Le multiplicateur keynésien comme arme dans la guerre économique entre grandes puissances

Dans l'arène de la géoéconomie mondiale, les grandes puissances ont recours à des outils macroéconomiques sophistiqués pour asseoir leur domination et influencer l'équilibre des forces à l'échelle internationale. Parmi ces instruments, le multiplicateur keynésien s'est imposé comme une arme redoutable, capable de stimuler la croissance nationale tout en exerçant une pression considérable sur les économies rivales.

Ce concept, développé par l'économiste britannique John Maynard Keynes, décrit l'effet amplificateur par lequel une injection de dépenses publiques génère une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. Dans le contexte actuel de compétition économique exacerbée, les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine ou l'Union européenne ont saisi le potentiel stratégique de cet outil pour façonner les rapports de force économiques mondiaux. (L’effet multiplicateur keynésien expliqué - Major Prépa, s. d.; « Multiplicateur keynésien », 2024)

Cette analyse se propose d'explorer les enjeux et les conséquences de ce nouveau front dans la guerre économique entre grandes puissances, où le multiplicateur keynésien joue un rôle central dans la redéfinition des rapports de force à l'échelle globale. Le multiplicateur keynésien s'est mué en une arme économique redoutable, permettant aux grandes puissances de mener une guerre économique souterraine mais dévastatrice. (Retour sur le Multiplicateur Keynésien | Institut Des Libertés, 2024)

Contexte et émergence du multiplicateur keynésien comme outil géoéconomique

La guerre économique entre les grandes puissances a pris une dimension inédite à l'ère de la mondialisation. Avec l'interconnexion croissante des économies et la complexification des relations internationales, les États ont dû adapter leurs stratégies pour maintenir ou accroître leur influence sur la scène mondiale. (Harbulot, 2024)

 L'évolution de la guerre économique à l'ère de la mondialisation

Dans ce contexte, la maîtrise des outils macroéconomiques est devenue un enjeu crucial. Les politiques monétaires, fiscales et budgétaires sont désormais considérées comme de véritables armes dans l'arsenal des États, capables d'influencer non seulement leur propre économie mais aussi celles de leurs partenaires et rivaux. (La politique monétaire en période de conflits, s. d.)

Le concept du multiplicateur keynésien et son importance stratégique

Le multiplicateur keynésien décrit l'effet par lequel une injection de dépenses dans l'économie génère une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. Lorsque l'État augmente ses dépenses, cela stimule la demande, entraînant une hausse de la production, de l'emploi et des revenus, créant ainsi un cercle vertueux de croissance économique.

L'importance stratégique de ce concept réside dans sa capacité à amplifier l'impact des politiques économiques. En utilisant le multiplicateur keynésien, les États peuvent théoriquement obtenir des résultats économiques significatifs avec des investissements relativement limités, ce qui en fait un outil particulièrement attractif dans un contexte de ressources contraintes et de compétition internationale accrue. (« Multiplicateur keynésien », 2024)

L'émergence du multiplicateur keynésien comme outil géoéconomique

Au cours des dernières décennies, et particulièrement depuis la crise financière de 2008, le multiplicateur keynésien a gagné en importance dans les stratégies économiques des grandes puissances. La Chine, les États-Unis et l'Union européenne ont tous mis en œuvre des politiques de relance massives basées sur ce principe, cherchant non seulement à stimuler leur propre économie mais aussi à influencer l'équilibre économique mondial. Même si l’objectif premier de cette politique est de fonctionner à vase clos, au sein du pays, cette politique profite à des pays étrangers par les achats des consommateurs lors des différentes importations de biens et de services.

Cette utilisation stratégique du multiplicateur keynésien marque un tournant dans la guerre économique entre grandes puissances. Elle témoigne d'une volonté d'utiliser des outils macroéconomiques sophistiqués pour gagner un avantage compétitif et redéfinir les rapports de force à l'échelle globale. (Tous, 2020)

 

Les acteurs impliqués et leurs stratégies

Les États-Unis ont été à l'avant-garde de l'utilisation du multiplicateur keynésien comme outil géoéconomique. Depuis la crise de 2008, et plus récemment avec la pandémie de COVID-19, le gouvernement américain a mis en place des plans de relance massifs de près de 1900 milliards de dollars en 2021 visant à stimuler l'économie nationale et à maintenir la position dominante du pays sur la scène internationale. 

Les États-Unis : le leadership par la relance

La stratégie américaine repose sur plusieurs piliers :

- Des injections massives de liquidités dans l'économie à travers des programmes de dépenses publiques et de soutien aux entreprises et aux ménages.

