une injustice pour les victimes a donc une importance capitale dans la mobilisation de l’opinion publique, mais également dans la réaction des politiques mis en difficulté par la pression publique et des organisations de défense des droits.[xlix] Dans le cas du scandale Horizon, la personnalité d’Alan Bates a été déterminante dans la conduite des opérations de contre-influence de la Poste britannique et de l’écoute des victimes injustement accusées. La diffusion du reportage a permis au grand public de s’impliquer dans l’affaire, accélérant le processus judiciaire en cours et l’avancée de l’enquête publique.
Un quatrième pouvoir influent, mais parfois complice
Si les médias britanniques ont pu jouer un important rôle de relais pour l’opinion publique, leur influence notoire les place dans une situation privilégiée et leurs faveurs sont l’objet de convoitise dans les milieux de pouvoir au Royaume-Uni.
Les médias britanniques sont parmi les plus influents au monde et jouent un rôle crucial dans la formation de l’opinion publique et l’élaboration des discours politiques. Il existe une longue tradition de la presse au Royaume-Uni. Dès ses débuts, celle-ci est détenue par une poignée de familles de propriétaires, une tendance qui persiste aujourd’hui. Dans un rapport du Sénat français portant sur la concentration des médias[l], il est indiqué que 3 groupes (DMG Medias, News UK et Reach) détiennent 90% du marché des quotidiens nationaux, 6 entreprises partagent 83% du marché de la presse locale et régionale, et 2 sociétés (Bauer Radio et Global Radio) contrôlent 70% des émissions radios du pays. Cette hyper concentration médiatique est d’autant plus importante que les Britanniques, d’après la revue des médias[li], ont des tirages bien supérieurs à ceux que l’on peut retrouver en France.
Cette situation et les différents scandales qui ont exposés ses liens avec le monde politique, marque une incohérence majeure de la politique britannique qui promeut la liberté d’expression et le pluralisme d’opinion comme des piliers de la démocratie.
La concentration médiatique est accompagnée d’une forte opacité qui s’étend des structures de propriétés à la prise de décision éditoriale, en passant par les relations avec les institutions politiques et les grandes entreprises. L’effet « boîte noire » est exacerbé par ces liens qui sont utilisés afin de protéger des intérêts, échanger des faveurs ou influencer des politiques publiques. L’affaire Murdoch et les retombées qu’elle a entraînées ont mis en lumière ces pratiques douteuses.
L’affaire Rupert Murdoch, du nom du magnat des médias australien à la tête de News Corp, éclate en 2011 avec la révélation de pratiques illégales d’écoutes téléphoniques par le journal britannique News of the World[lii], détenu par le géant de l’industrie. Des journalistes ont accédé illégalement à des messageries vocales de célébrités, de politiciens et même de victimes de crimes. Le scandale a choqué le monde britannique avec la révélation que la messagerie vocale d’une adolescente du nom de Milly Dowler, alors disparue et retrouvée assassinée, avait été piratée. Les journalistes de News of the World ont alors supprimé certains messages, donnant ainsi de faux espoirs à sa famille quant à la possibilité de sa survie.
Parmi les autres victimes de News of the World, on retrouve des personnalités telles que Hugh Grant, J.K. Rowling, les princes Harry et William, Steve Coogan, ainsi que des familles de soldats morts au combat et des victimes d’attentats.
Une fois que la presse, ici grâce au Guardian, s’est saisie de l’affaire, la colère se répand comme une traînée de poudre et l’enquête policière (opérations Weeting, Elveden et Tuleta) est doublée d’une enquête publique menée par le juge Lord Justice Leveson. Cette dernière mènera à la publication du rapport Leveson. Les conclusions de ce document sont claires : la complicité entre le monde médiatique et les pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs est profonde, et les pratiques de la presse dans sa quête d’exclusivité sont excessives.
Cette analyse approfondie (plus de 2000 pages) détaille et critique la proximité des milieux politiques avec Rupert Murdoch et son influence sur la politique. Il examine entre autres des décennies de liens avec des figures de premier plan, telles que Margaret Thatcher, Tony Blair, Gordon Brown ou encore David Cameron.
