Le fonds d’investissement du Canal de Suez est-il une menace pour la souveraineté de l’Egypte ?
Les 19 décembre 2022, le parlement a adopté un projet de loi visant à créer un fonds d’investissement pour le canal de Suez. Gérée directement par l’Autorité du canal de Suez, la structure devrait permettre, d’augmenter la capacité de l’autorité à contribuer au « développement économique durable » du canal. Dans le détail, la loi prévoit le transfert de certains actifs – entreprises, stations, ports, arsenaux et territoires situés en bordure du canal – au fonds. Ils pourront dès lors être vendus ou loués». Le fonds vise à aider l'Autorité du canal de Suez à faire face aux crises et aux situations d'urgence qui surviennent à la suite de circonstances exceptionnelles, de force majeure ou de mauvaises conditions économiques
Canal de Suez : Poumon économique de l'Egypte
Le canal de Suez constitue, depuis son inauguration en 1869, une des voies navigables les plus stratégiques de la planète, Elle figure parmi les « huit portes » du commerce maritime mondial, car elles sont relativement incontournables. Près de 10% du commerce maritime mondiale y transitent. Le canal est l'une des sources les plus importantes de devises étrangères pour l'Égypte, avec les envois de fonds de la diaspora égyptienne et les revenus du tourisme. Ces revenus se sont élevés à 7.9 Milliards en 2022, contre 6.8 Milliards de dollars l’année précédente. Des travaux d’élargissement qui ont été effectué dans un temps record en 2015 ont permis d’augmenter la capacité du trafic ce qui permettra aussi d’atteindre les 8.7 milliards de dollars de revenus en 2023.
Lancement du Projet du fonds d'investissement du canal de SUEZ dans un contexte de crise économique
Ce projet de loi intervient dans un contexte économique très compliqué, Le pays n'a plus que 34 milliards de dollars de réserve contre 41 en février 2022-- dont 28 sous forme de dépôts des alliés du Golfe. L'Égypte a obtenu un nouveau prêt du FMI en décembre 2022, mais les trois milliards de dollars qui lui ont déjà été versés sur près de quatre ans pèsent peu: le seul service de la dette pour 2022-2023 s'élève à 42 milliards et sa dette extérieure a plus que triplé en 10 ans à 150 milliards d'euros.. Premier importateur de blé du globe, dont les deux grands producteurs du monde sont la Russie et l’Ukraine, l’Égypte subit de plein fouet les effets de la guerre en Ukraine et son impact sur la hausse des prix. Ajouté à cela un un contexte inflationniste avec des ruptures d’approvisionnements des aliments de bases. Selon l'agence Moody's, l'Égypte est l'un des cinq pays du monde le plus exposé au risque de défaut de paiement de sa dette extérieure.
Attaque informationnelle sur les risques de prédation économique et perte de souveraineté
De son côté l'opposition, une partie de l’élite politique et intellectuelle ne voient pas le projet du même œil que le gouvernement. Dès que les discussions ont commencé au parlement sur le projet de loi, les réseaux sociaux en Égypte ont relayés la dénonciation de la loi, et des craintes ont été exprimées quant au sort du canal. Plusieurs hashtags parmi lesquels #Le peuple a faim et le canal est à vendre et #Suez_Canal ont essaimé sur Twitter les réseaux sociaux, après que le Parlement a approuvé le Projet de loi. L'ancien président du canal de Suez, Mohab Mamish, a déclaré que la nouvelle loi serait "impossible à mettre en œuvre et ouvre la porte à des changements sans précédent qui permettent la présence d'étrangers dans la gestion du canal de Suez". Les investisseurs étrangers pourraient "changer le système sur lequel repose la gestion du canal depuis des années et qui a rapporté des bénéfices records", a déclaré Mamish dans des propos publiés par les médias locaux.
Le 26 décembre, la Coalition des partis civils , qui comprend huit mouvements d’opposition, a lancé une campagne pour défendre le canal de Suez, accusant le gouvernement d’essayer de le vendre à des investisseurs étrangers. Pour sa part, le parti historique de la droite égyptienne, Al-Wafd, considéré comme proche du gouvernement et apportant habituellement son soutien aux décisions du président, a exprimé le 21 décembre, dans un communiqué, son opposition ferme au projet.
La contre-attaque informationnelle immédiate du gouvernement
Le général Osama Rabie, chef de l'Autorité du canal de Suez, a déclaré que l'objectif de la loi est de créer un fonds pour accroître la capacité de l'autorité en matière de développement durable, faire face aux crises d'urgence et mener certaines activités économiques pour le canal et de rajouter, le fonds accueille favorablement les investissements étrangers, mais les étrangers n'auraient aucun contrôle sur la voie navigable ou sur un projet de fonds qui aiderait à gérer ses ressources.
