Les attaques informationnelles de l’ONG Bloom contre la Compagnie des Pêches Saint-Malo

Fondée en 1934, la Compagnie des Pêches Saint-Malo est un armement qui se présente volontiers comme l’héritier des Terre-neuvas. Depuis, l’activité s’est étendue à la pêche et la production de filets surgelés de différentes espèces de poissons et surtout à la production de surimi.

Dans un communiqué publié le 21 décembre 2023, la Compagnie des Pêches Saint-Malo informe que le Joseph Roty II, son navire-usine produisant le surimi-base, achève une campagne qui « pourrait s’avérer être la dernière ». L’entreprise précise que la production sera désormais assurée via une unité de production installée à bord de l’Annelies Ilena, dans le cadre d’un partenariat d’exploitation du navire. Ce navire appartenant à un armement polonais, les règles européennes impliquent que l’État français valide le transfert des quotas de pêche de la Compagnie des Pêches Saint-Malo à cet armement. C’est ce navire ainsi que ce transfert de quotas qui vont alimenter une série d’attaques informationnelles orchestrées par l’ONG Bloom contre la Compagnie des Pêches Saint-Malo en ce début d’année 2024.

 

L'ONG Bloom attaque la Compagnie des Pêches Saint-Malo

Bloom qui se positionne « Contre la destruction de l'océan, du climat et des pêcheurs artisans » va faire de ce communiqué le point d’origine d’une guerre informationnelle. L’effet final recherché par l’ONG paraît être l’abandon du transfert de quota par l’État français. Au-delà, l’ONG semble vouloir faire de cette affaire un symbole étoffant sa position dans le rapport de force qui l’oppose aux acteurs politiques et institutionnels sur les enjeux qu’elle traite.

Pour ce faire, l’ONG met en place une stratégie visant à entraver l’État dans sa prise de décision, en discréditant la Compagnie des Pêches Saint-Malo et en mobilisant la société civile contre elle.

 

Des attaques informationnelles dirigée contre la crédibilité et la probité de l’adversaire pour le discréditer et l’affaiblir

Bloom cherche à décrédibiliser le discours de l’entreprise en exposant que si elle « avait réellement voulu maintenir ses activités à Saint-Malo comme une place significative de ses activités, (elle) aurait pu remplacer le Joseph Roty II par un navire sous pavillon français. » Et d’ajouter que « il n’y a pas de logique économique (…) à utiliser l’usine actuelle de Saint-Malo alors que son navire Annelies Ilena ne sera jamais en mesure de venir débarquer directement le poisson qui y serait transformé. » En prenant soin de pointer la contradiction jusque dans la logique économique, sous-entendue la logique naturelle de toute entreprise,  l’ONG installe un doute sur la véracité du narratif adverse selon lequel la préservation de l’emploi serait « le principal objectif ». Bloom renforce son message et la suspicion sur la réalité de l’intention de l’entreprise à pérenniser les emplois en France en avançant que l’entreprise « a simplement délocalisé son usine qui était à bord du Joseph Roty 2 sur l’Annelies Ilena. » 

 

Par ailleurs, elle installe également un narratif qui tend à discréditer la Compagnie des Pêches Saint-Malo et à affaiblir préventivement toute riposte en suggérant son manque de probité ainsi que la compromission de son dirigeant. Ainsi, l’ONG déclare que « en raison de sa plus grande capacité, l’Annelies Ilena va avoir besoin de plus de quotas » et pointe que :

 

 

Dans le prolongement de ce narratif, l’association Pleine Mer, engagée auprès de Bloom dans cette guerre informationnelle, soutient que cette opération est « une insulte à tous les pêcheurs artisans français qui réclament une meilleure répartition des quotas de pêche. Contrairement à ces monstres des mers, ils font vivre un territoire et l’économie locale. » Ici, la mise en cause de la probité de l’entreprise est renforcée par la formulation et les termes choisis, installant même une idée de domination, voire d’impunité : les « monstres » insultent alors que les « artisans » font vivre, nourrissent.

 

Une mobilisation de la société civile via de nombreux relais et un usage maîtrisé des vecteurs de propagation

Afin de mobiliser ses alliés sur le terrain informationnel et ses partisans, Bloom porte des messages qui suscitent le rejet, voir le dégoût du navire Annelies Ilena. Ainsi l’ensemble du narratif use abondamment du champ lexical de la démesure. Il est parsemé de terminologies telles que « chalutier géant », « le gigantesque « Annelies Ilena » de 145 mètres », un « monstre industriel », « tellement gros qu’il ne peut même pas rentrer dans le port de Saint-Malo » et des surnoms de « navire de l’enfer »  ou de « monstre des mers » donnés quelques années plus tôt à l’Annelies Ilena lors d’une controverse précédente. De nombreux chiffres sont également mis en en avant afin de renforcer cette démesure, tels que « un navire-usine de 145m de long » qui est « capable de capturer 400 000 kilos de poisson toutes les 24 heures » et qui affiche « une capacité de stockage de 7 millions de kilos ».

