Les mouvements subversifs européens ne sont pas connus pour formaliser des retours d’expérience sur leurs pratiques révolutionnaires. Rares sont les documents qui abordent cette question. La liste des échecs stratégiques de ces expériences révolutionnaires jalonne pourtant l’Histoire du XXè siècle :
- Les tentatives répétées de prise du pouvoir en Allemagne à la fin de la première guerre mondiale.
- La défaite du Parti communiste italien face au mouvement fasciste de Mussolini au début des années 20.
- La défaite du parti communiste allemand[1] face à l’instauration d’un régime nazi[2] en 1933.
- La défaite du camp républicain[3] pendant et après la guerre civile espagnole[4].
- La défaite du mouvement de mai 68 en France[5].
- La défaite des mouvements subversifs qui ont pratiqué la lutte armée dans les années 70 (Italie, Irlande, Allemagne, Espagne, France).
Dans chacune de ces expériences, le renseignement a été une pratique particulière adaptée à chaque contexte et à chaque culture politique. Il a été surtout utilisé à un niveau tactique. L’une des principales carences de ces organisations subversives a été leur incapacité à cerner les failles informationnelles dans l’étude du potentiel de « l’ennemi ». Les spartakistes allemands n’ont pas su évaluer le niveau de riposte des forces politico-militaires issues de l’armée du IIe Reich. Les communistes italiens n’ont pas su évaluer la puissance contre-subversive du mouvement fasciste initié par Mussolini. Les Républicains espagnols ont mal évalué les capacités de mobilisation du franquisme dans une partie de la population. Les communistes allemands ont mal mesuré la force de frappe cognitive du parti nazi. Dans une période plus récente, les mouvements de révolte étudiants des années 70 ne surent pas se donner les moyens d’évaluer le niveau de résistance des sociétés qu’ils voulaient changer. Les expériences ratées de passage à la lutte armée ont confirmé cette défaillance dans la manière d’utiliser l’information pour avoir une idée réaliste du rapport de force.
Les organisations les plus professionnalisées ont su utiliser des méthodes de renseignement très efficaces pour monter des opérations spectaculaires :
- Assassinat de l’amiral Carrero Blanco par l’ETA militaire basque.
- Assassinat de Lord Mountbatten par l’IRA provisoire irlandaise.
- Enlèvement puis assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges italiennes.
- Enlèvement puis assassinat de Hanns Martin Schleyer, le patron du patronat allemand par la Rote Armée Fraktion allemande.
Mais le niveau de renseignement atteint pour mener ce type d’opération ne compensait pas les erreurs commises pour évaluer la finalité du combat de ces oragnisations subversives.
Pour mieux cerner ce type de contradictions, nous avons demandé à Adrien Magnat-Poignant de l’EGE, d’étudier la période allemande entre 1917 et 1923 afin d’évaluer :
- Les déficiences stratégiques des différents mouvements.
- Les failles dans la culture du combat subversive par rapport aux méthodes des Freikorps allemands.
- Les incohérences du mouvement bolchévik au mouvement spartakiste.
- Les limites du soutien des organes de renseignement de la jeune République soviétique.
- Les conséquences de ces défaites dans la pratique du KPD jusqu’en 1933.
- L’importance de l’idéologie sur la pratique politico-militaire.
Cetravail s'inscrit dans la démarche suivie par l'EGE dans sa formulation de grilles de lecture afin de mieux cerner l'importance des enjeux cognitifs dans les affrontements informationnels, mais aussi politico-militaires.
Christian Harbulot
[1] Jan Valtin, Sans patrie, ni frontières, Actes Sud, réédition en livre de poche, 1999.
[2] Margarete Buber-Neumann, La révolution mondiale, Casterman, 1971.
[3] Pio Moa, Les mythes de la guerre d’Espagne (1936-1939), L’artilleur, 2022.
[4] Secundino Serrano, Maquis, histoire des guérillas antifranquistes, Nouveau monde, 2021.
[5] Alain Geismar, Mon mai 1968, Perrin, 2012.