Les enjeux de guerre économique dans la loi américaine « Inflation Reduction Act »

*Volet environnement et social du programme sur lequel a été élu Joe Biden, la loi « Inflation reduction act » (IRA) a été votée en août 2022 après de longues négations, au sein même du parti démocrate. La loi est une version amoindrie de ce qui était prévu initialement dans le programme économique du candidat : « Build back better ».  La préparation de cette loi a suscité et suscite encore de nombreuses polémiques à l’intérieur du pays (en raison de l’idéologie du volet social) et provoque beaucoup de réactions à l’international (en raison des mesures protectionnistes mises en place dans le cadre du volet économique).

La loi contient un paquet législatif subventionnant le secteur des industries vertes aux Etats-Unis, et cible notamment la chaîne de valeur liée aux véhicules électriques. Pour le grand public, la mesure phare est l’octroi d’un crédit d’impôt à l’achat d’un véhicule électrique assemblé sur le sol américain. La loi va plus loin, intégrant également des mesures sur l’origine des composants des batteries des véhicules électriques.

Pourquoi avoir dénommé cette loi "Inflation reduction" ? Un choix politique

En 2021, l’inflation aux Etats-Unis a été de 4,7%, rejoignant un taux non atteint depuis 1990 ; si son rythme en hausse débute un ralentissement courant 2022, sa hausse atteint plus de 8% en août. L’impact du IRA sur l’inflation reste sujet à questions, cependant le choix sémantique n’est pas un hasard :  dans la perspective des « mi-term » de novembre, il s’agit aussi de préparer les esprits en cas de fléchissement de l’inflation et si elle a bien lieu, d’attribuer la baisse à la politique menée par le parti démocrate.

Une tempête de réactions internationales et une cohésion des grands pays occidentaux :

Dès octobre 2021, lors de la phase de préparation de la loi, par la voie diplomatique, 19 pays européens, l’Union Europénne, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique et le Canada mentionnent l’incohérence du projet avec les règles internationales du commerce de l’OMC et enjoignent les Etats-Unis à revoir leur manière d’aborder leur passage aux véhicules électriques.

La riposte du Canada et du Mexique :

Pour ces pays, une contradiction s’ajoute au dossier. Elle est très vite pointée du doigt par la vice première ministre Christya Freeland. Par un nouveau courrier officiel le Canada menace de se retirer du contrat de libre échange liant les Etats-Unis d’Amérique, le Canada et le Mexique (CUSMA signé en juillet 2020 et prenant la suite du contrat ALENA) puisque la loi américaine en discussion en viole clairement les dispositions. Les Etats-Unis sont contraints d’ouvrir des négociations ; celles-ci aboutiront à des dispositions en faveur du Canada et du Mexique dans l’IRA.

Qui ne fonctionne pas pour la Corée :

De manière similaire, pour les Coréens, l’IRA est en contradiction avec l’accord de libre-échange Corée – Etats-Unis d’Amérique (KORUS FTA).  L'un des principaux avantages des États-Unis par rapport à leurs rivaux autoritaires est la capacité d'innovation et l'efficacité de leur économie de marché. Le contrôle des prix supprime l'innovation et fausse les marchés). Pour des raisons de géopolitique (relations des parties en jeu avec la Chine), l’impact d’un accord tel que KORUS n’a pas eu le même effet que pour celui liant les ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE au Canada et au Mexique ; désormais, le ton semble monter et ce, malgré des efforts visibles de la part de Séoul (comme par exemple l’annonce lors de la visite de Biden à Séoul en mai 2022 de  l’ouverture d’une usine de véhicules électriques en Géorgie par Hyundai).

Le contexte de l'IRA en ce qui concerne l'Union Européenne :

Suite à l’accord de Paris de 2015, l’UE se dote d’un pacte vert (le Green Deal), proposé en décembre 2019 et rapidement adopté par le Conseil Européen puis par le Parlement Européen. La loi européenne sur le climat est votée le 21 juin 2021. Un package législatif est présenté en juillet 2021 par la Commission et conduira à divers accords comme celui concernant les émissions des voitures vendues en 2035. Sur les batteries, l'Alliance européenne pour les batteries a été créée dès 2017 dans le but de parvenir à une autonomie stratégique dans l'un des secteurs les plus fondamentaux de la future économie verte et numérique. Avec l’IRA, il est clair que les Etats-Unis adoptent une politique « climat » avec une ambition semblable à celle de l’UE, une concurrence non équitable est assurément risquée pour l’UE.

Quelles armes dans les mains de l’UE ? En 2022, la Corée s’allie désormais au Japon et à l’UE. Ces derniers ne disposent d’aucun accord de libre-échange avec les Etats-Unis sur lequel appuyer un discours identifiant les contradictions de « l’adversaire » sur son propre terrain de jeu (cf. la promulgation d’une loi par les Etats-Unis, allié géostratégique, qui les met en difficulté).