- Une politique monétaire accommodante menée par la Réserve fédérale pour soutenir ces efforts budgétaires.

- Un accent mis sur des secteurs stratégiques comme les technologies de pointe, les infrastructures et la transition énergétique.

L'objectif est non seulement de stimuler la croissance intérieure mais aussi de renforcer la compétitivité des entreprises américaines sur les marchés mondiaux et de maintenir l'attractivité du dollar comme monnaie de réserve internationale.

(Etats-Unis : le plan de relance de 1 900 milliards de dollars voulu par Joe Biden adopté par le Congrès, s. d.)

La Chine : le multiplicateur keynésien au service de l'émergence

La Chine a également fait un usage intensif du multiplicateur keynésien dans sa stratégie de développement économique et d'affirmation de sa puissance sur la scène internationale. Le gouvernement chinois a mis en place des plans d'investissement massifs, notamment dans les infrastructures et les nouvelles technologies, visant à stimuler la croissance et à moderniser l'économie du pays. (En Chine, le choc du plan « Bazooka » pour maintenir l’économie de guerre, 2024)

La stratégie chinoise se caractérise par :

- Des investissements publics colossaux dans des projets d'infrastructure nationaux et internationaux (comme l'initiative "Belt and Road" : les nouvelles routes de la Soie). (« Belt and Road Initiative », 2024)

- Un soutien actif aux entreprises d'État et aux champions nationaux dans des secteurs stratégiques.

- Une politique de stimulation de la demande intérieure pour réduire la dépendance aux exportations. 

L'objectif de la Chine est de consolider sa position de deuxième puissance économique mondiale et de challenger la domination américaine dans certains secteurs clés.

(La Chine déverse des milliards pour relancer son économie, s. d.)

L'Union européenne : entre coordination et divergences

L'Union européenne présente un cas particulier dans l'utilisation du multiplicateur keynésien comme outil géoéconomique. La structure même de l'UE, avec sa monnaie unique mais des politiques budgétaires nationales, complique la mise en œuvre de stratégies coordonnées. (Le cadre de l’Union européenne pour les politiques budgétaires | Fiches thématiques sur l’Union européenne | Parlement européen, 2024)

Néanmoins, face aux crises récentes, l'UE a développé une approche plus unifiée :

- Le plan de relance "Next Generation EU" de 806,9 milliards d'euros en 2020 en réponse à la crise du COVID-19 marque une étape importante dans l'utilisation coordonnée du multiplicateur keynésien à l'échelle européenne. (Plan de relance pour l’Europe - Commission européenne, s. d.)

- La Banque centrale européenne (BCE) a adopté une politique monétaire accommodante pour soutenir les efforts budgétaires des États membres.

- Un accent particulier est mis sur la transition écologique et numérique comme moteurs de la relance.

L'objectif de l'UE est de maintenir sa compétitivité face aux États-Unis et à la Chine tout en promouvant un modèle de développement durable et inclusif.

Dans cette bataille géoéconomique acharnée, les États-Unis, la Chine et l'Union européenne déploient des stratégies offensives basées sur l'effet multiplicateur, cherchant à subvertir l'équilibre économique mondial à leur avantage.

 

Nature du rapport de force et analyse des stratégies

L'utilisation subversive du multiplicateur keynésien par les grandes puissances redéfinit les rapports de force économiques, créant un nouveau paradigme de domination basé sur la maîtrise des outils macroéconomiques.

Un jeu à somme non nulle

L'utilisation du multiplicateur keynésien dans la guerre économique entre grandes puissances ne se résume pas à un jeu à somme nulle. Les effets de ces politiques de relance peuvent avoir des retombées positives sur l'économie mondiale dans son ensemble, stimulant la demande globale et favorisant les échanges internationaux. (Retour sur le Multiplicateur Keynésien | Institut Des Libertés, 2024)

Cependant, l'efficacité relative des stratégies mises en œuvre par chaque puissance peut conduire à des gains ou des pertes de parts de marché, d'influence géopolitique et de prestige sur la scène internationale. 

