Les différentes sociétés humaines sont caractérisées par diverses empreintes identitaires notamment les spécificités culinaires. Au-delà des originalités, les épices et autres arômes ont engendré de vastes idées d’entreprise notamment celui des aides culinaires dont les bouillons de cuisine qui depuis un peu plus de 123 ans connaissent un succès particulier auprès des ménagères africaines et arabes. La cuisine africaine pilier essentiel des cultures ébène, notamment, a intégré les bouillons commerciaux ou cubes d’assaisonnement dans ses process au point d’en devenir une institution. Ce rayonnement n’est pas sans effets collatéraux pour les producteurs de ces bouillons car une véritable guerre de l’information par le contenu a lieu sur cet important marché africain d’abord entre producteurs puis avec les nutritionnistes, les défenseurs des droits des consommateurs et même des gouvernements. Quels sont les enjeux de cette « guerre informationnelle » autour des bouillons en Afrique ? Comment Multinationales et Compagnies locales se battent pour garder des parts de marchés ? Quels sont les stratégies mises en place par les professionnels de la santé, les associations de consommateurs et certains États pour décourager la consommation des bouillons ?
Le bouillon : un produit hautement concurrentiel
Idée originale du Suisse Julius Maggi, le bouillon commercial a été introduit en Afrique à la faveur de la colonisation et a connu succès fulgurant au sein des cuisines africaines faisant de ce segment des exhausteurs de goûts un marché hautement concurrentiel. Maggi, le roi des cuisines africaines challengé par Jumbo dès 1978 pendant de nombreuses années ont vite été rejoints par plus d’une vingtaine de concurrents comme Joker, Adja, Jongué, Doli, Dior, Tak, Mami, Maxigoût, Africube, kadi, knorr. qui se livrent une bataille rude avec un contenu informationnel très offensif tant dans le media que dans le hors-media. Ce sont plus de 20 milliards de cubes d’assaisonnement qui sont vendus chaque année en Afrique pour un marché d’environ 1 milliard d’euros que se disputent plus d’une vingtaine de marques locales et internationales qui toutes tentent de rester aux couleurs locales afin de conquérir les cœurs des cuisinières africaines.
Des Publicités sur Lieux de Vente (PLV, aux supports publicitaires de 60 m² en passant par le sponsoring, les couvertures des magazines, les actions caritatives, les productions de télé-réalité, les et les brandings, les acteurs du marchés des bouillons se sont livrés une bataille sans merci. D’un affrontement de basse intensité entre Nestlé propriétaire de Maggi et Gallina Blanca star propriétaire de Jumbo, précurseurs et leaders du marché, les choses sont allées très vite avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui ne se s’en sont pas laissé conter.
L'affrontement concurrentiel pour le contrôle du marché
Les différents acteurs ont propagé des slogans commerciaux très incisifs les uns envers les autres. Ainsi du bouillon de base on a assisté à une floraison de parfums de bouillons pour lesquels les équipes Recherches et Développements (R&D) des industriels du segment ne cessent de rivaliser de créativité. On enregistre à ce jour près d’une dizaine de saveurs à savoir : volaille, poisson, crevette, légumes, bœuf, dégraissé, même à la vitamine A, chacune des industries tente de faire preuve d’originalité afin de sortir le premier, un produit dont il se targuera d’être le précurseur dans sa communication. Au chapitre de la communication une lutte informationnelle sans merci pour le contrôle du média et du hors-média.
Au titre du média, les multinationales comme Maggi et Jumbo se taillent la part du lion au chapitre télévision à travers les spots publicitaires, la production d’émissions culinaires, le sponsoring de télé « novelas » et de téléréalité ou d’évènements tels les concours de beauté nationaux, etc. les firmes locales essaient de se faire entendre au niveau des radios de proximité notamment où les coûts de redevance semblent maitrisés. Le hors-média exclusivement sous l’emprise des multinationales notamment avec l’affichage car adossé à l’évènementiel vecteur clé de la promotion des cubes d’assaisonnement. A l’affichage il faut assimiler la lutte pour le contrôle du branding des marchés et boutiques, offrant généralement une énorme visibilité. Enfin ? le troisième élément de la guerre informationnelle est le contenu relatif à l’appellation de la marque ou au slogan publicitaire. Bon nombre d’industries baptisent leurs cubes aux couleurs locales notamment de noms de femmes comme Adja, Mami, Khadija, Dior, Mamita, Kadi ou de noms comme Joker, Jongué, Tem tem, Tak, Akadi, Doli afin d’obtenir la sympathie à travers le vecteur de l’appellation.