Les documents déclassifiés en 2012 pour la bonne conduite du rapport ont rapporté une rencontre entre Rupert Murdoch et Margaret Thatcher[liii] en janvier 1981 au cours duquel l’australien a négocié un rachat du groupe Times Newspaper Limited, comprenant les journaux prestigieux The Times et The Sunday Times, qui sera la base de son empire médiatique au Royaume-Uni. En échange de cette juteuse opération, Margaret Thatcher jouit d’un soutien médiatique sans faille de la part du groupe tout au long de sa carrière, appuyant ses politiques et diabolisant ses opposants. Dans le cadre de la lutte contre les syndicats, Rupert Murdoch fut un allié de poids au point de délocaliser ses opérations d’impression à Wapping sous la protection des forces de police britannique. Cette alliance fructueuse entre le pouvoir politique et médiatique sera par la suite reprise par des personnalités de différents bords.
Ainsi, avant de devenir Premier Ministre en 1997, Tony Blair se rend en Australie personnellement pour s’entretenir avec Rupert Murdoch. Les publications des journaux du magnat des médias avaient longtemps soutenu les conservateurs (le slogan « It’s The Sun wot won it » fait référence au rôle du journal The Sun dans la victoire conservatrice de 1992) mais change d’allégeance en faveur des travaillistes et contribue au succès de l’élection de 1997. Le rapport Leveson dévoile que, par la suite, Tony Blair consultait Rupert Murdoch trois fois par semaine et qu’aucune régulation de la presse, pourtant réclamée, ne fut mise en place. Le point culminant de la relation fut la guerre en Irak, durant laquelle The Sun et The Times menèrent la bataille médiatique pour justifier l’invasion malgré les fortes controverses qu’elle suscitait. Lors de son audition à l’occasion de l’enquête publique, Tony Blair déclare lui-même qu’ils étaient parfois trop proches.
Face aux critiques visant Tony Blair, le groupe médiatique de Rupert Murdoch envisage l’avenir et fait monter une figure technocratique qui pourrait être une alternative viable : Gordon Brown. Cependant, s’il a bénéficié d’articles favorables qui l’ont mis sur le devant de la scène celui-ci est moins disposé à se faire influencer. A l’approche des élections générales de 2009, The Sun retire son soutien au parti travailliste et tourne publiquement Brown en dérision en représailles. Ce retournement d’alliance se fera en faveur du chef du parti conservateur David Cameron qui tentait de s’attirer le soutien de Rupert Murdoch depuis des années.
Confirmant son statut de faiseur de roi, Rupert Murdoch voit un autre de ses poulains accéder au 10 Downing Street. Il s’assure cette fois une personne de confiance puisque David Cameron est un proche de Rebekah Brooks, l’ancienne rédactrice en chef de The Sun, de son fils et dirigeant de News Corporation, James Murdoch et d’Andy Coulson qu’il a embauché comme directeur de communication au sein du Parti conservateur puis du gouvernement avant que son rôle dans le scandale des écoutes téléphoniques n’éclate. Ce dernier mettra fin à la tentative de prise de contrôle total de BSkyB, l’opérateur de télévision britannique, par News Corporation puisque David Cameron, à travers son secrétaire à la culture Jeremy Hunt, est accusé de favoriser l’opération.
L’affaire conduira à des réformes partielles dans la régulation des médias au Royaume-Uni, notamment la création de l’IPSO (Independent Press Standards Organisation). Néanmoins les critiques estiment que les mesures sont insuffisantes et l’affaire Murdoch laisse une empreinte durable dans la perception du public envers les tabloïds.
L’affaire Murdoch a mis en lumière le rôle déterminant des médias dans la bonne marche du pouvoir au Royaume-Uni, ainsi qu’un aperçu des pratiques britanniques en matière d’exercice de prérogatives publiques. Il convient à présent de se pencher sur ces sphères du pouvoir et ses dysfonctionnements conséquents.
Des institutions compromises et contraintes
Le scandale de l’affaire Jimmy Savile, ancien animateur de la BBC qui a commis des actes de viols et d’agressions sexuelles sur des centaines de personnes, enfants comme adultes, pendant plus de 50 ans, a marqué la société britannique et a mis en lumière l’implication de la sphère politique et de la police dans la dissimulation d’affaires d’agressions sexuelles et de pédophilie.