Asymétries et effets de débordement

L'efficacité du multiplicateur keynésien varie considérablement selon les caractéristiques structurelles des économies nationales. Des facteurs tels que le degré d'ouverture de l'économie, la propension marginale à consommer ou encore la confiance des agents économiques influencent l'ampleur de l'effet multiplicateur. (Keynésianisme, effet multiplicateur, 2017)

Ces asymétries créent des externalités : des effets de débordement (spillovers) qui peuvent être bénéfiques ou néfastes pour les autres économies. Par exemple, une relance massive de l'économie américaine peut stimuler la demande pour les exportations chinoises ou européennes, mais elle peut aussi entraîner des pressions inflationnistes ou des déséquilibres sur les marchés financiers internationaux. (Roth & Besanger, 2019)

Course à l'innovation et domination technologique

L'utilisation stratégique du multiplicateur keynésien s'inscrit également dans une course à l'innovation et à la domination technologique. Les grandes puissances orientent une part importante de leurs dépenses de relance vers des secteurs d'avenir comme l'intelligence artificielle, les technologies quantiques ou les énergies renouvelables.

Cette dimension de la guerre économique vise à établir ou maintenir une supériorité technologique qui se traduira par des avantages économiques et géopolitiques à long terme. Cette course à l'armement économique, où le multiplicateur joue le rôle de missile balistique financier, risque de fragmenter l'économie mondiale en blocs antagonistes.

Impacts sur l'équilibre économique mondial et les sociétés

Les effets de débordement des politiques de relance massives agissent comme des ondes de choc, reconfigurant les chaînes de valeur mondiales et exacerbant les tensions géopolitiques.

Redéfinition des chaînes de valeur mondiales

L'utilisation massive du multiplicateur keynésien par les grandes puissances contribue à redessiner les chaînes de valeur mondiales. Les politiques de relance ciblées sur certains secteurs stratégiques encouragent la relocalisation de certaines activités et la constitution de champions nationaux ou régionaux. (Roth & Besanger, 2019)

Cette évolution est en train de conduire à une fragmentation accrue de l'économie mondiale, avec la formation de blocs économiques plus ou moins intégrés autour des grandes puissances.

Tensions sur les marchés financiers et les taux de change

Les politiques de relance massives basées sur le multiplicateur keynésien ont des répercussions importantes sur les marchés financiers internationaux et les taux de change. L'injection massive de liquidités peut entraîner des bulles spéculatives sur certains actifs et des mouvements erratiques des taux de change.

Ces tensions financières peuvent être source d'instabilité et de conflits entre les grandes puissances, notamment autour de la question des "guerres des monnaies". La maîtrise du multiplicateur keynésien est devenue un enjeu crucial dans la quête d'hégémonie économique, transformant les politiques budgétaires en véritables manœuvres offensives sur l'échiquier mondial. (Tous, 2020)

 Impacts sociaux et culturels

L'utilisation du multiplicateur keynésien comme arme géoéconomique a également des impacts profonds sur les sociétés des pays concernés :

- Transformation du marché du travail avec l'émergence de nouveaux secteurs et la disparition d'autres.

- Évolution des modes de consommation et des valeurs sociétales, notamment autour des questions environnementales.

- Modification de la perception du rôle de l'État dans l'économie et la société.

L'impact des variations de prix et de rémunérations tend généralement à atténuer l'effet multiplicateur. Cette modération devient rapidement significative lorsque l'économie fonctionne au-delà de sa capacité optimale et approche le plein emploi. Dans ce contexte, les mesures de stimulation budgétaire provoquent principalement une inflation des prix et des salaires, avec un impact limité sur les indicateurs économiques réels. Par conséquent, le multiplicateur s'avère très faible.

En revanche, dans un contexte de chômage élevé et de sous-utilisation des capacités de production, l'effet multiplicateur à court terme se révèle plus conséquent.

Néanmoins, même en situation de sous-performance économique, le multiplicateur s'affaiblit progressivement au fil du temps. Cela s'explique par le fait que les prix et les salaires atteignent des niveaux supérieurs à ceux qui auraient prévalu sans l'augmentation du déficit public. Bien que ces effets multiplicateurs soient calculés en supposant la pérennité des mesures d'accroissement du déficit public, ils tendent graduellement vers une valeur proche de zéro, sur un horizon temporel certes étendu. (L’effet multiplicateur d’une variation du déficit public, s. d.)

 

Évaluation des résultats et perspectives

L'évaluation des résultats de l'utilisation du multiplicateur keynésien comme arme géoéconomique est complexe, notamment à court terme.

Difficultés d'évaluation à court terme

Les effets de ces politiques peuvent mettre du temps à se matérialiser pleinement et sont souvent difficiles à isoler d'autres facteurs économiques et géopolitiques.

