L’encerclement cognitif contre le projet EACOP de TotalEnergies

Le projet d'oléoduc East Africa Crude Oil Pipeline (EACOP) est né de la découverte, en 2006, de l'existence d'infiltrations naturelles de pétrole dans la région du Lac Albert, en Ouganda. La phase d'exploration et d'évaluation a pris fin en 2014. Après un long travail d'enquête et d'étude d'impact, entre 2016 et 2018, le tracé final de l'oléoduc, long de 1.443 kms, entièrement enterré, traversant l'Ouganda et la Tanzanie, a été validé. Il permettra de transporter le pétrole brut depuis Kabaale, en Ouganda, jusqu'à Chongoleani, à proximité du port de Tanga, en Tanzanie[i]. Les projections officielles prévoient que ce pipeline aura une capacité de 246.000 barils/jour. Plusieurs accords ont été conclus entre les autorités ougandaises, tanzaniennes et le consortium EACOP[ii]. Le projet a été officiellement lancé en février 2022 et devrait entrer en service à l'horizon 2025.

Image
carte

Patrick Pouyanne, le PDG de TotalEnergies déclarait à cette occasion que "Le développement des ressources du Lac Albert est un projet majeur pour l’Ouganda et la Tanzanie et notre ambition est d’en faire un projet exemplaire en termes de prospérité partagée et de développement durable. Nous sommes pleinement conscients des enjeux importants sur le plan sociétal et sur le plan environnemental qu’il représente. Nous accorderons un soin particulier à faire appel aux compétences locales, les développer grâce à des programme de formation, dynamiser les tissus industriels locaux pour maximiser les retombées locales positives de ce projet »[i].

Très tôt, le projet a fait l'objet de vives contestations de la part des organisations de défense de l'environnement. Ainsi, les Amis de la Terre et Survie se sont associées dans une vaste campagne pour demander l'arrêt du projet. Dès mars 2019, elles se sont appuyées sur des organisations de la société civile ougandaise et ensemble, ont attaqué en justice la société pétrolière française. Parallèlement à ces actions, une vaste campagne de guerre informationnelle a été lancée sur les réseaux sociaux et via des sites internet spécialement créés à cet effet.

Un projet d'oléoduc attaqué par une nébuleuse d'acteurs

A la suite de l’annonce du tracé définitif de l’oléoduc, une dizaine d'organisations non gouvernementales (ONG) et associations se sont organisées pour dénoncer l'EACOP.

Les associations et organisations non gouvernementales françaises et internationales

Les associations françaises Amis de la Terre et Survie se sont rapprochées pour planifier une campagne commune. La première poursuit des objectifs liés à la défense de l'environnement et à la préservation des ressources naturelles. A cet effet, cette association se positionne comme "lanceur d'alerte" pour faire "pression" sur les politiques et les multinationales à travers des actions de plaidoyers, des mobilisations citoyennes et des actions en justice.

La seconde, Survie, dénonce toutes formes "d'intervention néocoloniale française en Afrique" et milite pour une révision complète de la politique étrangère de la France dans cette partie du monde[ii].  S’associer aux Amis de la Terre lui permet de poursuivre sa « mission ».

Dans la même optique, l'ONG Human Right Watch (HRW) est venue se greffer à l'attaque initiale en publiant un rapport, en novembre 2023, dénonçant la répression menée, en Ouganda, contre les défenseurs de l'environnement qui militent localement contre l’EACOP et TotalEnergies[iii].

Plusieurs ONG de défense de l'environnement ont par ailleurs pris fait et cause pour la campagne lancée par Survie et les Amis de la Terre, comme par exemple, 350.org, Sea Shepherd, GreenFaith, Extinction Rebellion ou encore Darwin Coalition.

Les organisations de la société civile africaine

Sur la scène africaine, quatre associations ougandaises se sont alliées à cette campagne. Il s'agit de l'African Institute for Energy Governance (AFIEGO), du Civic Response on Environment and Development (CRED), de NAVODA et de Youth for Green Communities (YGC). A travers leurs activités de lobbying, celles-ci promeuvent la défense de l'environnement, les politiques de développement énergétique ayant le plus faible impact possible sur les écosystèmes, la justice sociale ou encore la protection des droits humains.

