Créée en 2003 par un Français, Karim Rachedi, Solutions 30 est une société européenne spécialisée dans les solutions pour les nouvelles technologies dont le siège social est basé au Luxembourg. Sa présence sur l’ensemble du spectre des nouvelles technologies (télécommunications, informatique, sécurité, énergie et systèmes de paiement) lui permet à la fois de proposer des offres “clef en mains” aux grands groupes mais également aux particuliers : “hier l’informatique et Internet, aujourd’hui le digital, demain les nouveaux outils”. Grâce à son maillage territorial et sa présence dans 10 pays en Europe, Solutions 30 est aujourd’hui le leader européen dans son domaine.
Solution 30 : Une entreprise brisée dans sa dynamique
Positionné dans un marché en plein essor, son chiffre d'affaires est en forte augmentation ces dernières années : de 192 millions d’euros en 2016 à 814 millions en 2020 (+325 %). En 2021, Solutions 30 tire environ 68 % de son revenu de sa branche télécommunications, 16 % de l’énergie et 11 % de l’informatique. Cette hausse constante s’est traduite par une envolée du cours de bourse qui, après avoir stagné autour de 1€ depuis sa cotation en 2005 jusqu’en 2015, a presque atteint 20€ le 8 décembre 2020. L’entreprise a intégré l’indice boursier SBF 120 en septembre 2020.
L’histoire de Solutions 30 n’est pourtant pas si rose, puisqu’entre mai 2019 et décembre 2020, elle a été la cible d’une réelle guerre de l’information par différents acteurs. L’entreprise semble aujourd’hui embourbée dans une situation particulièrement délicate et sa stratégie de communication peine à convaincre.
Evolution du titre de Solutions 30 de mai 2019 à juin 2021
Première attaque (mai 2019) : Muddy Waters short solutions 30
Face au succès fulgurant de Solutions 30 et d’une histoire “trop belle pour être vraie”, Muddy Waters a commencé à enquêter. Grâce aux renseignements obtenus, Muddy Water, célèbre fond activiste américain commence à vendre l’action à découvert (“shorter”) pour au moins 0,5% du capital. Conformément à la réglementation en vigueur, le fait d’atteindre ce palier contraint Muddy Waters d’une part à annoncer à l’AMF cette prise de position courte et d’autre part, à publier cette position sur son site internet et donc de transmettre sa position au public. Cette publication entraîne une forte chute du cours de Solutions 30 de 22% en cours de séance.
Cette fois-ci, contrairement à ses précédentes attaques (Casino, Sino-Forest Corp…), Muddy Waters ne communique aucun élément sur les raisons de sa prise de position. Dans une interview accordée à ZoneBourse réalisée près de deux ans après, le fondateur de Muddy Waters, explique que cette position avait été prise suite à des éléments obtenus en source ouverte par l’un de ses spécialistes. En effet, ce dernier aurait mis la main sur des éléments troublants, laissant penser à des opérations frauduleuses de la part des dirigeants de Solutions 30. Ainsi, la simple prise de position, sans aucune justification, de ce célèbre fond a suffi à faire perdre près d’un quart de la valeur de l’entreprise en une journée. Solutions 30 mettra près d’un an à retrouver sa valeur en bourse.
Seconde attaque (octobre 2019): FT Alphaville met en évidence des pratiques peu scrupuleuses de la part de la part de la Solution 30
Début octobre 2019, suite à des éléments troublants toujours obtenus en source ouverte, la section Alphaville du Financial Time fait paraître l’article “Solutions 30 : a €1.1bn question mark” mettant en évidence des pratiques troublantes de la part de Solutions 30.
Le Financial Times décide d’interroger Solutions 30 sur ces éléments. Suite à cela, la société européenne remplace certains de ces rapports disponibles en ligne : remplacement de rapport en anglais par des rapports en français, mise à jour d’autres rapports….
Dans un autre article paru le 4 octobre 2019, le journal américain détaille ces modifications encore plus troublantes, notamment sur un rapport qui semble falsifié car sa version anglaise présente des éléments surprenants : reprise de l’entête de l’entreprise qui a émis un rapport (Grant Thornton), reprise de la signature, présence de la barre de texte pour rédiger qui implique un copier-coller et non d’un document au format PDF. Interrogé, Christophe Cryns, le rédacteur du rapport dans sa version française, a déclaré “Grant Thornton Luxembourg did not issue any opinion on this company in English”.