De plus, les critères d'évaluation peuvent varier selon les objectifs spécifiques de chaque puissance : croissance du PIB, création d'emplois, avancées technologiques, influence géopolitique, etc.

Tendances émergentes

Malgré ces difficultés d'évaluation, certaines tendances émergent :

- Les États-Unis semblent avoir réussi à maintenir leur leadership économique global, mais font face à des défis croissants, notamment de la part de la Chine.

- La Chine a considérablement renforcé sa position économique et technologique, mais doit gérer les risques liés à son modèle de croissance.

- L'Union européenne a montré une capacité accrue à coordonner ses efforts économiques, mais reste en retard dans certains secteurs technologiques clés. (Plan de relance pour l’Europe - Commission européenne, s. d.)

Risques et limites de l'approche

Cette instrumentalisation agressive des théories keynésiennes soulève des questions éthiques sur la nature même de la coopération économique internationale. L'utilisation intensive du multiplicateur keynésien comme outil géoéconomique comporte des risques et des limites :

- Risque de surendettement public et de déséquilibres macroéconomiques à long terme.

- Possibilité d'effets inflationnistes non maîtrisés.

- Risque de "guerre économique" ouverte entre les grandes puissances, pouvant mener à des mesures protectionnistes et à une fragmentation de l'économie mondiale.

Perspectives d'évolution

À l'avenir, l'utilisation du multiplicateur keynésien comme arme géoéconomique pourrait évoluer vers :

- Une plus grande coordination internationale pour maximiser les effets positifs et minimiser les risques.

- Une intégration plus poussée des objectifs de développement durable dans les stratégies de relance.

- Une attention accrue aux impacts sociaux et culturels de ces politiques pour assurer leur acceptabilité à long terme.

 

La sophistication croissante des stratégies géoéconomiques

L'utilisation du multiplicateur keynésien comme arme dans la guerre économique entre grandes puissances marque une nouvelle étape dans l'évolution des relations économiques internationales. Cette approche témoigne de la sophistication croissante des stratégies géoéconomiques et de l'interconnexion profonde entre les sphères économique, technologique et géopolitique.

Si cette utilisation stratégique du multiplicateur keynésien offre des opportunités pour stimuler la croissance et l'innovation à l'échelle mondiale, elle comporte également des risques significatifs. La stabilité du système économique international et la prospérité partagée dépendront de la capacité des grandes puissances à trouver un équilibre entre compétition et coopération.

Dans ce contexte, il est crucial de développer de nouveaux cadres de gouvernance économique mondiale permettant de gérer les tensions inhérentes à cette forme de guerre économique tout en promouvant un développement durable et inclusif. L'avenir de l'ordre économique mondial se jouera dans la capacité des acteurs à naviguer entre les impératifs de la compétition géoéconomique et la nécessité d'une coopération face aux défis globaux comme le changement climatique ou les inégalités croissantes.

L'utilisation du multiplicateur keynésien comme arme géoéconomique n'est donc pas seulement un enjeu économique, mais aussi un défi politique et éthique majeur pour le 21e siècle. Elle appelle à une réflexion approfondie sur les modèles de développement, les valeurs sociétales et la nature même de la prospérité dans un monde interconnecté. 

 

Etienne Monnot (SIE28 de l’EGE)

Sitographie

Belt and Road Initiative. (2024). 

En Chine, le choc du plan « Bazooka » pour maintenir l’économie de guerre. France Culture. 

Etats-Unis : Le plan de relance de 1 900 milliards de dollars voulu par Joe Biden adopté par le Congrès

Harbulot, C. (2024). La guerre économique au XXIe siècle. VA.

Keynésianisme, effet multiplicateur : Sur quoi s’appuie le programme économique de Mélenchon ? (2017, février 21).

La Chine déverse des milliards pour relancer son économie. 

La politique monétaire en période de conflits. Banque de France. 

Le cadre de l’Union européenne pour les politiques budgétaires | Fiches thématiques sur l’Union européenne | Parlement européen. (2024, mai 31). 

L’effet multiplicateur d’une variation du déficit public.

L’effet multiplicateur keynésien expliqué—Major Prépa.

Multiplicateur keynésien. (2024). 

Plan de relance pour l’Europe—Commission européenne.

Retour sur le Multiplicateur Keynésien | Institut Des Libertés. (2024, juin 24). 

Roth, F., & Besanger, S. (2019, décembre 3). Keynes, le grand diviseur franco-allemand. The Conversation.

Tous, L. F. P. (2020, juillet 16). Multiplicateur budgétaire. La finance pour tous.