Les industries locales tentent de prôner généralement la préférence nationale ou locale et se différencient par la qualité et la diversité des slogans commerciaux. Du traditionnel « Maggi, le secret de la bonne cuisine » à « Kadi Akadi » c’est à dire Kadi à bon goût en malinké, en passant par « l’essentiel c’est Doli » ou « Avec Jumbo Supérieur passez au goût supérieur » les messages ont fortement été adaptés au goût du temps et des sociétés cibles. Sur le champ de bataille du bouillon cube en Afrique 2 marques internationales arrivent en tête avec plus de 60% de part de marché suivies de Doli et Adja qui essaient de tirer leurs épingles du jeu avec environ 25 % cumulés et enfin knorr et la vingtaine d’enseignes locales se disputent le reliquat du marché très actif de ce type d’exhausteurs de goûts.
Le marché des bouillons bien que très dynamique en Afrique a tout de même été relativement ralenti ces dernières années par des facteurs exogènes.
La réaction de la société civile africaine
En effet, au-delà de la rude concurrence entre producteurs de bouillons cubes industriels, de nombreuses voix ont engagé une conflictualité informationnelle afin de décourager la consommation du « sésame culinaire ». De nombreuses publications scientifiques et médicales révèlent à travers des sites de consommateurs ou des revues de sociétés savantes que les exhausteurs de goûts sont nocifs. Le principal ingrédient décrié est le Glutamate monosodique dont la concentration dans les cubes d’assaisonnement industriels surpasse exagérément les proportions tolérées de 6 grammes journalier en apport de sodium. Les sociétés savantes de cardiologie et d’urologie n’ont de cesse de pointer du doigt les bouillons industriels comme source de maladies cardiovasculaires : hypertension artérielle, obésité, diabète, de maladies de la sphère génitale : troubles sexuels, inflammation de la prostate, de maladies gastriques : colopathie et même de maladies psychiatriques notamment troubles du comportement et maladie de parkinson.
La polémique sur les problèmes de santé publique
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est même allée plus loin en indexant la teneur en sodium et de certains composants hautement allergènes de ces bouillons qui seraient à l’origine de maladies non épidémiques notamment les AVC, et certains cancers. A cette offensive de haute intensité, les industriels tels Maggi, Africube, Knorr et bien d’autres ont sorti la carte du bio ou du bouillon dégraissé et ont entamé une communication arguant être soucieux du bien-être de leurs consommateurs. Jumbo est même allé plus loin en lançant le bouillon à la vitamine A pour se positionner comme acteur de santé de publique en Afrique face à l’endémie africaine de l’avitaminose A. A cette contre-offensive des industriels, les associations de consommateurs ont ouvert un nouveau front arguant que les bouillons bio et les cubes dégraissés ne demeuraient pas moins nocifs pour la santé des utilisateurs. Sur de nombreux sites internet et à travers de nombreuses productions télé ou radiodiffusées, sous l’étiquette de consommateurs ou de société civile ; nombres de voix, tableaux comparatifs à l’appui ont crié haut et fort que les bouillons industriels bien que bio ou dégraissés ne sont pas bon pour la santé. Les consommateurs munis de données sur les déclarations des industriels indiquent que les différences entre les bouillons industriels traditionnels et les bouillons dits dégraissés ou bio sont minces et en appellent à la vigilance car les concentrés d’additifs en sels, sucres et graisses demeurent toujours aussi dangereux. Ils invitent les consommateurs à rester vigilants dans leurs choix et à ne pas se laisser « trompés » par les industriels qui utilisent des fourbes pour masquer les produits nocifs dans les tableaux règlementaires de déclarations nutritionnelles auxquels ils sont astreints.
L'attitude ambiguë de certains industriels
Ainsi bon nombre d’industriels utilisent des chiffres, des lettres, et souvent des abréviations et très souvent en très petits caractères pour indiquer la présence de ces « agents de la mort » dans leurs bouillons. Les associations de consommateurs, les nutritionnistes, les organisations de la société civile, les sociétés médicales savantes et même l’OMS affirment que même estampillés bio, dégraissés ou légumes les bouillons accordent très peu de place aux légumes et autres spartisans de goûts naturels et traditionnels comme le « geudj ou adjovan » poisson salé séché à l’arôme et au goût très prononcés, les crevettes pilées « le zonzon », le crabe moulu, le soumara malinké et le gabou nigérien.