Pour sa part Hanafi Gebali, président du parlement, a déclaré que le projet de loi approuvé ne comprend aucune disposition affectant le canal de Suez a déclaré que le projet de loi approuvé ne comprend aucune disposition affectant le canal de Suez, car il s’agit d’un fonds public de l’État et ne peut être cédé ou vendu, soulignant que l’État est tenu, en vertu de l’article 43 de la Constitution, de le protéger et de le développer, et de le préserver en tant que voie navigable internationale lui appartenant, et s’engage à développer le secteur du canal, en tant que centre économique distingué.
Le Conseil des ministres a publié, par l'intermédiaire de son centre des médias, une déclaration officielle niant les allégations selon lesquelles le gouvernement aurait l'intention de créer le Fonds de l'Autorité du canal de Suez comme porte dérobée pour vendre le canal. Il a confirmé avoir "contacté l'Autorité du canal de Suez, qui a démenti ces informations, soulignant qu'il n'y a aucune vérité dans l'intention du gouvernement de créer le fonds de l'Autorité du canal de Suez comme porte dérobée pour vendre le canal", soulignant que le canal de Suez et sa direction " restera entièrement détenue par l'État égyptien et soumise à sa souveraineté, tout comme l'ensemble du personnel de l'Autorité du canal de Suez".
Faire Face à une compétition mondiale de plus en plus rude
S’il reste une voie maritime très prisée, qui évite à nombre de bateaux de faire le tour de l’Afrique via le cap de Bonne espérance, le canal de Suez n’est pas la seule option pour les armateurs, qui font leurs arbitrages en fonction des tarifs – fluctuants – fixés par l’autorité égyptienne. Pour les navires qui viennent de la zone Pacifique ou y vont depuis l’Europe, le canal de Panama est un vrai concurrent ; et avec la fonte de la banquise arctique, le passage du nord-est, par la Sibérie, va s’avérer une voie de plus en plus intéressante entre l’Asie et l’Europe.
Renforcement des partenariats avec les Emirats Arabes Unis et de l'Arabie Saoudite en 2022
En avril dernier, l'Égypte a vendu des actions de 5 sociétés publiques détenues par le gouvernement égyptien au fonds souverain des Émirats arabes unis pour 1,8 milliard de dollars. Début juillet, le groupe émirati des Ports d’Abu Dhabi a acquis 70 % du holding égyptien International Associated Cargo Carrier (IACC), qui détient les sociétés de transport maritime Transmar et Transcargo. Trois mois plus tôt, le même groupe avait signé un accord avec Le Caire pour participer à la gestion du port Ein el-Sokhna. En août dernier, le Fonds d'investissement saoudien a acquis des actions détenues par le gouvernement égyptien dans 4 sociétés cotées en bourse, à un prix valeur de 1,3 milliard de dollars.
Report de l'adoption de la loi et intervention du président El Sissi pour rassurer l'opinion
Face à la forte mobilisation de l’opinion publique sur les médias et réseaux sociaux, l’adoption de la loi sur le fonds d’investissement a finalement été reporté. Le 26 décembre 2022, lors de l’inauguration des usines de gaz médicaux et industriels et de la centrale de production d'électricité tertiaire à Abu Rawash - Gizeh dans le sud du pays, le président El Sissi a intervenu en déclarant que les revenus du canal s'élevaient à 220 milliards de dollars depuis 1975 jusqu'à aujourd'hui. , indiquant que si 10% de ces revenus étaient déduits et mis dans un fonds, il serait possible de l'utiliser pour financer les projets de l'Autorité du canal de Suez et le développement du canal, comme cela s'est produit dans d'autres ministères. Le 6 janvier 2023, le Président El Sissi s’est de nouveau exprimé lors de son discours à la messe de noël copte en rassurant sur la situation économique du pays et aussi en mettant en garde les Égyptiens contre l'influence de ce qu'il a décrit comme des ouï-dire et des rumeurs, soulignant les spéculations selon lesquelles son gouvernement prévoyait de privatiser partiellement le canal de Suez ainsi que d'autres actifs vitaux de l'État pour atténuer la crise.
Souveraineté, Compétitivité et Stabilité sociale, une équation difficile en temps de crise
Dans un contexte économique, sociale et géopolitique incertain et volatile, l’Égypte devra trouver des instruments et moyens qui lui permettront de maintenir sa souveraineté sur le canal, d’assurer la compétitivité de son poumon économique face à une compétition de plus en plus rude et surtout d’assurer une stabilité sociale nécessaire pour la reprise économique.
El Mahdi Ghedbane auditeur de la 41ème promotion MSIE
Sources :
https://lejournal.cnrs.fr/articles/suez-les-150-ans-dun-canal-tres-dispute
https://www.aljazeera.net/ebusiness/2022/12/21/
https://gate.ahram.org.eg/News/3907515.aspx
https://arabic.cnn.com/business/article/2022/12/20/egypt-suez-canal-bill
https://almanassa.com/stories/8678
https://twitter.com/hashtag/canal de suez (en arabe)
Première réaction du président sur la polémique (alarabiya.net)