Les scandales n’épargnent aucune strate du pouvoir
Cette affaire, révélée dans un premier temps par une émission d’enquête sur ITV en 2012 avant de faire l’objet d’une enquête judiciaire, survient dans un contexte où de nombreuses personnalités politiques font l’objet d’accusations d’agressions sexuelles à caractère pédophile, notamment au sein du Parlement britannique. La connivence envers des personnalités publiques et politiques, accusées de viols et d’agressions sexuelles sur des enfants, va jusqu’à l’anoblissement sous le gouvernement de Margaret Thatcher d’un député accusé de participer à des orgies impliquant des viols sur de jeunes garçons, Sir Cyril Smith, et la dissimulation de preuves. A la suite de nombreuses révélations sur des scandales liés à des actes pédophiles impliquant des personnalités publiques, des responsables politiques et des institutions publiques à partir des années 60, une vaste enquête publique, la plus importante à ce jour, a été ouverte en 2015 par la commission d’enquête indépendante The Independent Inquiry into Child Sexual Abuse (IICSA), pour faire la lumière sur ces affaires qui ont fait des milliers de victimes sur des décennies.
Les institutions publiques, des centres sociaux et médicaux aux institutions religieuses en passant par les écoles et établissements carcéraux, ainsi que la sphère politique, et plus particulièrement les parlementaires de Westminster, font l’objet de cette enquête publique menée par l’IICSA qui a duré 7 ans, et dont les conclusions finales et recommandations ont été rendues dans un rapport en 2022[liv]. Il est à noter que, lors de la publication du rapport final de l’IICSA en 2022, les affaires de pédophilie étaient toujours d’actualité, considérées par certains experts comme “un problème croissant et une épidémie nationale”[lv].
Les institutions politiques et religieuses
Le rapport met en évidence les défaillances au sein des institutions politiques et policières ayant permis aux auteurs d’échapper à la justice. Une déférence excessive de la part de la police et des procureurs ainsi qu’une complaisance des institutions politiques, religieuses et des partis politiques qui, soucieux de préserver leur réputation et protéger leurs intérêts, usent de leur pouvoir pour dissimuler les abus sexuels, constituent une entrave à la conduite des enquêtes et à la condamnation des auteurs. Certains de ces auteurs (parlementaires, hommes d'Église) profitent de leur position d’autorité et de pouvoir pour commettre ces abus et bénéficient même de distinctions honorifiques, à l’image de Sir Peter Morrison, anobli par Margaret Thatcher malgré les accusations. Le rapport met également en avant les pressions exercées sur les victimes pour qu’elles gardent le silence ainsi que la dissimulation, la falsification ou la destruction de preuves auxquelles ont recours les institutions, empêchant de quantifier précisément l’ampleur du problème.
Les cas d’abus sexuels impliquant des personnalités politiques de premier plan ne se limitent pas à Westminster. Sir Cyril Smith, évoqué précédemment, a utilisé sa position de pouvoir afin d’accéder à des enfants vulnérables placés sous la garde des autorités locales au sein de l’auberge pour garçons Cambridge House à Rochdale, pour mener « des examens médicaux » sur ces garçons, y compris sur leurs parties génitales. Il a également profité de sa position pour exercer des pressions localement afin de faire taire les accusations d’abus sexuels le concernant.
Les autorités locales et le rôle des services sociaux
Le rapport dénonce un échec systémique et persistant de la part des autorités locales à protéger les enfants contre les abus sexuels qui ont ainsi pu perdurer pendant des décennies. De la même manière que les cas d’abus au sein des institutions politiques et religieuses, le rapport met en évidence une culture de la négligence, du déni et une déférence envers les personnes en position d'autorité (conseillers municipaux, membres du Parlement) au sein des services sociaux et des autorités locales, qui privilégient leur réputation à la protection des enfants. Les enquêtes, si elles sont menées, sont partiales et les auteurs des abus protégés. Par ailleurs, un manque de coordination entre les services sociaux sociaux, la police et les autorités, des pratiques de recrutement inadéquates, un déficit de personnel qualifié et formé, un manque de ressources allouées pour soutenir les victimes et prévenir les futurs abus, ainsi qu’une supervision insuffisante dans les foyers d'accueil, favorisent un environnement propice aux abus sexuels. Le rapport met en évidence une culture sexualisée dans certains foyers, avec des membres du personnel eux-mêmes auteurs des abus, et accuse les autorités locales de ne pas prendre au sérieux les allégations d’abus sexuels. Les conseils municipaux de Nottingham et de Lambeth sont particulièrement critiqués pour avoir permis aux abus sexuels de perdurer pendant des décennies, malgré des preuves accablantes et de nombreux rapports mettant en évidence les changements nécessaires à réaliser pour lutter contre ces abus. Les services sociaux et les autorités locales manquent ainsi à leur devoir de protéger les enfants et contribuent à favoriser une culture de l'impunité permettant aux abus sexuels de perdurer. De manière très concrète, à titre d’exemple, sur les 715 signalements reçus par les services sociaux dans l’affaire de Telford, seulement la moitié furent traités[lvi].
