Le mystère africain au centre d’une guerre d’information lors de la première vague
La pandémie issue de la covid-19 a généré de nombreuses polémiques sur tous les continents. Les gouvernements doivent faire face à une réticence par méfiance, et même, dans certains cas, une défiance des populations face aux mesures annoncées, encouragées par une multitude d’information ou de désinformation relayée par les réseaux sociaux (infodémie) qui se propagent comme une trainée de poudre sur l’ensemble de la planète.
Très peu de pays en Asie, en Europe, en Amérique, en Océanie et en Afrique dans l’ordre d’apparition du virus sur chacun de ces continents ont pu échapper à des mesures restrictives des droits et libertés sur leur population, afin de tenter de contenir la propagation et de remporter cette guerre contre cet adversaire invisible. L’Afrique, dernier continent touché, a sans conteste, été le lieu des mesures les plus restrictives.
La polémique autour de la première vague
Dès la déclaration par l’OMS du passage de cette épidémie en pandémie, l’Afrique a été au centre de toutes les inquiétudes. La rhétorique habituelle sur la pauvreté en Afrique a déferlé dans la presse : le revenu bas de sa population, son économie essentiellement informelle, son manque d’infrastructure sanitaire, ses capacités limitées d’accueil en structures hospitalières, ses plateaux techniques inadaptés, l’absence de personnel qualifié, le cadre de vie des populations peu assaini, la promiscuité dans les habitations, le non-respect des mesures d’hygiène de base, le bas niveau d’accès à l’eau courante, etc. Autant de facteurs qui, à titre d’exemple, ont conduit le Centre d’Analyse de Prévention et de Stratégie (CAPS), entité sous tutelle du Quai d’Orsay, à présenter le 23 mars 2020, un rapport qui prédisait la catastrophe à venir sur ce continent et a emmené le 1er avril 2020 le Professeur Jean-Paul MIRA et le Dr Camille LOCHT, experts scientifiques français, lors d’un débat sur la chaine d’information continue française LCI, à envisager des tests des vaccins en cours d’élaboration sur la population africaine, considérée hautement exposée.
Face à cette surenchère médiatique occidentale, au plus haut de la première vague en Europe et en Amérique qui a connu son pic en fin mars et son épilogue en juin 2020, les ministres africains de la santé, après la déclaration le 14 février en Égypte, du premier cas sur le continent, ont tenu une réunion d’urgence sous l’égide de l’Union Africaine (UA) au cours de laquelle un groupe de travail pour la riposte a été créé et une stratégie continentale commune a été élaborée. Cette stratégie a immédiatement été mise en œuvre, avec pour points essentiels, le dépistage en masse par test PCR des populations, et une publication régulière de statistiques fiables sur les données épidémiologiques.
Cette collecte de données a permis de ressortir dans les pays dotés de laboratoires à forte capacité d’analyse, des taux de dépistage quotidien compris entre 6,3 au Gabon et 91,9 pour mille à l’île Maurice, tandis que les pays européens et américains les plus touchés par la première vague présentaient des taux de dépistage quotidien compris entre 0,34 au Brésil et 2,76 pour mille au Royaume-Uni.
Le cas du Gabon
S’appuyant sur le cas du Gabon, outre la sensibilisation sur les gestes barrières préconisés par l’OMS et le rappel des règles d’hygiène minimale, il s’est agi pour l’ensemble des États de :
- fermer toutes les frontières aériennes, terrestres, maritimes et ferroviaires ;
- dépister massivement la population par tests PCR, en favorisant des dépistages mobiles dans les entreprises, les administrations publiques, les résidences lorsqu’un membre de la cellule familiale a été testé positif. Les résultats sont rendus sous 24 ou 48 heures ;
- conditionner tout déplacement interurbain sur le territoire national aux résultats négatifs tests PCR ;
- exiger le port du masque, dans les lieux publics ;
- limiter le nombre de passagers dans les véhicules (exemple : 3 pour un véhicule de 5 places incluant le conducteur) ;
- fermer tous les lieux de cultes et de loisirs (bars, boîtes de nuit, restaurant, salle de jeux, salle de sport, etc.) ;
- fermer les établissements scolaires et universitaires ;
- imposer un couvre-feu initialement de 18h à 6h.
Cette forte stratégie de riposte contre la pandémie, mais aussi contre la guerre médiatique qui tendait à présenter une incapacité des dirigeants africains à protéger leurs populations en faisant face à la crise sanitaire, sociale, et économique générée par la COVID-19, a été occultée sur le plan international. Le succès de cette riposte a reposé sur la continuité depuis mars 2020, de ces mesures restrictives des droits et libertés avec de légers aménagements récents, tels que la réduction de la période du couvre-feu, de la réouverture partielle des frontières avec l’obligation de test à l’arrivée dans les pays, et la mise en quarantaine en attendant les résultats. Cet assouplissement de mesures, récemment consenti, l’a été au regard des statistiques sur l’importante diminution de la courbe épidémique pendant que le nombre quotidien de tests PCR ne cesse d’augmenter.
L’Afrique comme tous les autres continents a bien été affectée par cette crise sanitaire en début d’année, et ce n’est ni le climat généralement chaud ou tropical, ni la forte représentativité de la jeunesse au sein de sa population qui ont permis d’atteindre ce résultat. Par contre, son expérience, héritée des stratégies mises en place dans le cadre d’épidémies essentiellement tropicales, telles que le paludisme, l’Ébola, le Chikungunya, ont contribué à la rapidité de la mise en œuvre de la riposte.
Toute proportion gardée, une analyse comparative de la situation épidémiologique du Gabon et du Brésil, deux pays au climat identique, à la proportion équivalente de jeunes, démontre à suffisance que la stratégie africaine a été couronnée de succès.
Qu'en est-il de la seconde vague ?
Un an après la déclaration du premier cas à Wuhan, des mesures plus restrictives s’apparentant à celles prises en mars 2020 en Afrique sont en cours en Europe et en Amérique, les deux continents essentiellement touchés par cette seconde vague depuis le début de l’automne. Il est à craindre que cette vague s’étire sur la saison hivernale qui s’approche avec son épidémie habituelle de grippe saisonnière.
La courbe épidémique s’accélère sur ces deux continents, le virus se propage plus vite, tandis qu’il tend à être maitrisé dans plusieurs États africains du fait de la continuité des mesures prises lors de la première vague ; seuls l’Afrique du Sud et le Maroc connaissent sur le continent, une très légère augmentation du nombre de cas.
Si une seconde vague devrait intervenir, elle n’a certainement pas encore été entamée, car les données épidémiologiques sont à la baisse, et dans quelques rares cas, elles stagnent prédisant l’amorce de la fin de la première vague, ou au mieux l’éradication de la propagation communautaire.
Sèdji Armel MENSAH