Dans le cadre des attaques informationnelles menées contre l'EACOP et TotalEnergies, ces OSC sont soutenues par des organisations panafricaines spécialisées sur les aspects juridiques. Il s'agit du Centre pour l'alimentation et les droits adéquats (CEFROHT), du Natural Justice (NJ) et du Center for Strategic Litigation (CSL)

Les « super acteurs » qui agissent en arrière-plan

A l'instar de nombreuses autres campagnes de guerre informationnelle contre des intérêts français, ces acteurs en première ligne sont financés par une kyrielle de fondations. Nous retrouvons dans le cas présent des entités américaines dont le réseau de Guillaume SOROS, à travers l'Open Society ainsi que la Fondation Rockfeller, à travers ses « filiales ». Plusieurs fondations allemandes comme le GIZ et le Heinrich Boll Stiftung, apparaissent mais aussi la fondation danoise KR Foundation ainsi que sa consœur suisse, la Fondation Charles Leopold.

Une opération de campagne informationnelle méticuleusement orchestrée

Le « storytelling »

Les acteurs de cette attaque ont recours à une rhétorique axée principalement autour du combat pour la défense de l'environnement et les droits de l'homme. Dès son lancement, sous le slogan "Total : rendez-vous au tribunal", en juin 2019, l'objectif consiste à attirer l'attention de l'opinion publique sur les dangers du projet EACOP qui menacerait le climat, l'environnement et la biodiversité "exceptionnelle" locale. 

L'autre argument avancé vise la dénonciation de l’atteinte aux droits humains. Survie et GreenFaith estiment pour leur part que l'EACOP est un projet néocolonial. Pour appuyer leur narratif, ces organisations n'hésitent pas à recourir à la "guerre des chiffres" et à les instrumentaliser. Selon elles, plus de 100.000 personnes seraient, en effet, impactées par l'oléoduc et seraient soumises à l'expropriation systématique, en contrepartie de compensations financières "clairement insuffisantes, souvent sous des pressions et des intimidations"[iv]. En Ouganda, des médias locaux ont quant à eux dénoncé des cas « d'escroqueries » de la part des responsables locaux de l’EACOP.

Ces données contredisent les indicateurs publiés par TotalEnergies et le consortium. S'il y a effectivement environ 100.000 personnes qui vivent directement ou à proximité du tracé du pipeline, 5.000 d’entre elles seraient affectées par le projet et concernées par le plan d'expropriation et de compensations. Le budget total alloué à cet effet est de 45 millions de dollars. 

Au cours de l'année 2023, GreenFaith n'a pas hésité à instrumentaliser les croyances et coutumes locales. Cette ONG a accusé la société pétrolière française d'avoir déplacé près de 2.000 sépultures selon un rapport daté de novembre 2023[v]. Ce dernier a immédiatement été repris par un collectif d'une trentaine de personnalités religieuses et militants d'OSC qui ont publié une tribune dans le journal catholique, La Croix[vi].

Une stratégie conçue autour de deux piliers : juridique et « agit-prop » 

L’arme juridique comme premier angle d’attaque

En l’espace d’un an et demi, trois types d’action en justice ont été lancés contre TotalEnergies, en France, en Ouganda et au niveau de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC).

En France, à partir de juin 2019, les Amis de la Terre et Survie ainsi que AFIEGO, NAVODA, CRED et NAPE/Amis de la Terre Ouganda, ont assigné en justice TotalEnergies au nom de la Loi sur le devoir de vigilance, adoptée en mars 2017. Elles accusent la multinationale de n'avoir pas fait le nécessaire au regard de cette loi française et à ce titre demandent, d’une part, sa condamnation et celle de sa filiale ougandaise et d'autre part, l'arrêt du projet. Après plusieurs années de procès, le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré irrecevable cette double requête ; tout en condamnant les parties demanderesses au paiement des dépens de l'instance[vii]. Par ailleurs, le 22 septembre 2023, les ONG Darwin Climax Coalitions, Sea Shepherd France, Wild Legal et l’organisation Stop EACOP ont déposé une plainte au pénal contre TotalEnergies accusée, cette fois, de « climaticide » [viii]. 

En Ouganda, plusieurs OSC ougandaises ont intenté des actions en justice auprès de tribunaux locaux pour contester le montant des indemnisations versées par TotalEnergies. Début décembre 2023, une quarantaine de familles vivant dans la juridiction de Hoima, près de champs pétroliers, ont été déboutées par le tribunal local[ix]Selon les chiffres publiés par TotalEnergies, au 31 janvier 2024, 98% des accords de compensation avaient été signés et les bénéficiaires avaient perçu leurs indemnités[x]. A ce jour, une quarantaine de foyers n’auraient pas encore adhéré à ce programme ; leurs dossiers étant en cours d’analyse[xi].