A ces alternatives il est aussi conseillé d’utiliser des apprêts domestiques à base des plantes aromatiques, des épices naturelles comme le cumin, la coriandre, du paprika, de la cannelle et des ingrédients naturels comme l’ail, le persil, le laurier et même des bouillons faits maison à base de viande, de poisson et de crevette. Pour tenir compte des recommandations sanitaires officielles y adjoindre le sel dans les proportions de moins de 5 grammes par jour. Autant d’alternatives saines qui pourraient permettre de tourner la page des plus de 100 glorieuses du bouillon en Afrique sinon « briser drastiquement son élan ravageur ».
La mobilisation des défenseurs des droits des consommateurs
Ces acteurs de la société civile ne veulent rater aucune occasion de dénoncer les industries du bouillon et restent à l’affut des moindres failles, notamment en matière de guerre de l’information où chaque détail compte dans cet affrontement sans merci, c’est ainsi que Nestlé a été épinglé au Nigeria pour une publicité jugée trop sexiste. Conscients de cette réalité, les industriels du bouillon ont lancé l’arme de décision à tout cet argumentaire en se positionnant comme rois des cuisines africaines mais surtout en mettant en avant son accessibilité à travers ses caractères « rapide, pratique, goût mijoté et surtout le coût ».
En se positionnant comme un produit miracle, le bouillon industriel résout à la fois la question des interminables heures de préparation et l’épineuse question du pouvoir d’achat dans une Afrique émergente où le temps et le prix déterminent en grande partie la décision d’achat du ménage. A titre de comparaison le kilo de « Adjovan » proposé comme alternative au cube industriel coûte 7000 FCFA soit 3 kilos de viande quand le cube d’assaisonnement coûte 25 FCFA l’unité de 10 grammes.
Aux accusations de « vecteurs de la mort » des Industriels comme le groupe suisse Nestlé répond sur son site que les ingrédients utilisés pour la production de ses bouillons sont des condiments règlementaires et que mieux les bouillons Maggi font l’objet d’un contrôle qualité rigoureux avec plus de 400 contrôles qualité. C’est le même son de cloche chez Patisen propriétaire de la marque Adja qui assène également sur son site que contrairement aux idées reçues, seul l’abus nuit, les bouillons ne contiennent aucun ingrédient nocif à la santé. Ainsi tout comme l’abus de nicotine nuit gravement à la santé, les industries du bouillon culinaire indiquent à leur tour qu’il ne faut juste pas manger trop gras, trop salé, trop épicé ou trop sucré.
Certain Etats tentent de résister au rouleau compresseur de la société de consommation
La consommation des cubes d’assaisonnement demeure en progression malgré les réels dangers liés à leurs utilisations. La concurrence est rude dans le rang des industriels qui cherchent chacun à conserver et même prendre des parts de marché dans cette croissance marginale à travers une guerre informationnelle de haute intensité en diversifiant l’offre, le message et les vecteurs. Ce marché qui semble connaître une hausse anormale car sans aucune régulation de la majorité des pouvoirs publics africains s’explique par la force de puissants lobbies des industries alimentaires qui veillent comme du lait sur le feu à leurs intérêts sans tenir compte des risques majeurs de santé publique encourus par les populations africaines.
Malgré la force de ces lobbies, un État comme le Sénégal, bien qu’étant l’un des plus grands marchés africains du bouillon industriel, tente de se positionner comme précurseur de la règlementation en la matière. Ainsi depuis 2017 le Sénégal impose de « façon officielle » une limite de 55% en teneur de sodium, c’est un pas mais quand on connaît l’Afrique avec la vétusté de ses bureaux de contrôle, leurs insuffisances, la corruption nous restons sceptiques quant au respect de ces instructions règlementaires.
Ce qui a certainement poussé le Sénégal a pousser un peu plus son intervention dans le marché du bouillon en instaurant une disposition rectificative de la loi de finance 2021 avec une hausse de 25% de l’imposition des bouillons de cuisine. La Grande interrogation au terme de cette publication est de savoir si les mesures réglementaires de composition des bouillons et les mesures fiscales prises par le gouvernement sénégalais pourront un jour se généraliser à l’ensemble des pays africains afin permettre une réduction des risques et une baisse de la consommation de ces rois de la cuisine africaine ?
Moustapha DIABY-KASSAMBA
Auditeur MSIE 37
Ecole de Guerre Economique