Les démocraties occidentales et plus particulièrement les démocraties anglosaxonnes (les autres étant très peu présentes dans le débat) ont longtemps hésité avant de prendre en compte la problématique réelle que représente la Chine communiste dans la gestion des rapports de force entre puissances.
Les contradictions occidentales et leurs effets cognitifs
Au début des années 90, le « camp » occidental opérait en ordre dispersé car les contradictions étaient très fortes :
. Le monde des affaires privilégiait les intérêts à court terme. La grande majorité des entreprises occidentales considéraient la Chine comme un nouvel eldorado marchand qui s’ouvrait sur le monde.
. Le monde diplomatique qui poursuivait la politique de la main tendue vers Pékin. Cette politique faisait suite au schisme sino-soviétique. Le Bloc de l’Ouest au début des années 60 estima qu’il avait tout intérêt à se rapprocher de la Chine pour mieux isoler le Bloc de l’Est sous l’influence directe de Moscou. La chute du Mur et la disparition de l’URSS ne stoppèrent pas cette volonté de rapprochement conforté par l’élan pris par la mondialisation des échanges.
. Le monde militaire (en l’occurrence le Pentagone) qui n’avait pas oublié l’échec du soutien au parti nationaliste Kuomintang dans sa lutte contre le Parti communiste chinois, les avatars de la guerre de Corée contre l’implication des troupes de l’Armée Populaire de Libération, épaulant les forces de la Corée du Nord, l’affront subi au Vietnam (non défaite militaire, mais retrait dû à l’effet conjugué de la faiblesse de la légitimité du Sud-Vietnam conjuguée à la crise politique intérieure américaine en raison du mouvement anti-guerre du Vietnam qui enflammait les universités d’outre-Atlantique.
. Le monde du renseignement qui se battait à partir des années 90 de manière épisodique sur différents fronts informationnels (la question du Tibet et du Dalaï-Lama, la répression à la suite des évènements de la place Tian'anmen, la préservation du statut de Hong Kong, et de manière plus ou moins soutenue : la question de Taiwan).
La réécriture partielle et encore hésitante d'une guerre cognitive contre une dictature communiste
L’amorce d’un changement de politique sous la présidence Obama (projets de traité transpacifique et transatlantique dont la Chine était exclue afin de tenter de contenir ses appétits commerciaux) puis le coup d’arrêt apporté sous la présidence Trump validé sous la présidence Biden ont changé la donne. Les Etats-Unis d’Amérique ont décidé de revoir leur stratégie à l’égard de la Chine qui redevenait subitement « communiste » et n’était plus la puissance fréquentable que l’on acceptait en 2001 comme membre de l’Organisation Mondiale de Commerce, et qui devenait un défenseur de la libéralisation des échanges par la voix de son Président Xi Jinping au sommet de Davos de 2017.
La guerre de l’information contre la Chine s’est recentré sur le point focal du communisme et du régime totalitaire qu’il représente. La politique responsabilité de la Chine dans la pandémie covid-19 puis l’aberration de la politique zéro covid qui transparait chaque jour davantage aux yeux du monde, recentre le débat sur la volonté de contrôle social par tous les moyens pour permettre au Parti Communiste Chinois de garder le contrôle du pays.
Le « camp » occidental a subi plusieurs revers sérieux ces dernières années, notamment à Hong Kong mais aussi sur le continent africain, ou dans la manière dont la Chine continue à exploiter les divisions des pays occidentaux obnubilés par leurs intérêts particuliers[i]. En Europe par exemple, les Pays-Bas, véritable « hub » chinois pour irriguer les marchés européens, symbolisent parfaitement cette politique de collaboration avec la Chine qu’ils considèrent comme un pays comme les autres, commettant l’erreur de considérer que l’habillage idéologique du régime politique en place à Pékin n’a qu’une consonance purement anecdotique. L’importance du marché l’emporte sur tout autre critère.
