Le delphinarium du Parc Astérix : une escarmouche cognitive à répétition

Cinq jours avant le débat à l’Assemblée Nationale sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, le directeur du Parc Astérix annonçait la fermeture de son delphinarium, en activité depuis 1989. L’impact de la crise sanitaire a peut-être joué, mais on peut se demander si le parc n’a pas cédé aux pressions des défenseurs des animaux alors que la question devient politique. Si la défense s’organise du côté des parc zoologiques et animaliers, les associations animalistes semblent en position de force.

En 2010, une orque tuait sa dresseuse en plein spectacle au Seaworld d’Orlando, alertant sur la détresse des ces grands cétacés. La même année sortait le documentaire The Cove sur la pêche controversée de dauphins au Japon. Si cette date n’est certes pas le début des actions de sensibilisation contre la capture et l’exploitation d’animaux sauvages, elle marque un renouveau de la guerre informationnelle, en particulier contre les parcs marins.

Une guerre informationnelle classique 

Plusieurs associations ont mené des opérations en France, notamment contre le Parc Astérix. La Fondation Brigitte Bardot avait publié en 2017 sur les réseaux sociaux une vidéo de la dauphine Femke, déplorant son mauvais état de santé. En 2018, c’est l’association One Voice qui était intervenue en plein spectacle. Enfin, depuis 2019, l’association C’est assez ! manifestait régulièrement à l’entrée du parc. Il est intéressant de noter que One Voice et C’est assez ! sont dirigées par d’anciens membres de Greenpeace ce qui leur confère, si ce n’est un réseau, au moins une expérience significative dans les campagnes de sensibilisation.

On constate donc que le Parc Astérix était sous pression depuis quelques années. Pourtant, dans son interview au Parisien, le directeur met en avant une décision réfléchie de longue date, pour améliorer la cohérence du parc. Selon lui, les avancées législatives en faveur des animaux donneraient encore un horizon de 10-15 ans aux delphinariums français et il ne considère pas fragiliser les deux autres par sa décision. Son discours rejoint la rhétorique scientifique habituelle des zoos et parcs animaliers : les animaux sont bien traités (enclos, vétérinaires…) et l’activité permet de les protéger, de les étudier et de sensibiliser le public.

Les associations animalistes sont cependant bien rodées dans les discours scientifiques et affrontent à armes égales sur ce terrain les entreprises exploitant des animaux. Ces dernières sont finalement en position de faiblesse face à la force morale du message des associations et ne peuvent que se montrer “favorables à l’évolution du cadre législatif” sous peine de passer pour de cupides tortionnaires. Il semble pourtant improbable qu’un compromis puisse être trouvé entre deux positions si antagonistes, les défenseurs des animaux considérant que la captivité en elle-même est une maltraitance, peu importe le niveau de confort.

Quant à la voix des consommateurs, elle est plutôt effacée dans les débats. D’un côté, l'engouement du public ne semble pas se tarir (le Parc Astérix affirmant qu’un visiteur sur deux allait voir le spectacle), de l’autre la World Animal Protection (WAP) suggère dans une étude parue en 2019 qu’un grand nombre de visites sont liées à la coopération avec les agences de voyages qui incluent les parcs dans leurs offres. Quand les parcs assurent que les animaux participent aux spectacles de leur plein gré, les associations répliquent que c’est impossible en condition de captivité et que les consommateurs sont trompés. Un sondage de 2018 par Ifop et la Fondation Brigitte Bardot semble prouver que la balance penche plutôt du côté des défenseurs des animaux avec 7 Français sur 10 opposés aux delphinariums.

Des acteurs économiques sacrifiables

La World Animal Protection estime que l’exploitation des dauphins rapporte entre 1,1 et 5,5 milliards de dollars par an à l’industrie mondiale du tourisme. L’Europe n’est pas la région la plus friande, loin derrière la Chine et le Japon ou encore les Etats-Unis, le Mexique et la Russie.

En France métropolitaine, après la fermeture de celui du Parc Astérix, seuls deux delphinariums sont encore en activité : le Marineland d’Antibes (20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019) et Planète Sauvage (9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019). Un poids somme toute assez léger comparé aux chiffres d’affaires 2019 par exemple du zoo de Beauval (64 millions d’euros), du Parc Astérix (123 millions d’euros) ou encore de Disneyland Paris (1,7 milliards d’euros) ; une goutte d’eau dans les recettes françaises liées au tourisme (55 milliards d’euros en 2018). Cela rend peut-être leur sacrifice acceptable par certains politiciens favorables à la cause animale.