Parallèlement à ces actions, la Cour de Justice de l'Afrique de l'Est (EACJ) a été saisie par les organisations AFIEGO, National Justice, CEFROHT et CSL. Celles-ci ont déposé une première plainte, le 6 novembre 2020, aux motifs que le projet "soulève(rait) d'importantes préoccupations en matière de durabilité environnementale, de justice sociale et de justice climatique"[xii].Elles accusent les promoteurs du projet de ne pas avoir réalisé les études d'impact environnemental ni les consultations publiques préalables. En novembre 2023, l'EACJ s'était déclarée incompétente au motif que la plainte avait été déposée trop tard. Les parties demanderesses ont fait appel et une première audience a eu lieu le 20 février 2024[xiii]. La procédure est toujours pendante.

L’arme des réseaux sociaux comme second angle d’attaque

En novembre 2020, apparait le site internet www.stopeacop.net, en version francophone, anglophone et swahili. Deux mois plus tard, la page communautaire Facebook #STOPEACOP[xiv] est créée, reliée à ce nom de domaine. Plus récemment, en juin 2023, le site www.stopeacopuganda.com a été mis en ligne. Conjugués, ces trois vecteurs de propagation de contenus contre le projet mené par TotalEnergies ont pour finalité d’attirer l’attention de la société civile et d’accroitre son adhésion à la « cause ». 

L’utilisation des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Canal Telegram et de manière plus marginale, Reddit, permet aux attaquants d’organiser des évènements contre le projet, en Europe et en Afrique. Il s’agit notamment de projections de films documentaires réalisés, en Ouganda, par des membres de la campagne #STOPEACOP, de marches citoyennes pour exiger la « justice climatique », de sit-in devant le siège social d’organisations parties au projet ou encore de cagnottes en ligne pour soutenir les activistes ougandais.

Apparu en novembre 2023, le Canal Telegram #STOPEACOP[xv] est très suivi ; chaque post étant vu plusieurs centaines de fois. Il communique très majoritairement en néerlandais. Très actif, il a déjà, après moins de trois mois d’existence, appelé à un grand rassemblement à La Haye, aux Pays-Bas, en décembre 2023 ainsi qu’à une mobilisation d’ampleur le 20 avril 2024. Le mot d’ordre « Samedi 20 avril, levons-nous contre la destruction et l'injustice, et pour la solidarité et la justice climatique, lors d'une grande action nationale », a pour finalité de demander l’arrêt du projet.

Ces opérations, menées concomitamment dans la sphère cyber et réelle sont clairement promues et soutenues par des acteurs de second plan. On peut citer BothEnds, une ONG néerlandaise qui prévoit dans sa stratégie 2020-2025 un soutien actif à la campagne #STOPEACOP, notamment par « la mise en place d’un réseau, aux Pays-Bas, incluant des actions de protestations contre ce projet » mais aussi à Paris et à New York[xvi].

Dans la même optique, l’ONG 350.org a participé au cours de l’année 2022 à une large mobilisation contre l’EACOP en soutenant la campagne #STOPEACOP. Pour y parvenir, elle a réussi à fédérer 260 OSC à travers le monde. Adepte du recours à l’art de la polémique et de la provocation, elle a organisé en mars 2022, à Paris, un « procès populaire » pour condamner les crimes commis par TotalEnergies contre les communautés africaines et l'environnement[xvii].

L’arme médiatique utilisée comme levier d’influence 

Depuis le début de la campagne #STOPEACOP, de nombreux médias français[xviii] ont publié du contenu participant à la propagation du narratif des acteurs offensifs identifiés supra. Mediapart semble être le plus actif. Le quotidien d’actualité numérique français a en effet consacré un dossier spécifique à la multinationale française « Total : l’heure des comptes », contenant une trentaine d’articles, dont une petite dizaine contre l’EACOP. Fin Janvier 2024, le média en ligne a organisé une « Journée Total »[xix], en région parisienne. L’évènement était articulé autour de la projection d’un documentaire, de tables rondes et d’un débat sur le thème « Comment mettre TotalEnergies hors d’état de nuire ? ». Parmi le panel d’invités, des représentants des Amis de la Terre, de Reclaim Finance ou encore de l’Observatoire des multinationales, étaient présents ainsi que l’ex juge, Eva JOLY et l’avocat William Bourdon.