En réaction, dans un communiqué de presse en date du 4 octobre, Solutions 30 précise que “Les traductions de ces rapports financiers ne sont faites, comme c’est de coutume, qu’à titre informatif et par commodité pour les lecteurs anglo-saxons.” Solutions 30 publie également un autre communiqué de presse le 7 octobre mais il est trop tard, les pratiques de Solutions 30 paraissent désormais douteuses. La communication relativement mal maîtrisée de l’entreprise semble en être en partie responsable. Pourquoi ne pas avoir commandé un rapport en anglais à l’entreprise d’audit? Pourquoi avoir falsifié le document d’une société d’audit? Dans quel but? Est-ce la première fois? Le doute existe désormais.
Troisième attaque (décembre 2020) : Un rapport anonyme sème le trouble
Au cours du mois de novembre 2020, un an après les accusations du Financial Times, un rapport anonyme circule. Ce dernier présente de nombreux éléments, toujours trouvés en source ouverte, qui semblent cette fois-ci bien plus compromettants pour l’entreprise.
Le 9 décembre 2020, alors que l’action de Solutions 30 n’a jamais été aussi haute, la circulation du rapport accélère grâce à sa parution sur le site ZoneBourse, et l’action chute fortement, de près de 20€ à 7,6€ au plus bas au cours de cette journée. Selon le rapport :
. "Solutions 30 a de multiples liens avec des personnes ayant des condamnations pénales liées au blanchiment d'argent".
."Solutions 30 a été partie à de nombreuses transactions compatibles avec le blanchiment d'argent".
."Solutions 30 et les comptes des filiales qui y sont liées contiennent de nombreuses erreurs et sont impossibles à concilier".
."La rentabilité et le cash-flow de Solutions 30 ne correspondent pas à la nature supposée de l'entreprise".
La réaction de Solutions 30
Face à ces accusations, Solutions 30 réagit rapidement dans un communiqué et nie "catégoriquement toutes les affirmations". De plus, selon l’entreprise, "les preuves présentées ne sont pas étayées, plusieurs faits sont grossièrement mal interprétés et de nombreux raccourcis évidents conduisent à des conclusions erronées".
Le 11 décembre, Muddy Waters prend connaissance du rapport anonyme sur le site de ZoneBourse et entre dans cette nouvelle bataille de l’information. Le fond américain émet une 1ère lettre demandant à Solutions 30 des justifications sur certains éléments. Dans ce courrier, cinq questions sont posées à Solutions 30 notamment sur les liens entre la société basée au Luxembourg et Angelo Zito, un Italien cité dans des affaires judiciaires en lien avec la mafia. Muddy Waters trouve ici l’opportunité de tirer profit de sa position prise un an plus tôt.
Suite à ces nouvelles accusations, et face à la chute du titre en bourse, Solutions 30 demande la suspension de son cours de bourse, saisit l’AMF et porte plainte au pénal pour diffusion d’informations fausses et trompeuses. Pour l’entreprise, les très nombreuses informations erronées véhiculées par ce document ont pour seul but de porter atteinte à la crédibilité de l’entreprise qui connaît une belle ascension.
Afin de faire taire les rumeurs, la société européenne décide d’être la plus transparente possible. D’une part, elle répond aux questions et diffuse les réponses sur son site internet. D’autre part, elle mandate Didier Kling, président de la CCI de Paris Ile-de-France et l’entreprise Deloitte afin “d’analyser, en toute indépendance, la campagne menée, le préjudice subi et le bien-fondé des réponses apportées”.
La bataille juridique
Après la publication d’une cinquième lettre publique de Muddy Waters dénonçant les pratiques de Solutions 30 et les accusant de fraude comptable et de blanchiment d'argent, l’entreprise basée au Luxembourg décide de porter plainte une nouvelle fois, cette fois-ci pour diffamation. A la guerre de l’information, ou la guerre de la désinformation, s’ajoute une bataille juridique.
Le 1er avril 2021, trois mois après avoir été mandatés, les rapports Deloitte et Kling sont publiés. Alors que Solutions 30 y voit la confirmation du caractère infondé et erroné des accusations portées contre elle, Muddy Watters y voit au contraire plusieurs éléments troublants :
. Environ 6 mois des mails du PDG de Solutions 30 ont disparu et n’ont pas pu être retrouvés de janvier à juin 2019).
. Ecart de plus de 4 millions d'euros entre le prix payé par Solutions 30 pour racheter CPCP Telecom la somme obtenue par le vendeur.
. Soupçons de blanchiment d’argent liés à Balkans Shared Services (BSS).
La difficile justification des comptes de 2020
Alors que le rapport financier 2020 est censé être publié le 30 avril 2021 dernier délai, Solutions 30 ne l’a pas remis à temps, ce qui contraint l’AMF à les rappeler à l’ordre.
