Les affrontements informationnels autour de la question des restitutions des biens culturels africains
Les débats autour de la question de réappropriation de biens culturels ont toujours fait partie de l’histoire de l’art. Estimant avoir été spoliées de certaines œuvres d’art au cours d’événements historiques, des multitudes de peuples ont exigé et obtenu la réintégration de ces œuvres dans leurs patrimoines. Aujourd’hui, c’est en Afrique subsaharienne que ce débat a lieu, avec beaucoup de polémiques et affrontements dans le domaine informationnel. En effet, un regard sur l’actualité, nous permet d’observer une intensification et une médiatisation des demandes de rapatriement.
Un mouvement d'abord intellectuel qui s'est entendu à toute la société
Si le rapport Sarr-Savoy semble avoir remis à l’ordre du jour la problématique de restitution des trésors culturels africains, les débats autour de la question existent depuis belle lurette. Toutefois, ils étaient cantonnés aux milieux intellectuels, culturels et politiques. Déjà, depuis les années 1960 dans le « Manifeste culturel panafricain », il est écrit que « la conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire […]. Voilà pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité... ».
Les justifications sont présentées généralement d’un point de vue moral et éthique, face à ce qu’ils considèrent comme des spoliations. Mais aussi, des arguments culturels, religieux et économiques sont mis en avant. Ainsi, Dilip Ratha and Patrick Kabanda, dans une tribune littéraire datant de 2015, indiquaient qu’il fallait que l’art africain revienne à la maison car « L'absence de trésors artistiques constitue une perte énorme pour les économies des pays africains et contribue à la perte d'identité nationale et personnelle ».
De l’autre côté, se trouvent les pays, musées et collectionneurs privés occidentaux qui possèdent dans leurs patrimoines de nombreux objets d’art africain acquis de diverses manières. La polémique vient surtout des œuvres qui ont été pillées ou acquises de façon douteuse pendant la colonisation. Selon les experts, « Plus de 90% des pièces majeures d'Afrique subsaharienne se trouveraient hors du continent » et sont exposés dans les différents musées en toute légalité.
Les débats autour de la question perdurent et chaque partie utilise l’information comme un moyen de confrontation.
Des pressions institutionnelles et médiatiques
Profitant d’un contexte mondial de dénonciation des injustices sociales (racisme, colonisation, esclavage, etc.) et se mettant dans une position victimaire, plusieurs états africains formulent officiellement des demandes de restitution. Pour le président Béninois, le rapatriement de ces œuvres permettra de « mieux faire connaître à nos populations la valeur de nos biens culturels et historiques et faire du tourisme un pilier majeur de l’économie béninoise ». Ces prises de parole médiatisées sont autant de pressions qui deviennent insoutenables pour des états occidentaux à la recherche d’une sorte de « repentir » face au passé. Ainsi en 2021, après plusieurs années de pressions et de demandes, l’Allemagne a annoncé un accord avec le Nigéria en vue de la restitution de centaines d'objets de bronze .
En soutien aux états, des organisations africaines et instituions internationales publient des rapports, organisent des séminaires qui sont des tribunes offertes. Ainsi, sous l’égide de l’UA, « une charte pour la renaissance culturelle africaine » a été produite, avec pour objectifs entre autres « « de promouvoir …la restitution » des biens culturels.
Les médias africains s’engagent aussi en multipliant les articles et en donnant la parole à des personnes ressources pour s’exprimer sur la question. L’hebdomadaire « Jeune Afrique » y a consacré plusieurs de ses parutions dont on peut citer :« Les chemins de la restitution des biens culturels africains » (du 12 juin 2018) ; « Pourquoi l’Afrique doit s’unir pour demander la restitution des œuvres d’art pillées » (du 14 mars 2018) « Restitution du patrimoine africain : le combat de Felwine Sarr » (du 26 novembre 2018) ; « Restitution des objets d'art africains : une quête d’identité » (du 24 août 2021) ...
Des campagnes de soutien, de mobilisation et dénonciation
Aujourd’hui, un nombre grandissant d'individus et d'organisations de la société civile prêtent leur voix à la campagne pour le retour du patrimoine culturel africain. Les moyens utilisés sont des campagnes de dénonciation, de mobilisation, des pétitions, etc.
Nous assistons à une mobilisation d’ONG, tels l’African Foundation for Development (AFFORD), AfricAvenir International qui lancent dans des campagnes de dénonciation, de mobilisation et de soutien de toutes initiatives visant au retour d’œuvre d’arts. L’AFFORD a créé un site dédié à ce sujet où des articles et des sondages (Return of the Icons : AFFORD Restoration Project- Survey) sont proposés. Des pétitions, comme celles lancées par le CRAN et l’ex-président béninois Nicephore Soglo « Restitution des trésors d'Abomey à la famille royale et au peuple béninois » sont aussi organisées afin de mobiliser les masses.
