L'élicitation et comment faire un recueil d'information préoccupante

En matière d'économie, tout comme dans la politique ou la défense, le renseignement est la clé du succès. Il aide à prévoir les difficultés, à investir en connaissance de cause, mais aussi à identifier opportunités ou menaces pour s'en saisir ou s'en prémunir. Le recueil d'informations préoccupantes est le socle sur lequel bâtir toute stratégie. Dans le même temps, il permet de mieux s'adapter aux changements, de consolider une réputation de fer de lance dans un domaine, et de garder un œil avisé sur la concurrence. Savoir le recueillir est donc une compétence essentielle dans ce milieu. Et s'il faut parfois creuser un peu pour trouver les informations les plus pertinentes, il existe de nombreuses techniques d'élicitation utilisées par les professionnels du renseignement.

En quoi consiste l'élicitation ?

Derrière ce mot connu principalement des experts en renseignement se trouvent regroupées de nombreuses techniques de recherche d'informations. La base latine du mot, elicere, veut clairement dire extraire, faire sortir.... On nomme donc élicitation l'ensemble des méthodes qui permettent d'interroger, de questionner, et d'inciter une personne ou un groupe de personnes à donner un renseignement que l'on recherche, parfois même sans le savoir. Cette information peut être aussi bien une opinion (souvent politique), un avis (très souvent économique) ou des connaissances sur une situation particulière.

Il s'agit donc d'un concept clé des sciences de la décision, appliqué lorsque des méthodes classiques ne donnent aucun résultat, car le renseignement recherché n'est pas disponible par d'autres moyens. En effet, si de nos jours la majorité du renseignement est collectée de manière presque automatique par des algorithmes qui scrutent les réseaux et en classent les informations pertinentes, de nombreuses connaissances et informations ne sont pas mises en ligne. Elles sont donc invisibles aux moyens mis en œuvre, et restent dissimulées dans l'esprit des personnes qui les ont formées. C'est le cas en économie des avis de nombreux milliardaires ou hommes d'affaires que les investisseurs recherchent. Mais le concept peut tout aussi bien s'appliquer à la politique et à la défense, deux autres milieux au sein desquels le renseignement n'est presque jamais mis en ligne, et pour cause.

Concrètement, l'élicitation permet d'obtenir ces informations spécifiques, indisponibles au moyen d'autres méthodes comme les sources documentaires. On utilise donc pour cela plusieurs méthodes, mises au point par des spécialistes du renseignement et utilisées dans de nombreux domaines, dont le domaine judiciaire. Ces méthodes d'élicitation peuvent consister en des entretiens plus ou moins formels, mais globalement cela dépend des renseignements voulus et des personnes que l'on interroge. Il peut donc tout aussi bien s'agir de simples questionnaires, de discussions de groupe, mais aussi d'ateliers d'experts. Peu importe la méthode utilisée, les questions doivent être soigneusement établies par des spécialistes en recherche de renseignement. Car il va de soi que s'il suffisait de poser la question par écrit, cela rendrait les choses tellement plus simples. En économie tout comme en défense, toutes les informations ainsi obtenues doivent ensuite être triées et vérifiées, pour s'assurer de leur pertinence et de leur fiabilité. Ce n'est qu'ensuite que l'on pourra les utiliser, à des fins plus ou moins importantes selon le degré de fiabilité et de pertinence que l'on aura attribué à tout ce renseignement. La collecte d'informations, qu'elle soit obtenue par élicitation ou par d'autres moyens, est cruciale pour élaborer des stratégies efficaces et bien informées.

La question se pose souvent quant à l'éthique lorsque l'on évoque le sujet de l'élicitation. Tout d'abord, l'élicitation est tout à fait légale, dans la mesure où l'on respecte certains principes. Le consentement éclairé des participants, la confidentialité de certaines informations recueillies, mais aussi en respectant une certaine transparence quant aux méthodes utilisées. De plus, bien entendu, on ne doit pas déroger à une loi ou un règlement, d'autant plus lorsque ceux-ci sont supranationaux, ce qui est bien souvent le cas dans le renseignement économique.

L'élicitation est donc un outil légitime de recherche de renseignement, qui ne doit surtout pas être confondu avec l'espionnage économique. En effet, les participants ont tout à fait le droit de ne pas répondre à une question ou de garder certaines choses pour eux. Et si parfois ils laissent échapper une bribe d'informations pertinentes exploitable, ce n'est en aucun cas parce qu'ils en ont été contraints. L'espionnage économique fait, lui, appel à des méthodes clandestines et frauduleuses, comme le piratage ou le vol de données. Mais cette méthode, en plus d'être déloyale, peut mener à des sanctions lourdes telles que des peines de prison.