Un mois plus tard, Mickael Correia, journaliste à Mediapart et au mensuel CQFD, a démarré la promotion médiatique de son dernier ouvrage, « Le mensonge de Total ». Il y dénonce notamment les activités de la compagnie pétrolière, en Afrique, qu’il apparente à du néocolonialisme et à une certaine forme de racisme. L’auteur soutient les actions menées sur le plan juridique contre l’EACOP, au nom d’un « internationalisme Nord-Sud contre les criminels climatiques »[xx].

Par ailleurs, en février 2024, plusieurs médias anglophones ont relayé des cas d’arrestations d’activistes ougandais, dont des étudiants, pour avoir manifesté contre l’EACOP.

Les conséquences de ce rapport du faible au fort

La campagne #STOPEACOP illustre bien le rapport de force entre le « faible » et le « fort ». Dans le cas présent, David se matérialise à travers cette kyrielle d’ONG et d’OSC qui se livrent à une véritable guerre informationnelle contre Goliath, incarné quant à lui par TotalEnergies, multinationale puissante mais sur la défensive.

Les conséquences sur l'échiquier politique 

En septembre 2022, fortes de leur pouvoir de lobbying, ces ONG ont réussi à obtenir de la part du parlement européen le vote d’une résolution non contraignante portant sur les violations des droits de l’homme en Ouganda et en Tanzanie, liées aux activités de TotalEnergies. Ce texte demande à l’UE et à la communauté internationale d’exercer « la pression la plus forte sur les autorités ougandaises et tanzaniennes » ainsi que sur les porteurs du projet EACOP pour mettre fin à l’extraction pétrolière dans les zones concernées[xxi]. L’eurodéputé Pierre Larrutourou s’est particulièrement mobilisé en faveur de cette résolution. De leur côté, Survie et les Amis de la Terre s’étaient immédiatement félicitées de ce vote[xxii].

Face à la multiplication protéiforme des attaques conduites depuis bientôt 5 ans contre TotalEnergies, Patrick Pouyanne a été contraint de lancer un audit du projet foncier. A cet effet, le 4 janvier 2024, il a annoncé la nomination de l’ancien Premier Ministre béninois, Lionel ZINZOU, pour mener une mission d’évaluation du programme d’acquisition foncière en Ouganda et en Tanzanie[xxiii]. Son rapport était attendu en avril 2024, toutefois, il n’avait pas encore été rendu public en date du 13 mai 2024.

Bien que ce ne soit pas la première fois, les sénateurs français ont créé, début janvier 2024, une Commission d'enquête sur les activités de TotalEnergies et plus spécifiquement sur le respect de ses obligations climatiques[xxiv]. Si l’EACOP n'est pas le sujet central, le projet y est abordé, notamment le 12 février 2024, lors de l'audition de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, enseignant à Mines Paris Tech, et membre du Haut Conseil pour le Climat et Rémy Roux, directeur de l'AFD ainsi que le 15 février suivant, lors de l'audition de Lucie Pinson, présidente de Reclaim Finance[xxv]. Les travaux de la commission devraient s'achever le 14 juin 2024.

Les conséquences sur l'échiquier économique

En mars 2021, près de 260 OCS à travers le monde ont envoyé une lettre ouverte aux principales institutions financières participant à l’EACOP. Le document sollicitait toutes les banques et assurances liées au projet d’annoncer publiquement leur retrait[xxvi]. En octobre 2023, ce moyen de pression avait conduit 27 banques et 23 assurances à se conformer aux mesures demandées par David. Selon les chiffres avancés par ces organisations, près de 4 milliards de dollars d’investissements auraient été annulés par le secteur bancaire et par conséquent, supportés par TotalEnergies. BankTrack considère l’EACOP comme une cible prioritaire de ses projets[xxvii].

Les conséquences sur l'échiquier sociétal

Quatre ans après son ouverture, la page communautaire Facebook de #STOPEACOP compte plus de 1.2 K de followers. Elle publie quotidiennement des posts rédigé par elle-même ainsi que des republications de contenus initiés par des ONG membres du « réseau » comme 350.org, Extinction Rebellion, Greenpeace, GreenFaith Africa... La mobilisation de la société civile ne fait que croitre au fil des années à travers divers types d'action comme évoqué plus haut.

