Il y a quelques années, les entrepreneurs en manque d'outils capitalistes mais reconnu par leur ténacité et leur génie étaient toujours les bienvenus, voire chéris, en Occident, peu importe leur lieu de naissance, leur couleur ou leur religion. Zhang Yiming[1], un riche citoyen chinois, incarne ce que l'Occident, sous le leadership des États-Unis, voulait que la Chine communiste soit. Il est le fondateur et PDG d'une entreprise, ByteDance, qui possède une plateforme de médias sociaux extrêmement populaire, TikTok basee en Chine. Mais ce n'est plus le cas maintenant. En fait, la frénésie autour de TikTok en Occident ressemble beaucoup à Huawei[2], une autre entreprise chinoise, et à la saga de la 5G. L'État du Montana aux États-Unis[3] est devenu le premier en Occident en général à accepter un projet de loi qui interdirait TikTok en raison de la probabilité que le Gouvernement chinois puisse demander les données des Américains à l'entreprise privée. Les risques en matière de sécurité et de confidentialité sont concevables.
Enjeux pour l'Occident
La guerre du Vietnam, qui a duré de 1955 à 1975, est généralement appelée la "première guerre de la télévision" et par conséquent la première guerre de l’Information. C'était la première fois que des citoyens pouvaient suivre les événements sur le champ de bataille via la télévision, grâce à des reportages d'actualité rapides. La guerre en Ukraine supporte par l’Occident est maintenant appelée "la première guerre TikTok". Notons à ce sujet que le propriétaire chinois de Tik Tok, ByteDance a essayé dès le début de se positionner en tant qu'agent "impartial" et qu'il ait supprimé plus de 3 500 vidéos et 12100 commentaires "inappropriés" seulement quatre jours après le début de l'invasion) car les témoignages personnels numériques sur les réseaux sociaux jouent un rôle si important dans l'image de la guerre de l’Information. Selon un sondage publié par Insider Intelligence, les utilisateurs des réseaux sociaux ont passé en moyenne 14 heures par mois sur TikTok et 11 heures par mois sur Facebook en 2022[4].
En novembre 2020, François du Cluzel, responsable de projet au Nato Act Innovation Hub, avait publié un rapport intitulé "Guerre Cognitive"[5] mettant en garde contre le fait que des plateformes comme TikTok illustrent l'influence cognitive en façonnant les croyances et les préférences de leur vaste base d'utilisateurs tout en collectant des données et en développant des profils psychogéniques de leurs utilisateurs. Dans un monde où les médias sociaux sont devenus un moyen si important de diffusion de l'actualité, en particulier auprès des jeunes, une plateforme basée dans un État adversaire de l’Occident, avec une base d'utilisateurs atteignant des centaines de millions dans les grandes démocraties occidentales, représente une menace potentielle. La réplique du gouvernement chinois, conscient de l’importance croissante de la guerre de l’Information pour son image a été rapide. " Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré en mars 2023 "À quel point les États-Unis, la plus grande superpuissance mondiale, peuvent-ils être insécurisés pour craindre une application préférée des jeunes comme ça ?[6]
Si le doute généré au sein des élites ainsi que dans les milieux politiques européens et americains a créé un appel d’air pour les entreprises occidentales comme Facebook ou Instagram. Mais les utilisateurs, créateur de programmes et les entreprises basées dans ces pays qui exploitait cette plateforme n’étaient pas prêts à écarter entièrement l’application, pour des raisons pratiques, technologiques et de prix.
Compétition commerciale avec les entreprises occidentales
Les dirigeants d'entreprises américaines et les décideurs politiques ont réalisé depuis plusieurs années que TikTok représentait une menace sans précédent pour le leadership numérique-économique international de la Silicon Valley et pour le modèle commercial de Facebook, Instagram et autres. TikTok a généré 205 millions USD de plus que Facebook, Twitter, Snap et Instagram réunis grâce aux achats intégrés à l'application en mars 2023[7]. Le réseau social, qui compte plus d'un milliard d'utilisateurs actifs dans le monde, s'est positionné comme le sixième réseau le plus utilisé sur la planète en seulement cinq ans, un succès extraordinaire d'autant plus significatif qu'il est le produit du plus grand rival géopolitique des États-Unis et de l’Occident.
Launched it was launched | Headquarters (Owner registered location) | 2022 Revenue in USD | |
2004 | US | $85.96 billion | |
YouTube | 2005 | US | $28.8 billion |
2009 | US | $5.5 billion | |
2010 | US | $24 billion | |
TikTok | 2016 | China | $11 billion |
Source:https://www.searchenginejournal.com
Le Global Times proche du Gouvernement Chinois a rapporté en Mars 2023 que d Pékin estimait que la véritable préoccupation de Washington est "le vaste marché de l'internet occupé par TikTok avec sa Technologie unique et les énormes profits qu'elle génère."[8] Selon l'auteur I. Papachristou[9], les médias sociaux contribuent à la croissance d'une économie donnée en permettant à davantage de personnes d'interagir et de créer des opportunités commerciales. En tant qu'outil de marketing axé sur les consommateurs et relativement rentable, il a été estimé qu'il contribuait à hauteur de 3,2 % du PIB en Inde et de 4 % du PIB dans les pays européens par certains chercheurs universitaires[10]. Les cinq principaux sites et plateformes de médias sociaux ont généré 154 milliards de dollars de revenus combinés en 2022. Comme le prévoit Forbes, "une interdiction américaine de l'application de médias sociaux la plus populaire au monde affecterait beaucoup plus d'entreprises et de personnes américaines que simplement les 150 millions qui utilisent la plateforme ici.[11]" Quand a Tik-Tok les pertes serait significatives.