Classification des techniques d'élicitation

Concentrons-nous donc sur les techniques les plus utilisées en matière d'élicitation. Elles peuvent être mises en œuvre par des spécialistes du recueil d'informations tant dans le milieu économique que politique, deux domaines bien souvent symbiotiques. La plupart de ces techniques sont étudiées dans les cursus universitaires spécialisés, à partir du niveau master. Comme par exemple en master renseignement  et intelligence économique. Ainsi que dans certaines formations de psychologie à dominante cognitive. 

Entretiens individuels

C'est la méthode de base utilisée pour collecter du renseignement. Il peut s'agir d'entretiens plus ou moins structurés qui mettent en jeu des experts, des cadres, des dirigeants, au sujet de questions complexes. Le but pour l'organisateur de l'entretien est de connaître la position de la personne interrogée, son avis sur un sujet bien précis. Comme lui poser simplement la question risque de mener à des circonvolutions, les questions posées permettent de définir les contours du renseignement souhaité sans pour autant le demander de but en blanc. C'est là toute la difficulté de préparation de tels entretiens. De manière générale, la plupart des renseignements vraiment pertinents sont obtenus de manière indirecte, peu importe la méthode utilisée. Le talent et l'expérience des analystes résident donc dans la compréhension des informations sous-jacentes, et leur faculté à les mettre en rapport.

Questionnaires et enquêtes

Lorsqu'il s'agit de connaître un renseignement plus vague, partagé par un éventail de personnes, il est possible de faire cela sous forme d'un questionnaire ou d'une enquête, distribuée aux participants. Le nombre de questions volontairement élevé, parfois répétitives, permet aux analystes de saisir la pertinence d'un renseignement. De manière moins formelle ou protocolaire, une banque peut tout aussi bien envoyer un questionnaire à ses clients, et déduire des réponses données une tendance à venir, une préférence de produit, une moyenne de satisfaction. Il faut simplement garder en tête que les questions posées ne reflètent pas toujours la réalité du renseignement recherché, et c'est le travail des analystes de compiler les résultats de telles enquêtes pour en tirer une information exploitable par l'entreprise. Comme nous le verrons plus tard, il peut être ensuite plus simple de compiler ces informations de manière visuelle et graphique.

Groupes de discussion

Lorsque le panel de personnes détenant le renseignement est plus réduit, on peut organiser une discussion de groupe. C'est souvent le cas dans les cabinets d'études de marché, qui réunissent toutes les parties prenantes : investisseurs, spécialistes marketing, mais parfois aussi des consommateurs. Le but de telles discussions n'est pas de trouver un accord, mais de comprendre la tendance générale, l'opportunité ou non de développer ou de lancer un produit, l'existence d'un marché. Cette information serait impossible à recueillir autrement, car elle n'est pas détenue par une seule de ces personnes, mais dépend de leurs réactions et de leurs commentaires. L'élicitation se montre donc ici particulièrement pertinente.

Technique Delphi

La méthode Delphi de collecte de renseignements est particulièrement utilisée pour collationner les dires d'experts et parvenir in fine à un consensus au sujet de questions dont la complexité ne permet pas l'utilisation d'une méthode classique. Cette méthode a été développée par l'entreprise RAND Corporation et date des années 50. Elle s'articule autour de questions écrites soumises à des experts d'un domaine, dont les réponses sont analysées et discutées. De nouvelles questions sont ensuite posées, relatives aux réponses précédentes. C'est ce qu'on appelle un processus itératif. L'avantage de cette méthode est la préservation de l'anonymat, très souvent importante dans les milieux économiques de haut niveau. Après analyse des résultats, on obtient généralement une vision précise d'une tendance ou d'une opinion émergente, qui peuvent être rapidement exploitées.

Techniques de psychologie cognitive

Dernière en date des méthodes d'élicitation, l'utilisation de la psychologie cognitive pour obtenir ou déduire un renseignement pertinent est de plus en plus utilisée par les experts. Il s'agit ici de comprendre en profondeur le raisonnement d'une personne ou d'un groupe de personnes, souvent au moyen de questionnaires dédiés ou d'interviews approfondies. Cela permet d'avoir accès à des connaissances tacites, qui ne sont peut-être pas formulées explicitement ou même connues des personnes interviewées. Les insights ainsi obtenus peuvent être ensuite exploités, parfois sous forme de cartes cognitives, qui permettent par exemple de visualiser rapidement les connaissances et croyances d'experts et de spécialistes, pour en juger de la pertinence.

En tout état de cause, ces techniques nécessitent une formation solide pour les maîtriser. Un cursus universitaire ou une formation spécialisée est de ce fait obligatoire pour qui veut mener à bien un projet de collecte de renseignements en utilisant les méthodes d'élicitation. Il faudra ensuite perfectionner son approche avec l'expérience, et bien entendu utiliser les outils adéquats, comme des logiciels de cartographie cognitive ou encore des techniques de verbalisation et d'écoute spécifiques.