La responsabilité des autorités publiques dans les cas d’abus au sein des écoles et structures extra-scolaires
Le rapport met également en lumière la responsabilité des pouvoirs publics dans les manquements en matière de protection des enfants au sein des écoles et structures extra-scolaires. Un manque de contrôle et de surveillance au sein des établissements ainsi qu’un déficit de coordination de la part des pouvoirs publics, empêchant la mise en œuvre de mesures de protection efficaces, sont mis en avant dans le rapport. Malgré de vives inquiétudes exprimées par l’Ofsted, The Office for Standards in Education, Children's Services and Skills, les failles dans les systèmes d’inspection et de réglementation au sein des écoles et structures extra-scolaires persistent. De manière générale, le rapport dénonce l’absence de directives gouvernementales juridiquement contraignantes, qui crée un vide juridique exposant les enfants à un risque accru d’abus sexuels au sein de ces établissements, le manque de cohérence et de clarté des politiques et directives gouvernementales, notamment en ce qui concerne les processus de signalement des abus, ainsi que les discours politiques minimisant l’ampleur du problème et discréditant les victimes et ceux qui le dénoncent.
L’IICSA, dont l’enquête a permis de révéler l’ampleur des abus et des défaillances institutionnelles majeures, insiste sur la nécessité de mettre en œuvre rapidement, et de manière coordonnée, les 20 recommandations clés formulées dans le rapport final.
L’inquisition médiatique pousse le système politique à réagir
La succession de scandales à caractère pédophile révélés par la presse britannique contraint les pouvoirs publics à se saisir du sujet et à apporter une réponse à la hauteur de la gravité des faits. Ainsi, Theresa May, alors Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, met en place en 2014 The Independent Inquiry into Child Sexual Abuse (IICSA),chargé d’enquêter sur les affaires de pédophilie et d’exploitation sexuelle de mineur(e)s : prostitution forcée, grooming, etc … La création de l’IICSA coïncide par ailleurs avec l’intensification, observée entre 2014 et 2016, des activités des “chasseurs de pédophiles”, les actions de ces groupes et les condamnations qui en découlent étant particulièrement médiatisées.
En ce qui concerne les affaires de grooming, l’enquête du IICSA, reprise par The Guardian et les différents articles de presse ont poussé les autorités locales à ré-ouvrir des dossiers, pour aboutir in fine à la condamnation de plusieurs centaines de personnes sur tout le territoire anglais. Des excuses publiques de plusieurs polices locales ont été faites. On peut citer par exemple la police de West Mercia (affaire de Telford), où le chef adjoint de la police, Richard Cooper, déclarait en 2022 : « Je voudrais dire pardon. Désolé pour les survivants et toutes les personnes touchées par l'exploitation sexuelle des enfants à Telford.”[lvii]. De la même manière, toujours en 2022, le chef de la police de Manchester (affaire de Rochdale) - Stephen Watson - offrait des excuses publiques et une compensation financière aux victimes[lviii], déclarant “C'est un grand regret personnel que votre enfance ait été si cruellement touchée par les terribles expériences que vous avez endurées. Le BPF aurait pu et aurait dû faire beaucoup plus pour vous protéger.”. Toutefois, même après ces excuses publiques, Stephen Watson a admis que les officiers responsables ne seront pas punis[lix].
Enfin à un échelon plus élevé, après des décennies, la publicité des affaires de grooming en Angleterre a poussé le premier ministre de l’époque, Rishi Sunak, à la création d’une task force spécialisée sur ces affaires en avril 2023[lx], plus de cinquante ans après le début des faits.