Au niveau mondial, l’Open society du milliardaire américain George Soros, s’est aussi joint aux débats en lançant une campagne dénommée « Restitution of African Cultural Heritage Initiative » afin de « soutenir les recherches et les initiatives … concernant la restitution du patrimoine culturel africain ». À cet effet, elle a annoncé une initiative de 15 millions de dollars pour renforcer les efforts de restauration des objets culturels pillés sur le continent africain.
Des actions et attaques ciblées contre les musées
Donnant dans le spectaculaire, des actes de provocations dirigées contre les musées sont organisés par des organisations tels le Front Multiculturel Anti-Spoliation (FMAS) de l’activiste Mwazulu Diyabanza. A plusieurs reprises, ce dernier a été arrêté pour avoir essayé d’enlever par la force des objets d'art africains dans des musées comme le musée le Quai-Branly en juin 2020, le Louvres en octobre 2022, etc. Ces coups médiatiques sont bien sûr diffusés en live sur les réseaux sociaux. Selon ses propres termes, « sa mission est de récupérer toutes les œuvres d'art et de culture emportées d'Afrique en Europe » par une méthode qu’il qualifie de "diplomatie active". En plus de donner une visibilité à son mouvement, les procès qui s’en suivent sont autant de sujets qui sont relayés par la presse et qui servent de tribune publique. L’on pourrait aussi y voir une tentative de judiciarisation de ce débat.
Par ailleurs, le mouvement « Black Lives Matter » a suscité de nouveaux appels à la restitution des objets pillés par les institutions culturelles. Le musée de Londres a d’ailleurs été raillé et critiqué sur les réseaux sociaux à la suite d’une déclaration de soutien de son directeur au mouvement. Des milliers de tweets ont dénoncé son hypocrisie et ont été suivis de campagnes de dénonciation de son patrimoine considéré comme « pillé » en grande majorité. Pour lutter contre cette perception, le musée a organisé des campagnes (Collected Histories Talk) pour informer le public sur la provenance de certaines de ses œuvres d’art.
Les actions judiciaires et argumentaires visant à justifier le maintien de ces œuvres dans les musées occidentaux
Pendant longtemps, les pays, les musées et les collectionneurs privés occidentaux se sont réfugiés derrière les barrières légales pour opposer une fin de non-recevoir aux demandes de rapatriement. A titre d’exemple, une demande de restitution faite par le Bénin en 2016 a été refusée par la France « au nom du principe d’inaliénabilité des collections nationales ».
Felwine Sarr (co-auteur du rapport Sarr-Savoy), dans une interview accordée au journal « L’express » publié le 26/01/2019, dénonce aussi l’existence de « un lobby anti-restitution, doté d'une indéniable capacité de mobilisation et de nuisance ». En effet, à la suite de rapport, nous avons pu observer une levée de boucliers d’intellectuels tels Emmanuel Pierrat dans son livre « Faut-il rendre des œuvres d'art à l'Afrique ? » ou Julien Volper (conservateur au Musée royal de l’Afrique centrale). Ce dernier, dans une tribune « Restitution du patrimoine africain. Une faute politique » mettait en doute les conclusions du rapport et interpellait sur les dangers d’une telle initiative. Entre autres, les arguments ci-dessous sont avancés pour justifier le maintien de ces œuvres d’art hors d’Afrique.
Tout d’abord, un doute est émis sur la capacité des pays africains à conserver ces œuvres d’art du fait des conflits, des installations, de personnel inadéquats ou d’un désintérêt. Caricaturant cette vision, Réginald Groux, dans la tribune « Restitutions : et si on faisait un peu d’histoire… », affirme que « sans les collectionneurs, 99 % des objets qui se trouvent en Europe auraient presque tous disparu, victimes de l’ignorance, des termites, des autodafés des religieux de tous bords ».
Ensuite, une vision universaliste de l’art est avancée. Celle-ci voudrait que les musées aient un caractère universel. Les œuvres d’art « appartiennent au patrimoine de l’humanité » et ne sauraient revenir à un seul pays.
Une guerre informationnelle qui tourne en faveur des pays du Sud.
La question du rapatriement des objets d’art africains est revenue à l’ordre du jour depuis les mouvements sociaux observés à l’échelle planétaire dans le cadre de la lutte contre les inégalités et les injustices passées ou présentes. Profitant d’un contexte global qui leur est favorable, les supporteurs de ce mouvement ont investi le champ informationnel avec un succès indéniable. Après de longues années de réticence, les pays et musées occidentaux sont de plus en plus enclins ou obligés d’accéder aux demandes des pays africains. Malgré certaines oppositions, l’ensemble des protagonistes devront entamer une processus de réflexion pour trouver des solutions pérennes à cette problématique.
Kitchafolwori Sekongo
Auditeur de la 37ème promotion MSIE