Les démocraties d’Afrique subsaharienne à l'épreuve de la guerre de l'information dans le cadre de la lutte anti-terroriste
Le terrorisme met à rude épreuve les démocraties de l’Afrique au sud du Sahara. Le Burkina Faso et le Mali ont basculé dans des régimes d’exception. L’hydre terroriste a poussé des présidents démocratiquement à la trappe des coups d’Etat. A côté du bruit des armes et des mines anti personnelles, se mène une guerre plus sourde, mais bien présente : celle de l’information. Et dans cette guerre, la démocratie perd des plumes. La tentation de museler la liberté d’expression est grande et dans certains cas, le rubicond est franchi. Le Burkina Faso, plus particulièrement, n’y échappe pas.
Comment mener la guerre contre le terrorisme sans mener celle de l’information ? Et comment mener cette seconde guerre sans écorcher la liberté d’expression si chère aux règles fondamentales de la démocratie? Telle est l’équation dans laquelle se débattent nombre de pays d’Afrique subsaharienne, et plus particulièrement le Burkina Faso.
C’est en 2016 que le pays connaît sa première attaque terroriste sanglante, au lendemain de la prestation de serment du Président Roch Kaboré. C’est également le top départ d’une macabre série d’attentats terroristes, tant dans la capitale que dans plusieurs régions du pays.
Entre propagande, règlement de comptes et bonne foi
Parallèlement, une autre guerre, psychologique, celle-là, se déclenche : celle de l’information. Les images des horreurs commises par les groupes terroristes inondent les réseaux sociaux. Les corps mutilés de soldats sont diffusées, semant la psychose au sein de la population. Les critiques commencent également à fuser. Plusieurs acteurs se mettent en place, avec des intérêts et des enjeux différents.
Il y a d’abord les groupes terroristes eux-mêmes. Le terrorisme est d’abord psychologique et a besoin d’actions d’éclat pour exister. Les groupes armés dits djihadistes ont donc intérêt à ce qu’on parle d’eux, d’une manière ou d’une autre. Ils passent alors par des canaux pour diffuser des informations, principalement des revendications d’attentats. Le canal le plus usité, ce sont les médias, qui par devers eux, et presque inconsciemment, font le « commerce » des terroristes en publiant régulièrement leurs méfaits.
Il y a ensuite, les activistes et les lanceurs d’alerte. Si certains parmi eux sont attachés à une ligne de conduite guidée par la défense des valeurs républicaines, d’autres par contre obéissent à des agendas qui peuvent être matière à suspicion.
Et enfin, les partis politiques et les organisations de la société civile participent à cette guerre de l’information en se fendant régulièrement de déclarations, de conférences de presse et d’animation de débats sur les médias où la défense de l’intérêt du pays se mêle parfois à d’autres considérations partisanes.
Face à ces acteurs aux intérêts divergents, l’Etat ou le pouvoir en place, réagit également. A plusieurs niveaux.
Des textes juridiques jugés liberticides, des lanceurs d'alerte incarcérés
Des séries d’actes juridiques vont naître. Le texte juridique le plus controversé, est la loi n°025-2018/AN 31 mai 2018 portant code pénal du Burkina Faso et sa loi modificative, la loi n°044-2019/AN. La volonté affichée à travers elles est de « réguler » l’information en ligne sur les forces de défense et de sécurité. Mais elle est perçue comme une loi liberticide et répressive, car remettant en cause le principe de la dépénalisation des délits de presse. Le libellé contient des termes vagues comme « la démoralisation des forces de défense et de sécurité » qui peuvent être interprétés le plus largement possible.
Du reste, le lanceur d’alerte Naïm Touré, très virulent sous le régime du président Roch Kaboré, en fera les frais. Il a été arrêté, jugé et condamné pour avoir publié des informations qualifiées de « tentative de démoralisation des troupes ».