Une réponse politique prudente et inégale
A la suite de l’enquête de l’IICSA, qui a révélé l’ampleur des abus sexuels, dont ont été victimes les enfants sur plusieurs décennies, et les défaillances institutionnelles majeures, le gouvernement britannique s’est engagé le 10 janvier 2024[lxi], lors d’une séance au Parlement, à agir sur la base des recommandations formulées dans le rapport final deux ans plus tôt.
Le gouvernement s’est engagé à introduire une obligation légale de signalement des abus sexuels sur les enfants dans le cadre du projet de loi sur la justice pénale, annoncé en novembre 2023. En ce qui concerne le renforcement du système de protection de l’enfance, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre des réformes dans le cadre du programme de protection sociale de l’enfance “Stable Homes, Built on Love” qui comprennent notamment la mise à jour des directives “Working Together to Safeguard Children” et la publication de normes nationales “multi-agences” de protection de l’enfance. Une task force, la Child Sexual Exploitation Police Task Force, a été mise en place en avril 2023 avec l’objectif d’aider les forces de police dans la collecte et l’analyse des données afin de mieux identifier les abus, en collaboration avec le Tackling Organised Exploitation Programme (TOEX). Le gouvernement travaille par ailleurs avec l’Office for National Statistics (ONS) pour déterminer si une nouvelle enquête pourrait mesurer plus précisément l’ampleur et la nature des abus sexuels sur les enfants. Le gouvernement a également reconnu la nécessité d’une meilleure coordination et collaboration entre les différentes institutions et agences ainsi que l’importance de la participation des victimes dans le processus de mise en œuvre des réformes.
Il est à noter que le gouvernement n’a pas suivi l’ensemble des recommandations du rapport[lxii]. La proposition de modification du Children Act de 1989, visant à renforcer la protection des enfants placés sous la garde des autorités locales, n’a pas été retenue par le gouvernement. Celui-ci estime que la solution peut être apportée par les réformes menées dans le cadre du programme “Stable Homes, Built on Love”. En ce qui concerne l'indemnisation des victimes qui ont subi des abus des années plus tôt, le gouvernement n’a pas non plus suivi la recommandation de l’IICSA au sujet de la suppression du délai de prescription de trois ans et étudie plutôt la mise en place d’un système de réparation pour les victimes d’abus sexuels non récents.
Par ailleurs, le gouvernement est critiqué pour son inaction et son retard dans la mise en œuvre des réformes, notamment en ce qui concerne l’introduction de l'obligation de signalement des abus, alors que d’autres affaires, comme le scandale Horizon, suscitent une réponse rapide de la part de celui-ci[lxiii]. Jonathan West, directeur du groupe de pression Mandate Now dénonce également la position du gouvernement qui tend à s’écarter de la recommandation de l’IICSA en suggérant que les personnes qui ne signalent pas les abus soient simplement référées au Disclosure and Barring Service ou sanctionnés par leur organisme de réglementation professionnelle, plutôt que de faire l’objet de poursuites pénales. De son côté, Dino Nocivelli, avocat dans le cabinet Leigh Day qui a représenté des centaines de victimes d'abus sexuels, insiste sur l’importance de l’obligation légale de signalement qu’il définit comme un outil essentiel pour aider les victimes, protéger les enfants et prévenir de futurs abus. L’inaction du gouvernement concernant l’introduction de signalement obligatoire est perçue comme une trahison envers les victimes d’abus sexuels.
Dans l’affaire Horizon, il est particulièrement intéressant d’observer l’évolution de la position politique vis-à-vis du scandale. Au départ, le scandale n’a que peu de retentissement dans l’opinion publique et on observe donc une faible réponse politique, marquée par peu de communication sur le sujet. Les nombreuses victimes ont tenté à diverses reprises d’alerter les pouvoirs publics et notamment les politiques mais ils n’étaient jusqu’alors pas pris au sérieux dans leurs déclarations. Les ministres et députés ne se sentaient pas concernés par le problème, et beaucoup n’avaient pas connaissance de l’affaire, tout du moins de son ampleur, ce qui limitait de fait une réponse politique globale et commune.