De nombreux adjuvants tels que syndicats et associations régionales ou locales s’associent donc à ses discours et reprennent ces tactiques informationnelles. La CGT des Marins du Grand Ouest parle par exemple de « l’OGRE des Mers » et Charles Braine, pêcheur et Président de l’association Pleine Mer met en perspective la capacité de pêche de « 400 tonnes par jour » avec les « 5 à 10 tonnes » qu’il pêchait sur une année, concluant que « ce que pêche ce bateau en une journée, c’est toute ma carrière de pêche d’un coup ».

Pour répandre ces messages, Bloom et ses principaux relais font preuve d’un usage maitrisé des vecteurs de propagation tels que les réseaux sociaux et la presse. Chaque publication sur les réseaux sociaux suit les codes permettant visibilité et viralité dont notamment des messages percutants, invitant à l’action ou des images accrocheuses. S’agissant de la presse, ce sont essentiellement des titres locaux ou régionaux, ainsi que des médias spécialisés voir partisans, au plus près des publics ciblés. Cela tend ainsi à conforter la mobilisation.

Enfin, pour matérialiser cet aspect de son discours, Bloom va jusqu’à organiser physiquement « une chaîne humaine pour symboliser la longueur démesurée des filets déployés », qu’elle met en perspective par une image : « l’équivalent de deux tours Eiffel ! ». Elle cherche aussi à mobiliser en suscitant la sidération par la création d’un visuel qui simule ce navire dans le port de Saint-Malo, dans l’ombre de son prédécesseur. 

 

Titre : Annelies vs Joseph Roty
Description : Visuel de Bloom pour susciter la sidération
Mots clés : Bloom; Pêche; Pêches; Saint-Malo; Informationnelle; Informationnelles; Attaques; Guerre;

Visuel créé par Bloom pour susciter la sidération

Description image : Visuel créé par Bloom pour susciter la sidération en soutien aux attaques et à la polémique contre la Compagnie des Pêches Saint-Malo

 

Une stratégie incomplète pour la Compagnie des Pêches Saint-Malo en défense face à ces attaques 

Dans cette guerre informationnelle, l’effet final recherché par la Compagnie des Pêches Saint-Malo semble être l’entérinement par l’État français du transfert de quota vers la Pologne et l’Annelies Ilena. Si l’entreprise est à l’origine du communiqué avec lequel débute ces attaques informationnelles, elle se trouve par la suite dans une position défensive. 

L’entreprise paraît adopter une stratégie visant à défendre sa probité et à la mettre à distance des discours offensifs. Néanmoins, il semble qu’elle privilégie une stratégie d’influence, sur l’échiquier politique, ciblant l’État et s’appuyant essentiellement sur la préservation de l’emploi.

 

Equité et légitimité pour défendre sa probité et se mettre à distance des attaques de l’adversaire

Afin de défendre sa probité, la Compagnie des Pêches Saint-Malo met en place un narratif suggérant l’équité et la légitimité de son projet comme l’idée que l’entreprise n’a pas la puissance qu’il lui permettrait d’agir sur la répartition des quotas. Elle le fait via un nombre limité de communiqués de presse. Ainsi, elle avance que « la part de quota de merlan bleu qui va être apportée au projet correspond à celle du Joseph Roty II » et accentue l’idée d’équité en ajoutant que « aucun quota ne va être récupéré au détriment d'un autre navire ou d'un autre armement ». Elle renforce son discours en mobilisant une forme de légitimité scientifique en exposant que « des scientifiques internationaux déterminent chaque année les possibilités de captures durables de chaque stock de poissons dans le Nord-Est Atlantique ». De plus, distillant l’idée de son incapacité à agir sur l’attribution des quotas, Florian Soisson, Directeur Général de l’entreprise déclare : « je n’ai pas d’influence sur ce point ». En ajoutant que « toutes les décisions sont prises en conseil d’administration et font l’objet d’un contrôle régulier de l’État », il suggère sa soumissions à des décisions de tiers et se place en-dehors de tout conflit d’intérêt.

Par ailleurs, la Compagnie des Pêches Saint-Malo porte un discours tendant à la mettre à distance de la polémique et de la force des attaques informationnelles dont elle est la cible. Elle s’écarte, presque physiquement, du champ lexical de la démesure et pointe notamment que ses zones de pêche se situent « au large, où les petits bateaux de pêche ne vont pas. » Et d’insister en ajoutant que « l’Annelies Ilena n’ira pas en Manche », s’excluant par la même d’une zone sujette à d’intenses controverses et affrontements. En complément, l’affirmation selon laquelle « toutes les associations environnementales ne s’attaquent pas aux grands navires, qui travaillent dans des zones et conditions inaccessibles aux navires de tailles plus modestes » vient renforcer les messages précédents. Elle laisse aussi à penser que la Compagnie des Pêches Saint-Malo esquisse une manœuvre de division du camp adverse ou de dissuasion d’opposants qui pourraient accroître la force et la portée des discours hostiles.