Par ailleurs, les ONG et associations mobilisées dans la guerre informationnelle contre l’EACOP n'hésitent pas à instrumentaliser des problèmes préexistants. Dans un documentaire réalisé en 2020 par des membres de la campagne #STOPEACOP, plusieurs Ougandais prennent la parole pour témoigner de l'impact du projet sur leur vie quotidienne. Ils évoquent l’assèchement du Lac Albert, les difficultés, voire l’impossibilité de cultiver le manioc ou le haricot, l’augmentation du coût de la vie, des problèmes de scolarisation des enfants, l’accaparement de terres, l’inflation du prix des terres, des problèmes communautaires[xxviii] etc... Comme bien trop souvent en Afrique, tous ces problèmes étaient présents bien avant le lancement des travaux de l'oléoduc, tout comme les actes de violations des droits humains. 

Face aux attaques récurrentes, TotalEnergies a développé une stratégie défensive mais aussi préventive, à travers des communiqués de presse, des démentis, des diffusions de contenus favorables au projet à la fois sur son propre site internet et sur le site dédié au consortium. Par ailleurs, l’audit foncier lancé début 2024, s’inscrit également dans cette logique. Sur le volet juridique, Total a proposé des médiations avec les acteurs offensifs mais cette stratégie ne semble pas fonctionner. 

Le bilan de cet encerclement cognitif

La campagne #STOPEACOP peut à ce stade de son développement se targuer d'avoir remporté plusieurs victoires. 

La première, sur le plan juridique. TotalEnergies est en effet la première multinationale française à avoir été poursuivie devant la justice française pour manquement à son devoir de vigilance. Bien les associations et ONG plaignantes aient déboutées, il n'en demeure pas moins que cette action a créé un précédent. 

La seconde se situe sur le plan économique. La pression sur le secteur financier a été telle que plusieurs milliards de dollars de sources de financement ont été annulés. Le budget prévu par la compagnie pétrolière a par conséquent été impacté et a dû être révisé.

Enfin, la troisième victoire se situe sur le plan politique. La résolution adoptée en septembre 2022 par le Parlement européen sur les violations des droits de l’homme par TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie constitue, malgré son caractère non contraignant, un revers non négligeable pour celle-ci.

La focalisation des actions offensives sur TotalEnergies, alors que l’entreprise n’est que l’un des acteurs du projet, suscite de légitimes interrogations. Les réels objectifs de cette campagne sont peut-être à chercher ailleurs que dans la défense de l'environnement et du sort des populations locales.  Ces deux thématiques constituent désormais un argumentaire imparable pour n’importe quel instigateur, sincère ou non, pour paralyser tout projet de développement. Cette stratégie est vouée à s’amplifier avec les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) imposés aux acteurs économiques.

Cinq ans après le lancement de la vaste campagne de guerre informationnelle contre TotalEnergies, force est de constater que « David » dispose apparemment de moyens intarissables pour lancer ses actions et leur donner un écho mondial. Si TotalEnergies n'avait pas été le porteur du projet EACOP, cette campagne aurait-elle vue le jour ? 

Dès lors, l’hypothèse selon laquelle la noblesse des causes avancées permet à certains d’agir dans l’ombre pourrait être avancée. Comme l'a en effet très justement déclaré Jean-Marc Jancovici, lors de son audition devant la Commission d'enquête du Sénat sur les obligations de TotalEnergies, « si ce n'est pas Total, ce sera un autre »[xxix] ....

Une nouvelle bataille judiciaire commence pour TotalEnergies, accusée cette fois « d’homicide involontaire et non-assistance à personne en danger ». Le parquet de Nanterre a annoncé, le 4 mai 2024, ouvrir une enquête préliminaire après avoir enregistré une plainte au pénal déposée par des victimes d’une attaque menée par le groupe terroriste Al-Shabab, à Palma, au Mozambique, en 2021[xxx]. Les Amis de la Terre sont, encore une fois, à la manœuvre avec une centaine d’autres ONG et OSC, dont une partie est impliquée dans la campagne #STOP EACOP[xxxi].