Progressivement et avec la médiatisation grimpante du scandale, les pouvoirs politiques commencèrent à s’intéresser au sujet afin d’établir un constat sur la situation et éventuellement réfléchir à certaines formes de régularisation. En février 2021, une enquête publique est lancée sur le scandale Horizon par Paul Scully, à l’époque ministre chargé des petites entreprises, des consommateurs et des marchés du travail au sein du Département des Affaires, de l’énergie, et de la stratégie industrielle. Cette enquête avait pour principaux objectifs de comprendre la chronologie de l’histoire avec une restitution des faits en pointant des défaillances qui étaient apparues, d’établir les responsabilités de chacun en identifiant les erreurs commises par les différents acteurs du scandale (Fujitsu, la Poste britannique, les autorités judiciaires et les gérants accusés), d’assurer de fait la justice pour les victimes injustement condamnées en les réhabilitant et en les indemnisant, et enfin proposer des réformes du système pour qu’une telle situation ne se reproduise plus. L’enquête publique était indépendante et de nombreux groupes parlementaires faisaient pression sur le gouvernement pour une transparence totale sur la réalité des faits.
En janvier 2024, le Premier Ministre de l’époque, Rishi Sunak a annoncé une nouvelle loi visant à établir des procédures pour innocenter et indemniser rapidement les anciens gérants d’agences accusés à tort.[lxiv] Cela faisait suite aux résultats de l’enquête publique révélant des défaillances, mais également par la diffusion médiatique du scandale, astreignant le gouvernement à réagir. En juillet 2024, le gouvernement travailliste a publié les détails d’un nouveau programme d’indemnisation, le Horizon Convictions Redress Scheme, articulant les éligibilités à trois programmes d’indemnisation et de réhabilitation. En septembre 2024 cependant, seules 93 condamnations avaient été annulées et peu d’argent avait été versé. Le budget alloué par le gouvernement pour ces indemnisations est de plus d’un milliard de livres sterling, réparti à travers trois programmes destinés à 4000 personnes éligibles. Tout d’abord, le programme de l’Ordonnance de Litige Collectif est conçu pour les 555 anciens sous-directeurs de bureaux de poste (excluant ceux ayant des condamnations criminelles) qui ont remporté leur action en justice collective, mais qui ont reçu des indemnités relativement faibles après les frais juridiques. Cela leur donne droit à une indemnisation de 75 000 £, mais beaucoup devraient demander davantage. Le deuxième est le programme des condamnations annulées et offre aux personnes éligibles un règlement accéléré de 600 000 £, ou la possibilité de négocier un paiement plus élevé. Enfin, le troisième programme sur les déficits Horizons concerne les sous-directeurs de bureaux de poste qui n'ont pas été condamnés, ou qui n'ont pas participé à l'action en justice GLO, mais qui estiment avoir subi des déficits en raison du système Horizon. Ce groupe se verra offrir un paiement fixe de 75 000 £. A savoir que certaines demandes d’indemnisation individuelles dépassent largement 1 million de livres selon le professeur Chris Hodges.
Après enquête, le leader des Libéraux-démocrates des Libéraux-démocrates, Sir Ed Davey, a été critiqué pour avoir refusé de rencontrer M. Bates lorsqu'il était ministre des affaires postales en mai 2010 mais il a affirmé avoir été "profondément trompé par les dirigeants de la Poste". Également, la BBC a découvert que le gouvernement de l'ex-Premier ministre David Cameron savait que la Poste avait apparemment abandonné une enquête secrète qui aurait pu aider les sous-directeurs de bureaux de poste à prouver leur innocence. Les pouvoirs politiques ont donc été sommés de réagir au scandale Horizon après la médiatisation de l’affaire, changeant de position sur le scandale sur lequel le gouvernement ne communiquait autrefois jamais.