Interdiction de manifestations, Internet coupé
Mais le régime de Roch Kaboré ne s’arrêtera pas là pour essayer de freiner les répercussions de la guerre de l’information sur la stabilité même du pouvoir. Des manifestations publiques de citoyens ou d’organisations ont été interdites et réprimées « en raison du contexte sécuritaire ». Et les meneurs ou présumés tels ont été arrêtés.
La décision qui a fondamentalement affecté la liberté d’expression au Burkina Faso est la coupure de l’Internet mobile à deux reprises. Le gouvernement a avancé des raisons sécuritaires. Mais certains observateurs y ont vu la volonté de l’exécutif d’empêcher des lanceurs d’alerte de continuer à donner des informations sur la situation sécuritaire de plus en plus dégradée.
Malgré tout, ces entorses n’ont pas empêché une autre plus grande atteinte à la démocratie de subvenir. Le 24 janvier 2022, le Président Roch Kaboré est déposé par des militaires membres du Mouvement patriotique pour la restauration et la restauration (MPSR). Le pays renoue ainsi avec les Etats d’exception et met fin au pouvoir du premier président civil élu démocratiquement au Burkina Faso.
Coup d'Etat, démocratie en question
Sous le nouveau régime, il est vrai que le président de la transition a rétabli la Constitution, après l’avoir suspendue, et a juré de faire respecter plusieurs principes démocratiques, dont la liberté d’expression. Mais il ne demeure pas moins que les observateurs restent inquiets. Du reste, la guerre de l’information n’en est pas pour autant terminée et les actions de l’exécutif pour rester maître du jeu n’en sont pas non plus éteintes.
Des activistes, qui défendent le pouvoir de transition, font face à ceux qui disent défendre la démocratie. Les invectives sur les réseaux sociaux sont continuelles et les informations sur les capacités ou non des forces de défense et de sécurité à faire face à la situation sécuritaire animent la vie de la nation.
Si dans le premier camp, auquel s’est rallié le pouvoir de transition, les affirmations tendent à faire croire que la situation sécuritaire s’améliore et que l’armée monte en puissance, dans l’autre, les déclarations sont contraires. Chaque camp brandit des informations pour étayer ses dires, frôlant le plus souvent la diffusion de fake news. La dernière en date est cette image d’un drone de fabrication américaine brandie par des activistes comme étant des acquisitions de l’armée burkinabè, pendant que des informations plus ou moins officielles (mais pas encore confirmées formellement par les autorités) font plutôt état d’acquisition de drones turcs.
Sur le plan des actes posés par l’exécutif, il n’y a plus de coupure d’Internet, du moins, pas encore, mais les interdictions de manifestations à cause du contexte sécuritaire continuent. Au moins trois manifestations ont été réprimées depuis l’arrivée du nouveau pouvoir.
Un activiste a aussi été arrêté pour ses opinions par rapport à la gestion sécuritaire du pays. Il s’agit de Ollo Kambou, membre du mouvement Balai Citoyen, placé sous mandat de dépôt pour « outrage à une autorité » après des publications sur les réseaux sociaux sur la gestion des cinq derniers mois du pouvoir militaire.
Tel est le tableau de l’état de la démocratie au Burkina Faso, en attendant l’organisation prochaine des élections. Si le contexte sécuritaire le permet…
Assane Ouedraogo
Annexe
- BURKINA FASO : LA MAUVAISE GOUVERNANCE ALTÈRE LA QUALITÉ DES INFRASTRUCTURES
- Activisme en ligne et transformations sociopolitiques au Burkina Faso
- Burkina Faso : Le mouvement « Sauvons le Burkina » projette une nouvelle marche à Ouagadougou
- Loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal
- LOI N°044-2019 AN PORTANT MODIFICATION DE LA LOI N°025-2018/AN PORTANT CODE PÉNAL
- Burkina Faso : Que s’est-il passé encore avec l’internet mobile ?