Le 8 février 2022, le Conseil d’Etat a annoncé recourir aux services de la militante féministe woke Caroline de Haas au travers de son cabinet de conseil EGAE. En effet, Madame De Haas interviendra auprès de la juridiction administrative suprême afin d’assurer une « formation à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au travail » et ce, pour la bagatelle de 110 000 euros. Deux semaines auparavant, le 21 janvier, Caroline De Haas se distinguait en affirmant sur twitter que « la Police Nationale et la Justice sont des institutions anti-femme ». Ainsi, le recours aux services de Caroline de Haas par le Conseil d’Etat suscite une réelle interrogation. La juridiction administrative suprême a-t-elle fait preuve de maladresse dans l’accomplissement d’une démarche issue d’un bon sentiment, ou a-t-elle, en toute connaissance de cause, engagé avec l’argent public, une militante aux compétences discutables afin d’imposer en son sein une idéologie que d’aucuns considèrent comme toxique ?
Le militantisme marchand
Militante professionnelle et historienne de formation, Caroline de Haas ne semble pas disposer, si ce n’est des convictions, tout du moins des compétences permettant d’améliorer la condition des femmes au sein du Conseil d’Etat.
Caroline De Hass a bâti sa vie professionnelle au travers du militantisme. Membre engagée de l’UNEF, elle a rejoint l’appareil exécutif sous la présidence Hollande en tant que conseillère de Najat Vallaud-Belkacem alors ministre des Droits des femmes. De son passage au gouvernement subsistera la « Charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique ». Ce document instaure, entre autres, l’obligation pour les employeurs publics « d’assurer, par des actions de formation ou de sensibilisation adaptées, la prise en compte par tous les acteurs et tous les personnels – agents, cadres, responsables des ressources humaines, dirigeants, membres des jurys, représentants du personnel – des principes et des enjeux de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes. Les employeurs publics s’engagent également à réviser le contenu des formations afin d’en éliminer tous les stéréotypes éventuels ».
Hasard du calendrier, quelques mois plus tard, Caroline De Haas quittait le gouvernement et créait, le 22 juillet 2013, sa société EGAE dont l’activité principale demeure « la formation, le conseil, l'accompagnement stratégique, la communication, l'organisation d'événements et de projets dans le domaine de l'égalité hommes-femmes, de la prévention des discriminations, de la prévention du traitement des violences sexistes et sexuelles, du harcèlement moral et la participation des femmes dans les médias. ».
Ainsi, Caroline De Haas se retrouvait, trois mois après avoir quitté le gouvernement, à répondre au besoin de formation créé par la charte mentionnée précédemment. Cette demande demeure, aujourd’hui encore, une source de revenu de premier plan pour EGAE. En 2019, les formations auprès d’acteurs publics constituant plus de la moitié des prestations du groupe.
La question de la légitimité
L’intérêt du recours aux services de Caroline de Haas pour sa seule compétence militante demeure quelque peu abstrait. Nonobstant ses sorties anthologiques telles que « un homme sur deux ou trois est un agresseur » ou « il faut élargir les trottoirs pour lutter contre le harcèlement de rue », Caroline De Haas a su démontrer la solidité de ses convictions en défilant, en novembre 2019, aux côtés d’imams intégristes lors de la marche contre l’islamophobie. Le recours aux services d’EGAE pose également question lorsqu’on s'intéresse à son efficacité. L’absence de formation de la co-directrice dans le domaine transparaît au travers des fiasco dont son cabinet est à l’origine. Il convient de prendre pour exemple le cas de l’affaire Télérama lors de laquelle EGAE avait poussé, par le biais de méthodes plus que discutables, au licenciement d’Emmanuel Tellier. Face à cette manœuvre, le journaliste avait porté plainte et obtenu 90 000 euros de dommages et intérêts de la part de son ancien employeur.
L’incohérence du recours au féminisme « woke » pour la défense des femmes
L’égalité totale, en tout temps, en tout point, en tout lieu. C’est ainsi qu’il conviendrait de résumer le combat que les associations progressistes prétendent mener. Le caractère absolu de ce combat permettant de s’écharper sur un nombre effarant de questions, du plus général : l’écart des salaires entre hommes et femmes, au plus « particulier » : la position des jambes masculines dans les transports en commun. Une telle amplitude de points de lutte ne saurait forcer autre chose que l’admiration tant elle témoigne de l’intensité des convictions du camp progressiste. Cette impression rend d’autant plus fâcheux le constat que cette ardeur s’étiole en fonction du lieu de la discrimination ou de l’identité du discriminé.
Les mouvements féministes « woke », quoique affirmant souhaiter une égalité à l’échelle mondiale, concentrent leurs actions sur le monde occidental, délaissant les secteurs du globe, à l’instar des pays du Golfe ou du Sahel, dans lesquels les minorités sont les plus oppressées. Cette concentration rend d’autant plus suspect le prétendu universalisme de ces mouvances. En effet, il apparaît ubuesque de préférer l’allocation de ressources financières, temporelles et humaines à des combats contre le « manspreading » dans les transports en commun alors qu’elles pourraient se mobiliser contre l’excision ou la condamnation à mort des homosexuels dans certaines monarchies du Golfe.
