Le 10 septembre 2021, Brendan Schulman annonçait sa démission de DJI/États-Unis. Ce vice-président des affaires juridiques du leader mondial de drones chinois Dai Jing Innovations (DJI), faisait alors état de sa déception « face à la politisation de l’industrie [des drones] au cours des dernières années », indiquant que cela avait joué « un rôle important dans sa décision de partir ». (1)
Cette démission s’inscrit dans le cadre général de la guerre commerciale officiellement déclarée par l’administration américaine de Trump contre la Chine. Mais constitue-t-elle véritablement un signal faible ouvrant la porte à une réémergence de fabricants civils de drones d’intérêt militaire et de sécurité, écrasés ces dernières années par des mastodontes tels que le chinois DJI ? L’exemple de PARROT, leader français du drone volant, montre, en ce sens, l’exemple peu commun d’une reconquête de marchés publics au travers d’attaques informationnelles construites, s’appuyant sur ce nouvel échiquier de la guerre commerciale lancée outre-Atlantique.
La croissance du marché des drones volants d'intérêt militaire
Le besoin des armées modernes en drones volants de toutes tailles et capacités, continue en effet d’être un enjeu de maîtrise du champ de bataille. De fait, la démocratisation de nombreuses fonctionnalités techniques de ce segment a progressivement fait émerger depuis les années 2010 de nombreux fabricants de drones civils low-cost dont les armées avaient besoin. Ce besoin a donc dépassé le segment habituellement couvert par les fabricants de drones étatiques, souvent de plus grande taille, tels que SAFRAN ou THALES en France, lesquels livrent actuellement à l’armée française le drone tactique « Patroller » et le minidrone « Spy Ranger » (2).
Au cœur de cette évolution de la dernière décennie, citons le fait que des drones de plus en plus petits et ayant atteints pour certains quelques centaines d’euros à l’achat, ont progressivement embarqués des capacités tactiques et de renseignement de premier intérêt, largement exploités par les belligérants de tous bords, étatiques ou non (3). Qu’il s’agisse de reconstituer en trois dimensions une future zone d’opérations (via des techniques telles que la photogrammétrie), d’éclairer la progression d’un convoi en pilotage automatique, ou encore de détecter la nuit l’intrusion de combattants dans un périmètre défensif, ces applications à haute valeur ajoutée pour les armées modernes sont désormais devenues monnaie courante grâce à des drones de petite taille.
Aussi, de nombreuses PME se sont développées, notamment en France, en vue de proposer aux armées la livraison de drones « durcis » (modifications de la gamme commerciale pour un emploi tactique), mais aussi de programmes de maintenance et de formations adaptées aux pilotes de drones militaires. Dans le domaine, citons par exemple la société MILTON-INNOVATION, composée d’anciens membres des forces spéciales françaises, ou encore l’entreprise lettone UAV FACTORY, laquelle commercialise des drones civils de haute précision, alliant petite taille et grande capacité (portée de 100 km pour 20h de vol), de quoi rivaliser avec les constructeurs occidentaux plus étatiques.
Les attaques informationnelles fructueuses du fabricant Français PARROT
Parmi cette constellation de PME et start-up, le fabricant français PARROT a mené une guerre de l’information face à son principal concurrent, le chinois DJI, afin de redynamiser ses ventes. En effet, alors que PARROT apparaissait menacé en 2016 à la suite d’importantes pertes (4), son PDG, Henri Seydoux, a saisi l’opportunité de la guerre commerciale sino-américaine pour enfoncer son concurrent chinois DJI au travers de multiples déclarations relayées.
En 2018, après l’interdiction d’utilisation de drones chinois au sein de l’administration américaine, PARROT est parvenu à être financé par l’unité d’innovation de la Défense américaine, se targuant alors d’être la seule entreprise non-américaine sélectionnée (5).
En 2021, surfant sur la mise au ban sur l’ « Entity List » de DJI par l’administration américaine en décembre 2020, Henri SEYDOUX a multiplié les attaques publiques, déclarant sur le plateau de BFM TV que les drones PARROT « garantissaient la souveraineté des données » (6), et qu’il était convaincu que les drones DJI « collectent des données à l’insu de leurs utilisateurs » (7). Henri Seydoux de renchérir par ailleurs : "nous prévenons les pouvoirs publics que choisir un drone chinois, c’est prendre un risque" (8), et que les drones de PARROT, eux, ont des capacités de chiffrement "conformes au RGPD" et que les données sont "stockées sur des serveurs sécurisés en Europe".