Au cours de la crise, Solutions 30 décide de recourir au cabinet de communication Image 7 afin d’affiner sa stratégie de communication dans cette guerre de l’information.
Le 10 mai, sans en préciser les raisons, Solutions 30 fait suspendre une nouvelle fois la cotation de son titre. Sans plus de précision, la société annonce initialement qu’elle communiquera le 25 mai après la bourse avant d’avancer la date au 21 mai, sous la pression de l’AMF. Solutions 30 informe que le cabinet d’audit Ernst & Young, chargé de valider les comptes 2020, n'a pas remis son rapport définitif et qu'il n'est pas en mesure de formuler une opinion sur les comptes annuels 2020.
Le 23 mai 2021, le rapport d’Ernst & Young est enfin publié. Situation inédite, le cabinet d’audit explique ne pas être en mesure d’exprimer une opinion sur les comptes de Solutions 30 pour l’année 2020 : ni favorable, ni défavorable… Ernst & Young justifie sa position par le fait que "Le Groupe [Solutions 30, ndlr] ne nous a pas communiqué certaines informations nécessaires à la réalisation de notre audit. Dans ce contexte, nous n’avons pas pu recueillir des éléments probants suffisants et appropriés [...] De plus, le Groupe n’a pas donné suite à nos demandes de diligences complémentaires en lien avec les travaux d’investigation diligentés par le Conseil de surveillance.” En réaction, le titre fait une chute vertigineuse en bourse de 11€ à 2,5€ avant d’entamer une légère remontée. De son côté, Solutions 30 réfute la conclusion d'EY selon laquelle des "anomalies non détectées pourraient être à la fois significatives et avoir un caractère diffus".
A la suite d ce rapport, Muddy Waters rédige une nouvelle lettre et déclare "Il est évident que ce qui se cache derrière les portes que EY n'a pas pu ouvrir est hautement problématique pour l'entreprise". Le fait que Solutions 30 semble avoir volontairement cherché à entraver les recherches du cabinet d’audit a gravement nuit à l’image de la société, qui paraît relativement opaque sur certaines de ses pratiques.
Le 25 mai 2021, Carson Block, dirigeant de Muddy Waters, annonce avoir coupé sa position sur S30
Annoncée le 28 juin 2021 par la direction et validé deux jours plus tard par l’assemblée générale, Solutions 30 a annoncé le choix du PKF Audit & Conseil Luxembourg pour remplacer Ernst & Young pour "conduire la révision des comptes de Solutions 30 et de ses filiales selon les normes en vigueur".
Des attaques informationnelles tous azimuts
Après avoir tenu face au “short” de Muddy Waters en mai 2019, puis aux dénonciations du Financial Times cinq mois plus tard, Solutions 30 a fini par mettre un premier genou à terre avec la diffusion du rapport anonyme, avant que la non-certification des comptes de 2020 par Ernst & Young ne vienne mettre l’entreprise à genou. Dans cette guerre de l’information, la société Solutions 30 s’est finalement retrouvée seule face à des acteurs bien différents les uns des autres : un fond activiste dont le but est le profit, un journal dont le but est d’informer, un rapport anonyme dont on ne connaît ni l’auteur, ni les motivations et enfin le cabinet d’audit Ernst & Young.
En réponse, la société Solutions 30 s’est d’abord montrée relativement passive et s’est contentée de réfuter les différentes accusations tout en déposant plainte à au moins deux reprises face à des accusations qu’elles jugent mensongères. Les rapports de Didier Kling et Deloitte qui étaient censées “blanchir” l’entreprise se sont finalement en partie retournés contre elle. Carson Block explique dans son interview, qu’à chaque fois que Solutions 30 communiquait pour se défendre, elle aggravait son cas. Le refus de Solutions 30 de répondre positivement aux demandes d’Ernst & Young a été particulièrement désastreux pour l’entreprise car cela a été perçu comme un manque de transparence. Même si rien dans les éléments actuels ne permet de parler de fraude (ce qui explique l’absence de procédure judiciaire contre Solutions 30), de nombreux éléments semblent jouer en défaveur de Solutions 30 : des liens avec des membres proches de la mafia sont avérés, des opérations suspectes semblent bien réelles, manque de transparence avec les sociétés d’audit...
Même si aujourd’hui peu de questions sont tranchées, une interrogation essentielle demeure : qui est derrière le rapport anonyme ? On ne le sait toujours pas et Muddy Waters réfute en être l’auteur. Ce rapport, et surtout sa diffusion sur le site ZoneBourse, a finalement été l’élément déclencheur de la chute de Solutions 30.
Romain Dobritz
Auditeur de la 37ème promotion MSIE