Un tel déficit d’analyse cognitive qui n’est pas propre qu’à nos amis hollandais, m’a incité à mandater un groupe de la MSIE 36 de l’EGE pour travailler sur l’évolution des guerres de l’information contre la Chine. Leur rendu peut être lu à travers les deux PDF ci-dessous. Leur travail a ouvert la voie à une approche plus large des champs d’affrontement cognitifs. Ce qui m’amène aux constatations qui vont suivre. -
Quelle guerre cohérence stratégique, pour quelle guerre cognitive ?
L’épisode de la guerre en Ukraine démontre une fois de plus que la dynamique des empires et les stratégies d’accroissement de puissance restent le moteur de l’Histoire humaine. Il existe donc plusieurs dynamiques d’affrontement potentiellement global :
. Celle des compétiteurs que la mondialisation des échanges a eu tendance à pacifier entre 1990 et 2016.
. Celle des empires classiques qui ont limité depuis des décennies leurs interventions militaires à des zones non frontalières.
. Celle des pays à matrice totalitaire qui luttent pour leur pérennité ou leur survie, et dont les capacités d’agression létale ou non létale sont plus ou moins prévisibles.
N’oublions pas que le point commun à la Chine et à la Russie reste la matrice totalitaire, orchestrée différemment en fonction des contextes politico-historiques de chacun de ces pays. Cette matrice totalitaire est un danger permanent car elle ne peut pas s’ouvrir à un changement de modèle dans la mesure où les élites héritières de la matrice idéologique communiste perdraient les fondements mêmes de l’enracinement de leur pouvoir. Il en découle de ce type de gouvernance une paranoïa[ii] reproductible de génération en génération. Cette dernière entretient une dynamique de rapports de force qui sort du cadre classique de recherche de domination des empires territoriaux.
La prise de conscience et le passage à l'acte
Dans le cas du conflit qui domine l’actualité, à savoir la guerre en Ukraine, ne soyons pas dupe du dessous des différentes cartes dans le jeu des acteurs. Au-delà du souhait de venir en aide à un pays envahi par l’armée russe, les Etats-Unis d’Amérique cherchent à plier une bonne fois pour toute, la dynamique relookée du « social impérialisme » russe[iii]. Dans le même temps, Washington cherche aussi à contenir la politique d’accroissement de puissance du nouvel empire marchand chinois. Cette optique géostratégique n’est pas forcément partagée par l’Europe.
Il ressort de ce constat une feuille de route que l’on pourrait énoncer ainsi :
. Sommes-nous capables de tirer toutes les leçons de la guerre en Ukraine ?
. Quelles sont nos grilles de lecture ?
. Comment gérer la fragilité de nos élites par rapport aux jeux d’influence extérieure ?
. Quelle doit être le niveau de remise en question du tout létal dans une nouvelle approche de la guerre multidimensionnelle qui émerge aujourd’hui ?
. Quelle forme doit prendre la revalorisation de la problématique de puissance de la France ?
. Quelle est le niveau stratégique des problématiques de guerre cognitive ?
. Comment faciliter le difficile accouchement d’une doctrine offensive en matière de contenu cognitif ?
La prise en compte de la guerre cognitive par la France est donc une démarche qui doit intégrer ces deux versants de la dialectique des rapports de force. Ce n'est pas simple mais c’est un chemin à construire en sortant des sentiers battus d’une lecture simplifiée des échiquiers.
Christian Harbulot
Pour le CR 451
Lire les PDF :
PDF 1 : GIcontrelaChine (ege.fr)
PDF 2 : ANNEXES (ege.fr)
Notes
[i] L’Europe reste un maillon faible même si des pays comme l’Allemagne ou la France commencent à revoir leur position de la main tendue et ouverte à toutes les compromissions passées.
[ii] Si la société de consommation fonctionne encore comme bouclier principal des pays du « camp » occidental sur le plan de la relation des citoyens avec leur système politique, il n’en va pas de même avec la matrice politico-sociale initiée par une dictature communiste telle que la Chine ou le modèle dirigiste de souveraineté de la Russie post-communiste. En Chine comme en Russie, le seul bouclier qui fonctionne vraiment est aux mains des services de sécurité de l’Etat.
[iii] C’est ainsi qu’était qualifiée l’URSS par Mao Tsé Toung dans les écrits de propagande antisoviétique des années 60/70).