 

Julie Sache,
étudiante de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

 

Annexe 

Cartographie de la campagne de GI contre TotalEnergies et EACOP.pdf

Pour aller plus loin

Présentation détaillée du projet EACOP consultable sur le site dédié : https://eacop.com/overview et https://eacop.com/faqs

Rapport détaillé du plan de compensation pour les personnes affectées par le tracé de l'oléoduc https://eacop.com/wp-content/uploads/2022/07/eacop-uganda-rap-excutive-summary.pdf

https://totalenergies.com/fr/projets/petrole/projets-tilenga-eacop-agir-toute-transparence

Sources 

Le site de TotalEnergies, rubrique média : https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/ouganda-tanzanie-lancement-du-projet-developpement-ressources

Le site des Amis de la terre pour une présentation de leurs actions : https://www.amisdelaterre.org/nous-connaitre/nos-missions-et-methodes/ , ainsi que le dossier de la campagne contre Total « Un outil juridique pour contraindre Total » :  https://www.amisdelaterre.org/campagne/total-rendez-vous-au-tribunal/ (consulté le 22/01/2024)

France info, rubrique monde/afrique concernant la position du Parlement européen sur le projet EACOP : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/environnement-africain/le-parlement-europeen-epingle-le-megaprojet-petrolier-de-totalenergies-en-ouganda_5364343.html publié le 16/09/2022 à 11h22 et mis à jour à 12h06.

Exemple de publication contre TotalEnergies et l’EACOP, par l’ONG BankTrack : https://www.banktrack.org/download/crude_risk/cruderisk_eacop_briefing_nov2020_1.pdf

https://www.youtube.com/watch?v=QzauJZl_GJE

Parlement européen, texte adopté le 15 septembre 2022 concernant les activités de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie :  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0321_FR.pdf 

Film documentaire d’une douzaine de minutes « Non au pipeline géant EACOP : pression maximale sur Total et ses actionnaires », mis en ligne le 22 octobre 2022, sur le compte YouTube de Pierre LARROUTUROU. A ce jour, elle a été visionnée 784 fois. : https://www.youtube.com/watch?v=QzauJZl_GJE :

Notes


[i]     Communiqué de presse de TotalEnergies, publié le 1/02/2022 : https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/ouganda-tanzanie-lancement-du-projet-developpement-ressources

[ii]    Survie est une association Loi 1901, créée en 1984, dont le siège social est situé dans le 11ème arrondissement parisien. Elle produit et commercialise des dossiers thématiques via le mensuel "Billet d'Afrique" dénonçant la Françafrique. Elle dispose d'une vingtaine de représentations régionales en France.  ( https://survie.org/l-association/)

[iii]   ""Travailler sur les questions de pétrole, c'est interdit" - Répression contre les défenseurs de l'environnement en Ouganda". ISBN: 979-8-88708-078-9 - HRW novembre 2023 . Selon le rapport, entre mars et septembre 2023, une trentaine de  personnes auraient été interrogées par HRW, dont 21 activistes ougandais s'opposant au projet EACOP

[iv]   https://www.amisdelaterre.org/campagne/total-rendez-vous-au-tribunal/ , sous section "Total accusée de bafouer les droits humains".

[v]              Communiqué de Greenfaith : « Le Rapport détaille les mauvais traitements généralisés des tombes africaines par TotalEnergies » : https://greenfaith.org/fr/press-release-report-details-widespread- mistreatment/ . Communiqué du 9/11/2023. Le rapport intitulé « As if nothing is sacred – TotalEnergies’ mistreatment of graves along EACOP », 

[vi] La Croix : « Total porte atteinte aux tombes de centaines de défunts en Afrique de l’Est », article publié le 10/11/2023 :  https://www.la-croix.com/debat/Total-porte-atteinte-tombes-centaines-defunts-Afrique- lEst-2023-11-10-1201290293. 

[vii]             Jugement rendu en l'état de référé par le Tribunal judiciaire de Paris ( sous référence N° RG 22/53942 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXB4 M N° : 2/MC) 

[viii] Francetv info : https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/climat-totalenergies-vise-par-une-plainte-au-penal-pour-des-projets-petroliers-en-tanzanie-et-ouganda_6096627.html

[ix]   Africanews : https://fr.africanews.com/2023/12/09/ouganda-un-tribunal-rejette-les-reclamations-liees-au-megaprojet-total/

[x]               La quasi-totalité des personnes concernées par le plan de compensation se sont vues proposer une compensation financière, et/ou en nature selon les cas. Seulement 4% ont été contraintes de quitter leur logement principal, au profit d'un nouveau logement de qualité "supérieur" à celui initial. Un programme d'aide alimentaire transitoire est également prévu ainsi que l'accès à des programmes de restauration des moyens de subsistance. 