Les détracteurs occidentaux de l'application chinoise
Les critiques contre TIK tok ne sont pas seulement liées aux affrontements géoéconomiques avec en toile de fond les enjeux technologiques du monde immatériel. Au sein des sociétés civiles occidentales apparaissent des polémiques de nature sociétale. L’usage répété de Tik Tok par les jeunes sont à l’origine de débats dans le monde éducatif. L’accoutumance à un usage répété et trop massif de cet outil de communication a des conséquences sur le mode de vie des adolescents, aussi bine dans leur rapport à l’assimilation de connaissances. Un certain nombre d’entre eux ne lisent plus de livres et préfèrent se distraire par ce recours à une consommation de courtes séquences d’images. La concentration de l’attention des élèves est aussi affectée par ce type de « loisir » ou d’échange instantané de séquences de vie très éphémères. Tik Tok est aussi accusée de favoriser le harcèlement des individus. Pour la première fois en France, une plainte contre l’application chinoise a été déposée en 2023 par les parents d’une adolescente qui s’est suicidée deux ans auparavant à la suite d’une campagne de harcèlement dans un lycée de La Ciotat (Bouches-du-Rhône). La jeune fille utilisait très fréquemment TikTok. Quelques semaines avant sa mort, elle publiait une vidéo sur le réseau social, dans laquelle elle évoquait le harcèlement scolaire dont elle était victime en raison de son poids.
La fragilité latente de Tik Tok
TikTok est dans une situation délicate des deux côtés de l'Atlantique. [12]Aux Etat-Unis l’ancien Secrétaire d’Etat de l’ancien gouvernement et ancien directeur de la CIA, M.Pompeo, a été le chef de campagne contre Huawei, et ce n'était pas une coïncidence que ce soit lui qui ait révélé que TikTok pourrait se retrouver dans une situation similaire en juillet 2020. Ce fut suivi par le directeur du FBI, Christopher Wray, critiquant la Chine en tant que plus grande menace pour la sécurité et la prospérité des États-Unis. Dans le monde des affaires, selon le Wall Street Journal, il a été rapporté que Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, aurait personnellement demandé au Président américain d'agir contre les concurrents chinois, et plus précisément contre TikTok, lors d'un dîner privé à la Maison Blanche en octobre 2019 avec le Président Trump[13].
En Europe, Le Président de la Commission européenne, l'organe Exécutif de l'Union européenne, confirmait en novembre 2022 qu'il existait plusieurs enquêtes en cours sur TikTok[14] concernant le transfert des données des citoyens de l'UE vers la Chine et la publicité ciblée destinée aux mineurs. Les interdictions d’usage de Tik Tok dans un certain nombre d’administrations européennes à Bruxelles. Le 23 février 2023, la Commission européenne a interdit à tous ses employés d’installer l’application TikTok sur leurs téléphones au nom de la protection des données. Le Conseil européen, l’instance des Etats membres dirigée par le Belge Charles Michel, avait pris une mesure similaire. De son côté, le Parlement européen a annoncé mettre en place une veille pour évaluer toutes les possibles violations de données liées à l’application. Interdit dans l’Etat du Montana aux États-Unis, TikTok a porté plainte contre l'État américain qui a promulgué une loi pour bannir TikTok à partir du 1er janvier 2024. En France, TikTok a été épinglé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), en janvier 2023, pour n’avoir pas permis aux utilisateurs d’accepter ou refuser les cookies simplement. La plateforme a été condamnée à une amende de 5 millions d’euros, et comme le souligne le quotidien La Croix, il s’agit de la plus importante prise sur le continent européen jusqu’à aujourd’hui contre le géant chinois.
Mowlid Aden,
étudiant de la 42ème promotion MSIE
Notes
[3] https://www.npr.org/2023/04/14/1170204627/montana-becomes-1st-state-to-approve-a-full-ban-of-tiktok
[6]https://www.forbes.com/sites/zakdoffman/2020/07/09/tiktok-serious-china-problem-ban-security-warning/?sh=315d1fec1f22
[7]https://www.forbes.com/sites/johnkoetsier/2023/03/01/tiktok-earned-205-million-more-than-facebook-twitter-snap-and-instagram-combined-on-in-app-purchases-in-2023/?sh=4e5368d42d48
[9] [9] I. A. Papachristou, The Social Media in the Economy, Universitat Politecnica de Catalunya, Barcelona, Spain, 2013.
[10] R. Dell’Anno, T. Rayna, and O. H. Solomon, “Impact of social media on economic growth–evidence from social media,” Applied Economics Letters, vol. 23, no. 9, pp. 633–636, 2016.