La position des mouvements féministes « woke » est d’autant plus surprenante qu’en plus de se refuser à combattre les persécutions sur ces territoires, ils vont faire preuve de complicité en relayant les outils d’influence de régimes persécuteurs. Il convient de prendre pour exemple le cas d’AJ+, média massivement relayé par le camp progressiste car produisant du contenu en apparence « woke ». Cependant, sous ses apparences progressistes, AJ+ demeure une filiale d’Al-Jazeera, une chaîne qualifiant l’homosexualité de « déviance ». C’est également un outil d’influence du Qatar, un pays dans lequel « les femmes et les filles se trouvent en quarantaine à vie ».
Un engagement à angles morts dans le soutien aux femmes en péril
Outre leur désintérêt pour les oppressions situées hors de leur périmètre géographique, les féministes « woke » vont également refuser de s’impliquer dans la défense de victimes de persécutions se déroulant au sein dudit périmètre.
Les mouvements progressistes vont se montrer discriminatoires dans le choix de leurs combats et ce, même au sein de leur zone d’action supposée. En effet, en accord avec leur volonté d’accroissement de leur résonance, ils ne sauraient polémiquer si un tel parti pris venait à fragiliser leur position sur la scène médiatique.
Ainsi, pour ces mouvements, n’est pas victime qui veut. Il convient d’illustrer ces propos au travers du cas de la jeune Mila. En 2020, cette femme lesbienne se revendiquant queer avait subi une vague massive de harcèlement en ligne à la suite de l’adoption de positions critiques envers l’Islam. Prise à partie quant à son sexe et son orientation sexuelle, elle eut été en droit d’attendre un soutien important de la part des associations progressistes qui, il convient de le rappeler, n’hésitent pas à interpeller les pouvoirs publics sur des sujets tels que la position des jambes masculines dans les transports en commun.
Malheureusement pour la jeune victime, il n’en fût rien. Prétextant, une instrumentalisation de l’affaire par l'extrême-droite, les associations féministes « woke » refusèrent de s’impliquer. Leur position s’est trouvée parfaitement illustrée au travers des propos de Suzy Rotjman, porte-parole du collectif national pour le droit des femmes qui déclarait « c’est vrai que l’affaire Mila est partie tellement vite, accompagnée de tout un tas de critiques sur l’Islam, qu’on n’a pas tellement eu envie de s’impliquer ». Il fallut attendre plusieurs semaines et l’indignation d’une part non-négligeable de l’opinion publique, pour que les mouvements progressistes daignent sortir de leur mutisme et condamner, du bout des lèvres, le harcèlement subi par la jeune Mila.
Un calcul très opportuniste dans la prise de risque informationnel
Dans le cas de l’affaire Mila, les associations « woke » ont raisonné en termes de coût/avantage. La stratégie initiale de non-implication, afin d’éviter tout risque de se voir qualifier de raciste ou d’islamophobe, découlant du coût réputationnel de telles accusations en l’état actuel du débat public. Néanmoins, les progressistes ont dû se résoudre à « prendre position » lorsque le potentiel dommageable de l’indignation publique découlant d’une inaction, a dépassé celui induit par les accusations redoutées.
L’affaire Mila témoigne ainsi clairement de ce que sont devenus les mouvements féministes « woke ». Loin de tout courage politique, ce sont désormais des structures cherchant avant tout des gains de légitimité ou des avantages personnels pour leurs membres. Les entités progressistes n’ont ainsi aucun scrupule à trahir leurs idéaux affichés en favorisant des idéologies nocives à leur prétendue cause. Delphine Girard, dans une tribune pour le journal Marianne, résumait leur comportement ainsi : « Ces gens sont devenus volontairement « sourds » à la réalité, à la menace qui pèse sur leurs propres causes et leurs propres ouailles, au sens le plus élémentaire de la justice.
En définitive, il ne s’agit pas ici de contester le caractère louable de l’intention d’assurer un respect de l’égalité entre agents publics. Cependant, l’exécution de la démarche pousse, malheureusement, à s’interroger sur son utilité. En effet, le recours aux services de Caroline De Haas a de quoi surprendre de la part d’une institution telle que le Conseil d’Etat dont la mission principale est d’être l’un des piliers de l’État de droit.
Lucas Wendling
Etudiant en SIE - MBA en Stratégie et Intelligence Economique
Sources
Bastié Eugénie, « Caroline de Haas, quand le féminisme devient un business », le Figaro (en ligne), 09/06/2021.
Terriennes, « Au Qatar : « les femmes et les filles sont en quarantaine à vie », TV5 Mondes (en ligne) 13/04/2021, consulté le 18/02/2022.
Solano Thibaut, « Télérama condamné après le licenciement abusif d’un journaliste », Marianne (en ligne), 05/05/2021, consulté le 18/02/2022.
Girard Delphine, « Ce silence des associations LGBT et de tant de féministes sur l’affaire Mila est absurde », Marianne, 18/06/2021.
La revue des médias, « AJ+ : derrière la modernité, le média d’influence du Qatar », INA, 01/12/2020.
Laurent Samuel et Cordier Solène, « Dans l’affaire Mila, les silences embarrassés des féministes », Le Monde (en ligne), 31/07/2021, consulté le 12/02/2022.
Piquet Samuel, « Enquête de Caroline de Haas au Conservatoire de Paris : « il n’y a pas de présomption d’innocence », Marianne, 21/07/2021.