Notons que le Parc Astérix, appartenant à la Compagnie des Alpes qui possède de nombreux parcs (elle-même filiale de la Caisse des Dépôts) va ainsi se recentrer sur son activité d’attraction et rester en ce sens un “fleuron” français. A l’inverse, Marineland appartient à la multinationale espagnole Parques Reunidos et Planète Sauvage à Looping Group, qui compte au premier rang de ses investisseurs le fonds émirati Mubadala.

Lorsque les arguments scientifiques ne suffisent pas, les parcs brandissent l’impact économique et social de leur activité sur les territoires. Ce faisant, ils s’en remettent finalement au soutien de l’Etat pour leur permettre de passer à autre chose. Avec le vote de la loi contre la maltraitance animale qui vient d’interdire la captivité des cétacés et des animaux de cirque, la question n’est plus de savoir quand mais comment l’activité va pouvoir s’adapter.

Un combat politique

La guerre informationnelle sur la question animale a gagné le domaine politique ces dernières années et les groupes de pression s’affrontent pour gagner les voix des élus. En France, les animaux ne sont plus considérés comme des biens meubles mais comme des “êtres vivants doués de sensibilité” depuis 2015. Dès 2017, Ségolène Royal proposait une loi interdisant la reproduction des cétacés captifs et en septembre 2020, c’est Barbara Pompili qui avait remis le sujet sur la table.

Si le vote récent sonne comme une victoire pour les animalistes, elle reste en demi-teinte car ne s’attaquant pas aux “sujets qui fâchent” (élevage, chasse), qui avaient d’ailleurs eu raison de Nicolas Hulot, alors Ministre de la Transition écologique. La proximité des élections présidentielles, après la percée des écologistes aux municipales, entre probablement en compte dans la volonté de l’exécutif d’avancer sur certains sujets “verts”. Néanmoins, en s’attaquant avec succès à la cible moins organisée que représente les quelques delphinariums français et autres cirques itinérants, la cause animale crée un précédent qui pourra lui servir de base pour de futurs combats.

Les parcs n’ont pas encore dit leur dernier mot comme le prouve le cas du Parc Astérix. En effet, malgré des discussions avec C’est assez ! à propos de sanctuaires marins(1), les dauphins ont été envoyés dans d’autres parcs d’Europe grâce au soutien de l’Association Européenne des Mammifères Aquatiques (EAAM) et de l'Association Européenne des Zoos et Aquariums (EAZA). Ces dernières mettent en avant l’étude biologique des cétacés et leur protection, mais sont composées de directeurs de delphinariums. Ces acteurs étaient d’ailleurs parvenus en 2017 à faire annuler la précédente proposition de loi interdisant la reproduction des animaux marins en captivité par un recours en justice pour vice de procédure. Il est probable qu’une bataille judiciaire commence dans les mois à venir.

Des dauphins libres au steaks de laboratoire

Si les associations de défense des animaux se sont réjouies de la fermeture du delphinarium du Parc Astérix, elles ont grincé des dents lorsqu’il a été décidé d’envoyer les animaux dans d’autres parcs européens (sans parler de l’euthanasie de la dauphine Femke). En effet, les solutions de sanctuaires marins pour les anciens animaux captifs, qui ne peuvent pas être simplement relâchés, sont le point faible de leur argumentaire. Ils ne sont qu’à l’état d’ébauche car quel serait leur modèle économique ?

Au niveau mondial, le sort des animaux semble toujours aussi incertain, la pêche et les trafics ne seront pas stoppés par ces quelques fermetures. Les multinationales ont encore l’occasion de se concentrer sur d’autres marchés comme l’Asie. En France (comme dans une partie de l’Occident), les delphinariums et les cirques devront se reconvertir ou fermer à court terme. C’est finalement ce qu’a fait le Parc Astérix de manière proactive mais cela sera bien plus compliqué pour les parcs dont c’est le cœur d’activité. La vente d’animaux de compagnie en animalerie va également être plus réglementée et d’autres acteurs vont être touchés à l’image du marché aux oiseaux de l’île de la Cité.

Cette bataille n’est que le prémice d’autres affrontements à propos des zoos mais également au sujet de la chasse et des animaux d’élevage. Les entreprises de la tech se présentent déjà comme des alternatives incontournables, depuis les idées un peu farfelues d’animaux robots et l’industrie alléchante de la viande in-vitro.

Paul Barraqué-Curié
Auditeur de la 36ème promotion MSIE

 

Note

1) Un sanctuaire désigne un lieu fermé (délimité) et protégé, dans lequel vit une espèce animale menacée (réserve à baleine par exemple). Le but en est de protéger les mammifères marins et de sauvegarder leur habitat, ou de leur accorder un répit pour la reproduction.