Carte des pays ayant un contrat régional avec les Etats-Unis (source : WTO)

Aussi, si l’EU salue l’initiative climat des Etats-Unis, elle dénonce fortement la politique qui l’accompagne, précise ses desirata au regard de l’IRA, propose des réponses et se présente comme étant unie (vidéo des leaders des groupes politiques européens). Les enjeux sont évidents : risque de délocalisations dues à un jeu à armes non égales (et déjà pas que des risques…), se faire piller les industries du futur et rater l’élan impulsé par la 1ère puissance mondiale dans le domaine du développement durable.

Au niveau des pays de l'UE : une avalanche de déclarations au plus haut niveau

Lors de sa visite aux Etats Unis à l’automne 2022, le Président français souligne que l’IRA pourrait « fragmenter l’Occident » ; de même, la présidente du conseil italien Giorgia Meloni insiste de son côté sur les risque de distorsion de marché dus à l’IRA et mentionne avoir évoqué ce point avec le président Biden en marge du G20 de Bali ;  l’Allemagne est indignée et craint pour son industrie ; les Pays-Bas multiplient les déclarations vis-à-vis de leur souveraineté décisionnaire vis-à-vis de la Chine.

Les think tank et autres organismes appuient leurs politiques en analysant les conséquences de l’IRA (Institut Montaigne, institut italien pour les politiques internationales, le réseau canadien des solutions pour le développement durable…).

La solution de médiation envisagée est la mise en place d’une task-force UE-Etats-Unis d'Amérique à l’automne 2022 – une attente pour février 2023, en attendant la pression est maintenue. Les travaux de la task force conduiront à la réunion de février 2023 qui verra la visite des finances français et allemands aux Etats-Unis. A ce jour les Etats-Unis ont reculé de 3 mois les mesures finales de l’IRA (soit au 1er avril 2023). La France a annoncé le 5 janvier un plan industrie verte, tout en indiquant travailler aux mesures européennes, comme un Buy European Act et autres mesures. Les débats restent forts aux Etats-Unis : pour certains sénateurs, notamment Joe Manchin, les aides publiques ne doivent profiter qu’aux Etats-Unis – la loi ayant omis les véhicules de location. Une issue à la hauteur des attentes de l’UE et des autres pays comme la Corée n’est pas certaine, pour des raisons de politique interne, peut-être aussi pour des raisons tactiques.

Derrière cette loi, la question de contenir l'expansionnisme économique de la Chine

Pour les Etats-Unis, il s’agit d’abord de contrer la Chine qui fait la course en tête en ce qui concerne la chaîne de valeur autour du véhicule électrique (extraction des matières premières critiques) jusqu’aux ventes (marché de la Chine représente aujourd’hui 40% des ventes mondiales de véhicules électriques). La réaction officielle de la Chine a été plus tardive – une annonce officielle a été faite le 1er décembre 2022 par la ministre du commerce : la Chine s’appuiera sur l’OMC pour défendre ses droits. Cette annonce fait suite à la réunion du Comité SMC (Subventions et les Mesures Compensatoires) pendant laquelle la Chine est intervenue pour avoir une réponse « sur les questions qu’elle a soumis récemment au titre de l’article 25.8 de l’Accord SMC au sujet de la Loi de 2022 sur la réduction de l’inflation (Loi IRA) et sur la Loi CHIPS et science de 2022 qui, selon la Chine, contiennent toutes les deux des dispositions incompatibles avec les principes fondamentaux de l’OMC ». La Chine indique avoir soulevé 312 questions à ce propos. La réponse des intéressés : « Les États-Unis ont dit que leur législation respectait leurs engagements dans le cadre de l’OMC et ils ont invité instamment la Chine à être aussi transparente au sujet de ses programmes de soutien qu’ils l’avaient été à propos des leurs ». Le media global times (s’apparentant à un media de propagande) publie dès lors des articles sur les pratiques commerciales des Etats Unis envers leur pays et l’impact de l’IRA, appelant l’UE à les rejoindre – signifiant ainsi que la guerre économique est bien déclarée.

La secrétaire d’Etat au trésor, Janet Yellen, a assuré aux Européens que « l'objectif du Congrès était de s'assurer que nous ayons des chaînes d'approvisionnement sûres et d’essayer d'y inclure nos alliés ». mais cette déclaration ne nous donne pas d’indications plus précises sur le niveau de dépendance que cela engendrerait vis-à-vis des Etats-Unis, ni sur la déstructuration de nos capacités industrielles qui migreraient sur le sol américain, en privilégiant le marché aux dépens de l’intérêt national.

 

Katia Cargnelli Barral 
Auditrice de la 40ème promotion MSIE de l'EGE