[xi]   https://totalenergies.com/fr/projets/petrole/tilenga-eacop-agir-toute-transparence/tilenga-eacop-principaux-indicateurs-avancement-projets . Les chiffres avancés sont datés du 31/01/2024.

[xii]  Les OSC demanderesses sont AFIEGO, le National Justice, CEFROHT, CSL. Voir l'article la Cour de justice de l'Afrique de l'Est rend un arrêt qui entrave la poursuite de la justice par la société civile dans l'affaire EACOP", publié le 29/11/2023 par Natural Justice

[xiii] https://www.afiego.org/wp-content/uploads/2024/02/AFIEGOs-February-2024-newsletter.pdf

[xiv]  La page, qui compte aujourd’hui plus de 1.2 K de followers, est administrée par trois personnes, résidant respectivement en Australie, au Kenya et aux USA.

[xvi] Annual report 2022- BothEnd, pages 12 et 27.

[xvii] Annual report, Financial Year 2022 – 350.org. , page 14.

[xviii]          Voir l'annexe jointe au dossier

[xx]  https://cqfd-journal.org/Un-inter-nationalisme-nord-sud , publié le 1/03/2024. Article a retrouvé dans le numéro CQFD n°228 de mars 2024.  Le 29 février 2024, l’auteur est venu présenté son ouvrage sur France Inter, dans l’émission La Terre au Carré. Podcast à écouter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-jeudi-29-fevrier-2024-3051349

[xxi]            Parlement Européen, « Violations des droits de l’homme en Ouganda et en Tanzanie en lien avec les investissements dans des projets fondés sur les énergies fossiles », P9_TA(2022)0321 , Résolution du Parlement européen du 15 septembre 2022 sur les violations des droits de l’homme en Ouganda et en Tanzanie en lien avec les investissements réalisés dans des projets fondés sur les énergies fossiles (2022/2826(RSP)) disponible sur :  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0321_FR.pdf

[xxiii] Communiqué de presse de TotalEnergies « Projets en Ouganda & Tanzanie : TotalEnergies confie à Lionel Zinsou une mission d’évaluation du programme d’acquisition foncières », Paris, le 4/01/2024 ; https://totalenergies.com/system/files/documents/2024-01/FR_Mission_Lionel_Zinsou.pdf

[xxiv]         Sénat - Travaux parlementaires - Commission d'enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'Etat pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France , disponible sur https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/obligations-climatiques-totalenergies.html

[xxv]  Sénat - Compte-rendu des travaux de la commission, audition des 12 et 15/02/2024, disposition sur https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240212/ce_totalenergies.html 

[xxvi]           Parmi les signataires de cette lettre ouverte, figurent : Les Amis de la Terre France et internationale, Survie, Reclaim Finance, BankTrack, 350 Africa/org, YGC, 350.org BothEnds, Extinction Rebellion,, GreenFaith etc…..https://static1.squarespace.com/static/5fc078e1ab79f442f227752e/t/603c67808c227a557e1a134d/1614571397622/EACOP_OpenLetter_toBanks_1March2021.pdf

[xxviii]        Stopeacop - Film "EACOP: a crude reality", disponible sur Youtube et relayé sur le site de Survie, STOPEACOP, 350.org etc.... https://www.stopeacop.net/film 

[xxix]         Youtube, audition de Jean-Marc Jancovici, Professeur des Mines et membre du Haut Conseil pour le Climat, le 12 février 2024, devant la Commission d'enquête du Sénat su les obligations de TotalEnergies, disposinible sur https://www.youtube.com/watch?v=G3-L9UtBP78 

[xxx] Les Amis de la Terre – Communiqué de presse du 4/05/2024 : « Massacre de Palma au Mozambique : une enquête ouverte pour homicide involontaire contre Total » : https://www.amisdelaterre.org/communique-presse/massacre-de-palma-au-mozambique-une-enquete-ouverte-pour-homicide-involontaire-contre-total/

[xxxi] Les Amis de la Terre : Lettre ouverte de 214 ONG aux 28 institutions financières qui soutiennent le projet de TotalEnergies Mozambique LNG – Appel à se retirer du projet. : https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2023/11/lettre-ouverte-mozambique-lng-16112023.pdf