Les multiples scandales ayant ébranlé le Royaume-Uni, des affaires de grooming à l’affaire Murdoch, en passant par le scandale Horizon ou les abus dissimulés dans les hautes sphères religieuses et politiques, révèlent les profondes failles d’un système politico-judiciaire à la fois centralisé et paradoxalement fragmenté. Ces événements mettent en lumière un équilibre précaire entre tradition, modernisation et préservation des apparences, souvent au détriment des victimes et de la justice. Si ces scandales ont provoqué une réaction publique et médiatique, forçant les autorités à reconnaître leurs erreurs, ils mettent en lumière l’incapacité chronique des institutions à agir proactivement face aux injustices. Ces exemples révèlent également l’importance cruciale des contre-pouvoirs, qu’ils soient issus de la société civile ou des médias, pour forcer les réformes nécessaires. Toutefois, les réponses tardives et souvent insuffisantes des pouvoirs publics interrogent la capacité du Royaume-Uni à se réformer en profondeur. La pérennité d’une démocratie repose sur la transparence et la responsabilité de ses institutions, deux principes que ces scandales ont malheureusement ébranlés.
Notes
[i][i] Rotherham Child Exploitation scandal, Wikipédia.
[ii][ii] Affaires des viols collectifs de Telford, Wikipédia.
[iii][iii] Huddersfield grooming gang, Wikipédia.
[iv][iv] Rochdale child sex abuse ring, Wikipédia.
[v][v] Oxford child sex abuse ring, Wikipédia.
[vi][vi] Bristol child sex abuse ring, Wikipédia.
[vii][vii] Derby child sex abuse ring, Wikipédia.
[viii][viii] Peterborough child sex abuse ring, Wikipédia.
[ix][ix] Newcastle child sex abuse ring, Wikipédia.
[x][x] Halifax child sex abuse ring, Wikipédia.
[xi][xi] Aylesbury child sex abuse ring, Wikipédia.
[xii][xii] Banbury child sex abuse ring, Wikipédia.
[xiii][xiii] « Inquiry finds 'extensive failures' in the way child sexual exploitation is tackled in County Durham », Chronicle Live, 1 février 2022.
[xiv][xiv] BBC, « Post Office Horizon scandal: Why hundreds were wrongly prosecuted », 30 juillet 2024.
[xv][xv] Courrier International, « Une série relance l’un des plus grands scandales judiciaires de l’histoire du Royaume-Uni », 8 janvier 2024.
[xvi][xvi] Sir Wyn Williams, « Post Office Horizon Public Inquiry », 2024.
[xvii][xvii] Home Office Annual Report, 2002.
[xviii][xviii] Home Office Departmental Report, 2008.
[xix][xix] “Reality Check: Is police funding falling?”, BBC, 11 avril 2018.
[xx][xx] Home Office Annual Report, 2015.
[xxi][xxi] SHRIMPTON Hannah, “The future of policing”, Ipsos, 15 novembre 2023.
[xxii][xxii] Countryside Alliance, Rural Crime Survey 2020, 2020.
[xxiii][xxiii] « Telford scandal 1000 children abused police feared investigating », Telegraph, 12 juillet 2022.
[xxiv][xxiv] « Child sexual exploitation is downplayed to avoid bad publicity, report says », The Guardian, 1 février 2022.
[xxv][xxv] « Rochdale child sex ring : Did political correctness delay justice ? » The Week, 28 septembre 2012.
[xxvi][xxvi] « Fight against grooming gangs hindered by fear of being branded racist, says official », The Independent, 6 février 2022.
[xxvii][xxvii] « Grooming gangs : Maajid Nawaz denounces fears of racism from investigators », LBC, 24 octobre 2020.
[xxviii][xxviii] « Rishi Sunak criticises political correctness over grooming gangs », BBC, 3 avril 2023.
[xxix][xxix] « Ethnicity of grooming gangs cannot be ignored, police told », Telegraph, 2 avril 2023.
[xxx][xxx] Mickaël Bazoge, « Une effroyable erreur judiciaire » : Fujitsu admet des bugs qui ont jeté des innocents en prison », 01Net, janvier 2024.
[xxxi][xxxi] Tim Baker, « Post Office scandal: Investigators 'offered bonuses' to prosecute sub-postmasters », Sky News, 11 janvier 2024.
[xxxii][xxxii] Harry Taylor, « Post Office used racist term for Black people, documents show », The Guardian 27 mai 2023.
[xxxiii][xxxiii] “Police concerns over rise of 'paedophile hunters'”, BBC, 6 novembre 2019.
[xxxiv][xxxiv] Matthew CALDERBANK, « I locked myself in a toilet for four days after paedophile hunters mistakenly accused me in sting », Lancashire Post, 28 mars 2024.