Enfin, l’entreprise se met également à distance de la pratique du chalutage, pratique de pêche qui cristallise d’abondantes critiques, particulièrement de la part de l’ONG Bloom. Ainsi, s’agissant de la méthode de pêche qu’elle utilise, l’entreprise expose que « Cette pratique de pêche pélagique n’a pas d’impact sur les fonds marins. »

 

Une quasi-absence de relais et une efficacité limitée des vecteurs de propagation choisis

Le narratif défensif de la Compagnie des Pêches Saint-Malo semble manquer de visibilité, pouvant entrainer une perte d’efficacité. Si les axes de défense choisis et les discours adoptés pourraient s’avérer pertinents, il apparaît que les vecteurs de propagation utilisés et l’absence de relais rendent cette stratégie de défense peu opérante.

En effet, l’entreprise porte ses messages uniquement via de rares communiqués dont certains extraits sont repris principalement dans quelques titres de la presse locale ou régionale. Par ailleurs, les discours portés ne sont pour ainsi dire pas ou extrêmement peu relayés. Aucune voix ne se fait entendre en appui aux discours portés par la Compagnie des Pêches Saint-Malo, ni celle des organisations professionnelles du secteur d’activité ou de la filière, ni celle d’un quelconque soutien. Seule exception notable, le directeur adjoint de l’organisation de producteurs Pêcheurs de Bretagne qui expose que « la localisation de ce poisson ne permet pas une exploitation par des navires plus côtiers » dans un article paru dans d’un titre de presse professionnelle.

Notons que le contexte particulier de la suspension de la pêche dans le Golfe de Gascogne, donnant lieu à d’intenses affrontements informationnels, a possiblement eu une incidence sur la capacité de la Compagnie des Pêches Saint-Malo à mobiliser des relais. Les relais naturels qu’elle aurait pu associer à sa défense étaient soit déjà engagés sur cet autre front, soit paralysés par celui-ci.

 

Une stratégie inopérante de la Compagnie des Pêches Saint-Malo qui offre la victoire à Bloom et ses alliés dans cette confrontation informationnelle

Le 24 mai 2024, le Secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, annonce qu’il refuse le transfert de quotas

C’est un coup porté à la Compagnie des Pêches Saint-Malo. Sa stratégie de défense face aux attaques informationnelles dont elle a été la cible et sa mise en œuvre, n’auront pas satisfait à l’atteinte de son objectif. Plus que le narratif et les discours, il semble que le défaut de relais ainsi que de vecteurs de propagation pertinents soient les points de faiblesse essentiels de cette stratégie.

Pour Bloom et ses alliés dans cette guerre informationnelle, cette annonce résonne comme une victoire. Sur le terrain informationnel, elle pourra être ou munition complémentaire ou un point d’appui utile à d’autres affrontements, en renforçant la portée et la crédibilité des leurs discours.

 

Clément Bary,

 (MSIE 44 de l’EGE)

 

 

Pour illustrer les luttes informationnelles et stratégies des acteurs

 

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Matrice socio-dynamique de Bloom

Description image : Matrice socio-dynamique positionnant les principaux acteurs de cette guerre informationnelle, vue de l’ONG Bloom

 

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Matrice socio-dynamique de Compagnie des Pêches Saint-Malo

Description image : Matrice socio-dynamique positionnant les principaux acteurs de cette guerre informationnelle, vue de la Compagnie des Pêches Saint-Malo

 

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Echiquiers : les postures et principaux flux d’attaques ou d’influence dans cette guerre informationnelle 

Description image : Échiquiers stratégiques représentants les postures, les attaques et influences des acteurs dans cette guerre informationnelle

 

Pour aller plus loin

  • Définition « surimi-base ». Disponible à l’adresse :

https://citppm.org/commission-technique-surimi/ 

  • QUEMPER Florian, LEVREL Harold, LE BRAS Quentin, MOUILLARD Romain, GASCUEL Didier.2024. Evaluation des performances environnementales, économiques et sociales des flottilles de pêche françaises opérant dans l’Atlantique Nord-Est. Rapport du programme TransiPêche : Scénarios de transition écologique et sociale des pêches françaises. Les publications du Pôle halieutique, mer et littoral de L’Institut Agro n° 55, 117 p. Disponible à l’adresse :

https://halieutique.institut-agro.fr/files/fichiers/pdf/performances.pdf

 

Sources

  • Hyperliens cliquables dans le texte

 

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