Les effets de l’influence russe sur le Mali par rapport à la Côte d’Ivoire

Unis par des liens multiséculaires les peuples ivoiriens et maliens partagent énormément de réalités. Cependant depuis la naissance du RDA, des querelles de leadership opposent les classes dirigeantes des deux pays. De Félix Houphouët BOIGNY à Alassane OUATTARA et De Modibo KEITA au Colonel Assimi GOITA, la classe dirigeante malienne a toujours perçu l'excellente relation entre Abidjan et Paris comme un suppôt car en réalité depuis la période coloniale l'élite malienne est toujours beaucoup plus proche de la Russie et du Communisme. Ces frictions entre classes dirigeantes que dis-je au sommet et dont les peuples ne sentent nullement concernés se sont fortement accentuées ces derniers mois notamment après le re putsch du Colonel Assimi.

Une tache d'huile de déstabilisation

Fortement frustrée par les sanctions de la CEDEAO, la junte au pouvoir au Mali a estimé que la CEDEAO sous le leadership de la Côte d'ivoire a pleinement fait le jeu du colonisateur français. D'un nationalisme démesuré, la junte s'est considérablement rapprochée de Moscou via la Société Militaire Privée russe Wagner avec laquelle elle a engagé une idylle dans la lutte contre l'extrémisme violent rompant toute relation et coopération militaire avec la France. La Russie dans sa conquête de l'espace africain après la Centrafrique a décidé de lancer une guerre d'influence sans merci à la France sur le terrain malien.

De nombreux discours propagandistes et de nombreuses manifestations anti-françaises ont été initiées afin de ternir l’image de la France aux yeux de la population qui y avait adhéré aux premières heures avant de réaliser que le problème du Mali était ailleurs. Passées les premières traques contre les organisations de l’extrémisme violent tels des barouds d’honneur, la réalité de l’asymétrie de la lutte contre le terrorisme a ressurgi ternissant même l’image des Forces Armées Maliennes (FAMA) et de la junte notamment à la frontière avec la Mauritanie, les massacres de la communauté touareg etc.

La guerre de l'information visant la Côte d'Ivoire

A l’image de la France dont elle est traitée de Sous-Préfecture et même de vassal, la Côte d’Ivoire et son Président SEM Alassane Ouattara, ont été traités de tous les noms par les nouveaux adeptes de la politique russe en Afrique.  Cette manœuvre de décrédibilisation qui n’a pu malheureusement pas prospéré car si les populations maliennes ont pleinement conscience que les postes consulaires de Paris et d’Abidjan sont les plus importants du fait de la présence de fortes communautés maliennes qui rapatrient mensuellement énormément de richesse, la junte et l’élite grisée par la nouvelle alliance russophone reste consciente que l’électricité, le carburant et les Ports ivoiriens ne peuvent être substitués immédiatement et dans le long terme.

La conquête du marché de la sécurisation par les Russes

C’est dans cet environnement de fortes frictions que le dimanche 10 juillet 2022 tout comme avec les soldats danois au début de l’année 2022, alors qu’intervient la 7ème relève des Eléments Nationaux de Soutien ivoiriens à la Société Sahelian Aviation Services (SAS) Contractor Transport et Logistique du Contingent allemand de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA). La junte au pouvoir savamment encadrée par la Russie lorgnait ce juteux contrat liant l’Etat-Major Général des Armées (EMGA) des Forces Armées de Côte d’Ivoire (FACI) à la Société de droit sénégalais SAS. En effet, ce contrat adossé à un Mémorandum Of Understanding (MOU) entre l’Etat de Côte d’Ivoire et l’Organisation des Nations Unies (ONU) présente pour le pouvoir miliaire malien une manne dont elle pourrait bénéficier si elle arrivait à évincer les militaires ivoiriens.

Depuis la 6ème relève de janvier 2022, la junte a judicieusement préparé avec le soutien des experts russes de la guerre de l’information par le contenu une Méthode de Raisonnement Tactique (MRT) avec un Effet Final Recherché (EFR) très clair arracher aux FACI le marché de sécurisation de la base logistique de SAS à l’aéroport international SENOU de Bamako. Le hic dans cette opération d’influence c’est que l’EFR de la junte n’était qu’un objectif d’étape pour la coopération russe qui, en plus d’agrandir son champ d’influence en Afrique de l’Ouest francophone, cherche à faire partir de la base SAS tous les contingents occidentaux ou tout au moins le maximum afin de se l’approprier pour finaliser le projet d’une base de maintenance des aéronefs de Wagner.

Un essai réussi d'une initiation russe de Bamako à l'intelligence Economique

La séquestration des 49 soldats du 8ème NSE depuis le 10 juillet dernier alors que leurs prédécesseurs du 7ème NSE avaient été décorés la veille par l’ONU comme il en est de coutume n’est pas une action militaire mais bel et bien une opération d’Intelligence économique. La junte malienne en procédant à l’arrestation des soldats ivoiriens a conscience qu’elle ne peut aller plus loin, elle obtiendra de SAS le marché de sécurisation de la base logistique, mais comme toute action de guerre informationnelle notamment dans une posture « j’attaque » elle joue sur les nerfs des ivoiriens qui malheureusement sont obligés pour le moment de se contenter du « j’alerte » en attendant de monter savamment une contre-offensive dont elle a les moyens.

Le défi des jeunes nations africaines face à de nouvelles formes de dépendance

Au moment où nous rédigions cet article la junte marquait un nouveau point en contraignant les Nations Unies à la négociation à la suite de l’annonce de l’interdiction de toute rotation au niveau des personnels des contingents notamment avec l’interdiction de sortie du territoire de soldats du contingent allemand. Jusqu’où et jusqu’à quand les autorités maliennes seront maîtres du barillet ? Ce jeu de roulette russe notamment face à la Côte d’Ivoire et à son Président ne peut être à leur avantage. Cette opération d’influence dans laquelle le Mali sans le savoir reste une marionnette entre les mains de la puissance russe ne peut s’inscrire dans la durée et en intensité. Au-delà de cet incident qui ne constitue pas une crise comme l’a souligné le nouveau Président de la Commission de la CEDEAO le gambien Omar Aliou TOURAY lors de son investiture, il est important de relever un ensemble de questions notamment : quels rapports entre la France et ses anciennes Colonies ? la Présence russe et même chinoise dans le pré-carré français en Afrique pourra-t-elle répondre aux insuffisances de la Françafrique ? Quelle préparation pour les armées africaines en matière de guerre informationnelle ? La fragile intégration incarnée par la CEDEAO pourra t’elle résister aux divergences d’ancrages ? Autant de problématiques qui s’imposent à nos jeunes nations en plus des défis économiques, monétaires et sécuritaires, pour lesquels il est important pour chaque nation de rester une et indivisible malgré les différences politiques internes.

 

Moustapha Diaby-Kassamba- Mba

Directeur d’Ingénierie Sécuritaire-Expert IE

CEO Founder at DYL