[xxxv][xxxv] Wiltshire and Swindon Police and Crime Commissioner, « Paedophile hunters are putting convictions at risk »
[xxxvi][xxxvi] University of East Anglia, « New study finds ‘paedophile hunter’ groups violate human rights, must be regulated », 13 juillet 2020.
[xxxvii][xxxvii] Anna Tippett, “The rise of paedophile hunters : To what extent are cyber-vigilante groups a productive form of policing, retribution and justice?”, Criminology & criminal justice, septembre 2024.
[xxxviii][xxxviii] « A very serious abuse of power': Former detective Maggie Oliver on 'explosive' women in custody inquiry » Manchester Evening News, 18 juillet 2024.
[xxxix][xxxix] The Maggie Oliver Foundation.
[xl][xl] « Alexis Jay on child sex abuse : ‘Politicians wanted to keep a lid on it », The Guardian, 13 juillet 2011.
[xli][xli] “'Muslim leaders fully aware of problem but did nothing': Pakistani community worker makes explosive claims on Rotherham's religious leaders who 'talked in mosques but not to police'”, Daily Mail, 28 août 2014
[xlii][xlii] “Mothers of Prevention”, The Times, 30 septembre 2007.
[xliii][xliii] “Revealed: conspiracy of silence on UK sex gangs”, The Times, 5 janvier 2011
[xliv][xliv] “ Exclusive: Britain's 'worst ever' child grooming scandal exposed: Hundreds of young girls raped, beaten, sold for sex and some even killed”, The Mirror, 11 mars 2018 .
[xlv][xlv] “The Report of the Independent Inquiry into Child Sexual Abuse”, IICSA , Octobre 2022
[xlvi][xlvi] “Over 1,000 children in Telford were sexually exploited, inquiry finds”, The Guardian, 12 juillet 2022
[xlvii][xlvii] Tom Espiner, BBC, “Alan Bates says Post Office was run by 'thugs in suits'”, 9 avril 2024.
[xlviii][xlviii] Cécile Ducourtieux, Le Monde, “ Au Royaume-Uni, médias et politiques s’intéressent enfin aux victimes du scandale du logiciel Horizon”, 11 janvier 2024.
[xlix][xlix] Robert Skidelsky, Project Syndicate, “Britain’s Post Office Scandal and the Rule of Law”, 18 janvier 2024
[l][l] Sénat, Note sur la concentration des médias, Législation comparée, juillet 2022.
[li][li] Jamil Dakhlia , « La presse tabloïde : le populaire au risque du populisme », Le Revue des médias, 23 juillet 2010
[lii][lii] Cette affaire a conduit à la fermeture du tabloïd News of the World.
[liii][liii] Archives de la Margaret Thatcher Foundation.
[liv][liv] Independent Inquiry into Child Sexual Abuse, Rapport, Octobre 2022
[lv][lv] Michael HOLDEN, “Child sex abuse in Britain is epidemic, UK inquiry says”, Reuters, 20 octobre 2022
[lvi][lvi] “Social services at centre of Britain's worst child grooming scandal received 715 warnings but acted on barely half”, The Mirror, 13 mars 2018.
[lvii][lvii] « Telford scandal 1000 children abused police feared investigating », Telegraph, 12 juilet 2022.
[lviii][lviii] « Victims of Rochdale grooming gangs win apology and damages from Greater Manchester Police », Care News, 13 avril 2022.
[lix][lix] « Andy Burnham gives grooming gangs update as GMP says officers behind past failings won’t be punished », Manchester Evening News, 13 décembre 2024.
[lx][lx] “Press release : PM to clamp down on Grooming Gangs“, UK Gov, 2 avril 2023.
[lxi][lxi] House of Commons, “Independent Inquiry into Child Sexual Abuse: Update”, Déclaration écrite, 10 janvier 2024.
[lxii][lxii] Independent Inquiry into Child Sexual Abuse, Rapport, Octobre 2022.
[lxiii][lxiii] Haroon SIiddique, « Survivors criticise ‘abhorrent’ failure to act on child sexual abuse inquiry », The Guardian, 5 février 2024.
[lxiv][lxiv] Tristan de Bourbon, La Croix, « Royaume-Uni : des centaines de personnes accusées à tort de vol à cause d’un bug informatique du Post Office », 9 janvier 2024.