Enfin, s’adressant davantage au gouvernement français en hurlant au loup, Henri Seydoux départ d’une concurrence déloyale en ayant reçu du gouvernement chinois des financements « probablement supérieurs à 1 milliard de dollars, de manière complètement obscure ». Il concluait alors de manière provocatrice : « La France a quinze ans de retard dans le domaine. Notre armée a du mal à s’intéresser aux start-up. Elle est plutôt à la recherche de perfectionnement, pas d’innovation de rupture. La France n’est pas un pays d’innovation. » (5)
En définitive, PARROT a réussi à remporter un premier marché auprès de l’armée américaine avec son drone ANAFI-USA (fabriqué dans le Massachusetts), puis un second en France avec la Délégation Générale de l’Armement sur 300 exemplaires du même modèle, à 7.000 euros pièce hors-taxe, prix grand public (9).
Le constructeur chinois cherche à désamorcer le débat
DJI ne semble pour l’heure pas afficher de réponse informationnelle aux attaques du PDG de PARROT. En mars 2021, DJI tentait de riposter en fournissant une étude menée au sein de la police néo-zélandaise, à titre de transparence (10). Ce rapport de 120 pages, transmis au média néo-zélandais RNZ, visait à justifier de la non-compromission de la sécurité des réseaux de la police locale, arguant d’un emploi des drones DJI en mode autonome. Dans les prochains mois, il paraît en revanche plus probable que DJI ne s’investisse pas dans le champ informationnel mais poursuive sa stratégie de guerre commerciale par contournement avec des prix toujours plus cassés, tout est restant à la pointe de l’innovation, soutenu par une politique chinoise d’expansion auprès de pays tiers. Enfin, ces victoires sur les marchés publics du français PARROT par la guerre informationnelle interrogent cependant sur les tendances lourdes qui caractériseront le segment du drone à l’avenir.
Ce choix stratégique de PARROT constitue de facto un alignement pro-américain dans la guerre commerciale sino-américaine de plus en plus polarisée, mais également une nouvelle aliénation technique aux États-Unis, lesquels auront désormais autorité sur les possibilités d’exportation des drones fabriqués aux États-Unis ou avec des composants américains, selon la réglementation ITAR sur les armes, laquelle restreint particulièrement depuis de nombreuses années les décisions opérationnelles de l’armée française dans le choix et l’usage de ses matériels (11). Dès lors, les allégations du PDG de PARROT peuvent laisser dubitatives après ses succès outre-Atlantique : de quelle souveraineté parle-t-il aujourd’hui ?
Joachim Payro,
Etudiant de la 25ème promotion SIE
Notes
- https://www.helicomicro.com/2021/09/11/dji-aux-usa-depart-de-brendan-shulman-le-specialiste-des-affaires-legales/
- https://www.usinenouvelle.com/editorial/comment-la-france-entend-combler-son-retard-dans-les-drones-militaires.N1037234
- Citons notamment l’emploi par les islamistes de Daesh de drones commerciaux équipés artisanalement d’explosifs, ou encore de l’emploi massif de drones low-cost pour surveiller la ligne de front dans les dernières guerres en Ukraine et en Arménie.
- Incapable de dégager des marges sur le marché, PARROT accusait sur les trois premiers trimestres de l’année une perte de 100 millions d’euros et devait se séparer de 30% des effectifs de sa branche drone.
- https://www.usinenouvelle.com/editorial/nous-lancerons-un-drone-robot-en-2021-annonce-henri-seydoux-parrot.N1037219
- https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/henri-seydoux-parrot-nos-drones-protegent-la-souverainete-de-nos-donnees_AV-202107070112.html
- https://www.cnetfrance.fr/news/parrot-anafi-le-fabricant-francais-s-attaque-de-front-a-son-principal-concurrent-dji-39906079.htm
- https://www.lesnumeriques.com/loisirs/parrot-attaque-dji-pour-esperer-revenir-dans-la-course-aux-drones-n151973.html
- http://www.opex360.com/2021/02/18/la-defense-belge-evalue-des-mini-drones-du-constructeur-chinois-dji/
- https://www.rnz.co.nz/news/national/437533/police-using-drones-that-are-at-centre-of-international-controversy
- https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/souverainete-sur-le-plan-militaire-la-france-reste-tributaire-des-etats-unis-837009.html